- B'jour M'sieur Claude, je ne vois pas la pochette
de la chronique sur votre bureau, mais un
coffret au visuel bien banal avec Ludwig van en vedette…
- Oui Sonia, l'illustration sympa d'un Beethoven en ballade correspond à
une édition originale qui est
peu
disponible et hors de prix, j'ai placé
plus loin
l'image du coffret
à prix doux actuel…
- Heuu, autre question pour ma gouverne :
il y a une liste de trois
artistes différents et vous parlez de l'interprétation par un trio nommé
Archibudelli. Je ne suis plus…
- Ah Ah ! Un piège. L'archibudelli est le surnom que se sont donné Vera
Beths, Anner Bylsma et
Jürgen Kulsmann.
Les deux premiers et le pianiste Jos van Immerseel,
tous grands artistes
baroqueux se sont réunis pour ce disque…
- Trio des "Esprits", drôle de nom ? Un rapport avec les poltergeists ou
les bons mots de M'sieur Rockin', hihi ?
- Non, un thème musical du trio provient d'un projet
jamais achevé
d'adapter Macbeth.
Comme vous le savez, dans
la pièce de Shakespeare, les fantômes jouent un rôle…
Avec cette 13ème rencontre,
Ludwig van Beethoven
fait partie des compositeurs qui se taillent la part du lion dans les
articles classiques de notre blog. Surprenant ? Subjectif ? Admiration
excessive de votre rédacteur ? Non, car personne ne contestera qu'à l'instar
d'un
Mozart, d'un
Bach
ou d'un
Brahms, la production de
Ludwig
reste d'une qualité superlative dans la plupart des styles : symphoniques,
musique de chambre, sonates pour piano…
Ainsi,
cinq chroniques ont déjà
permis d'explorer ses 9 symphonies qui méritent toutes un article. Un jour,
Mme Luc B. m'a demandé si
Beethoven
et les compositeurs
classiques
à lire ma prose
n'avaient écrit que des chefs d'œuvres ? Non ! Bien entendu.
Sur les environ 350 ouvrages dus à la plume de
Beethoven
(numérotés Opus ou WoO), de nombreuses partitions alimentaires ne méritent
qu'un peu de curiosité. Les
chants gallois, irlandais
et
écossais, etc. commandés par
George Thomson sont vivants,
rigolos, mais d'une inspiration plutôt mineure et répétitive sur le plan
mélodique, la
chansonnette de l'époque.
Les enregistrements sont rarissimes. Bon, certains penseront le contraire,
des amateurs de folk romantique, pourquoi pas.
Seule curiosité et de taille : dans ces lieder british, les
voix sont accompagnées non
pas par un simple piano mais par un violon, un violoncelle et un piano, soit
un… trio ! Si ça ce n'est pas un enchainement
☺…
Je ne réécris pas la biographie de
Beethoven, tout ayant été dit dans les douze articles de ces dernières années : le
génie, le père fondateur de la musique romantique avec sa
symphonie "héroïque", la lutte contre la surdité, la pire infirmité pour un musicien… Par
contre, je me dois de souligner que l'opus 1 du maître est constitué de 3
trios numérotés de 1 à 3.
Beethoven
avait donc le trio dans la peau dès 1793-1795.
Les premières créations d'un
jeune homme âgé de 23-25 ans marquent ses débuts dans le catalogue officiel
Opus.
Beethoven
en composera 9 tout au long de sa carrière, notamment
deux compositions posthumes de type WoO dans sa jeunesse, œuvres de forme classique
complétées par deux séries de variations pour trio. Et puis il y a aussi le
triple concerto pour trio et orchestre, pas le meilleur du parcours
concertant du musicien, mais très populaire. De cette série qui occupe 4 à 5
CD, on distingue deux monuments : Le
trio "des Esprits" opus 70-1
et le
trio "L'archiduc" opus 97.
