samedi 27 avril 2019

SCHUMANN – Symphonie N°1 "Le Printemps" (1841) – Fabio LUISI (2010) – par Claude Toon



- Et bien, M'sieur Claude, troisième fin de commentaires sur des cycles complets de symphonies, après Brahms et Beethoven aujourd'hui Schumann…
- Oui Sonia, la première symphonie dite "le printemps", un article de saison, une œuvre concise et joyeuse.
- Il y aura d'autres compositeurs qui auront droit à une visite complète de leurs œuvres pour grand orchestre ?
- Mahler et Bruckner, oui je pense, c'est en cours. Chostakovitch ? Je n'aime pas tout, donc difficile d'en parler, quant aux 104 symphonies de Haydn, il faudrait des décennies…
- Je m'en doute… hihi ! Fabio Luisi fait son entrée au panthéon du blog de son vivant si je puis dire. Je ne le connais pas…
- Un excellent chef italien à la tête du Metropolitan Opera depuis 2011… L'orchestre symphonique de Vienne n'a pas la beauté sonore de la philharmonie, mais quel peps !

Schumann vers 1840
Hiver 1841, Schumann a 30 ans et viens d'épouser Clara Wieck, de neuf ans sa cadette. Clara, l'amour de sa vie, sa muse, la pianiste virtuose qui interprétera toutes les œuvres de son mari pour pallier le manque d'habileté de Robert au clavier, surtout depuis que le compositeur s'est handicapé les mains avec une machine de son invention pour s'assouplir les doigts… Pas une riche idée… Malgré quelques essais inachevés dans l'univers orchestral, Schumann a composé jusqu'à présent essentiellement pour le piano ou le lied. Des œuvres remarquables comme Papillons ou Carnaval qui grâce à Clara deviendront des hits du répertoire pianistique. En 1837, il compose les variations symphoniques, une œuvre difficile à jouer, de plus de 30 minutes, qui par l'inventivité de l'écriture et la grandeur de son final mérite bien l'attribut de symphoniques, bien qu'elle soit écrite pour piano seul. Tiens, un sujet de chronique…
Donc des œuvres de grandes ampleurs qui amènent Clara à inciter son mari à franchir enfin le pas pour composer pour l'orchestre. Un premier essai qui sera un coup de maître. Du 23 au 26 janvier (4 jours !), Schumann compose une symphonie de l'importance d'une partition beethovénienne. Il termine l'orchestration le 20 févier. L'affaire va bon train… Le 31 mars Felix Mendelssohn crée avec un franc succès la symphonie à Leipzig. On ne sait pas trop de Clara ou de Robert qui a donné le sous-titre "le printemps" à l'œuvre, mais dans les deux cas, la référence au poète Adolf Böttger est avancée. On peut spéculer sur le sujet à loisir, les écrits sont là et Schumann pensait bien au printemps et à la renaissance de la nature après les frimas comme en témoigne la puissante sonnerie de trompette de l'introduction, "Debout les arbres". La tonalité principale de si bémol majeur indique aussi une intention festive chez cet homme que les heures sombres de la folie n'ont pas encore atteint.

Pour ceux qui lisent pour la première fois un billet sur ce compositeur dans le Deblocnot, je les renvoie à l'Index et pour une biographie élémentaire à la chronique consacrée à la 3ème symphonie dite "Rhénane" (Clic). Comme le fait remarquer Sonia, les trois autres symphonies de Schumann ont déjà été commentées dans de belles interprétations.
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Idée d'illustration pour cette symphonie prétendument printanière, le triptyque de Caspar David Friedrich (1774-1840) : le matin, le midi, le soir
Les symphonies de Schumann n'ont pas eu à s'imposer à un public comme l'ont été celles de Bruckner et de Brahms (en France) ou Mahler (partout)… Le compositeur n'a jamais cherché à révolutionner le genre comme Berlioz en 1848 avec sa symphonie Fantastique. Quoique n'oublions pas que sa 3ème symphonie (en réalité la 4ème chronologiquement) comporte cinq mouvements et non quatre comme il est d'usage à l'époque depuis Mozart. Succès dû à la facilité ? Non, en aucun cas, mais Schumann, tout comme Beethoven, sait trouver immédiatement le thème et la polyphonie qui prennent à bras le corps l'auditeur. Inutile d'écouter x fois l'une de ses symphonies pour mémoriser la belle thématique tantôt bucolique tantôt pathétique, en un mot très romantique dans l'esprit…
Clara avait bien fait de persuader son mari d'une nature introvertie et dépressive (même avant la maladie mentale avérée) de se confronter au génie beethovénien dans le domaine symphonique, le génial Beethoven qui laissait penser à de trop nombreux compositeurs, comme Brahms, qu'il était impossible de le rivaliser.
L'orchestration semble très classique. Pourtant, Schumann ajoute un triangle à l'orchestre de Ludwig van et surtout confie au timbalier une 3ème timbale (dans le scherzo). C'est une première depuis la nuit des temps où seulement 2 timbales sont prévues. Je rappelle que contrairement aux grosses caisses qui émettent un bruit de hauteur indéfini, les timbales sont accordées. (Ma remarque ne s'applique pas aux fûts des batteries de jazz et de rock, voir avec les rockeurs). Donc là encore, une petite innovation en suivant le conseil d'un cousin du nom de Ernst Pfundt (quatre timbales de notes différentes jouées par 2 ou 3 ou pas du tout dans l'allegretto…) Soit :
2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 4 timbales (utilisées par 2 ou 3), triangle et cordes.
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Fabio Luisi est gênois d'origine, il est né en 1959. Il suit une solide formation de pianiste notamment auprès d'Aldo Ciccolini puis s'oriente vers la carrière de chef d'orchestre, notamment pour l'opéra. C'est pour cela que nous ne l'avons encore jamais rencontré, l'opéra n'étant pas ma spécialité hormis quelques chefs-d'œuvre que j'ai commencé à commenter ces deux dernières années : Salomé, Tristan et Isolde et Pelleas et Mélisande
Fabio Luisi a occupé de très nombreux postes dans les fosses des scènes lyriques y compris à Dresde d'où il démissionne en 2010 après une embrouille dont les directeurs allemands sont passés maîtres : comme programmer un concert dirigé par Christian Thielmann sans avertir Fabio Luisi pourtant directeur musical ! Querelle d'egos ? Sans doute un peu, mais le monde de la musique classique est une vraie jungle. L'arrivée de l'ambitieux chef allemand n'était annoncée que pour 2012. Thielmann, un maestro capable du génial (Strauss) et de l'académisme daté (Beethoven, Schoenberg). Pour la petite histoire…
Après avoir assuré un grand nombre de représentations lyriques sur les scènes lyriques les plus diverses Fabio Luisi occupe depuis 2012 la prestigieuse fonction de directeur du Metropolitan Opera de New-York, succédant à James Levine gravement malade après une carrière épuisante… Sa discographie est abondante quoique encore confidentielle : Mahler, Bruckner et Franz Schmid pour le CD, le Ring de Wagner ou des opéras de Strauss pour le DVD.
Son intégrale des symphonies de Schumann avec l'orchestre symphonique de Vienne qu'il dirige souvent a été très bien accueillie pour sa verve dans les pays anglo-saxons. Hélas, le label Orféo qui a réalisé les gravures reste mal distribué en France. Il s'agit de concerts en Live.
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1 - Andante un poco maestoso – allegro molto vivace (en si bémol majeur) : Schumann annonce le printemps avec solennité ou plus trivialement en fanfare au sens propre. Deux cors en si bémol et deux trompettes, rejoints en fin de 3ème mesure par les vents et les cordes, proclament ff la renaissance de la nature, les bourgeons qui libèrent les fleurs dorées et pourpres… Olympien et mystique. Le compositeur adopte le principe traditionnel de l'introduction andante ou adagio dans les symphonies classiques et romantiques. [0:21] De vigoureux doubles arpèges en miroirs, descendants ou ascendants, suivis de trilles et du roulement de la timbale grave introduisent l'andante dans sa douceur méditative. Bois et flûtes soufflent les derniers vents de l'hiver. Le printemps impose le retour de la vie animale et végétale à grands traits à l'unisson, et à grand pas. [1:09] De beaux éclats printaniers s'illuminent dans l'espace sonore en suivant un dialogue bucolique et concertant des bois soutenu par des reptations des cordes, notamment des altos… [1:50] le solo de flûte joue l'oiseleur. Sans conteste l'une des plus belles entrées en matières poétiques depuis la "pastorale" de Beethoven même si ce dernier jouait la carte de la sérénité champêtre.
[2:42] Après une préparation crescendo en fin d'andante, l'allegro s'élance à grands traits énergiques, frémissants et joyeux. Le thème principal apparaît, martial. Schumann exploite tout son orchestre, ce qui fera dire à certains commentateurs que l'orchestration est chargée. Ce n'est pas le cas si les instrumentistes respectent à la lettre une grande précision dans les tuttis et les enchaînements, ce qui est le cas ici… [3:20] Un second thème chorégraphique et plus allègre apporte le petit grain de bonhomie dans cette musique très allante. La partition fourmille de détails d'orchestration insolites et dionysiaques. Schumann ne s'écarte pas de la forme sonate par une réexposition classique [4:09] mais les variations confiées à l'instrumentation déroulent une riche palette de timbres agrémentée des notes cristallines du triangle. [4:47] Pas de nouvelle thématique dans le développement mais une péroraison avec de fantasques joutes des bois [5:45].
Fabio Luisi : maestro et créateur de parfum...
Comme Mendelssohn dans sa symphonie écossaise, Schumann donne un rôle très important à l'harmonie. Le romantisme est définitivement adulte grâce à cet équilibre cordes-vents-cuivres. L'allegro continue son chemin vivifiant avec une reprise classique. [9:21] Une accélération du tempo un peu folle et impétueuse annonce la coda qui interviendra après un dernier passage récapitulatif des motifs les plus paisibles. [11:32] La coda est traitée de manière altière et staccato. On pourrait sans hérésie parler à propos de ce mouvement de poème symphonique dédié à la venue tant attendue du printemps, construction en forme sonate mise à part… Direction inspirée de Fabio Luisi pour ne pas dire galvanisée par un public que l'on entend sur ce bel enregistrement sur le plan technique, un public complice de l'orchestre viennois. À noter que les captations ont lieu dans la salle du musikverein (celle de la Philharmonie) à l'acoustique aérée et généreuse. Un plus…

2 - Larghetto (en mi bémol majeur) : [12:08] Dans le mouvement lent, Schumann tourne le dos au style concertant entre les cordes et les solos de vents de l'allegro pour faire sonner l'harmonie en exigeant de celle-ci des accords aux sonorités diaphanes et intimistes. Les cordes jouent un rôle primordial. Le compositeur semble mettre en application les vers de Adolf Böttger : "O tourne, tourne ton cap / Dans la vallée, le printemps est en fleurs !". Un premier thème qui s'insinuera dans tout le mouvement se présente comme une succession de nobles arpèges s'élançant dans l'aigu et chantés par les premiers violons soutenus par le groupe des cordes. L'ascension religieuse du discours évoque un hymne de reconnaissance pour le renouveau printanier. Un chant humble, aucunement sulpicien. [12:08] Second groupe thématique plus élégiaque avec quelques notes tenues des bois, bassons, clarinettes en tête. [14:11] La reprise du thème initial est assurée par les violoncelles dans un esprit de variations. Le développement central se veut épique. [14:54] Où comment Schumann, à une surenchère de thèmes, préfère donner une cohérence à son larghetto en limitant les contrastes et en multipliant les changements de climats et de couleurs orchestrales d'un thrène d'une grande simplicité, s'évadant lentement vers un léger pathétisme bien dans l'air du temps romantique. [17:16] La coda suit une ultime reprise abrégée du thème introductif en laissant se succéder un à un de courtes citations des cors et des vents.

