- Et bien,
M'sieur Claude, troisième fin de commentaires sur des cycles complets
de symphonies, après Brahms et Beethoven aujourd'hui Schumann…
- Oui Sonia,
la première symphonie dite "le printemps", un article de saison, une œuvre
concise et joyeuse.
- Il y aura
d'autres compositeurs qui auront droit à une visite complète de leurs œuvres pour
grand orchestre ?
- Mahler et
Bruckner, oui je pense, c'est en cours. Chostakovitch ? Je n'aime pas tout,
donc difficile d'en parler, quant aux 104 symphonies de Haydn, il faudrait des
décennies…
- Je m'en
doute… hihi ! Fabio Luisi fait son entrée au panthéon du blog de son vivant si
je puis dire. Je ne le connais pas…
- Un
excellent chef italien à la tête du Metropolitan Opera depuis 2011… L'orchestre
symphonique de Vienne n'a pas la beauté sonore de la philharmonie, mais quel
peps !
Schumann vers 1840 |
Hiver 1841, Schumann a 30 ans et viens
d'épouser Clara Wieck, de neuf ans sa
cadette. Clara, l'amour de sa vie, sa
muse, la pianiste virtuose qui interprétera toutes les œuvres de son mari pour pallier
le manque d'habileté de Robert
au clavier, surtout depuis que le compositeur s'est handicapé les mains avec
une machine de son invention pour s'assouplir les doigts… Pas une riche idée…
Malgré quelques essais inachevés dans l'univers orchestral, Schumann a composé jusqu'à présent essentiellement
pour le piano ou le lied. Des œuvres remarquables comme Papillons ou Carnaval
qui grâce à Clara deviendront des hits
du répertoire pianistique. En 1837,
il compose les variations
symphoniques, une œuvre difficile à jouer, de plus de 30 minutes,
qui par l'inventivité de l'écriture et la grandeur de son final mérite bien l'attribut
de symphoniques,
bien qu'elle soit écrite pour piano seul. Tiens, un sujet de chronique…
Donc des œuvres de grandes ampleurs qui amènent Clara à inciter son mari à franchir enfin le
pas pour composer pour l'orchestre. Un premier essai qui sera un coup de
maître. Du 23 au 26 janvier (4 jours !), Schumann
compose une symphonie
de l'importance d'une partition beethovénienne. Il termine l'orchestration le
20 févier. L'affaire va bon train… Le 31 mars Felix
Mendelssohn crée avec un franc succès la symphonie à Leipzig. On
ne sait pas trop de Clara ou de Robert qui a donné le sous-titre "le
printemps" à l'œuvre, mais dans les deux cas, la référence au poète Adolf Böttger est avancée. On peut spéculer
sur le sujet à loisir, les écrits sont là et Schumann
pensait bien au printemps et à la renaissance de la nature après les frimas comme
en témoigne la puissante sonnerie de trompette de l'introduction, "Debout
les arbres". La tonalité principale de si bémol majeur indique aussi une
intention festive chez cet homme que les heures sombres de la folie n'ont pas
encore atteint.
Pour ceux qui lisent pour la première fois un billet
sur ce compositeur dans le Deblocnot, je les renvoie à l'Index et pour une biographie
élémentaire à la chronique consacrée à la 3ème symphonie dite
"Rhénane"
(Clic).
Comme le fait remarquer Sonia, les trois autres symphonies de Schumann ont déjà été commentées dans de
belles interprétations.
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Idée d'illustration pour cette symphonie prétendument
printanière, le triptyque de Caspar David
Friedrich (1774-1840) : le matin,
le midi,
le soir…
Les symphonies de Schumann
n'ont pas eu à s'imposer à un public comme l'ont été celles de Bruckner et de Brahms
(en France) ou Mahler (partout)… Le compositeur
n'a jamais cherché à révolutionner le genre comme Berlioz en 1848 avec sa symphonie Fantastique.
Quoique n'oublions pas que sa 3ème symphonie (en
réalité la 4ème
chronologiquement) comporte cinq mouvements et non quatre comme il est
d'usage à l'époque depuis Mozart.
