samedi 8 juin 2019

Ignaz MOSCHELES – Symphonie en Ut majeur Op.81 (1828) - Nikos ATHINÄOS (1998) – par Claude Toon



- Ignace ♫♬. Ignace♫♬. C'est un petit, petit nom charmant… chantait Fernandel en 1937 M'sieur Claude… Vous nous avez déniché un bel inconnu ? Qui, Où ? Quand ?
- Sacrée Sonia ! Une chanson d'une rare niaiserie… Moscheles est un composteur pour le moins oublié, contemporain de Beethoven et de Mendelssohn…
- Ah oui, la symphonie date de 1828, un an après la mort de Beethoven… A priori un romantique ? Vous confirmez ?
- Oui, et un très proche ami de Mendelssohn dont il adopte à sa manière le style… Pas le brio des deux symphonistes célèbres, mais très vivant… à découvrir…
- Le chef Nikos Athinäos est grec, vous nous en avez déjà parlé à propos des symphonies de Czerny, un autre compositeur trop à l'ombre des géants…
- Oui à l'époque, j'avais dû traduire du grec pour faire connaissance avec ce chef… Tout évolue, il a maintenant une belle page en anglais sur Wikipédia…

Portrait de Ignaz Moscheles par son fils Felix (1860)
On ignore souvent, moi le premier, qu'avant Antonín Dvořák (1841-1904), il y a eu une vie musicale intense dans ce qui s'appelle aujourd'hui la Slovaquie et la République Tchèque. Il est vrai que ces pays ont souvent été divisés, réunis ou intégrés dans divers empires au gré de l'histoire de l'Europe central. Prague et dans une moindre mesure Brno sont des capitales musicales incontournables depuis l'art baroque jusqu'à l'époque contemporaine. Lors d'un papier récent consacré à la 39ème symphonie de Mozart, je rappelais que son opéra Don Juan et sa bien nommée 38ème symphonie "Prague" rencontrèrent un vif succès lors de leur création à Prague alors que leur accueil à Vienne fut plutôt tiède…
Isaac Ignaz Moscheles voit le jour en Bohème en 1798 dans une famille aisée de la communauté juive. Son père qui joue de la guitare souhaite que l'un de ses enfants devienne musicien… C'est le jeune Ignaz qui va se révéler le plus doué pour satisfaire les ambitions paternelles. Il apprend le piano et se passionne pour les œuvres de Beethoven. Il va aussi découvrir au conservatoire de Prague le répertoire pour le clavier de Bach, Mozart et Clementi. Naître en 1798 en fait le quasi contemporain de Schubert né en 1797. Beethoven a 28 ans et s'est déjà fait un nom à Vienne. Mendelssohn aura beaucoup de points communs à partager avec Moscheles dont une amitié sans faille. Mendelssohn, certes né en 1809 est lui aussi issu d'une famille juive et bourgeoise. Juif, un handicap à une époque où l'antisémitisme ferme les portes aux carrières brillantes… Les deux compositeurs seront amenés à se convertir, Mendelssohn au protestantisme, Moscheles à l'Église anglicane dans les années 1820. L'un et l'autre ont une passion pour promouvoir la musique de leur temps, Beethoven notamment.
Le pianiste virtuose qu'il devient sillonne l'Europe et entretient des liens d'amitiés étroits avec les compositeurs de son temps, en particulier ceux d'origine juive qui comme lui ou Mendelssohn qui doivent s'imposer dans un monde où la culture chrétienne dicte ses règles, citons Anton Rubinstein, Joseph Joachim pour les plus connus.
En ses jeunes années, Moscheles étudiera avec Salieri et Albrechtsberger, un pédagogue de renom contemporain de Haydn. Preuve de ses capacités pianistiques, Beethoven lui confiera un travail de transcription de son unique opéra, Fidelio.
De 1821 à 1843, il s'installe à Londres, embrasse la foi anglicane et devient organisateur de concerts. Passionné de piano il côtoie Hummel, Liszt et Chopin. C'est peut-être cette activité de défenseur de cet instrument encore nouveau et d'interprète qui va occulter en partie son statut de compositeur. Il est vrai, et nous allons l'entendre, que chez cet homme le talent prend le pas sur le génie. Pourtant il nous a légué huit concertos pour piano plutôt agréables et un catalogue d'une bonne centaine d'ouvrages dont la symphonie en Ut que nous allons écouter ce jour. Bien entendu Moscheles a écrit un certain nombre d'ouvrages pour le piano ainsi que des œuvres de musique de chambre incluant le clavier. N'oublions pas qu'après la révolution opérée par Ludwig van sur le genre de la symphonie, beaucoup de compositeurs, Brahms en particulier, seront intimidés avant d'oser composer pour l'orchestre des ouvrages de musique pure.
En 1843, à son retour d'Angleterre, il rejoint son ami Mendelssohn à la direction du conservatoire de Leipzig, ville dans laquelle il disparait en 1870.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Nikos Athinäos  (1946-)
Je lis par-ci par-là que la symphonie de Moscheles flirterait avec le classicisme et l'académisme. C'est très sévère et injustifié. L'organisation en quatre mouvements dont un scherzo est typique des dernières symphonies de Mozart ou de Haydn, mais tout autant de celles de Beethoven. Seul l'adagio qui introduit l'allegro initial se réfère aux derniers soubresauts de l'époque classique : 39ème de Mozart écoutée la semaine passée mais aussi la première et seconde symphonie de Beethoven… Quant à l'académisme, la fantaisie du discours et l'utilisation en mode choral du groupe des bois nous rapproche de la 1ère symphonie de Schumann "le printemps" de 1841 ; et qui de plus romantique que Schumann ? Situons cette symphonie de 1828 dans son époque :
