C’est
un des romans des plus célèbres du XXème siècle. Qu'il était de bon ton faire dépasser de sa poche de jean pour montrer qu'on avait de la culture... Mais je vous fais un aveu : je n'avais jamais lu ce livre. Est-ce qu'il tient encore la route ? Oh que oui... Quelques mots sur son auteur, George Orwell –
pseudonyme d’Eric Arthur Blair.
Orwell
fait un service militaire en Birmanie, dans les forces de Police. Retour en Angleterre, il se met à écrire, s’immerge dans les bas-fonds de Londres (puis de
Paris, clochard ou plongeur dans un restau) pour en tirer une expérience et des
articles. Il devient enseignant, publie ses premiers romans, sans grand succès.
Dans les années 30, sa vision de la société se radicalise avec un reportage
sur les conditions de travail des mineurs, au nord de l’Angleterre. Il part en 1936 pour l'Espagne, combattre le nazisme, en revient blessé.
Socialiste de cœur, il conteste la ligne
directrice du parti communiste russe accusé de falsifier la réalité de la
guerre d’Espagne. Pacifiste, il s'oppose à la guerre au
motif que les démocraties européennes n’ont rien à envier au régime hitlérien,
surtout dans leurs colonies, gérées d’un gant de fer. Quand la Russie et
l’Allemagne signent leur pacte de non-agression en 1942, Orwell redécouvre les
joies du patriotisme anglais.
Reporter à la BBC, ou pour des journaux, il rédige
« La ferme des animaux » en 1944. Horrifié par la violence des
totalitarismes, il écrit « 1984 » en 1949, et
meurt l’année suivante de la tuberculose.
Ce
livre décrit un monde post-apocalyptique, regroupé en trois super-continents : l’Océania, L'Eurosia et l'Estasia. La société est organisée en castes, gouvernée par un parti
unique et totalitaire : l’angsoc (=anglais-socialisme) à la tête duquel
trône Big Brother, figure paternaliste. Le parti intérieur regroupe les
leaders, les théoriciens, l’élite. Le parti extérieur regroupe les
fonctionnaires, une classe semi-bourgeoise. Le reste, 85% de la population, ce
sont les prolétaires, les inutiles, la vermine.
Winston
Smith appartient au parti extérieur, il travaille au ministère de la Vérité. Son
quotidien est réglé à la minute près, sans cesse épié par le Parti,
qui a l’œil et les oreilles partout, grâce aux télécrans installés dans les
appartements, les rues, les magasins, les usines… Mais Winston tient secrètement un journal. C’est interdit. Consigner le présent,
signifie garder une trace. Et le Parti ne veut pas de trace, de mémoire, sauf
la sienne. C’est justement le travail de Winston au ministère : réécrire l’Histoire.
Si on annonce 10% de bénéfice dans un secteur, mais que le taux n’est que de
5%, alors toutes traces de la première annonce seront détruites. Tous les documents afférents seront falsifiés afin
qu’il ne reste qu’une vérité. C’est vrai aussi pour les ennemis. On les exécute et on les efface, comme s’ils n’avaient jamais
existé. Journaux réimprimés, notices, dictionnaires (la nov-langue, que chacun est sommé de maîtriser) photos, films,
romans, tableaux. On annule et on remplace…
Comme lorsque Staline purgeait son état-major, les galonnés éliminés étaient aussitôt effacés des photos officielles, aussi vite qu’une vergeture
est estompée d’une cuisse de mannequin avec PhotoShop, ou la clope de Lucky
Luke remplacée par un brin d’herbe… Davantage que le célèbre « Big Brother
is watching you », société bâtie sur l’espionnage, la délation, la
répression, il me semble que le thème central de « 1984 », c’est la
propagande poussée à son paroxysme. Le remplacement d’une vérité par une autre. La destruction de la mémoire collective, culturelle, intellectuelle.
Trait commun aux régimes d’Hitler, Staline, Mao, Khmer, voire de Daech.
Winston
a accès aux documents non autorisés. C’est pourquoi il s’intéresse à une
organisation clandestine, la Fraternité, dirigée par Emmanuel Goldstein. Considéré comme
un traitre, la population se doit de le vilipender lors des
séances quotidiennes, publiques et obligatoires des Deux minutes de la haine. Il y croise le regard de O’Brien, un cadre du Parti, homme influent, dangereux. Winston croit y déceler
une lueur, une affinité de pensée. Comme si O’Brien lui disait : on est semblable
tous les deux, je ne crois pas non plus à ses fadaises, mais chut, restons discrets...
Winston rencontre Julia, une
jolie brune de la ligue anti-sexe, sur laquelle il fantasme. George Orwell
orchestre autour de ces deux personnages un véritable suspens sentimental. Le
premier contact, la méfiance, la peur. Comment ne serait-ce qu'échanger un regard dans
un réfectoire où chaque voisin est un délateur potentiel ? Les rendez-vous clandestins, les parcours alambiqués pour échapper aux filatures, Winston et Julia s'aiment. Mais ils doivent sauvegarder les apparences. Winston a 39 ans, il a quelques souvenirs de l'avant Big Brother. Il aime trainer chez un vieil antiquaire, regarder les objets du passé. Avec mille précautions. Orwell arrive à nous faire ressentir la crainte, l’oppression des personnages, il arriverait presque à rendre son
lecteur paranoïaque ! Car Winston craint le crime de la pensée : le simple fait de nourrir une pensée contraire au dogme, est déjà un crime.
On suit le parcours de Winston et Julia, la prise de contact avec O'Brien. Le roman est riche en
rebondissements. Winston obtient le livre interdit, celui
du traitre Goldstein, et en commence la lecture.
C'est la deuxième partie de « 1984 » qui s’apparente plus à de la théorie géopolitique, assez complexe, mais surtout redondante. Orwell y développe les slogans de Big Brother « La paix c’est la guerre », « la liberté c’est l’esclavage », autant d’aphorismes auquel le bon peuple est prié d'adhérer. Les nazis écrivaient, eux « Le travail rend libre » au fronton d’Auschwitz.
C'est la deuxième partie de « 1984 » qui s’apparente plus à de la théorie géopolitique, assez complexe, mais surtout redondante. Orwell y développe les slogans de Big Brother « La paix c’est la guerre », « la liberté c’est l’esclavage », autant d’aphorismes auquel le bon peuple est prié d'adhérer. Les nazis écrivaient, eux « Le travail rend libre » au fronton d’Auschwitz.
Puis
c’est la troisième partie. Winston a été arrêté. Il est soumis pendant des
mois (lui même ne saurait dire combien de temps) à la torture, pour être rééduquer. On apprend qu’il était surveillé depuis 7 ans,
soit bien avant que le récit du roman ne commence. Ce qui rend, à postériori,
plus terrifiant encore ce qu’on a lu ! Apparait la notion du 2 + 2 = 5. La scène est odieuse. Effacer de son cerveau que 2 + 2 = 4, car ce qu'on croit savoir est faux, la mémoire n'est qu'un souvenir erroné. 2 + 2 = 5, puisque Big Brother l'a décidé. C'est la Vérité, le concept de la double-pensée : oublier et
réapprendre. Comme il faut oublier Julia, car y penser, l’aimer encore, signifie vivre sur son
passé.
C’est
un Winston détruit qui ressort du centre de détention, déclassé. Julia a subi
le même sort. Ils se sont dénoncés mutuellement, suppliant leurs tortionnaires
qu’on fasse souffrir l’autre à sa place - l'abominable supplice des rats. Julia et Winston se recroisent, mais les sentiments
ont disparu, ils ont été effacés. Winston n’essaie plus de repenser au passé. Il
a intégré la double-pensée. Pour son bien. Même guéri, il sait qu'il peut être exécuté d'un coup de fusil dans la nuque, au détour d'une rue. Big Brother châtie les traitres autant que ses adeptes. On doit craindre ou aimer Big Brother. Winston se sent libre, enfin, de pouvoir hurler : J’aime Big Brother !
« 1984 »
est le tableau terrifiant d’un régime totalitaire, vécu de l'intérieur, une oeuvre romanesque, très joliment écrire, et un pamphlet politique. On mesure encore aujourd'hui son influence, et en particulier celle de la figure de Big Brother, sur la littérature, le cinéma, les clips, la chanson. En dresser la liste serait exténuant !
Hommage à la Catalogne, ça dégoûte effectivement du PC à la sauce stalinienne à vie, pour ceux qui avaient encore des doutes.
RépondreSupprimerPas d'accord sur ce que tu dis à propos de la deuxième partie. Orwell est rien moins qu'un théoricien, du moins pas au sens où on l'entend habituellement. Il y a un petit bouquin de Bruce Bégout intéressant là-dessus, De la décence ordinaire.
Seconde partie qui détonne tout de même, nous ne sommes plus dans le "récit", mais effectivement, la théorie. Mais extrêmement redondante, puisque nous lisons le livre, puis nous entendons le personnage le lire, puis nous l'écoutons le lire à sa compagne... L'ensemble ayant déjà été évoqué dans la première partie du livre. Cette parenthèse aurait gagné à être plus courte, mais tu as raison, Orwell cherche davantage à théoriser qu'à écrire un "suspens" au sens romanesque du terme, ce qu'il réussit pourtant remarquablement bien dans la première et troisième partie du livre.
RépondreSupprimerThéoricien, oui, mais aussi bien probablement plus visionnaire que jamais. Hélas.
RépondreSupprimer"La destruction de la mémoire collective, culturelle, intellectuelle". Lorsque l'on consulte les programmes de télévision, en dépit de leur nombre sans cesse croissant, on se demande si cela n'a pas déjà commencé.
Le Déblocnot est donc plus que jamais d'intérêt universel !!
RépondreSupprimerEffectivement. Bon il reste une série qui fait de la résistance et qui passe tous les week-end sur France3 à 20H30. Bon je dis ça........
RépondreSupprimerUne série... France 3... Louis la Brocante ? Non, sans déc, laquelle ???
RépondreSupprimerHé, hé, pas loin. C'est vrai que ce fin limier de Loulou a aussi de belles moustaches.
RépondreSupprimerQuand Orwell a écrit 1984, c'était à la fois une dystopie et une critique au vitriol des totalitarismes des années 40 : le Regrettable Chancelier et le Petit Père (fouettard) des Peuples.
RépondreSupprimerDommage qu'au XXIème siècle un grand nombre de dirigeants auto-proclamés progressistes aient pris ce roman pour un manifeste politique...