- C'est
rigolo ce roulement de timbales en intro M'sieur Claude, on attend presque
"À vos rang fixe, etc." de la part d'un sergent poilu, hihihi…
- Vous avez
de l'imagination Sonia ! Et Haydn aussi… Ce diable d'homme trouvait toujours au
moins une petite idée insolite dans chacune de ses œuvres…
- Vous aviez
déjà consacré une chronique à trois des symphonies "londoniennes",
pourquoi la 103 a le privilège d'un papier pour elle toute seule ?
- L'article
que vous citez date de mes débuts dans ce blog, un peu trop long avec le recul…
Et puis cette symphonie 103, imposante, préfigure le romantisme…
- Frans
Brüggen était votre choix pour la Messe en si de Bach… Nous écoutons donc des
instruments et une interprétation dite d'époque…
- Exact, mais
sans excès, pas un orchestre maigrichon, nous sommes en 1795 quand même. Une
réussite à mon sens, beaucoup de subtilité, écoutons cela…
Frans Brüggen (1934-2014) |
Les douze dernières ne s'appellent pas Les londoniennes
pour rien. Haydn les a composées à
l'occasion de ses voyages en Angleterre en 1791
et 1795. Une douzaine d'ouvrages ambitieux
qui couronnent une vie à participer à l'évolution du genre. Donc Vienne a-t-elle
profité de ces belles symphonies ? Sans doute de manière occasionnelle. Mais il
faut conclure en affirmant que c'est la France et l'Angleterre qui ont permis l'écriture des 23 symphonies
ultimes. Par ailleurs, ajoutons à propos des londoniennes que la richissime bourgeoisie
anglaise qui construisait son Empire offrait des ponts d'or à Haydn pour la composition et l'exécution
depuis son clavier de ces symphonies.
Une première chronique était dédiée à un album de six
londoniennes dirigées par Sir Thomas Beecham à l'aube de la stéréo. Trois
d'entre-elles étaient analysées dans les grandes lignes (Clic). J'avais réservé la N°
103 "Roulement de timbales" ou "Drums" en anglais pour un
article particulier car, j'ai un faible pour son style atypique qui démontre
sans ambigüité que Haydn est un compositeur qui maîtrise tous les apports de l'époque
classique finissante, et par ailleurs taille en pièce une mauvaise idée qui ferait
de lui un compositeur académique en regard de Mozart et de Beethoven qui
l'éclipsent. Cette œuvre, principalement le premier mouvement, démontre le
contraire…
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London Kings Theatre |
2/2/2/2 (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons), 2
cors, 2 trompettes, timbales et cordes.
La partition
comporte une double portée supplémentaire destinée à la partie de clavecin ou
de piano forte que pouvait utiliser le chef à cette époque. Son usage s'est
perdu de nos jours même chez les adeptes des interprétations sur instruments d'époque
; on peut entendre cet accompagnement dans les symphonies plus anciennes (sturm und drang). Autre exception
notable : triangle, cymbales et grosse caisse dans la 100ème
symphonie "Militaire".
Haydn adopte
la forme en quatre parties de la symphonie classique. Il conserve le menuet et son
trio qui deviendront le scherzo par extension de la nature et du nombre de thèmes.
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Dans les années 80-90, Frans
Brüggen, un chef de "la nouvelle
vague" des "baroqueux"
qui avait créé son orchestre nommé Orchestre du
XVIIIème siècle, enregistra les symphonies londoniennes et
quelques autres de l'époque 1789-1791.
Hélas chez Philips. Le coffret de 4
CDs qui réunissait en fin de cycle les londoniennes
DEVRAIT être réédité par DECCA,
dépositaire du catalogue de son concurrent. Quant au maestro, voir sa biographie
rédigée lors de sa disparition en 2014.
