vendredi 21 juin 2019

PARASITE de Bong Joon-ho (2019) par Luc B.



Laurent Voulzy (je crois...)
L’information ne vous a pas échappée, PARASITE a reçu la Palme d’Or au dernier festival de Cannes, tout le monde hurlant son enthousiasme devant ce film du coréen Bong Joon-ho. Et bien je vais en remettre une petite couche…

les parasites...
Comme tous les ans, on entend des critiques sur ce festival de films de riches pour les riches, smoking champagne et tapis rouge, des trucs nuls qui coutent une blinde (sous-entendus avec nos impôts !) et que personne ne va voir. Et le vrai peuple dans tout ça ? Heu Parce que le film de Ladj Ly sur la banlieue, c’est un truc de bourgeois parvenus ? Et le travail de Ken Loach, 82 ans aux prunes, c’est du cinoche de bobo ? Dans les films des frères Dardenne, qui ne cessent de scruter les failles de notre société, vous y avez souvent vu des personnages chaussés en Weston ? Et le film brésilien, de la toile de nantis ? 

Pareil pour Bong Joon-ho, qui a toujours mis au centre de ses films la lutte des classes… Exemple avec THE HOST (2006) film de monstre à la Godzilla, qui dérapait furieusement sur la satire sociale, la farce, la fable politique. Dans SNOWPIERCER (2013) ce train roulant autour d’un monde dévasté, avec ces wagons de queue remplis d’esclaves et plus on remontait vers la loco, on découvrait la place des nantis, des exploiteurs…


PARASITE va dans le même sens. On pense aussitôt au film de Claude Chabrol (à qui le cinéaste avait rendu hommage en recevant son prix) LA CÉRÉMONIE où une Isabelle Huppert machiavélique investissait la demeure d’une famille bourgeoise, et les finissait à la chevrotine. On pense aussi à THEOREME de Pasolini, l'intrusion de l'ange blond ou du démon chez les bourgeois, à LA REGLE DU JEU de Jean Renoir, dans le rapport des classes sociales, l’apparente relation entre elles, qui n’est en réalité que servitude et mépris. C’est ce que raconte PARASITE, à travers la famille de Ki-Taek (le père) qui insidieusement va opérer une OPA sur la famille Park et leur superbe demeure.

Amusant parallèle avec la Palme 2018 UNE AFFAIRE DE FAMILLE du japonais Hirokazu Kore-eda. Des images similaires, cette famille entassée dans un bouge. Tout est dit dès le superbe premier plan, mouvement de caméra sinueux qui parcourt l’appartement chiche de Ki-Taek, les deux enfants cherchant à pirater le wifi des voisins, les parents qui plient des boites de pizza pour trois sous, et soudain ce léger travelling haut-bas découvrant un soupirail qui donne à hauteur du trottoir : ils vivent en sous-sol. Ce mouvement de caméra est une figure récurrente du film, qui en exprime tout le thème. Il y a ceux qui vivent en dessous, comme des cafards, et ceux qui vivent au-dessus, à la lumière. METROPOLIS de Fritz Lang. La rue pour arriver chez les Park est en pente, Ki-Woo peine presque à la gravir, minuscule point au loin, entre deux murs d'enceinte sécurisés.

Pourquoi Ki-Taek et les siens ne profiteraient pas aussi du soleil ? Une occasion en or va se présenter avec la famille Park qui recherche un prof d’anglais pour leur rejeton… Ki-Woo, le fils, fera l’affaire, et comme le cheval de Troie, il va placer le reste de la famille à des postes clés… Je ne vais pas vous raconter, car ce film est un thriller avec des rebondissements qu'il serait idiot de dévoiler. 

La manière dont Bong Joon-ho emballe son film est stupéfiante. D'une fluidité parfaite, les épisodes se succèdent, on jubile des combines de Ki-Taek pour s’immiscer chez les Park, comme le boa enroule et étouffe sa proie, lentement, inexorablement. Le spectateur prend position pour ces escrocs, d’autant plus que les Park sont froids, hautains, stupides (madame Park est gratinée, gaga de son fiston !) le mari affable mais puant et détestable jusqu’à cette réplique à Ki-Taek (qui est devenu son chauffeur) à propos de l’odeur des pauvres… Ce ne sera pas la seule humiliation, comme plus tard à la fête, où Park contraint son chauffeur à jouer à l’indien, coiffure en plume sur la tête. La petite goutte de trop

PARASITE est magistralement bien filmé et mis en scène. Une sophistication formelle qui me rappelle François Ozon (qui aurait très bien pu penser une histoire pareille, voir DANS LA MAISON) et qui sert totalement le propos. Le taudis de Ki-Taek, capharnaüm sous-éclairé où s'entassent mille objets, espace fermé, filmé en contre plongée, avec ces plafonds apparents qui enferment les personnages, les écrasent sous leurs conditions. Puis la maison des Park, très géométrique, tout en transparence, lumière et lignes de fuite, et cet escalier intérieur - toujours cette idée de monter/descendre. Et puis cette bibliothèque, au fond, et en son centre comme une ouverture. Où donne-t-elle ? C’est lorsque l’ancienne gouvernante, licenciée, revient un soir en l’absence de ses ex-employeurs qu’on va s’y engouffrer. Et comprendre qu’il y a encore plus bas que terre, une autre sous-couche. Le thriller s'intensifie toujours orné de touches ironiques, humoristiques. Comme ce plan (encore un travelling descendant) sur le canapé où les Park se donnent du bon temps (sublime !) alors que la famille de Ki-Taek est planquée, allongée juste dessous, sous la table-basse.

On rit souvent devant des scènes cocasses, mais un rire jaune, avec les téléphones portables brandis comme des armes, les pêches, le ridicule de certaines situations, la mère maniérée. On frémit aussi devant les éclats soudains de violence. Le film dit bien que chacun est destiné à rester à sa place. La frontière n’est pas poreuse. Pas de passage possible entre ces classes, la violence semble être le seul moyen d’accéder à l’étage supérieur, comme les prolos de SNOWPIERCER remontaient le train jusqu'au wagon de tête, à coups de barres à mine. Film bolchévique ? Empêtrés dans leur combine qu’ils ne maitrisent plus, qui dérape, les gentils pauvres que l’on aimait adorer versent à leur tour du côté sombre. Bien sûr que la famille Ki-Taek a toute notre sympathie, mais ce ne sont pas des anges. Bidonner un CV pour trouver une place est une chose, comploter pour faire virer d'honnêtes employés en est une autre. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Qui sont les parasites du titre ? Ki-Taek et sa famille de morpions vis à vis des Park, ou les Park vis à vis de la société ?

On rechigne souvent devant des Palmes d’Or dont on pense qu’elles sont forcément exigeantes et chiantes. PARASITE est un film qui vous attrape aux tripes, ne vous lâche pas, vous en met plein les mirettes, d'une maitrise formelle absolue. On y retrouve les thèmes et la manière du cinéaste, ce mélange des genres, thriller, comédie, satire, fable politique. Donc un vrai film d'auteur, doublé d'un divertissement populaire. Et ça marche en salle, déjà 600 000 spectateurs en deux semaines ! Courrez-y, c’est vraiment du très très très grand cinéma !

 (parce qu'on a pas de logo 5,5 !)

couleur  -  2h10  -  format scope 1:2.35

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