vendredi 15 mars 2019

MIDNIGHT SPECIAL de Jeff Nichols (2016) par Luc B.


J’aime beaucoup le cinéma de Jeff Nichols, américain, 40 balais, 5 films au compteur. On a déjà parlé de lui à l’occasion de TAKE SHELTER (2011) et MUD, SUR LES RIVES DU MISSISSIPPI (2012). Une écriture et des ambiances bien à lui. MIDNIGHT SPECIAL (comme la chanson de Leadbelly, bien qu’elle n’apparaisse que très revisitée au générique de fin) a été tourné en 2014, et a mis deux ans à arriver sur nos écrans. Entre temps, Nichols avait réalisé LOVING (2016), si bien qu’il s’est retrouvé avec deux films projetés la même année. Pourquoi ce délai ? Parce que MIDNIGHT SPECIAL est un objet hybride, entre film d'auteur et fantastique, que les studios n’ont pas su distribuer. Les cons !
Magnifique entrée en matière. Intérieur nuit, chambre d’hôtel, télé allumée sur les infos où on diffuse l’avis de recherche pour un gamin de 10 ans. Il s’appelle Alton Meyer. Et se trouve justement dans la chambre en question, sous la garde de deux hommes, qui l’embarquent aussitôt en bagnole. Ce qui intrigue l’employée de nuit de l’hôtel... Ils doivent avoir des trucs à se reprocher, ces deux mecs, pour conduire de nuit tout phares éteints, des lunettes infra-rouge sur le nez… Il y a Lucas au volant, et Roy, que le gamin appelle papa. Moins ravisseurs que protecteurs ?  
Deuxième séquence : le FBI fait une descente dans une assemblée religieuse, le "Ranch". Le prédicateur-gourou s’appelle Calvin Meyer. Tiens, comme le môme... Il prétend être le père adoptif d'Alton. Mais juste avant l’arrivée du FBI, il avait confié comme mission à deux sbires patibulaires de « retrouver le gamin, et sous quatre jours, avant la date fatidique ». Hum... Alton doit être sacrément précieux pour être protégé / pourchassé, sans qu'on sache pour le moment qui lui veut du bien, qui lui veut du mal... 
Débarque dans l’équation les services secrets. La NSA. L’enfant recherché serait en possession de secrets d’état d’une telle importance que la peine encourue pour les détenir n’existe même pas dans le code pénal ! Calvin Meyer, lui, ne parle pas de secrets d'état, mais de  « paroles de Dieu ». Mazette, rien que ça ?  
Ce film m’évoque trois réalisateurs. Le Spielberg de RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE (hommage assumé) le John Carpenter de STARMAN ou du VILLAGE DES DAMNES, et le Terrence Malick qui filme si bien le mysticisme de la nature. Par moment aussi le Eastwood d'UN MONDE PARFAIT. Mais Spielberg est la référence qui marque le film (Nichols a grandi avec E.T. c’est certain !) dans l’aspect complotiste de l’état, la manifestation du surnaturel dans ce qu’elle a de plus quotidien. Pas d’effets spéciaux spectaculaires, mais utilisés avec parcimonie.
D’ailleurs, quand les yeux du gamin projettent des rayons lumineux (là on pense à Carpenter) ce sont de véritables LED collés à ses paupières, pas un effet en post-production. Le fantastique chez Nichols sonne vrai, réel. Alors que Lucas, Roy et Alton sont dans une station-service, ils subissent une attaque d’aliens, ça explose de partout, par Toutatis, la foudre tombe du ciel ! A moins que ce ne soit qu'un satellite météo qui s’est cassé la gueule… La frontière entre réel et fantastique est fine.
Tout le périple avec l’enfant se passe de nuit, pour éviter les barrages de police, certes, mais pas que. Ca ajoute au mystère, à la clandestinité. Le gamin porte sans cesse des lunettes opaques le protégeant de la lumière du jour. Pourquoi ? Alton est le secret le mieux gardé d’Amérique après les comptes en banque de Trump. Leitmotiv de Roy qui répète « il est plus important ». Qui est ce gamin aux pouvoirs surnaturels ? Très beau plan lors d'un interrogatoire filmé par caméra. Sur l'écran de contrôle, Alton est assis sur sa chaise, mais quand on regarde dans la pièce, il est debout... La caméra passe d'une image à l'autre. C’est tout bête, mais ça marche !  
Il y a une petite chute de rythme au deux tiers du film, mais l’action est relancée avec l’attaque au motel. Jeff Nichols n’est pas Spielberg, il n’en a pas les moyens (financiers) pas boom boom badaboum avec le tintamarre de John Williams, mais la violence frappe vite, juste, et la dernière partie instille une jolie tension. On ne sait pas où ils veulent en venir, mais on veut y arriver avec eux ! Même si au final la révélation ne surprend pas tellement, faut dire qu’on en a vu d’autres dans le genre. Je crois que Nichols aurait dû préserver davantage de mystère, jouer l’économie, comme dans TAKE SHELTER, justement.
Qui a comme point commun la présence à l’écran de l’acteur Michael Shannon (de tous les films du cinéaste), on y croise aussi le grand Sam Shepard, les excellents Kirsten Dunst (la mère d'Alton) et Adam Driver (l'expert de la NSA), Joel Edgerton, tous absolument formidables. MIDNIGHT SPECIAL n’est sans doute pas le meilleur film de son auteur, mais ce mélange de SF, hommage aux 80’s, road movie, et dans lequel Jeff Nichols parle encore une fois de la famille, du lien à l’enfant (inspiré par le soir où il a dû conduire son fils aux urgences), possède son lot d’étrangeté, de suspens, et de beaux moments de mise en scène. Et démontre qu’on n’a pas forcément besoin de 300 millions de budget et de numérique à gogo pour faire naître le mystère et le fantastique.
Joli film. A voir en famille.

Bon, une bande annonce comme d'hab', minable et plein d'effets... Il faut savoir qu'un metteur en scène n'a pas la main sur ses bandes annonce, sauf si on s'appelle Kubrick ou Hitchcock, c'est le distributeur qui fait son truc, pour "vendre" son produit au public, attirer le client, quitte à dénaturer l'oeuvre (dans 90% des cas). Le film vaut mieux que ça...




couleur  -  1h50  -  format scope 1:2.35

2 commentaires:

  1. Bon film, même si j'ai trouvé la fin pas terrible, un décalque de celle de "Rencontre ..." de Spielberg en moins poétique. Un peu de "AI" de Spielberg aussi, un zeste de "6ème sens", ceux que tu cites aussi (je te fais confiance, soit je les ai pas vus, soit je m'en souviens pas), mais mieux amenés que le final à mon sens ... scénario prenant en tout cas ...
    J'avais préféré "Mud", le "Stand by me" des années 2010, le minot qui flirte avec les interdits ...

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  2. "Mud" j'ai vraiment beaucoup aimé, ce mélange de conte initiatique et de polar Noir. "Take shelter" est formidable aussi, je conseille, très prenant avec trois fois rien, étrange, angoissant et fascinant. Okay avec toi sur la fin de celui-ci.

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