- Ouf M'sieur
Claude, j'arrive, j'accours… Je viens de photocopier les notes de frais pour
M'sieur Luc depuis 2016… Une urgence ! Tu parles il chipote sur celles de
2014-2015 toujours pas signées…
- Du calme
Sonia, vous savez bien que notre mentor échiniculteur au niveau des poches
veille à un équilibre financier très strict… Écoutez donc cette musique
reposante…
- Voyons : un
piano, un seul violon et un violoncelle, donc un trio. Au style je dirais
classique mais presque romantisme… Je commence à toucher ma canette… Non ?!
- Bien Sonia,
et une idée concernant le compositeur ? C'est facile…
- Humm… Je
dirais Schubert, mais vous avez déjà clôt le sujet en chroniquant ses deux
trios… Mozart ? Non le style est quasi symphonique… Je me lance : Beethoven ?
- Bravo, le
trio l'Archiduc en effet assez long et de style plutôt olympien… l'occasion
d'écouter trois artistes mythiques réunis pour cette interprétation.
Beethoven vers 1816 |
22ème article à propos de l'ami Beethoven (24 œuvres commentées). Mérite-t-il
un tel engouement de ma part ? Je pense qu'il est difficile de contester que Ludwig van ne soit pas l'un des
compositeurs parmi les plus immortels… Et j'avoue qu'il a été ma première idole
"classique" au point que j'avais encadré le portrait ci-contre pour
l'accrocher au-dessus de mon lit fin des années 60. Pour certains, c'est Dieu
le fils en croix😇. Par
ailleurs le catalogue opus qui se termine
au N° 138 est trompeur à double
titre : certains opus comportent plusieurs ouvrages dans le même genre – l'exemple
le plus connu est l'opus 59 et
ses trois quatuors Razoumovsky
très inspirés -, et d'autre part, les musicologues complètent depuis la mort du
maître un second catalogue nommé WOo établi par Georg Kinsky et Hans Halm en 1955, des ouvrages de jeunesse ou posthumes
non publiés au XIXème siècle et qui comporte 228 numéros, eux-aussi compilant parfois plusieurs titres. Le diable
de compositeur nous a donc légué au moins 366
œuvres, surement plus. Car si tout cela ne suffisait pas, il faut mentionner deux travaux complémentaires, les catalogues Hnh et Hess qui s’ajoutent à la liste WOo. J'ai du pain sur la planche, car si le recueil WOo
et ses deux ajouts n'ont pas l'envergure de leur camarade Opus "officiel", il y a relativement peu de déchets,
d'ouvrages alimentaires. Nous avons ainsi terminé d'explorer les 9 symphonies en
début d'année, l'un des chefs-d’œuvre absolus de Beethoven.
Le répertoire pour trio de Beethoven
est assez vaste même si à l'image de l'album du jour le Trio Opus 70 n°1
"Des
esprits"
(Clic) et ce trio
Opus 97 sous-titré "Archiduc ou Erzherzog" sont
les plus joués et enregistrés ensemble sur des albums simples. Cinq autres
trios du catalogue opus,
deux autres du catalogue WOo
et deux suites de variations complètent un patrimoine qui
n'occupe pas moins de quatre CD dans l'intégrale du Trio
Stern des années 60. Le compositeur s'est très tôt passionné
pour le genre puisque son Opus 1 est précisément un triptyque
de trios déjà élaborés et attachants…
Je ne reviens plus sur la biographie de Beethoven esquissée dans la première
chronique centrée sur le concerto pour piano N°5 "Empereur"
puis complétée à chaque nouvel article. Mes sources : l'ouvrage de Jean Massin dédicacé lors d'un repas
amical avec le sympathique musicologue et de articles du Web dont celui de Wikipédia, assez exhaustif pour une fois (Clic).
Je ne vais pas réinventer la vie du génie né à Bonn en 1770 et mort à Vienne en 1827
après avoir fait franchir la haie du romantisme à l'art musical en 1805 avec la symphonie "Héroïque".
Évidement le drame de la surdité, les passages dépressifs, les amours
contrariés, la célébrité de son vivant… La littérature sur cet homme
d'exception est intarissable…
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Archiduc Rodolphe d'Autriche |
Beethoven travaillera
rapidement sur son trio début 1811,
la partition est terminée en un mois. Il dédicace le manuscrit à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche (1788-1831), l'un de ses mécènes les
plus fidèles et même l'un de ses élèves. Une dédicace qui explique le sous-titre
du trio, le noble personnage étant fin musicien. Beethoven compose en parallèle sa 7ème
symphonie, ce qui peut expliquer l'importance égale donnée aux scherzos
dans les deux partitions. La création attendra mars 1814 et une soirée privée qui réunit Beethoven
au piano, et ses amis Ignaz
Schuppanzigh (17761-1830)
au violon et Joseph Linke (1783-1837) au
violoncelle. On retrouvera dix ans plus tard ces deux artistes pour la création
des ultimes et exemplaires quatuors de Beethoven.
