- Ah M'sieur Claude, on voit que vous revenez d'une Thalasso… Une
      jaquette représentant la mer… Ça a fait du bien à vos vieilles douleurs
      ?
  - Merci Sonia de vous préoccupez avec tant d'à propos de ma petite santé…
      Oui, ça requinque, mais du coup je propose un article court faute de
      temps…
  - En Saga de Sibelius ? Un conte épique avec des cadavres plein les lacs
      et les forêts de Finlande ?
  - Drôle de vision de ce compositeur ma belle. Et bien non pas de
      programme littéraire pour ce poème symphonique, mais une ambiance de
      légende, de saga…
  - On a déjà rencontré Vladimir Ashkenazy dans la 2ème
      symphonie de Rachmaninov il y a quatre ans. Une belle interprétation à
      coup sûr…
  - En effet, extrait d'une intégrale symphonique moins réputée que
      d'autres, et c'est dommage car le style est vaillant et la prise de son
      somptueuse…  
  2 heures plus tard…
  - Heuu M'sieur Claude, c'est ça que vous appelez un article court ?
  - Ben voyez-vous Sonia, quand on aime on ne compte pas, je me suis laissé
      entraîner par mon sujet !
  
  J'ignore d'où Sonia sort cette histoire de cadavres voguant sur les lacs ou
    accrochés aux conifères finlandais. Je sais bien que
    Sibelius
    s'est abondamment inspiré des légendes héroïques et sauvages du cycle du
    Kalevala, une épopée composée
    au XIXème siècle par
    Elias Lönnrot, une œuvre d'une
    importance capitale de la culture finnoise. Certes, dans La
    Kullervo symphonie
    ou la
    Suite de Lemminkäinen
    les héros connaissent une fin tragique très shakespearienne, mais nous ne
    sommes pas non plus sur les champs de bataille de l'antiquité ou des guerres
    napoléoniennes… J'évoque ici deux grandes partitions nourries de ces
    légendes et dont je parlerai un jour.
  
  Mythes et légendes du
    Kalevala présentent à leur
    manière des similitudes avec la littérature médiévale européenne comme les
    récits de Chrétien de Troyes : Perceval et la quête du roi Arthur, sans
    parler d'autres auteurs et différents personnages comme Robert le diable…
    Dans tous les cas un univers plutôt violent très prisé à l'époque
    romantique.  
  Essayons de cerner les différentes étapes qui jalonnent la création de la
    version définitive de
    En saga
    en 1902. Pour approcher la
    personnalité et l'importance de
    Sibelius
    dans le postromantisme, mais pas que, je vous invite à lire une biographie
    présente dans un billet consacrée à la 4ème symphonie
    (Clic)… Au sujet de ce risque de limiter le rôle de
    Sibelius
    à un simple apport dans le romantisme tardif,
    j'avais insisté sur les approches modernistes du compositeur avant qu'il ne
    se mure dans le silence (et un peu la boisson) dans deux articles, celui
    dédié à sa
    7ème symphonie
    (Clic)
    de 1924 et un autre présentant
    son ultime œuvre orchestrale : le poème symphonique
    Tapiola
    en 1926
    (Clic).
  
  Pendant toute sa carrière active,
    Sibelius
    puisera son inspiration dans le
    Kalevala, même après la
    composition de ses premières symphonies, œuvres de musique pure bien qu'aux
    accents expressionnistes reflétant la beauté énigmatique et la noblesse
    sombre des paysages de Finlande. On peut citer deux poèmes symphoniques
    moins connus que
    En
    Saga
    ou
    Tapiola
    :
    La Fille de Pohjola
    (1906) pour orchestre très
    rutilant, ou encore
    Luonnotar
    (1913) pour soprano et
    orchestre, les titres étant ceux, on le devine, de personnages de cette saga
    légendaire.
  