Succès dû à la facilité ? Non, en aucun cas, mais Schumann,
tout comme Beethoven, sait trouver
immédiatement le thème et la polyphonie qui prennent à bras le corps l'auditeur.
Inutile d'écouter x fois l'une de ses symphonies pour mémoriser la belle
thématique tantôt bucolique tantôt pathétique, en un mot très romantique dans
l'esprit…
Clara avait
bien fait de persuader son mari d'une nature introvertie et dépressive (même avant la maladie mentale avérée) de se
confronter au génie beethovénien dans le domaine symphonique, le génial Beethoven qui laissait penser
à de trop nombreux compositeurs, comme Brahms, qu'il était impossible de le rivaliser.
L'orchestration semble très classique. Pourtant, Schumann
ajoute un triangle à l'orchestre de Ludwig van
et surtout confie au timbalier une 3ème timbale (dans le scherzo).
C'est une première depuis la nuit des temps où seulement 2 timbales sont
prévues. Je rappelle que contrairement aux grosses caisses qui émettent un
bruit de hauteur indéfini, les timbales sont accordées. (Ma remarque ne
s'applique pas aux fûts des batteries de jazz et de rock, voir avec les rockeurs). Donc là encore, une
petite innovation en suivant le conseil d'un cousin du nom de Ernst Pfundt (quatre timbales de notes
différentes jouées par 2 ou 3 ou pas du tout dans l'allegretto…) Soit :
2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 4 timbales
(utilisées par 2 ou 3), triangle et cordes.
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Fabio Luisi est gênois
d'origine, il est né en 1959. Il suit une solide formation de pianiste
notamment auprès d'Aldo Ciccolini puis
s'oriente vers la carrière de chef d'orchestre, notamment pour l'opéra. C'est pour
cela que nous ne l'avons encore jamais rencontré, l'opéra n'étant pas ma
spécialité hormis quelques chefs-d'œuvre que j'ai commencé à commenter ces deux
dernières années : Salomé,
Tristan et
Isolde et Pelleas et Mélisande…
Fabio Luisi a occupé
de très nombreux postes dans les fosses des scènes lyriques y compris à Dresde
d'où il démissionne en 2010 après une embrouille dont les directeurs allemands
sont passés maîtres : comme programmer un concert dirigé par Christian
Thielmann sans avertir Fabio Luisi
pourtant directeur musical ! Querelle d'egos ? Sans doute un peu, mais le monde
de la musique classique est une vraie jungle. L'arrivée de l'ambitieux chef
allemand n'était annoncée que pour 2012. Thielmann,
un maestro capable du génial (Strauss)
et de l'académisme daté (Beethoven, Schoenberg). Pour la petite histoire…
Après avoir assuré un grand nombre de représentations
lyriques sur les scènes lyriques les plus diverses Fabio
Luisi occupe depuis 2012 la prestigieuse fonction de directeur du Metropolitan Opera de New-York, succédant
à James Levine gravement malade après une
carrière épuisante… Sa discographie est abondante quoique encore confidentielle
: Mahler, Bruckner
et Franz Schmid pour le CD, le Ring de Wagner ou des opéras de Strauss pour le DVD.
Son intégrale des symphonies de Schumann
avec l'orchestre symphonique de Vienne qu'il
dirige souvent a été très bien accueillie pour sa verve dans les pays
anglo-saxons. Hélas, le label Orféo
qui a réalisé les gravures reste mal distribué en France. Il s'agit de concerts en Live.
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1 - Andante
un poco maestoso – allegro molto vivace (en si bémol majeur) : Schumann annonce le printemps avec solennité
ou plus trivialement en fanfare au sens propre. Deux cors en si bémol et deux
trompettes, rejoints en fin de 3ème mesure par les vents et les
cordes, proclament ff la renaissance
de la nature, les bourgeons qui libèrent les fleurs dorées et pourpres…
Olympien et mystique. Le compositeur adopte le principe traditionnel de l'introduction
andante ou adagio dans les symphonies classiques et romantiques. [0:21] De
vigoureux doubles arpèges en miroirs, descendants ou ascendants, suivis de
trilles et du roulement de la timbale grave introduisent l'andante dans sa
douceur méditative. Bois et flûtes soufflent les derniers vents de l'hiver. Le
printemps impose le retour de la vie animale et végétale à grands traits à
l'unisson, et à grand pas. [1:09] De beaux éclats printaniers s'illuminent dans l'espace
sonore en suivant un dialogue bucolique et concertant des bois soutenu par des reptations
des cordes, notamment des altos… [1:50] le solo de flûte joue l'oiseleur. Sans
conteste l'une des plus belles entrées en matières poétiques depuis la
"pastorale" de Beethoven même si ce dernier jouait la carte de la
sérénité champêtre.
[2:42] Après une préparation crescendo en fin
d'andante, l'allegro s'élance à grands traits énergiques, frémissants et
joyeux. Le thème principal apparaît, martial. Schumann
exploite tout son orchestre, ce qui fera dire à certains commentateurs que
l'orchestration est chargée. Ce n'est pas le cas si les instrumentistes respectent
à la lettre une grande précision dans les tuttis et les enchaînements, ce qui
est le cas ici… [3:20] Un second thème chorégraphique et plus allègre apporte
le petit grain de bonhomie dans cette musique très allante. La partition
fourmille de détails d'orchestration insolites et dionysiaques. Schumann ne s'écarte pas de la forme
sonate par une réexposition classique [4:09] mais les variations confiées à
l'instrumentation déroulent une riche palette de timbres agrémentée des notes
cristallines du triangle. [4:47] Pas de nouvelle thématique dans le
développement mais une péroraison avec de fantasques joutes des bois [5:45].
Fabio Luisi : maestro et créateur de parfum... |
2 - Larghetto
(en mi bémol majeur) : [12:08] Dans le mouvement lent, Schumann tourne le dos au style concertant
entre les cordes et les solos de vents de l'allegro pour faire sonner l'harmonie
en exigeant de celle-ci des accords aux sonorités diaphanes et intimistes. Les
cordes jouent un rôle primordial. Le compositeur semble mettre en application
les vers de Adolf Böttger : "O tourne, tourne
ton cap / Dans la vallée, le printemps est en fleurs !". Un
premier thème qui s'insinuera dans tout le mouvement se présente comme une succession de nobles arpèges s'élançant dans l'aigu et chantés par
les premiers violons soutenus par le groupe des cordes. L'ascension religieuse du
discours évoque un hymne de reconnaissance pour le renouveau printanier. Un
chant humble, aucunement sulpicien. [12:08] Second groupe thématique plus
élégiaque avec quelques notes tenues des bois, bassons, clarinettes en tête.
[14:11] La reprise du thème initial est assurée par les violoncelles dans un
esprit de variations. Le développement central se veut épique. [14:54] Où
comment Schumann, à une surenchère
de thèmes, préfère donner une cohérence à son larghetto en limitant les
contrastes et en multipliant les changements de climats et de couleurs
orchestrales d'un thrène d'une grande simplicité, s'évadant lentement vers un
léger pathétisme bien dans l'air du temps romantique. [17:16] La coda suit une
ultime reprise abrégée du thème introductif en laissant se succéder un à un de
courtes citations des cors et des vents.
Caspar David Friedrich : Nuages |
3 - Scherzo :
molto vivace (en sol majeur) trio I : moto piu vivace (en ré majeur) ; trio II
(en si bémol majeur) : Assez court, le scherzo est cependant bougrement
animé et imaginatif. Oui, imaginatif, car il comporte deux trios et des
reprises cocasses en terme d'orchestration des motifs du scherzo ; en résumé
une structure ABCABDA'B'E 😲 qui
témoigne d'un insatiable désir de s'affranchir des codes imposés par cet
héritier du menuet classique souvent simpliste. [18:43] Un premier thème plutôt
martial est énoncé aux cordes avec une scansion appuyée par le jeu abrupt sur
les trois timbales. Il est repris in extenso derechef. [19:12] Arrivée d'un
second thème festif et chanté de manière volubile par les
flûtes, les bois et les cors. [19:26] Ce double bloc thématique est repris da
capo. La brièveté des motifs de styles opposés permet de transformer ce qui pourrait passer pour
des redites en une expression amusée d'une liesse populaire. [20:07] Le premier
trio est un échange entre cordes et harmonie d'essence chorégraphique. On n'a
rarement connu Schumann si guilleret. [21:28]
Reprise du scherzo. [22:09] Le second trio aiguillonne une chevauchée digne
d'une chasse à courre à entendre les traits violents des cordes basses et les
appels de cors. [22:53] Ultime reprise du premier thème du scherzo mais sur un
ton plus gracieux, presque un peu las (Schumann
est décidément très en verve pour sortir de l'académisme). Le deuxième thème est joué par les cordes
seules pour évoluer vers une délicate coda émaillée de notes discrètes des
bois ; fin de soirée au printemps… On pourra songer à la malice mozartienne
mais avec un effectif orchestral tellement plus coloré… Mendelssohn
sera-t-il sensible à cette inventivité en achevant le scherzo "folk"
et endiablé de sa symphonie
"écossaise"
un an plus tard ?
4 - Allegro
animato e grazioso (en si bémol majeur, à alla breve) : [24:11]
Pour cette symphonie conçue sous le signe du bonheur, celui du mariage avec Clara,
l'évident enthousiasme pour avoir couché en quatre jours la partition avant
orchestration, l'usage exclusif de tonalités majeures, on ne pouvait qu'attendre
un final débonnaire illustrant une nature de nouveau verdoyante. Six mesures puissantes,
un arpège épicurien ff en tutti,
ouvrent l'allegro enchaîné sans pause après le scherzo. Un premier thème
goguenard, une marche, fait appel à tous les pupitres hormis les trompettes et
les trombones. Ce thème se comporte en leitmotiv dans plusieurs variations orchestrales.
Schumann confirme par son
orchestration cette passion pour le dialogue concertant mettant en avant
l'harmonie. [27:59] Un motif glorieux dérivé du thème principal est annoncé aux
cors. Un délicieux et surprenant développement voit défiler des interventions plaisantes
de certains vents sur un accompagnement initial de cordes graves : [28:30] on commence
par les bois, puis, plus insolite [29:04] un dialogue jovial entre cors et
flûtes puis bassons ; pour les flûtes, s'agit-il d’illustrer les chants des oiseaux en hommage à la Scène au bord du
ruisseau de la "Pastorale" de Beethoven ? La symphonie se termine de
manière orgiaque. (Partition en ligne)
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La discographie est riche, on s'en doute. Dans les
articles précédents, j'avais mentionné des intégrales de références : Wolfgang Sawallisch, George
Szell, Bernstein 1
au début des années 60 à New-York
ou encore l'intégrale recourant à l'orchestration revue par Mahler de Riccardo
Chailly.
Pour ses débuts pour DG en 1964, Rafael Kubelik (et non pas
Bernardo) avait choisi Schumann. Il dirigeait la Philharmonie
de Berlin dont Karajan
avait fait l'orchestre le plus phonogénique de la planète. Mais là où le
maestro autrichien montrera comme souvent une légère propension à l'hédonisme romantique, Kubelik reste le chef soucieux de finesse
et de précision chambriste. Un phrasé lumineux et des tempos plutôt allants. La
prise de son reste exemplaire 55 ans plus tard pour ces disques qui n'ont
jamais quitté le catalogue. (DG – 6/6).
Pour Bernstein
qui aimait Schumann à
l'évidence et pour la 1ère symphonie, on pourra
préférer la seconde version avec le soyeux de la Philharmonie
de Vienne et une prise de son moins abrupte (DG – 5/6). Enfin, pour les amateurs de
musique à l'ancienne, John Eliot
Gardiner redonne des couleurs acidulées à l'ensemble des ouvrages pour orchestre de Schumann (5 CD) à l'aide de son Orchestre Révolutionnaire et Romantique (Archiv – 5/6). Oui Sonia, la jaquette est vraiment hideuse,
mais le prix est très attractif !
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