La surdité sera désormais totale et plusieurs admirateurs seront peinés de voir le
compositeur à peine à la hauteur pour interpréter l'une de ses compositions majeures
de musique de chambre. À vrai dire, c'est la dernière fois que Beethoven se produira pour une création ou
un concert important.
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La discographie des trios opus 70 & 97
est vaste. La gravure réunissant Wilhelm Kempff
au clavier, Henryk Szeryng au violon et Pierre Fournier au violoncelle en 1970 pour le label hambourgeois DG n'a
jamais quitté le catalogue.
Wilhelm Kempff |
Henryk Szeryng (1918-1988), d'origine polonaise, débute
dès cinq ans ses études musicales. Il gagne Berlin pour se perfectionner auprès
du grand violoniste et pédagogue hongrois Carl Flesch
entre 1929 et 1932. Dernière étape auprès de Jacques Thibaud
à Paris et de Nadia Boulanger entre 1937 et 1939. Sacré palmarès ! Ses débuts comme concertistes dataient de 1933, à 15 ans, dans le concerto
de Brahms, accompagné par George Enescu, compositeur et violoniste
virtuose. De confession juive il doit se réfugier à Londres auprès du
gouvernement polonais en exil durant la folie nazie. Il suivra une carrière internationale
la paix revenue et obtiendra la nationalité mexicaine. Il disparait à 70 ans
d'une hémorragie cérébrale. Je me rappelle d'une magnifique interprétation du concerto
de Beethoven en complicité avec Carlo Maria Giulini en 1968…
Le violoncelliste Pierre Fournier
est né à Paris en 1906. Il fait
partie avec Paul Tortelier, Maurice Gendron, André
Navarra souvent présents ou cités dans ces
articles du gotha des violoncellistes français du XXème siècle. Initialement,
il se destinait à une carrière de pianiste mais la poliomyélite le handicape assez
gravement de la jambe droite lui interdisant l'usage de la pédale. Je consacrerai
un article à cet artiste. Il a joué avec les plus grands chefs comme Herbert von Karajan (le maestro fit appel
à lui pour sa première gravure culte de Don Quichotte de Richard Strauss),
Furtwängler, Kubelik,
etc. et également en trio à l'invitation d'Alfred Cortot et
de Jacques Thibaud. Une histoire à développer…
Il disparait en 1986. Bien entendu, son interprétation des suites de Bach est légendaire.
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Henryk Szeryng |
[3:26] le thème initial est réexposé in extenso mais suffisamment
tard pour apprécier l'expansive introduction. Si le si bémol majeur et sa générosité s'imposera
comme tonalité principale dans l'ouvrage, Beethoven
épice son propos avec le recours dans le développement à mi mineur, tonalité
plus ténébreuse. [7:06] Ledit développement est énoncé par le violoncelle reprenant
le thème principal devenu leitmotiv. [8:12] Le violon fera de même, le piano se
faisant discret et léger, un climat onirique s'installe, chaleureux et optimiste
comme en témoigne l'étrange et facétieux dialogue piano et cordes pizzicati, le
"clou" de ce passage central vraiment génial [8:27]. [9:34] La réexposition
en scansion dénote encore et encore l'évident plaisir et le désir créatif
intense qui ont animé Beethoven
lors de la composition. Malgré la variété infinie des couleurs et du phrasé, on
ne perd jamais le fil du discours. Et puis parlons du merveilleux équilibre sonore
entre nos trois artistes, la clé de l'art du trio où aucun des protagonistes ne
doit chercher à briller. La fin du mouvement se veut énergique et se présente
comme une allante péroraison sur la thématique principale.
Pierre Fournier |
2 - Scherzo
(Allegro en si bémol majeur) : [13:20] Quelques notes
allègres du violoncelle, puis du violon, puis enfin du piano nous font entrer
dans la danse lors d'une fête chez l'Archiduc
Rodolphe d'Autriche… (Interprétation toute personnelle 😃.) Beethoven
a abandonné le menuet de l'âge classique depuis sa 2ème symphonie
au bénéfice du scherzo à la construction plus sophistiquée. Par ailleurs,
comme plus tard avec la 9ème symphonie, il ne le
place pas comme simple intermède avant le final mais après l'ample allegro
initial. Sa construction très élaborée avec sa dissymétrie singulière et sa
durée exceptionnelle le rend plus troublant que celui de la contemporaine 7ème
symphonie. Le trio n'intervient pas de manière tranchante comme
chez Bruckner et l'incontournable structure ABA,
A comportant deux thèmes contrastés.
