vendredi 3 mai 2019

FRENCH CONNECTION 2 (1975) de John Frankenheimer, par Luc B.


  


Frankenheimer, un flic et Hackman
Puisqu’on a parlé du 1, autant parler du 2. On entend parfois « French Connection, ah oui, le fameux polar américain avec la poursuite sous le métro, qui se finit à Marseille ». Rectifions. FRENCH CONNECTION (de William Friedkin, 1971  - clic ici - ) à part un premier plan, se passe entièrement à New York, et le 2 intégralement à Marseille. On a tendance à mélanger les deux films. Faut dire qu’il y a un air de famille, on y reviendra.

Le réalisateur est John Frankenheimer (1930-2002) dont on peut dire que son travail, à défaut d’être personnel, est solide. On lui doit LE PRISONNIER D’ALCATRAZ (excellent et étonnant film avec Burt Lancaster, pas celui d’Eastwood), SEPT JOURS EN MAI (Lancaster encore), GRAND PRIX avec Yves Montand où il filme des courses de bagnoles, quelle idée, LE TRAIN (Lancaster toujours, Jeanne Moreau, Michel Simon), L'ILE DU DOCTEUR MOREAU (Brando). On oubliera RONIN (1998) avec Robert de Niro et Jean Reno, virilement filmé à Paris, avec the poursuite de voitures, même qu'on en avait causé à l’époque dans les journaux tv.

Frankenheimer et William Friedkin étaient amis, le second ayant même travaillé à ses débuts avec le premier. Il y a un air de famille entre leurs deux styles, le choix de Frankenheimer pour réaliser cette suite était donc une bonne idée. D’autant qu'il est francophile, habitait Paris (sur l’Ile de la Cité, autant avoir une belle vue…) ce qui était un avantage sur le tournage. 

Flic ricain vs flic français (on ne rit pas)
FRENCH CONNECTION 2 est la suite logique du premier. Le trafiquant Alain Charnier, toujours joué par Fernando Rey, avait réussi à s’échapper. Il retourne à Marseille et poursuit ses petites affaires. Le commissaire Henri Barthélémy (Bernard Fresson) est sur le coup. Mais seul James Doyle, dit Popeye, le flic américain joué par Gene Hackman connait son visage. Il est donc envoyé à Marseille pour identifier le suspect. Et seulement cela. Il observe, mais n’intervient pas. Tu parles ! Le mec va mettre un de ces bordels…

A part Doyle et Charnier, tout le casting est changé. Faut dire que pas mal de monde est resté sur carreau dans le premier épisode. Doyle débarque dans la cité phocéenne le 1er avril (scène classique du chauffeur de taxi radin) où des dizaines de flics les manches retroussées découpent une tonne de poissons. Ces français qui ne pensent qu’à becter, préparer la bouillabaisse ? Non, une descente de police après un coup de fil anonyme annonçant une grosse quantité de drogue dissimulée dans la cargaison d’un chalutier. Sauf que c’était un poisson d’avril. Les flics sont fumasses, et Doyle apprend cette tradition française du canular printanier.

Le film va confronter les deux cultures, américaine et française, notamment sur l’usage des armes et des interrogatoires aux Stups ! Ce qui est intéressant c’est que le casting français, Bernard Fresson en tête, parle en anglais en présence de Doyle. Le film est donc à voir en VO. Pour la VF, Gene Hackman est doublé avec un gros accent américain caricatural. On n’évite pas ces incohérences où, d’une part, il comprend tout et parle bien pour les besoins de l’enquête, et d’autre part, peine à commander un whisky ou draguer des filles dans un bar. Une scène d’ailleurs longuette et assez bête, je pense qu’un barman français sait ce qu’est un Jack Daniel’s. « Jacques qui ? » rétorque le gars, arff arff arff… Le barman est joué par André Penvern, éternel et génial second rôle, l’air un peu tarte comme Henri Guybet, ils étaient d’ailleurs tous deux dans RABBI JACOB. 

Cours, Forrest, cours !
Il y a aussi cette scène où Doyle énonce à Barthélémy des noms de footballeurs américains - ou de baseball, c'est pareil, ce truc dont personne en Gaule ne pige les règles - qui n’en connait aucun. Alors Doyle essaie avec un sportif français… « - Et Jim Killy, tu connais ? - Gene Kelly, ah oui, ça je connais !! - Mais non, Jim Killy, le skieur. - Ahhh, Jean Claude Killy ?! » Le jeu de mot entre Killy et Kelly ne passe qu’en VO.

