- Dieu quelle
est triste cette jaquette de CD M'sieur Claude, surtout pour cette belle
musique féérique de Ravel que vous écoutez… C'est quoi ?
- Le ballet
Ma mère l'Oye, Sonia. Inspiré de contes célèbres comme Le petit poucet ou La
belle et la bête…
- Oui je
vois, un joli sujet. La pochette n'affiche ni le nom de l'orchestre ni celui du
chef… Un album collégial ?
- Même pas,
il s'agit d'une intégrale sur trois CD réalisée avec l'Orchestre de Paris
dirigé par Jean Martinon en 1974 à la salle Wagram…
- Un grand
chef français dont vous nous avez parlé à propos de Saint-Saëns et de la
célèbre et tonitruante symphonie avec orgue, d'après l'index…
- En effet.
Ces contes ont été écrits au départ pour le piano puis sous forme d'une suite
orchestrale. Et là, voici une belle interprétation du ballet, là plus complète…
Ravel en 1910 |
L'idée de Ravel
n'est pas de raconter chaque conte par le menu, mais d'illustrer le climat
général, une scène ou encore un dialogue particulier extrait de chaque récit.
Bien que célibataire n'ayant jamais eu de bambins, le compositeur aime la
féérie et le monde enchanteur des légendes pour les chères têtes blondes. L'enfant et les sortilèges, un mini opéra
sur des textes devenus un peu compassés de Colette
reste un moment unique dans l'histoire de la musique dédiée aux enfants, comme Pierre et le Loup de Prokofiev
par exemple pour citer un autre compositeur majeur… Et puis, les histoires de
fées, d'ogres, de monstres, de princesses ou encore de châteaux étranges ne
pouvaient que séduire un compositeur cherchant des timbres nouveaux et mystérieux,
notamment pour les deux adaptations orchestrales de cette partition
originale : une suite
et un ballet.
Pendant que j'y pense, une biographie succincte de Ravel est à lire dans l'article consacré à
son ouvrage sans doute le plus connu ! Le Boléro.
(Clic)
C'est de 1908 à 1910 que Ravel
compose Ma mère l'Oye pour piano à
quatre mains. Un petit ouvrage destiné aux enfants Jean
et Mimie de ses amis Ida et Cipa Godebski. Les jeunes pianistes âgés de
six et dix ans créeront ce cahier de cinq pièces salle Gaveau le 20 avril 1910. L'écriture est plutôt facile, destinée
à des petites mains débutantes ; rien à voir avec les exigences virtuoses des chefs-d'œuvre
déjà écoutés dans le blog que sont Miroirs
ou Gaspard de la Nuit (Index). (Partition pour piano) Chacun des cinq "contes musicaux" est précédé d'extraits
des textes et de conseils donnés aux interprètes. J'aurais aimé vous proposer
une interprétation par deux élèves de conservatoire en vidéo. Je n'en ai pas
trouvé, donc j'ajoute à ce billet une vidéo d'une gravure due à des pianistes confirmés,
à savoir Pascal Rogé et son épouse Denise-François Rogé, rien de moins ! Un
duo complice qui montre comment avec peu de notes Ravel
fait chanter la magie du sujet, joue sur des timbres enchanteurs et
orientalisants… Pour enfants donc, mais quand même pas trop tôt, et assez doués
en plus… À noter que l'ouvrage fût initialement publié sous le titre Cinq pièces enfantines.
Illustration d'une édition vers 1700 |
2 flûtes + 1 piccolo, 2 hautbois + 1 cor anglais, 2
clarinettes, 2 bassons + contrebasson, 2 cors, timbales, cymbales, grosse
caisse, tam-tam, glockenspiel (jeux de timbres sur la partition), xylophone, célesta,
1 harpe, cordes.
Il en résulte une belle légèreté qui ne trahit en rien
l'ambiance enfantine originelle.
Et enfin, troisième mouture : le ballet. Il est écrit
à la demande du mécène Jacques Rouché
pour le programme de 1912 du Théâtre
des Arts. Ravel ajoute un prélude, des
interludes et un nouveau tableau intitulé Danse du rouet et scène. L'ordre des pièces
est modifié. La partition durant initialement un bon quart d'heure atteint désormais la demi-heure, l'une des plus belles réussites du compositeur dans l'univers du ballet. Et c'est cette édition très complète que nous propose ce jour Jean Martinon.