Caspar David Friedrich : Nuages
3 - Scherzo : molto vivace (en sol majeur) trio I : moto piu vivace (en ré majeur) ; trio II (en si bémol majeur) : Assez court, le scherzo est cependant bougrement animé et imaginatif. Oui, imaginatif, car il comporte deux trios et des reprises cocasses en terme d'orchestration des motifs du scherzo ; en résumé une structure ABCABDA'B'E 😲 qui témoigne d'un insatiable désir de s'affranchir des codes imposés par cet héritier du menuet classique souvent simpliste. [18:43] Un premier thème plutôt martial est énoncé aux cordes avec une scansion appuyée par le jeu abrupt sur les trois timbales. Il est repris in extenso derechef. [19:12] Arrivée d'un second thème festif et chanté de manière volubile par les flûtes, les bois et les cors. [19:26] Ce double bloc thématique est repris da capo. La brièveté des motifs de styles opposés permet de transformer ce qui pourrait passer pour des redites en une expression amusée d'une liesse populaire. [20:07] Le premier trio est un échange entre cordes et harmonie d'essence chorégraphique. On n'a rarement connu Schumann si guilleret. [21:28] Reprise du scherzo. [22:09] Le second trio aiguillonne une chevauchée digne d'une chasse à courre à entendre les traits violents des cordes basses et les appels de cors. [22:53] Ultime reprise du premier thème du scherzo mais sur un ton plus gracieux, presque un peu las (Schumann est décidément très en verve pour sortir de l'académisme).  Le deuxième thème est joué par les cordes seules pour évoluer vers une délicate coda émaillée de notes discrètes des bois ; fin de soirée au printemps… On pourra songer à la malice mozartienne mais avec un effectif orchestral tellement plus coloré… Mendelssohn sera-t-il sensible à cette inventivité en achevant le scherzo "folk" et endiablé de sa symphonie "écossaise" un an plus tard ?

4 - Allegro animato e grazioso (en si bémol majeur, à alla breve) : [24:11] Pour cette symphonie conçue sous le signe du bonheur, celui du mariage avec Clara, l'évident enthousiasme pour avoir couché en quatre jours la partition avant orchestration, l'usage exclusif de tonalités majeures, on ne pouvait qu'attendre un final débonnaire illustrant une nature de nouveau verdoyante. Six mesures puissantes, un arpège épicurien ff en tutti, ouvrent l'allegro enchaîné sans pause après le scherzo. Un premier thème goguenard, une marche, fait appel à tous les pupitres hormis les trompettes et les trombones. Ce thème se comporte en leitmotiv dans plusieurs variations orchestrales. Schumann confirme par son orchestration cette passion pour le dialogue concertant mettant en avant l'harmonie. [27:59] Un motif glorieux dérivé du thème principal est annoncé aux cors. Un délicieux et surprenant développement voit défiler des interventions plaisantes de certains vents sur un accompagnement initial de cordes graves : [28:30] on commence par les bois, puis, plus insolite [29:04] un dialogue jovial entre cors et flûtes puis bassons ; pour les flûtes, s'agit-il d’illustrer les chants des oiseaux en hommage à la Scène au bord du ruisseau de la "Pastorale" de Beethoven ? La symphonie se termine de manière orgiaque. (Partition en ligne)
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La discographie est riche, on s'en doute. Dans les articles précédents, j'avais mentionné des intégrales de références : Wolfgang Sawallisch, George Szell, Bernstein 1 au début des années 60 à New-York ou encore l'intégrale recourant à l'orchestration revue par Mahler de Riccardo Chailly.
Pour ses débuts pour DG en 1964, Rafael Kubelik (et non pas Bernardo) avait choisi Schumann. Il dirigeait la Philharmonie de Berlin dont Karajan avait fait l'orchestre le plus phonogénique de la planète. Mais là où le maestro autrichien montrera comme souvent une légère propension à l'hédonisme romantique, Kubelik reste le chef soucieux de finesse et de précision chambriste. Un phrasé lumineux et des tempos plutôt allants. La prise de son reste exemplaire 55 ans plus tard pour ces disques qui n'ont jamais quitté le catalogue. (DG – 6/6).
Pour Bernstein qui aimait Schumann à l'évidence et pour la 1ère symphonie, on pourra préférer la seconde version avec le soyeux de la Philharmonie de Vienne et une prise de son moins abrupte (DG – 5/6). Enfin, pour les amateurs de musique à l'ancienne, John Eliot Gardiner redonne des couleurs acidulées à l'ensemble des ouvrages pour orchestre de Schumann (5 CD) à l'aide de son Orchestre Révolutionnaire et Romantique (Archiv – 5/6). Oui Sonia, la jaquette est vraiment hideuse, mais le prix est très attractif !

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