(Clic)
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Timbales du XVIIIème siècle |
Le musicologue Marc
Vignal, spécialiste de Haydn,
estime que le compositeur se laisse aller à une petite facilité dans les
londoniennes. Je partage peu ce point de vue qui doit cependant s'appuyer sur
des études pointues de l'écriture qui m'échappent… Les 12 londoniennes sont plus
imposantes que les 92 symphonies précédentes, et on constate que comme chez Beethoven, les thèmes sont attachants et
immédiatement mémorisables. Donc, oui, un large public adopte d'emblée cette
musique. Doit-on en déduire que chercher un fanclub implique une dérive vers
ladite facilité ? Je ne le pense pas, la symphonie 103 regorge d'idées
insolites à défaut d'être innovantes. Je les signale par {i}. Cela dit, les
ouvrages de Marc Vignal sont des
références pour ce défenseur historique du compositeur.
1. Adagio -
Allegro con spirito [0:00] : {i} La première mesure se résume à un
roulement de timbale. La mesure comporte un point d'orgue et cette indication pp<>. Un crescendo decrescendo dont
la durée est laissée à la discrétion du chef. Roulement parfois discret et très
court (Boulez) ou vigoureusement
militariste (Harnoncourt qui revisite à sa sauce la partition !). Frans Brüggen prend son temps et obtient
un effet énigmatique. Est-ce un début de parade soldatesque comme dans la symphonie n°100
? L'annonce du jugement dernier ? Peut-être, mais avec humour comme souvent
chez Haydn. Une idée qui me vient à l'esprit car l'adagio introductif,
devenu monnaie courante avant l'allegro, développe une sombre phrase aux cordes
graves et bassons sur le thème d'un dies irae de requiem {i} ! Des accords de
hautbois rompent un instant la gravité du propos. Une mélopée nostalgique menée
par les violons prolonge ce sentiment d'affliction. On s'attend à un premier
mouvement de style sévère voire mystique, l'antithèse de l'univers plutôt
épicurien de Haydn, plutôt celui d'un Bruckner. À noter à l'écoute les bassons très
audibles face aux cordes graves et la sonorité acidulée des violons. Frans Brüggen apporte au propos une dimension
nostalgique d'une rare beauté sonore.
[2:43] Et bien non, l'allegro ne sera pas le tuba
mirum qui suit logiquement un dies irae. Au contraire, les violons s'élancent
joyeusement et ouvrent la porte à un premier groupe thématique allant et rythmé,
scandé par les timbales. Quelques notes du dies irae se cachent pourtant dans
cette bonhomie. [3:50] la reprise se fait presque guillerette. Le thème devient
leitmotiv donnant à l'allegro ce climat martial fréquent dans les mouvements vifs
des londoniennes. La direction de Frans Brüggen
apporte un souffle d'air entre tous les pupitres. [6:17] Une nouvelle
thématique dérivée renoue avec le ton épique de l'adagio, sans excès, le
discours est très concertant avec l'harmonie. [7:38] Reprise in extenso du
thème de l'allegro, forme sonate oblige, peut-être là, en effet, une facilité
dont parlait Marc Vignal ? [8:52] {i}
Là, par contre, Haydn nous surprend par une
reprise de l'adagio limitée au roulement de timbale et à l'énoncé du thème du
dies irae, une idée originale qui conduit par une subtile transition à une coda
pleine de verve construite sur le leitmotiv de l'allegro.