  Composée en 1891 pour une
    création en avril 1892, la
    grande fresque symphonique
    Kullervo
    posait problème. L'ouvrage dure une grande heure, son exécution est ardue et
    requiert des solistes et un chœur d'hommes, plus un oratorio profane sur des
    textes du Kalevala qu'une
    symphonie au sens traditionnel du terme… Curieusement, le compositeur la
    rejettera et elle ne sera rejouée dans son intégralité qu'en
    1958. Est-ce que
    Robert Kajanus, chef d'orchestre proche du compositeur a joué un rôle dans la mise au
    rencart de la vaste partition ? C'est possible, en cette fin du XIXème
    siècle, peu d'orchestres nordiques maitrisaient facilement de tels
    effectifs.
    Robert Kajanus
    commande une pièce de dimension plus modeste. À partir d'ébauches diverses
    dont un septuor,
    Sibelius
    compose un poème symphonique qui avec sa vingtaine de minutes n'est pas
    vraiment si modeste que cela dans son ambition. L'orchestration est assez
    colorée.
  
  Comme pour
    Kullervo, les musiciens font la moue devant cette œuvre sans programme (eh oui !)
    et s'opposent à sa création.
    Robert Kajanus
    se fâche et l'œuvre est créée par le compositeur au pupitre en février
    1893 (juste pour cette pièce
    dans un concert dirigé par ailleurs par
    Kajanus). Le succès est moyen, le public aime pouvoir se référer à un récit, un
    héros, des péripéties. N'oublions pas que nous sommes à l'époque où le
    bavarois
    Richard Strauss
    suit une voie similaire avec des poèmes symphoniques illustrant les
    aventures de
    Don Juan
    ou
    Till l'espiègle.
  Si
    Sibelius
    n'a jamais défini par écrit ou verbalement ses intentions quant à un
    programme – ce qui est contraire au concept même de poème symphonique – on
    ne peut nier qu'à l'écoute les épisodes évoquent le climat général épique,
    guerrier et passionné du
    Kalevala. Une fois de plus,
    l'œuvre est un peu oubliée, mais c'est sans compter l'intérêt que lui
    portera
    Ferruccio Busoni, pianiste virtuose et compositeur italien, qui vient d'être fasciné par la
    création de la
    2ème
    et imposante
    symphonie
    du finlandais
    (Clic). Nous sommes en 1902. Il
    demande à son confrère d'inscrire
    En
    Saga
    au répertoire.
    Sibelius
    qui joue désormais dans la cour des grands revoit la copie vieille de dix
    ans et le poème symphonique va prendre la forme définitive et populaire que
    nous lui connaissons.
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Dans la version définitive, l'orchestration est celle de l'orchestre
    romantique enrichie de quelques percussions :
  2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes en si et en la, 2 bassons, 4 cors en
    fa, 2 trompettes en fa, 3 trombones, timbales, grosse caisse, triangle,
    cymbales et cordes.
    (Partition)
  Le pianiste virtuose devenu un maestro de renom
    Vladimir Ashkenazi
    a toujours bien servi la musique slave et ici nordique. Certainement ses
    origines russes expliquent cela. J'avais signalé son excellente intégrale
    des concertos si difficiles de
    Prokofiev il y a quelques semaines. Par ailleurs, pour une biographie détaillée de
    cet immense artiste tout jeune octogénaire, rendez-vous à l'article consacré
    à la
    Symphonie n°2
    de
    Serge Rachmaninov,
    Vladimir Ashkenazi
    dirigeant le
    Concertgebouw
    d'Amsterdam
    (Clic).
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  L'œuvre, comme la plupart des poèmes symphoniques, se présente de manière
    monolithique, enchaînant des épisodes contrastés. Le chant lointain des
    quatre cors pp appuyé par le
    basson, se fait entendre, incantation accompagnée par des trilles des
    violons, arpégées pour les seconds violons, les altos et les violoncelles.
    Le style de
    Sibelius
    dans sa quintessence : une aube mordorée, la brume sur les lacs, les esprits
    qui veillent dans les forêts lieux de mystères et de drames fabuleux à
    venir. En l'absence de programme, le compositeur fait appel à notre
    imaginaire et à notre connaissance même occidentalisée des légendes de son
    pays, de sa littérature chevaleresque…
           