Quel raffinement ! Et la mesure à trois temps aidant, Beethoven nous invite par moment à la
valse… [13:52] Un second motif festif au sens villageois du terme s'insinue
gaiement jusqu'à la réexposition [14:43]. Une reprise vraiment magique par son refus
de la répétition da capo, les lignes mélodiques changeant de pupitres,
cherchant à nous égarer avec malice. [15:22] Le violoncelle se veut plaintif,
le piano jouant tristement note par note, est-ce le trio ? Oui, en théorie, mais
cette incursion dans la mélancolie est interrompue plusieurs fois pas des
citations du brillant thème initial [15:58] et [16:32]. Je ne connais que très
peu de scherzo de l'époque du romantisme aussi capricieux dans la forme. Sans compter
les variations internes et les changements de tonalités excentriques : si bémol
majeur (principale), ré bémol majeur pour la mélopée du violoncelle dans le
"trio", do # mineur. Le "trio" donc, gagne en passion pour relancer
à [18:00] le scherzo de manière plus traditionnelle. [24:44] Étrange réminiscence
du trio et de son lugubre violoncelle avant de conclure par une coda très
imaginative. Ludwig surprend jusqu'à la dernière mesure. L'alacrité du jeu très
fringant permet à nos virtuoses de prolonger sur 12 minutes sans ennui un
scherzo truffé de reprises et parfois limité à 7 minutes. On se laisse guider
par son-sa cavalièr(e)…
3 - Andante
cantabile (ré majeur) : [25:19] Le mouvement lent adopte encore une
tonalité majeure. Une douce rêverie l'habite. L'introduction est assurée par le
piano de façon plutôt élégiaque. Violon et violoncelle le rejoignent en jouant
presque à l'unisson un motif aux accents nocturnes. Beethoven
bouscule la forme sonate usuelle pour une série de variations que je vous
laisse découvrir… Les enchaînements se font en douceur. Cantabile, c'est le
mot, aucune gravité dans l'une des œuvres les plus radieuses du maître… [27:03]
Variation 1 au ton viril de par la domination du violoncelle. [28:42] Variation
2 allègre et bonhomme. [30:02] Variation 3 rythmée et dansante. [31:31] Variation
4 et conclusion nostalgique et vibrante commençant à [33:31] par une réexposition.
4 - Allegro
moderato (si bémol majeur) : [37:16] le dernier mouvement vif-argent lève
les tensions émotionnelles achevant l'andante. Un rondo plutôt fantaisiste, un
chassé-croisé entre les trois complices. La forme reste très libre, Beethoven ayant toujours montré son
aversion pour les carcans formels. J'avoue en parlant de manière assez triviale
qu'avec "l'archiduc",
le Ludwig a fait très fort !!! Ce trio par
ses dimensions symphoniques n'aura guère de concurrents avant ceux de Brahms, sauf exception : les deux trios
de Schubert composés à la fin de la vie de ce
dernier et commentés dans ces pages. (Partition)
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La discographie est infinie. Les gravures proposées
lors de la publication de la chronique consacrée au Trio opus 70 "des Esprits"
sont quasiment toutes complétées par ce Trio opus 97 (Clic).
L'interprétation Stern-Rose-Istomin est une
merveille (le coffret présenté à l'époque n'est plus disponible, mais remplacé
par un autre set de 9 CD pour 15 € regroupant les enregistrements de Isaac Stern, concerto, romances, etc. À ce
prix… pas de livret mais entre le Deblocnot et le web, on a de l'info.
Autre grand cru : Jacqueline du
Pré, son mari Daniel Barenboïm
et leur ami Pinchas Zukreman ont
enregistré les trois trios opus 1 moins ambitieux mais très avenants et un
double album les présente avec le Trio opus 97 (EMI – 6/6).
Enfin, autre intégrale passionnante et récente, celle du encore jeune
Trio Wanderer (sans les reprises du scherzo qui apparaît ainsi plus concis). (Harmonia Mundi – 5/6).
Le petit label Dorémi dont la spécialité consiste en
la réédition de trésors radiophoniques a édité les enregistrements d'un trio
russe des années 50-60 réunissant trois géants Emil
Gilels, Mstislav
Rostropovitch et Leonid Kogan
au violon qui est tout sauf un outsider mais ses disques sont rares (Je possède
une captation du concerto
de Brahms qui pulvérise tout sur son
passage). La vidéo de leur interprétation avec la précision d'orfèvre du
pianiste et le soyeux des cordes des deux "camarades" est un vrai bonheur (DOREMI – son mono - 6/6).
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