Haydn vers 1795 |
2. Andante
più tosto allegretto [10:16] : les mouvements lents des londoniennes adoptent
fréquemment des rythmes de marche de différentes manières. Dans la symphonie
101 dite l'horloge, l'andante évoque la cadence obsédante d'une comtoise d'où
le surnom de l'œuvre. Même principe dans la 100ème pour laquelle
Haydn imaginait un défilé de soldats de plomb, ajoutant même une agreste fanfare
de cuivres, grosse caisse, triangle et cymbales {i}. Ô rien de guerrier… Dans l'andante
que nous écoutons, le premier thème présente une scansion marquée par les
cordes graves. [10:53] Le second thème se veut plus mélodique, chanté par les
violons. Tout le mouvement s'articule sur l'opposition de variations en
variations entre ces deux thèmes. [12:16] La première d'entre elle voit les bois
marcher au pas, des trilles cocasses montrant une fois de plus le souci de Haydn de divertir. [14:01] Nouvelle variation par reprise de la mélodie initiale mais
colorée par le son des bois et des cors. Une marche ? Plutôt une promenade et
des accents de danses villageoises. [14:01] {i} Rare à cette époque, le
discours enchaîne à partir des motifs initiaux une forme concerto avec un
violon solo. Haydn débordait vraiment d'imagination pour extraire ses
partitions de la gangue de l'académisme. [17:18] Nouvelle orchestration avec un
passage énergique dans lequel domine des traits virulents de cuivres et des
coups de timbales. [18:10] Fête et danse au village. Les interventions des bois
sont pittoresques : celles des bassons retrouvent le déhanchement de l'ours de
la symphonie parisienne éponyme, les flûtes jouent la carte de la facétie… [19:02]
mélodique et sereine lors de son exposition, l'ultime variation qui fusionne
avec la coda se révèle fantasmagorique et achève, {i} encore une idée peu usuelle,
l'andante par des accords puissants et non par un calme decrescendo…
3. Menuetto [20:34] :
Le menuet est plus classique dans la forme mais toujours plein de fantaisie. Un
motif rythmé des cordes et de la timbale s'interrompt sur des syncopes
des flûtes et du hautbois ou encore des bassons. Toute la symphonie présente
ce climat martial mais jamais fanfaronnant de par la grande richesse mélodique.
[23:01] Le trio très bref aux accents folkloriques offre aux clarinettes un
joli duo, un passage pastoral. [24:34] Frans Brüggen
rejoue bien évidement le menuet mais sans la reprise secondaire. Il faut dire
que ce menuet, comme souvent, n'est pas très riche.
4. Finale:
Allegro con spirito [25:49] : À partir d'un motif très simple aux cors, Haydn déploie pour ne pas dire déplie comme un origami un
joyeux final. Encore l'une de ses techniques, la musique s'envole dans
plusieurs directions gaies et fantaisistes mais sans aucune confusion. L'orchestration
de l'harmonie s'éloigne de celle de Mozart
par ses foucades. Frans Brüggen évite de
recourir à un tempo trop précipité, laissant ainsi le temps de s'exprimer à
tous ses instrumentistes. (Partition)
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La discographie des londoniennes
est pléthorique. J'aime beaucoup cette interprétation légère et virevoltante de
Frans Brüggen apportant un bon équilibre
entre les timbres dits authentiques et l'intelligence de la conception.
J'avais déjà cité dans d'autres articles plusieurs
cycles ou albums qui ont marqué l'histoire du disque : ceux de Jochum, de Bernstein,
de Dorati.
Voici encore d'autres idées de disques disponibles
(ceux de Frans Brüggen sont hélas
difficiles à dénicher)
Début des années 60, peu avant de disparaître, Fritz Reiner revient à Haydn sans forcer le trait avec un orchestre de la RCA. Une clarté suffocante et une poésie inattendue chez ce chef plutôt à l'aise avec les grands effectifs. (RCA -5/6)
Début des années 60, peu avant de disparaître, Fritz Reiner revient à Haydn sans forcer le trait avec un orchestre de la RCA. Une clarté suffocante et une poésie inattendue chez ce chef plutôt à l'aise avec les grands effectifs. (RCA -5/6)
Je reviens à Colin Davis
de nouveau avec son intégrale élégante et magnifiquement captée lors de cessions
avec l'orchestre symphonique de Londres.
(DECCA - 6/6).
Et avec un orchestre moderne, celui du Concertgebouw d'Amsterdam, mais une
conception iconoclaste très imaginative et radieuse, Nikolaus
Harnoncourt renouvelle l'approche de la musique de Haydn (Teldec – 5/6).
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