         | 
      
| XXXXX | 
  [7:55] Le frémissement des cordes tranche par son style glaçant avec la
    générosité sonore du passage concertant qui suit : l'évocation d'une
    bataille d'un âge ancien ? [9:46] Retour du leitmotiv au violoncelle. Si les
    poèmes symphoniques de
    Liszt
    apparaissent toujours un soupçon délayés et tonitruants, rien de tel dans
    cet ouvrage, notamment à l'écoute de la fascinante diversité mélodique et
    orchestrale de ce passage central. [12:22] Quelques violons en pleur nous
    renvoient aux drames amoureux, à la mort de nombreux héros qui clôt de
    nombreuses épopées abandonnant des mères et des bien-aimées éplorées.
    [14:08] La mort des héros est souvent précédée de chevauchées insensées que
    l'on entend ici. Folies symphoniques qui établissent un trait d'union
    sauvage avec un autre poème :
    Chevauchée nocturne
    et
    lever de soleil
    (Clic). [15:52] Le chant plaintif du hautbois introduira une coda à la fois
    mortifère et élégiaque. La scansion initiale se fait entendre une ultime
    fois mais aux cordes graves. Un poème symphonique d'une densité musicale
    d'exception qui préfigure, à durée égale, la
    7ème symphonie
    et
    Tapiola
    qui mettront fin à la création chez
    Sibelius
    dans les années 20, chef-d'œuvre ultimes avant 30 ans de renoncement…
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Pas de programme défini,
    Sibelius
    nous invite à improviser notre voyage astral dans la nature abrupte de la
    Finlande et sa mythologie. Après une genèse chaotique
    En
    Saga
    est devenue une valeur sûre du concert et du disque. J'avais pu l'entendre
    sous la baguette de
    Paavo Berglund
    en ouverture d'un concert au TCE fin des années 70' à une époque ou
    Sibelius
    n'était pas encore très apprécié dans l'Hexagone. Wikipédia propose une
    liste très exhaustive de gravures. De par sa durée, on trouve ce poème
    symphonique en complément des disques consacrés aux symphonies ou diverses
    anthologies. Parmi les intégrales,
    Kurt Sanderling nous propose une vision survoltée et une prise de son de l'orchestre symphonique de Berlin
    d'exception. Le choix ne manque donc pas, et voici quelques disques
    originaux par leur programme :
  Wilhelm Furtwängler
    a souvent dirigé de belle manière le compositeur finlandais qui lui-même
    s'imposait comme un compositeur majeur dans la culture musicale germanique
    (et yankee). Une captation en live de
    1942 donne au chef illustre
    l'occasion de magnifier les contrastes de l'œuvre grâce à son habituel
    rubato. Fantasmagorique, mais le son est d'un autre âge, on s'en doute ;
    pour les énigmatiques roulements
    ppp de cymbale, c'est mort. On
    tousse beaucoup en 1942
    😁
    (DG – 5/6). Les compléments
    sont appropriés et captivants :
    Till l'espiègle
    de
    Strauss
    cité dans l'article et la
    deuxième suite de Daphnis et Chloé
    de
    Ravel. Un programme épique et mythologique cohérent qui me fait attribuer 6/6 à
    l'ensemble.
  En stéréo, on appréciera le trait acéré de
    Okko Kamu
    que nous avions déjà entendu dans une
    2ème symphonie
    qui n'a pas pris une ride par sa vaillance (DG
    – 5/6). Un double album comportant divers poèmes symphoniques dont
    quelques-uns dirigés par
    Eugen Jochum
    bien que ce n'était pas son répertoire de prédilection.
  Autre programme en album isolé :
    Tapiola
    et
    En saga
    couplés à une sélection de
    lieder, très original de la part de
    Hannu Lintu
    dirigeant l'orchestre de la radio finlandaise.
        (Ondine - 4/6).
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Pour les amateurs de jeux des "sept erreurs", en bonus : les deux
    versions dirigées par
    Osmo Vänskä à la tête de l'orchestre symphonique de Lahti (Naxos) ; on commence par la version originale de 1892 puis à 22:32,
    on continue par celle de 1902.










Effectivement, article court... Mais superbe ! Et tu appelles Sonia "ma belle" ? Hum... Je comprends mieux maintenant pourquoi elle passe des heures dans ton bureau, sous prétexte de s'éduquer... J'attends encore les photocopies des notes de frais du mois de juin... 2016. Mais bon, si c'est pour éduquer... Comme disait Belmondo dans "Pierrot le fou" quand sa femme lui reproche d'amener sa fille au cinéma voir "Johnny Guitar" au lieu d'aller à l'école : "il faut bien qu'elle s'éduque" !
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