La mise en scène renoue avec les caractéristiques du premier film. Le cahier des charges est respecté, une photographie un peu glauque, sale (Claude Renoir, grand chef op’), un aspect documentaire, les bas-fonds marseillais remplacent avantageusement ceux de Big Apple (non, Sonia, pas les "I-Pod et I-Pad sont dans un bateau" de Steve Jobs) des scènes rentre-dedans, viriles, et des poursuites. Pas en voiture, évitons trop de redites, mais à pieds, dernière scène sur le port, caméra portée à l’épaule. Question : Gene Hackman a-t-il couru l'équivalent de 45 marathons pour le tournage ? Bref, on est donc en terrain connu. Et en première page de la bible (le document qui résume les traits de caractère d’un personnage de fiction, ce qui se dit souvent à propos des séries télé) le côté forte-tête de Doyle, et ses bavures. A chaque fois qu’il intervient, sans autorisation, il y a un mort chez les flics français. Ce que lui fait remarquer Barthélémy, mais aussi le spectateur, devant ces redondances scénaristiques. A un moment Doyle dit un truc du genre : « En France, libérer un suspect sous prétexte qu’il n’a pas avoué, c’est aussi un gag du 1er avril ? ». C’est sûr qu’au pays d’Harry Callahan, ce genre de pudeur n’est pas de mise. Voir la scène où Doyle incendie carrément un hôtel – certes miteux – pour se venger des mauvais traitements qu’il y a subis. Nous on a Maigret, eux ils ont Rambo !

Parmi les grandes séquences d’action, il y a la descente de flics dans le repère des trafiquants, la fuite de Philippe Léotard en camionnette (fallait mettre ta ceinture, Philou !) l’attaque du navire sur cales suspecté de convoyer la drogue aux Etats Unis, improbable mais efficace. Et puis le morceau de bravoure : la désintox de Doyle. Car le flic est enlevé par la bande de Charnier, le séquestre dans un hôtel de passe, le bourre d’héroïne.

Jolie scène avec cette vieille anglaise junkie, qui sous prétexte d’apaiser ses douleurs, caresse la main de Doyle, mais lui pique sa montre pour s’acheter sa prochaine dose. Curieusement – pourquoi pas le buter ? - les trafiquants laissent Doyle en vie. C’est une loque, recueilli, soigné, désintoxiqué à la dure par Barthélémy. Si le film met en parallèle les us et coutumes new-yorkais et marseillais, il en va de même pour le style de jeu des comédiens. La scène, très réaliste, permet surtout à Gene Hackman de sortir le grand jeu, sa méthode Actor Studio, je hurle, vocifère, m’écrase la tête aux murs, j’en fais des tonnes, bien loin du jeu de Fresson, droit dans ses bottes. Au passage, chapeau à Bernard Fresson, j’adore cet acteur, à la fois gouailleur (MAX ET LES FERRAILLEURS, LES GALETTES DE PONT AVEN avec le très très très regretté Jean Pierre Marielle) sobre et d’une justesse parfaite, et quel sourire ! Il a souvent joué pour Alain Resnais, mais aussi Buñuel, Enrico (pas Macias), Clouzot, Polanski, Gavras, Deray… Il est décédé en 2002, trois mois après John Frankenheimer.    

Il y a tout de même un sentiment de redite avec cette suite, sans la rudesse, la sécheresse et l’originalité du premier film. D’ailleurs si certains doutent encore de ce qu’on appelle la vision d’auteur dans le cinéma, ces deux films en sont la bonne illustration. Frankenheimer n’est pas Friedkin, CQFD. Le premier avait été un succès surprise, le second se devait de rentabiliser la mise. Voir Gene Hackman donner la réplique à Bernard Fresson (ils sont extra tous les deux, mais l’américain cabotine parfois), Philippe Léotard, Jean Pierre Castaldi ou Roland Blanche, vaut le détour. C’est du solide, il y a ce qu’il faut d’action comme de pittoresque, au final un polar divertissant, sombre, à l’épilogue radical. Mais qui ne fait œuvre de mètre étalon, comme le premier.



couleur  - 2h00 – format 1 :1.85    


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