La 9ème de Beethoven date de 1824 et la 9ème de Schubert sous-titrée la grande de 1825. Donc en un mot, en 1828 nous sommes en plein essor du romantisme, même si on ne trouvera aucune expression des affres beethovéniens dans cette symphonie plutôt bon enfant et guillerette. La tonalité dominante de do majeur préfigure un ouvrage heureux. Pour ceux qui la connaissent, le rapprochement avec la 1ère symphonie de son ami Mendelssohn est assez pertinent.
Autre argument en faveur d'une conception d'approche romantique, l'orchestration qui anticipe celle de la seconde moitié du XIXème siècle, principalement par le pupitre des cuivres d'une puissance brucknérienne première manière :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes de tessitures différentes, 2 bassons, 2 trompettes, 4 cors (2 tessitures différentes), trois trombones (alto, ténor, basse), timbales et cordes.
La date réelle de la création est inconnue des tablettes. On suppose que son ami Mendelssohn en a dirigé la première à Londres en 1829 en paralèle de la création anglaise de sa propre 1ère symphonie écrite en 1824. Johann Philipp Christian Schulz et l'orchestre du Gewandhaus de Leipzig l'avaient jouée en 1827, le jeune Felix n'ayant que 17 ans ; sans grand succès ni lendemain, il faut le dire. Les anglais apprécient mieux les nouveautés, comme souvent…
Comme le rappelle Sonia, le chef grec Nikos Athinäos, grand dénicheur d'œuvres injustement oubliées officie pour ce disque. Voir la biographie de cet artiste dans la chronique Czerny (Clic). Nous retrouvons l'orchestre de l'Etat du Brandenbourg de Francfort, ses chaudes couleurs et une prise de son bien équilibrée assurée par le label Christophorus.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Portrait de George Henschel par Felix Moscheles
1 - Adagio non troppo — Allegro : Un accord puissant en tutti introduit un adagio ni lent ni grave, plutôt un andante et j'ajouterais cantabile. Une belle mélodie pastorale se déploie aux cordes égayée de quelques accords de bois qui précèdent un nouvel accord en tutti. Le développement de cet adagio est insolite : un thrène nocturne des cordes en pizzicati bien rythmé en son début, légèrement empreint de gravité dans les mesures suivantes illuminées par un motif des flûtes. La hauteur de vue de cette ouverture témoigne du romantisme qui passionne le compositeur. Si cet adagio est un digne héritier des formes symphoniques classiques, il n'en retient aucune des conventions de par l'évolution épique qu'il adopte et encore moins lorsque l'on écoute le délicat passage concertant de tous les pupitres de bois juste avant la transition vers l'allegro [2:10].
[2:39] L'allegro s'élance gaiement et avec humour sur deux appels de trompettes suivi de l'exposition du premier bloc thématique. La mélodie se révèle fougueuse et fera indéniablement penser au style de Mendelssohn : articulation marquée, ton léger même si martial. Il faut noter que la première symphonie vraiment "pro" de son ami allemand, "l'italienne" est nettement postérieure, à savoir 1842. La 2ème étant plutôt une cantate. Donc une symphonie conventionnelle ? Non, je confirme mon opinion, le romantisme est bien présent, peut-être pas celui inspiré par la littérature de Goethe ou encore de Hugo ou de Lamartine comme chez Liszt, mais débonnaire, la musique pleine de verve d'un bon vivant. Oui, en effet aux antipodes de la marche funèbre de la symphonie "héroïque" de Beethoven. À propos de ce denier, le point faible qui a sans doute empêché cette œuvre de se maintenir au répertoire est l'absence de thèmes qui frappent d'emblée l'auditeur, en particulier des gifles comme l'immortel pam pam pam paaam ! Une thématique élégante et bien troussée mais plus impersonnelle que celle imaginée par les grands noms du romantisme cités depuis le début de cette chronique. Pourtant le discours très coloré est nettement plus passionnant que celui de la partie orchestrale des concertos pour piano de Chopin, ce n'est pas un scoop. [4:38] ou [7:37] les reprises assez conventionnelles dans la forme ne le sont guère dans l'orchestration très variée, ce qui fait le charme de cette musique et confirme le talent de Moscheles pour exploiter de manière nouvelle et virevoltante l'harmonie. [9:03] Changement de climat avec un sentiment de pathétisme, d'empressement, et surtout toujours ces dialogues à découvert de bois très idiomatiques dans cette œuvre. [11:15] Réexposition du thème de l'adagio mais sans la superbe initiale. Là, il faut saluer Nikos Athinäos qui donne à ce long mouvement (14 minutes) une fantaisie dans le phrasé qui évite l'ennui lié à la forme sonate rigoureuse. La coda est assez banale.