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J'avais choisi l'excellente interprétation de Jean Martinon avec l'Orchestre
de l'ORTF lors de la rédaction d'un article sur la 3ème
symphonie "avec orgue" de Camille Saint-Saëns en avril 2015. Une biographie de ce chef très
(trop) discret qui dirigea notamment la philharmonie de
Chicago introduisait ce billet. (Clic) Nous le retrouvons ici
dans cette intégrale de la musique orchestrale de Ravel
gravée en 1974 avec l'Orchestre de Paris, soit six ans après la
création de l'orchestre de la Capitale par Charles Munch
en 1968, Charles
Munch qui ne put le peaufiner que deux ans avant de s'éteindre.
Une période troublée pour cet orchestre qui vit défiler à son chevet Herbert von Karajan ou Georg Solti. Jean
Martinon conduisait alors l'orchestre de
l'ORTF qui devait prendre le nom d'Orchestre
National de France. Hélas, lui-même disparait prématurément en 1976 à 66 ans. On retrouve dans cette
intégrale Ravel la probité du maestro : clarté, délicatesse et équilibre des timbres.
L'une des meilleures intégrales qui soient avec la première de Boulez pour CBS (pas la 2ème pour DG décevante). Une seconde chronique était consacrée aux Nocturnes de Debussy.
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Structure du ballet :
[0:00]
|
1. Prélude
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[14:25]
|
7. Tableau IV.
Petit Poucet
|
[3:28]
|
2. Tableau I.
Danse du rouet et Scène
|
[18:02]
|
8. Interlude
|
[7:04]
|
3. Tableau II.
Pavane de la Belle au bois dormant
|
[19:31]
|
9. Tableau V.
Laideronnette, impératrice des pagodes
|
[8:42]
|
4. Interlude
|
[23:10]
|
10. Interlude
|
[9:39]
|
5. Tableau
III. Les Entretiens de la Belle et de la Bête
|
[24:35]
|
11. Apothéose :
Le Jardin féérique
|
[13:43]
|
6. Interlude
|
La Belle et la Bête de Jean Cocteau |
Le 1er
tableau chasse ces sombres accents. Il s'agit bien d'une danse,
mais légère, guillerette, presque sensuelle avec dans sa seconde partie l'évolution
en une course poursuite ; une panique ? La pièce n'existant pas dans la
partition pour piano, il est difficile d'en savoir plus sur l'extrait de texte illustré.
À l'évidence, il s'agit du rouet et du fuseau dont sera victime la
"belle" maudite par la méchante fée non invitée au baptême de la
jeune princesse, d'où le mouvement de panique que Ravel a nommé Scène [5:33] et qui se termine dans la
tristesse, un dialogue de cordes graves et de cuivres. La pavane (2ème tableau) est une danse
lente, bien entendu. Un très beau thème chanté à la flûte puis au bois sur un
fond de pizzicati fera songer au sommeil séculaire de la princesse. Le premier
interlude d'une minute permet d'assurer les transitions.
Le 3er
tableau donne la parole à la belle prisonnière du château de la
bête qui lui répondra par l'intermédiaire du sévère contrebasson, mais avec
douceur. Y aurait-il affinité à travers cet échange qui se termine par un solo
de violon d'une immense tendresse sur un fond de harpe.
Le 4er
tableau ne nous présente pas un petit Poucet très diable. Le cor
anglais prête-t-il sa voix au gamin ? [16:36] Un étrange jeu espiègle des flûtes
témoigne de la modernité et de l'inventivité de l'orchestration. L'interlude
suivant avec ces arpèges cristallins de harpe et ses notes graciles au célesta
et au glockenspiel prépare l'écoute du 5er
tableau au pays des pagodes. La flûte entonne un motif
orientalisant en accord avec la mode du temps. Le tamtam accentuera les timbres
exotiques souhaités par le compositeur. Si l'on peut dire, Ravel
fait feu de tout bois avec bois et surtout percussions dans son orchestration
chamarrée, du grand art…
Le dernier interlude exploite le thème de cor entendu
dans le prélude. Dans son ballet, Ravel
ne se contente donc pas d'assembler en kyrielle des morceaux déjà existants mais
propose une partition d'une grande cohérence. Dans la conclusion appelé un peu
pompeusement Apothéose, Ravel
nous promène en suivant un long crescendo dans un kaléidoscope vertigineux de sonorités,
du solo de violon à la marche finale élégiaque. Jean
Martinon opte pour un tempo délicat. Seule la vigoureuse coda martelée
par les timbales, le triangle et tout l'orchestre vient rompre le charme envoutant
des pages précédentes. (Partition)
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