samedi 22 juin 2019

HAYDN – Symphonie N°103 "Roulements de timbales" (1795) – Frans BRÜGGEN (1987) – par Claude Toon



- C'est rigolo ce roulement de timbales en intro M'sieur Claude, on attend presque "À vos rang fixe, etc." de la part d'un sergent poilu, hihihi…
- Vous avez de l'imagination Sonia ! Et Haydn aussi… Ce diable d'homme trouvait toujours au moins une petite idée insolite dans chacune de ses œuvres…
- Vous aviez déjà consacré une chronique à trois des symphonies "londoniennes", pourquoi la 103 a le privilège d'un papier pour elle toute seule ?
- L'article que vous citez date de mes débuts dans ce blog, un peu trop long avec le recul… Et puis cette symphonie 103, imposante, préfigure le romantisme…
- Frans Brüggen était votre choix pour la Messe en si de Bach… Nous écoutons donc des instruments et une interprétation dite d'époque…
- Exact, mais sans excès, pas un orchestre maigrichon, nous sommes en 1795 quand même. Une réussite à mon sens, beaucoup de subtilité, écoutons cela…

Frans Brüggen (1934-2014)
Il y a quelques semaines, à propos de la 39ème symphonie de Mozart de 1788, j'avais évoqué le manque de passion pour la symphonie de la part du public viennois. Dans les deux dernières décennies du XVIIIème siècle, la symphonie n'est plus vraiment un divertissement instrumental mais acquière un sens plus introverti, son compositeur commence à mettre en musique ses passions, ses joies et ses douleurs. Le romantisme s'annonce discrètement. Deux des trois dernières symphonies de Mozart dont la "Jupiter" ne seront jamais jouées du vivant de leur auteur mort en 1793. De 1786 à 1795, Haydn va pourtant composer 23 symphonies d'importance. Vont-elles passionner le public autrichien ? Mystère. La première série, 82 à 87, est une commande française du comte d'Ogny pour le Concert de la Loge Olympique et les symphonies seront créées avec succès dans notre Capitale. D'où leur sous-titre "symphonies parisiennes". Il en sera de même pour les symphonies 90 à 92, une nouvelle commande du comte d'Ogny et pour les 88 et 89, rebelote, elles sont destinées au public parisien en réponse à une demande de Johann Tost. Cette production s'achève en 1789, date à laquelle la France plonge dans les soubresauts révolutionnaires.
Les douze dernières ne s'appellent pas Les londoniennes pour rien. Haydn les a composées à l'occasion de ses voyages en Angleterre en 1791 et 1795. Une douzaine d'ouvrages ambitieux qui couronnent une vie à participer à l'évolution du genre. Donc Vienne a-t-elle profité de ces belles symphonies ? Sans doute de manière occasionnelle. Mais il faut conclure en affirmant que c'est la France et l'Angleterre qui ont permis l'écriture des 23 symphonies ultimes. Par ailleurs, ajoutons à propos des londoniennes que la richissime bourgeoisie anglaise qui construisait son Empire offrait des ponts d'or à Haydn pour la composition et l'exécution depuis son clavier de ces symphonies.
Une première chronique était dédiée à un album de six londoniennes dirigées par Sir Thomas Beecham à l'aube de la stéréo. Trois d'entre-elles étaient analysées dans les grandes lignes (Clic). J'avais réservé la N° 103 "Roulement de timbales" ou "Drums" en anglais pour un article particulier car, j'ai un faible pour son style atypique qui démontre sans ambigüité que Haydn est un compositeur qui maîtrise tous les apports de l'époque classique finissante, et par ailleurs taille en pièce une mauvaise idée qui ferait de lui un compositeur académique en regard de Mozart et de Beethoven qui l'éclipsent. Cette œuvre, principalement le premier mouvement, démontre le contraire…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