Lady assise par Felix Moscheles
2 - Adagio : [14:25] Les premières mesures de l'adagio sont confiées aux cordes, une phrase tranquille qu'un chant de la flûte puis du basson colore de nouveau avec plaisir. Le tissu musical se veut résolument optimiste. On pourra discerner une poésie champêtre digne du Beethoven de la symphonie "pastorale". Quelques motifs plus allants parcourent les différents pupitres, notamment des traits virils des trombones, des petits détails bienvenus apportant une pincée de lyrisme dans cette belle page. L'orchestre ne rugit jamais, romantisme assurément, mais aucune tragédie. La partie centrale donnant libre cours à une marche des cordes graves ne suffit pas à dramatiser le tableau… Les clarinettes ont un rôle important.

3 - Scherzo. Allegro con fuoco (Trio - Un poco moderato) : [20:12] Le scherzo est assez bref et débute de manière rugueuse. Là encore, la liberté volubile donnée aux bois permet de compenser la relative faiblesse thématique. [22:17] Le trio se présente telle une danse villageoise avec un thème chanté par le hautbois puis par la flûte ou encore un cor. Un scherzo étant à trois temps, la rythmique soutenue et galante choisie par le compositeur pourrait nous entraîner vers le monde de la valse… Le scherzo est rejoué da capo sans reprise.

4 - Introduzione. Adagio — Finale. Allegro vivace : [25:34] Le final débute énergiquement par une suite d'accords vigoureux et syncopés. Seul, le hautbois amorce un début de thème qu'il complétera quelques mesures plus tard. Là encore l'adagio ne se résout pas à affirmer un tempo plaintif. On retrouvera de-ci delà des motifs extraits des mouvements précédents. Tout cela n'est pas, il faut l'admettre, d'une folle imagination, mais au moins, c'est gai voire primesautier.

Une symphonie allègre dont la résurrection ne remet pas en cause l'histoire de la symphonie romantique mais montre que bien avant Schumann ou Berlioz, dès la publication des chefs-d'œuvre de Beethoven, le romantisme s'imposait grâce à des compositeurs acquis à sa cause. Le ton épique des deux premiers mouvements permet à cette symphonie d'échapper définitivement à la musique de pur divertissement.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

- Elle est zarbie l'illustration de la vidéo M'sieur Claude : on dirait un sous-marin cuirassé futuriste dessiné par Bilal ou tout droit sorti du film rigolo La Ligue des gentlemen extraordinaires…
- Oui Sonia, ce site en a toute une collection… Aucun rapport avec la symphonie… Cela dit cet éditeur de vidéos propose des pépites introuvables incroyables…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire