- Je peux
entrer M'sieur Claude ? Waouh, un violoncelle très bravache et un piano, pour le moins
énergique le duo… De la musique russe ?
- Pas du tout
Sonia, il s'agit de la première Sonate pour violoncelle de Gabriel Fauré, mais
je vous l'accorde le compositeur a pris le mors aux dents !
- J'ai appris
avec vous au fil des chroniques que la musique de Fauré est tout, sauf mielleuse, pas du
tout pour les salons mondains, mais là, désolé pour l'expression, ça dépote…
- En effet, Sonia,
Fauré a écrit cette sonate en fin de carrière, en 1917, l'année la plus noire de
la Grande Guerre… Peut-être l'œuvre reflète-t-elle la rage face à cette hécatombe insensée…
- En écoutant
je parcours l'index, Paul Tortelier dans Vivaldi pour la 400ème
chronique et déjà Jean Hubeau dans les quintettes également de Fauré, les spécialistes du maître
?
- Oui, ce
disque de 1962 reste un modèle, surtout pour cette première sonate moins aimée
du fait de sa rudesse que la seconde. Pas trop de concurrence flagrante…
- Merci,
j'attends votre papier… À plus…
Dans les épisodes précédents dédiés à Gabriel Fauré que je considère à titre
personnel comme l'un des compositeurs majeurs français, j'avais souligné sa
production relativement modeste pour un homme qui nous quittera plus qu'octogénaire en 1924… La faute à un emploi du temps
chargé, comme organiste à la Madeleine et comme professeur et même directeur du
Conservatoire de Paris. Le compositeur est universellement connu par son Requiem, ouvrage tournant le dos aux
lourdeurs sulpiciennes, lumineux et à l'orchestration légère dans son édition
originelle. Beaucoup de spiritualité et peu de catholicisme chez cet
agnostique. Orchestration légère pour un compositeur peu enclin à écrire pour
l'orchestre, son patrimoine symphonique
occupant en tout et pour tout un album simple.
Fauré est le
maître des pièces pour pianos (Barcarolles, Nocturnes…), des mélodies
innombrables et de la musique de chambre qui sans être très fournie se révèle
incroyablement attachante et poétique : 2 quatuors avec
piano, un quatuor à cordes
tardif, deux sonates pour violon et deux
autres pour violoncelle, et deux quintettes avec piano, deux monuments déjà
commentés dans ces pages. Un point c'est tout…
Pour lire une biographie résumée de Fauré, rendez-vous à la chronique dédiée
au Requiem. (Clic)
Comme souvent lorsque j'évoque la personnalité de Fauré, je puise des informations dans les
ouvrages de Jean-Michel Nectoux,
musicologue français spécialiste du compositeur. Son ouvrage en poche paru chez Seuil
dans la collection Solfèges est un modèle de clarté. Fauré, une personnalité trop à
l'ombre de celles de Debussy
et de Ravel dans la culture musicale hexagonale
à mon sens…
Fauré originaire
de la rude région de Foix était un républicain convaincu en un temps où les anciens
régimes monarchiques et impériaux titillaient encore de nombreux nostalgiques. Il
sera également comme nombre d'intellectuels un dreyfusard convaincu. La Grande
Guerre sera un crève-cœur d'autant que son fils sera envoyé vers les tranchées
de l'horreur. On ne doit pas s'attendre à des élans patriotiques de sa part
dans ses œuvres. Et pourtant, la sonate écoutée ce jour reflétera la brutalité
barbare de cette orgie de sang et de métal. En temps de guerre, certains
musiciens s'adonnent au Te Deum ou à d'autres ouvrages patriotiques. Aucun de ces
types de composition ne séduit Fauré
qui n'a jamais fréquenté assidument l'univers lyrique ou symphonique. La
musique de chambre, trop perçue comme synonyme de soirée de salon chic, même si souvent géniale
et dépourvue de mièvrerie (Schubert,
Beethoven, Brahms…),
ne semble pas a priori le style le plus adapté à la révolte humaniste. Fauré montrera à sa manière le contraire. Au XIXème siècle, le genre gagne la salle de concert.
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Paul Tortelier dans les années 60 |
1917 : la
tuerie planétaire s'enlise depuis 3 ans. La ligne de front stagne. En 1916, à Verdun, 700 000 jeunes hommes
ont nourri de leur vie et en vain une vallée de terre calcinée pour des décennies.
Un enfer qui ne sera pas le dernier, hélas. Gabriel
Fauré quitte souvent Paris en été pour Saint-Raphaël. Il y
termine sa 1ère
sonate pour violoncelle esquissée dans la Capitale en ce qui
concerne les deux premiers mouvements. En début d'année, le compositeur a achevé
sa 2ème sonate pour violon, l'une
de ses partitions les plus inspirées, d'un modernisme exalté qui préfigure les
ouvrages de chambre des dernières années : 2ème
quintette, 2ème
sonate pour violoncelle,
trio et enfin le quatuor, son ultime création.
Ces deux sonates qui portent les numéros successifs
opus 108 & 109 seront créées le 10 novembre 1917. La seconde bien que dédicacée au violoncelliste Louis Hasselmans est interprétée par Gérard Hekking
en complicité avec Alfred Cortot, ami de Fauré.
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Hasard de la programmation, le violoncelliste français
Paul Tortelier était la vedette de la 400ème
chronique "classique" publiée en début d'année (Clic). On l'écoutait dans le
concerto pour violoncelle de Vivaldi RV 400. Cette chronique retraçait la
carrière de cet artiste de renom.
Quant à Jean Hubeau,
il est le pianiste qui a le mieux servi Gabriel Fauré
au disque et comme pédagogue. Pour un portrait de ce virtuose interprète de
l'intégrale incontournable de l'œuvre pour piano de Fauré, rendez-vous à l'article consacré aux deux quintettes (Clic).
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Jean Hubeau |
1 - Allegro
(ré mineur / ré majeur) : Si Fauré
a la réputation d'un chantre poétique, des mélodies en clair-obscur, cet
allegro se révèle violent et rageur dans son introduction. Piano et violoncelle
ne s'allient pas, ils se combattent ! L'accompagnement au piano est rude, des accords
syncopés. Une scansion composée d'une succession saccadée d'une croche associée
à un accord triple, également en croches, un seul temps pour chaque mesure à trois temps. Des accords plaqués à la Bartók.
Le violoncelle, dès la mesure 2, développe vaillamment une mélodie furieuse, sans syncope ni pause. L'anxiété et l'aigreur du compositeur nourries de son dégoût
pour la terrible guerre sont sévèrement mises en scène. Les silences du clavier
suggèrent-ils la chute d'un homme tous les deux temps (secondes) dans la boue ? Le jeu du
violoncelle, en dehors de sa virulence est très virtuose. Je cite J.M. Nectoux : "rugosité, force,
batterie de rythmes". Musique désincarnée et glaçante ? Oui
dans sa finalité, mais le phrasé sans brutalité du pianiste et l'alacrité de celui du
violoncelliste apportent une note d'amertume et de nostalgie qui anticipe la
suite du mouvement. [0:25] Le piano rompt ses assauts pour développer une
mélodie plus en accord avec le jeu du violoncelle. [0:50] De barbare, le
dialogue devient plus affable, presque affectueux. Le mode majeur et ce thème
intimiste insinuent-ils une lueur d'espoir ? Les deux idées ne donneront pas
lieu à un travail de contrepoint comme si tragédie et espérance ne pouvaient être
négociées de concert. [2:36] Le retour de l'énergie introductive confirme ce refus de
mêler férocité et méditation à des fins esthétiques. Fauré
diabolise le style musique de chambre dans cet allegro d'une grande prestance. D'épisodes
en épisodes, l'allegro nous conduira jusqu'à une coda véhémente et sauvage.
Cet allegro ouvre la voie à la contemporanéité en
musique de chambre. Au divertissement et au romantisme d'un Mozart ou d'un Schubert
ou même d'un jeune Fauré, le genre devient plus
militant. On atteindra un sommet avec par exemple le terrifiant quatuor N°8
de Chostakovitch (Clic).
2 - Andante (en
sol mineur) : [5:12] Dans l'andante, Fauré
semble vouloir s'évader de ses sombres pensées pour retrouver la sérénité. Sérénité
intérieure, la musique du compositeur ne cherche que rarement l’expressionnisme,
à la manière de la peinture musicale à la Vaughan Williams, celle d'un
univers pastorale ou encore la vision d'une lumière mordorée lors d'une balade en forêt. Le piano énonce une
douce marche très délicate dans l'aigu, symbolisme du cheminement de la
réflexion… possible. Le violoncelle impose une mélodie élégiaque sans les
facilités de la si célèbre élégie. L'andante est un lent crescendo empreint de quiétude
qui ne bascule jamais dans l'affectation. Le jeu est franc même si lent et recueilli.
[9:18] Le développement gagne en pathétisme mais avec modération, le chant du
violoncelle devient puissant, et de la mélodie enfiévrée jaillissent des accents déchirants.
[10:58] Une réexposition de la thématique initiale démontre que pour Fauré, même en
1916, la forme sonate a encore droit de cité. Une reprise de l'introduction conduit à une
conclusion émouvante, une réconciliation entre les instruments.
3 - Finale:
Allegro (ré mineur) : Après ces deux premiers mouvements si contrastés,
l'un d'une rare velléité, l'autre presque mystique - un sentiment très
personnel, Fauré étant un agnostique guère porté sur la prière - le compositeur nous propose une conclusion fantasque et apaisée. D'humeur capricieuse la partie de
violoncelle chante comme rarement sur toute l'étendue de sa tessiture.
Diablement virtuose et pourtant s'écoulant comme une évidence sous les doigts
de Paul Tortelier… (Partition).
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Étrangement, la musique de chambre de Fauré n'a pas droit à la notoriété qu'elle
mérite, au même titre que celle de Brahms
par exemple. On enregistre sans fin la sonate de Franck,
une de ses plus belles pages certes, mais qui me laisse pour l'instant assez
indifférent. Bizarre ça ! Les gravures de sonates de Fauré
ne bénéficient pas d'un tel engouement. Encore un mystère…
Comme souvent si le duo Hubeau-Tortelier
domine la discographie, d'autres enregistrements méritent le détour. Le
couplage détermine le choix, je ne suggère que des bons crus.
Première interprétation intéressante : Jean-Philippe Collard et Frédéric Lodéon pour EMI au sein d'un
double album consacré aux sonates pour violoncelle et à celles pour violons (Augustin Dumay) ainsi que le trio et
diverses pièces isolées. Prise de son un peu terne (EMI – 4/6).
Auteur d'une intégrale de la musique pour piano seul
digne de rivaliser avec celle de Jean Hubeau,
Jean-Claude Pennetier a gravé avec Roland Pidoux ces sonates avec brio (Erato – 5/6).
Enfin, je signale de nouveau un coffret très complet réunissant
la plupart des œuvres de musique de chambre de Fauré.
Les sonates pour violoncelle sont interprétées par Éric
Le Sage et François Salque
(α - 4/6).
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