London Kings Theatre
Londres, 1795, Haydn couche sur les portées sa 103ème symphonie qui sera créée le 2 mars au London Kings Theatre. Le compositeur adopte depuis le début de son travail sur les douze symphonies un orchestre dont l'effectif deviendra un standard jusqu'aux premières symphonies de Bruckner et de Brahms si on ajoute 3 trombones, éventuellement un tuba et un triangle (Schubert, Beethoven, Schumann dans certaines orchestrations). Seuls Berlioz et Liszt sortiront réellement de ce cadre.
2/2/2/2 (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons), 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes.
La partition comporte une double portée supplémentaire destinée à la partie de clavecin ou de piano forte que pouvait utiliser le chef à cette époque. Son usage s'est perdu de nos jours même chez les adeptes des interprétations sur instruments d'époque ; on peut entendre cet accompagnement dans les symphonies plus anciennes (sturm und drang). Autre exception notable : triangle, cymbales et grosse caisse dans la 100ème symphonie "Militaire".
Haydn adopte la forme en quatre parties de la symphonie classique. Il conserve le menuet et son trio qui deviendront le scherzo par extension de la nature et du nombre de thèmes.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Dans les années 80-90, Frans Brüggen, un chef de "la nouvelle vague" des "baroqueux" qui avait créé son orchestre nommé Orchestre du XVIIIème siècle, enregistra les symphonies londoniennes et quelques autres de l'époque 1789-1791. Hélas chez Philips. Le coffret de 4 CDs qui réunissait en fin de cycle les londoniennes DEVRAIT être réédité par DECCA, dépositaire du catalogue de son concurrent. Quant au maestro, voir sa biographie rédigée lors de sa disparition en 2014. (Clic)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Timbales du XVIIIème siècle
Le musicologue Marc Vignal, spécialiste de Haydn, estime que le compositeur se laisse aller à une petite facilité dans les londoniennes. Je partage peu ce point de vue qui doit cependant s'appuyer sur des études pointues de l'écriture qui m'échappent… Les 12 londoniennes sont plus imposantes que les 92 symphonies précédentes, et on constate que comme chez Beethoven, les thèmes sont attachants et immédiatement mémorisables. Donc, oui, un large public adopte d'emblée cette musique. Doit-on en déduire que chercher un fanclub implique une dérive vers ladite facilité ? Je ne le pense pas, la symphonie 103 regorge d'idées insolites à défaut d'être innovantes. Je les signale par {i}. Cela dit, les ouvrages de Marc Vignal sont des références pour ce défenseur historique du compositeur.

1. Adagio - Allegro con spirito [0:00] : {i} La première mesure se résume à un roulement de timbale. La mesure comporte un point d'orgue et cette indication pp<>. Un crescendo decrescendo dont la durée est laissée à la discrétion du chef. Roulement parfois discret et très court (Boulez) ou vigoureusement militariste (Harnoncourt qui revisite à sa sauce la partition !). Frans Brüggen prend son temps et obtient un effet énigmatique. Est-ce un début de parade soldatesque comme dans la symphonie n°100 ? L'annonce du jugement dernier ? Peut-être, mais avec humour comme souvent chez Haydn. Une idée qui me vient à l'esprit car l'adagio introductif, devenu monnaie courante avant l'allegro, développe une sombre phrase aux cordes graves et bassons sur le thème d'un dies irae de requiem {i} ! Des accords de hautbois rompent un instant la gravité du propos. Une mélopée nostalgique menée par les violons prolonge ce sentiment d'affliction. On s'attend à un premier mouvement de style sévère voire mystique, l'antithèse de l'univers plutôt épicurien de Haydn, plutôt celui d'un Bruckner. À noter à l'écoute les bassons très audibles face aux cordes graves et la sonorité acidulée des violons. Frans Brüggen apporte au propos une dimension nostalgique d'une rare beauté sonore.
[2:43] Et bien non, l'allegro ne sera pas le tuba mirum qui suit logiquement un dies irae. Au contraire, les violons s'élancent joyeusement et ouvrent la porte à un premier groupe thématique allant et rythmé, scandé par les timbales. Quelques notes du dies irae se cachent pourtant dans cette bonhomie. [3:50] la reprise se fait presque guillerette. Le thème devient leitmotiv donnant à l'allegro ce climat martial fréquent dans les mouvements vifs des londoniennes. La direction de Frans Brüggen apporte un souffle d'air entre tous les pupitres. [6:17] Une nouvelle thématique dérivée renoue avec le ton épique de l'adagio, sans excès, le discours est très concertant avec l'harmonie. [7:38] Reprise in extenso du thème de l'allegro, forme sonate oblige, peut-être là, en effet, une facilité dont parlait Marc Vignal ? [8:52] {i} Là, par contre, Haydn nous surprend par une reprise de l'adagio limitée au roulement de timbale et à l'énoncé du thème du dies irae, une idée originale qui conduit par une subtile transition à une coda pleine de verve construite sur le leitmotiv de l'allegro.