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Jos van Immerseel / Anner Bylsma / Vera Beths |
Lors d'un article récent consacré au
1er trio
de
Brahms, j'évoquai deux types d'ensemble qui jouent en trio. D'abord les trios
constitués pour toute la durée d'une carrière, comme le
Beaux-Arts Trio, avec quelques changements d'instrumentistes suivant les aléas de la vie,
puis autre configuration : la réunion d'artistes virtuoses exerçant des
carrières de solistes mais souhaitant mettre en commun leurs talents
respectifs au service d'œuvres qui leur sont chères.
Troisième cas
pour le disque écouté ce
jour… Trois artistes baroqueux se sont regroupés.
La violoniste et le
violoncelliste sont membres du trio à cordes portant
le nom
Archibudelli, le pianiste étant un
complice :
Jos van Immerseel. Initiative qui nous permet
d'entendre
Beethoven
interprété avec les timbres instrumentaux propres au début du XIXème
siècle…
À 70 ans, le pianiste, organiste, claveciniste et chef d'orchestre Jos van Immerseel
est l'une des figures marquantes de l'univers baroqueux belge de sa
génération,
avec
Philippe Herreweghe
croisé dans le blog il y a deux semaines. Passionné par les mouvements "sur instruments anciens", il fonde dès
1964 un premier ensemble
baroque
Collegium Musicum
qu'il dissout 4 ans plus tard. En
1987, avec la création de
l'orchestre
Anima Eterna
résidant à Bruges, il
conforte sa position importante parmi les chefs soucieux de l'interprétation
"authentique", comme
John Eliot Gardiner, tout en étendant le répertoire de son l'ensemble bien au-delà du baroque,
vers la musique romantique et contemporaine.
Partition : début de l'allegro vivace XXXXX |
Environ du même âge que
Jos van Immerseel
(soyons galant) la violoniste
Vera Beths
est d'origine néerlandaise. Elle a étudié à Amsterdam puis à New York. Elle
est actuellement l'épouse du violoncelliste
Anner Bylsma
également présent dans cet enregistrement. Tous les deux sont membres du
trio à cordes
Archibudelli.
Vera
Beths
joue dans les grands orchestres hollandais mais suis également une carrière
importante comme soliste de formations de chambre. Elle joue sur un
Stradivarius de 1727. À noter son répertoire très éclectique : du
baroque à la musique contemporaine. Des compositeurs comme
Philip Glass
ou
Peter Schat
lui ont écrit certaines pièces.
Vera Beths
enseigne au conservatoire d'Amsterdam.
Le violoncelliste
Anner Bylsma
est l'une des légendes vivantes de l'art du violoncelle en général et
baroque en particulier. Né
en 1934 en Hollande, le
virtuose a vu son talent précoce récompensé par le prix Pablo Casals en
1959. Il commence sa carrière
comme soliste du
Concertegbouw d'Amsterdam
à l'époque où
Bernard Haitink
en est le directeur.
Le musicien joue le
répertoire classique et romantique voire moderne sur un
Pressenda
(luthier italien) de 1835. Il
est l'un des pionniers du retour à l'emploi d'instruments anciens pour jouer
la musique baroque et classique (1600-1750-1803) et possède à cette fin un
Goffriller
de 1695. Ce luthier également
italien a produit des instruments magiques qui ont fait le bonheur des
violoncellistes les plus illustres parmi lesquels :
Pablo Casals,
János Starker,
Pierre Fournier. Et comme si ces deux violoncelles ne lui suffisaient pas, il emprunte
parfois au
Smithsonian Institute de Washington
un
Stradivarius
de 1701 :
le
Servais. La discographie de
Anner Bylsma
est immense, principalement dédiée à la musique baroque (Boccherini). En 1992, il grave une
version quasi inégalable des
6 suites
de
Bach
sur
Le Servais
(Sony).
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Macbeth (Gustave Doré) |
Pourquoi ce sous-titre : le
trio "Des Esprits"
? En fait la traduction exacte du sous-titre allemand "Geister" devrait être "fantôme" !! C'est tout à fait anecdotique,
Beethoven
ne pensait aucunement évoquer les linceuls, cris dans les nuit et portes qui
grincent ☺. En ces années 1805-1809, le
compositeur entreprend un projet d'opéra sur Macbeth de Shakespeare.
Beethoven
n'est pas un homme d'opéra puisque seulement
Fidelio, ébauché sous le titre
Léonore, sera édité. Il a écrit pour cette
œuvre inachevée une page aux accents funestes pour la scène des sorcières, une
thématique qu'il va utiliser dans le largo de ce
trio Opus 70 N°1. Oui N° 1 car cet opus comporte
un autre trios (N°1
sans sous-titre) dédiés à son amie : la comtesse
Maria von Erdödy. Et voilà
comment les ectoplasmes et autres créatures infernales ont envahi l'"esprit" de ce trio…
L'écriture de ces deux trios est contemporaine de celle de la
5ème symphonie
avec son célèbre thème
introductif martelé et dramatique, et de la plus poétique et picturale
6ème symphonie
"pastorale". Toutes les deux aussi de
1808. Même si la surdité a
progressé depuis quelques années,
Beethoven
est désormais à 38 ans au sommet de son art créatif. Et justement nous
allons retrouver dans ce trio le style à la fois vigoureux et contemplatif
propre au romantisme que le compositeur a inauguré en
1804 avec sa
symphonie
"Héroïque".
Petite étrangeté, l'ouvrage ne comprend que trois mouvements : deux
allegros très vivants encadrant un largo mélancolique. Comme souvent, les
génies savent se soustraire aux règles en vigueur et pas toujours
bienvenues, et
Beethoven
a sans doute jugé qu'un quelconque menuet après un largo aussi émouvant
aurait déséquilibré sa partition… Simple hypothèse de ma part.
Nota : la vidéo
a disparu pendant la rédaction (voir en bas mon coup de gueule). On peut écouter
le partage avec Deezer
de ce CD...
1 – Allegro vivace con brio
: Ahh, voilà de nouveau le
Beethoven
qui aime asséner une grande claque sonore à son public dès la première
mesure… Le
Beethoven
de Pam Pam Pam Paaam revient en force avec le début déchaîné de son trio.
Allegro vivace annonce la couleur et con brio (allègre et brillant) se
traduisent par des traits fougueux et héroïques qui s'entrechoquent entre
les trois instrumentistes : trois mesures notées
ff et galvanisées par des notes
piquées. Ça décoiffe ! Le climat sera-t-il à la frénésie ? Pas tout à fait.
Le violoncelle, le piano et le violon en troisième entonne un premier thème
joyeux et épicurien repris deux fois. Quelle vitalité !
Anna Maria von Erdödy (1779-1837) |
2- Largo assai ed espressivo
: [10:02]. Dans ce mouvement d'ambiance
funeste, on peut craindre un jeu languide, peu inspiré et gnangnan, tirant
des larmes de crocodiles… Pourtant l'écriture ne ménage aucun repos,
accentue les contrastes les plus tragiques. Le climat se veut grave et la
lecture qu'en donne nos trois virtuoses distille un conflit entre nostalgie
et pathétisme qui révèlent la richesse mélodique exceptionnelle de ce
mouvement. En intro, le violoncelle et le violon énoncent une plainte
élégiaque accompagnée par des accords arpégés tremblotants au piano (d'une
difficulté inouïe), mélopée suivie de courts traits angoissés du violon.
Tout le passage sera dominé par une sourde mélancolie marquée par les
frissons du piano et le chant douloureux des deux instruments à cordes. Une
fois de plus, le génial
Ludwig
explose la forme sonate par une suite de variations et des changements de
tonalités jouxtant la dissonance. Le développement central martèle un
dramatisme saisissant.
Beethoven
refuse tout compromis, tout rayon de soleil dans cette noirceur troublante.
Poignant ! Macbeth se cache au détour du récit musical : énigmatique,
frémissant, glaçant, et la précision inscrite sur la partition par la main
de
Beethoven
"Espressivo" n'est pas un vain mot pour les trois artistes au phrasé diaboliquement
articulé voire farouche.
3 – Presto
:
Beethoven
balaye d'un revers la tristesse du largo. Le presto sera l'antithèse
musicale du sombre et tourmenté mouvement central. On retrouve légèreté et
gaité chassant les nuages plombés du largo. Quelques notes facétieuses au
piano, et des traits guillerets aux cordes se
pourchassent dans une
danse aux accents bucoliques.
Beethoven
varie les plaisirs avec humour en mélangeant avec gourmandise
:
variété du discours et
harmonies surprenantes aux tonalités fantasques.
Vera Beths, Anner Bylsma, et Jos van Immerseel
prolongent dans ce mouvement le parti-pris de l'articulation, de la joie de
vivre retrouvée. Un jeu parfois rustique mais si drôle.
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J'avoue mon faible pour ce jeu fougueux et quasi symphonique de
Archibudelli
et
Jos van Immerseel. La discographie recèle d'autres trésors sur instruments modernes.
Fin des années 60, le violoniste
Isaac Stern s'associe au pianiste
Eugène Istomin
et au violoncelliste
Leonard Rose
pour enregistrer les intégrales des trios de
Beethoven
et de
Brahms. Le jeu est fluide, les trois partenaires cisèlent chaque détail. Un grand
souffle. On pourra préférer ce climat chambriste à l'orage des baroqueux
(deux approches en rien antagonistes en réalité) (Sony
– 6/6). Dans les interprétations énergétiques, on retrouve en édition
économique les interprétations de
Daniel Barenboim,
Pinchas Zukerman, et
Jacqueline du Pré
emportée à la fleur de l'âge par la sclérose en plaques. Plus un témoignage
de l'engagement de jeunes
artistes qu'une réussite totale du fait d'un rubato parfois déroutant dans
l'allegro. (Warner – 5/6 – son
vieillot). Enfin comme toujours, la grande classe avec le
Beaux-Arts trio
dont on a extrait les deux trios les plus essentiels d'une intégrale
marquante. (Decca – 6/6)
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AHHH M**DRE !!* (Alfred Jary) : j'écris les derniers paragraphes de ce billet… et gregragnagne : la
vidéo YouTube vient d'être retirée pour une sombre histoire de droit
d'auteur. Je n'ai pas l'air c**n avec mon article sans son et Dalida !!!
Plan Orsec : Je partage avec Deezer le CD commenté ce jour pour ceux qui ont
accès à ce site en
intégralité (plages 5 à 7). Chers lecteurs, vous pourrez entendre en intro
le
trio l'"Archiduc", là aussi un grand moment. Je propose une belle interprétation très
vivante par le Trio Fontenay, pour les non abonnés à Deezer.
Dans la discographie, j'ai mentionné la réalisation culte d'Isaac Stern. Ce
violoniste a également
confié aux disques les
quatuors pour piano de
Brahms
et de
Dvorak
en compagnie de
Yoyo Ma
(violoncelle),
Jaime Laredo
(alto) et
Emanuel Ax
au clavier. On retrouve ici trois de ces complices en trio et en live en
1992 au Châtelet (excellent et vivant bien entendu).
(*) : Non Sonia, il n'y a pas de faute d'orthographe, le poète et
dramaturge farfelu écrivait bien le mot de Cambronne de cette
manière…
Tiens, phase de maintenance générale de 2022, un playlist est
disponible... On gête nos lecteurs Sonia... Oui ? non, Ah bon...
Oui, ça "débloc" bien !!!!!!!
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