Haydn vers 1795
2. Andante più tosto allegretto [10:16] : les mouvements lents des londoniennes adoptent fréquemment des rythmes de marche de différentes manières. Dans la symphonie 101 dite l'horloge, l'andante évoque la cadence obsédante d'une comtoise d'où le surnom de l'œuvre. Même principe dans la 100ème pour laquelle Haydn imaginait un défilé de soldats de plomb, ajoutant même une agreste fanfare de cuivres, grosse caisse, triangle et cymbales {i}. Ô rien de guerrier… Dans l'andante que nous écoutons, le premier thème présente une scansion marquée par les cordes graves. [10:53] Le second thème se veut plus mélodique, chanté par les violons. Tout le mouvement s'articule sur l'opposition de variations en variations entre ces deux thèmes. [12:16] La première d'entre elle voit les bois marcher au pas, des trilles cocasses montrant une fois de plus le souci de Haydn de divertir. [14:01] Nouvelle variation par reprise de la mélodie initiale mais colorée par le son des bois et des cors. Une marche ? Plutôt une promenade et des accents de danses villageoises. [14:01] {i} Rare à cette époque, le discours enchaîne à partir des motifs initiaux une forme concerto avec un violon solo. Haydn débordait vraiment d'imagination pour extraire ses partitions de la gangue de l'académisme. [17:18] Nouvelle orchestration avec un passage énergique dans lequel domine des traits virulents de cuivres et des coups de timbales. [18:10] Fête et danse au village. Les interventions des bois sont pittoresques : celles des bassons retrouvent le déhanchement de l'ours de la symphonie parisienne éponyme, les flûtes jouent la carte de la facétie… [19:02] mélodique et sereine lors de son exposition, l'ultime variation qui fusionne avec la coda se révèle fantasmagorique et achève, {i} encore une idée peu usuelle, l'andante par des accords puissants et non par un calme decrescendo…

3. Menuetto [20:34] : Le menuet est plus classique dans la forme mais toujours plein de fantaisie. Un motif rythmé des cordes et de la timbale s'interrompt sur des syncopes des flûtes et du hautbois ou encore des bassons. Toute la symphonie présente ce climat martial mais jamais fanfaronnant de par la grande richesse mélodique. [23:01] Le trio très bref aux accents folkloriques offre aux clarinettes un joli duo, un passage pastoral. [24:34] Frans Brüggen rejoue bien évidement le menuet mais sans la reprise secondaire. Il faut dire que ce menuet, comme souvent, n'est pas très riche.

4. Finale: Allegro con spirito [25:49] : À partir d'un motif très simple aux cors, Haydn déploie pour ne pas dire déplie comme un origami un joyeux final. Encore l'une de ses techniques, la musique s'envole dans plusieurs directions gaies et fantaisistes mais sans aucune confusion. L'orchestration de l'harmonie s'éloigne de celle de Mozart par ses foucades. Frans Brüggen évite de recourir à un tempo trop précipité, laissant ainsi le temps de s'exprimer à tous ses instrumentistes. (Partition)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie des londoniennes est pléthorique. J'aime beaucoup cette interprétation légère et virevoltante de Frans Brüggen apportant un bon équilibre entre les timbres dits authentiques et l'intelligence de la conception.
J'avais déjà cité dans d'autres articles plusieurs cycles ou albums qui ont marqué l'histoire du disque : ceux de Jochum, de Bernstein, de Dorati.
Voici encore d'autres idées de disques disponibles (ceux de Frans Brüggen sont hélas difficiles à dénicher) 
Début des années 60, peu avant de disparaître, Fritz Reiner revient à Haydn sans forcer le trait avec un orchestre de la RCA. Une clarté suffocante et une poésie inattendue chez ce chef plutôt à l'aise avec les grands effectifs. (RCA -5/6)
Je reviens à Colin Davis de nouveau avec son intégrale élégante et magnifiquement captée lors de cessions avec l'orchestre symphonique de Londres. (DECCA - 6/6).
Et avec un orchestre moderne, celui du Concertgebouw d'Amsterdam, mais une conception iconoclaste très imaginative et radieuse, Nikolaus Harnoncourt renouvelle l'approche de la musique de Haydn (Teldec – 5/6).

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire