samedi 30 mars 2019

RIMSKY-KORSAKOV - Le coq d'or (1907) suite (1913) – David ZINMAN (1990) - par Claude Toon



- Cocoricooooo !! Vous élevez des poules et un coq M'sieur Claude dans votre bureau ? Je plaisante mais ce trait de trompette est pour le moins évocateur…
- Non Sonia, sinon il faudrait aussi le tas de fumier… M'sieur Luc serait furieux hihihi hahaha hehehe. C'est l'ouverture du coq d'or de Rimski-Korsakov, un opéra et une suite…
- C'est le compositeur de Shéhérazade, une symphonie à programme que j'adore, Sindbad le marin, une princesse, des aventures, une orchestration très colorée…
- Oui mon petit, une chronique déjà ancienne sur l'œuvre la plus populaire du compositeur russe… Nos écoutons aujourd'hui une suite tout aussi orientalisante.
- Nous avions déjà évoqué le maestro David Zinman. Il dirigeait la symphonie des chants plaintifs de Górecki, il avait vendu des millions d'exemplaires de ce disque bouleversant !
- Oui, un chef américain octogénaire qui a dirigé l'orchestre de la Tonhalle de Zurich pendant vingt ans, un ex assistant de Pierre Monteux, tout cela ne me rajeunit pas…

Rimski-Korsakov vers 1907
Quatrième chronique consacrée au maître du "groupe des cinq" compositeurs russes qui marquèrent l'histoire de la musique russe à la fin du XIXème siècle. Je les citais également lors de l'article sur la 2ème symphonie de Tchaïkovski il y a quelques semaines. Oui, maître de l'orchestration en ce qui concerne Rimski-Korsakov, tout comme Berlioz en France quelques décennies auparavant. Rimski-Korsakov enrichit considérablement l'effectif des vents, des cuivres et des percussions de l'orchestre romantique. Par ailleurs, sans réellement sortir du principe de la tonalité classique, il travaille sur les timbres et les couleurs des associations instrumentales. Ses élèves seront nombreux et bien formés. Le plaisir d'écouter le charme enluminé des ouvrages pour petits ou grands orchestres du compositeur italien Ottorino Respighi est dû en grande partie à l'enseignement reçu par ce dernier en Russie. (Index)
Dans l'index, déjà trois œuvres majeures sont présentes : la grande symphonie orientaliste Shéhérazade, une autre symphonie à programme, Antar, et une œuvre plus courte mais survoltée, le Capriccio Espagnol. Deux lignes de force parcourent ces partitions : une orchestration luxuriante (fête à Bagdad), une caractéristique qui ne surprend pas en regard des remarques précédentes, mais aussi un goût prononcé pour les mythes et légendes orientales et la musique ibérique (une tendance de mode au tournant du siècle (Ravel et Debussy en France). Les contes des mille et une nuits mettant en scène Shéhérazade la princesse conteuse ne terminant jamais ses récits pour sauver sa tête sont universellement connus. Antar est une épopée chevaleresque datant des temps de l'expansion de l'islam. Le coq d'or n'est pas une symphonie mais un opéra qui conjugue conte fantastique et satire du tsarisme, et ce ne se sera pas du goût du régime monarchique de Nicolas II déjà au bout du rouleau…
Une biographie de Rimski-Korsakov est à lire (Ici), on notera un point commun avec le compositeur français Albert Roussel : tous les deux ont été des officiers de marines avant de se tourner de manière plus ou moins autodidacte vers la composition…
Très connu pour les œuvres déjà citées, Rimski-Korsakov a également composé 14 opéras. Moins célèbres que ceux de Verdi, Puccini ou Tchaïkovski, mais on doit néanmoins rappeler quelques opus majeurs : La Fiancée du tsar, Le Conte du tsar Saltan (également décliné en suite) et le dernier composé en 1907 : Le coq d'or, ces deux derniers ayant été inspirés d'œuvres de Pouchkine.
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David Zinman
Synopsis de Le coq d'or : Le livret est décliné d'un poème de Pouchkine de 1834 qui brocardait le tsar Nicolas 1er, personnage réactionnaire et dictatorial pendant le règne duquel la Russie ne connut que stagnation économique et autocratisme. C'est un conte fantasmagorique qui met en scène un tsar lâche, libidineux et menteur. De là à penser que Rimski-Korsakov dresse une caricature du système quasi féodale russe et du tsar Nicolas II, il n'y a qu'un pas. En Russie, bien avant la révolution d'octobre, la révolte gronde, notamment depuis le massacre des manifestants grévistes pacifiques au Palais d'hiver de Saint-Pétersbourg en 1905 qui fit des centaines de morts et de blessés, peut-être plus. Les intellectuels ont été choqués par cette brutalité. Pour plus de détail, voire l'article dédié à la symphonie N°11 "1905" de Chostakovitch (Clic).
L'opéra comporte une ouverture, un prologue et trois actes. L'ouverture reprise dans la suite est suivie d'une annonce par l'astrologue de la cour expliquant qu'il s'agit d'une fable qui aura donc une morale…
Le tsar Dodon flippe de peur que sa rivale, la belle reine Tsaritsa du pays de Shemakha voisin, n'attaque son empire. Son astrologue lui offre un coq d'or magique qui doit chanter quand le pays est en danger. Dodon devra le rétribuer quelque soit le prix. Par précaution, Dodon envoie guerroyer ses deux fils Gvidon et Avron ; deux crétins qui arrivent à s'entretuer pendant la bataille… Passons sur moult détails… Le coq va rendre fou amoureux Dodon de Tsaritsa pour éviter des pertes humaines inutiles et injustes en imposant la paix. On envisage un mariage ! Mais l'astrologue réclame son dû, en l'occurrence Tsaritsa (elle doit-être très séduisante 😋). Rompant son serment, Dodon tue l'astrologue, mais le coq tue Dodon
Tout cela n'était que mirage. Seuls l'astrologue et Tsaritsa sont réels. Une fable sur la bêtise d'un tsar, de ses fils et sur la trahison de Dodon. L'opéra composé en 1907 ne sera joué qu’après la mort de Rimski-Korsakov en 1909 du fait de la censure.
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David Zinman voit le jour à New-York en 1936. Il révèle un don précoce comme violoniste au conservatoire d'Oberlin dans l'Ohio. Puis il complète ses études de composition à l'université du Minnesota jusqu'en 1963. Précédemment, il travaille avec Pierre Monteux entre 1958 et 1962, Monteux le créateur du Sacre du printemps est alors directeur de l'Orchestre symphonique de Boston. David Zinman l'assiste jusqu'en 1964. Il choisit ainsi la carrière de Maestro et va occuper ses postes souvent pendant de longues durées : l'Orchestre philharmonique de Rochester de 1974 à 1985, l'Orchestre symphonique de Baltimore de 1985 à 1998. (Il nous fait redécouvrir les symphonies de Beethoven en suivant les partitions de la nouvelle édition critique Bärenreiter portant sur la nature des tempos et des effectifs de cordes, la révélation d'un Beethoven plus allègre.)
Il conduira également l'Orchestre philharmonique de Rotterdam de 1979 à 1982. Un ensemble excellent que nous écoutons aujourd'hui. Enfin, consécration, il devient le chef de l'orchestre de la Tonhalle de Zürich en 1995. Il occupera ce poste près de 20 ans, avant de confier la baguette à Lionel Bringuier en 2014.
Sa discographie est abondante. Notons une intégrale Beethoven pleine d'allant, reflet de ses travaux musicologiques sur ce sujet et une intégrale des symphonies de Mahler là encore aux options originales qui divisent, mais la musique du compositeur autrichien permet de si nombreuses lectures… Et bien entendu la poignante symphonie N°3 de Górecki qui, à la grande surprise des producteurs, fit un tabac bien au-delà de la sphère des mélomanes "classiques", musique de douleur et de méditation commentée dans ce blog. (Clic)
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Décor de l'acte 2 en 1909
Dans la suite tirée de Le coq d'or et compilée en 1913 par A. Glazounov et M. Shteynberg, l'orchestration de l'opéra est conservée. Elle est rutilante comme on pouvait le supposer et n'a rien à envier à celle d'un Richard Strauss, voire d'un Gustav Mahler :
1 piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes et clarinette basse, 2 bassons et contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 1 trompette contralto, 3 trombones et 1 tuba, timbales, triangle, caisse claire, grosse caisse, tambourin, glockenspiel, cymbales, xylophone, tam-tam, célesta, 2 harpes et les cordes.
1 - Le tsar Dodon dans son palais (Ouverture, apparition de l'astrologue, sommeil de Dodon) : Un motif simulant le chant du coq jaillit à la trompette ff ! Un coq vaillant, fier, monté sur ses ergots pour rappeler qu'il sera le maître du jeu tragique… Un allegro de cinq notes en do majeur. [V1-0:14] Mi bémol majeur dès la mesure cinq pour évoquer l'apparente quiétude du Palais de Dodon. Les cordes s'imposent, mais les bois vont intervenir rapidement en complicité avec les harpes pour tisser un climat de nuit orientale, torride, songeuse voire lascive [V1-0:58]. (On pensera que les tsars ont déménagé en orient, bizarre, mais c'est la mode.) Tout le mouvement voit défiler des citations de l'opéra. La variété de la thématique invite à la féérie. Les passages sont courts et les changements de tonalités incessants. Il n'y a pas de programme très précis. On se laisse porter par l'essence charmeuse et la beauté des mélodies et surtout par la féérie de l'orchestration.
Projet de costume pour le coq
[V1-1:36] Bel exemple de cette orchestration chamarrée que le chant fantasmagorique des flûtes. [V1-3:40] Les idées et motifs très lyriques et colorées témoignent du souci de Rimski-Korsakov d'illustrer musicalement avec brio un opéra à une époque où la voix semble être trop souvent la vedette. [V1-5:36] Retour de traits aux couleurs énigmatiques mêlant diverses suggestions de leitmotiv : la magie, la guerre, la malfaisance du tsar. Les deux compositeurs (Glazounov, Shteynberg), fidèles à l'esprit imaginatif mais rigoureux de Rimski-Korsakov, construisent la suite à partir de l'ouvrage de leur maître à la manière d'une symphonie à programme et non comme un simple collage d'extraits choisis. La direction de David Zinman se révèle fluide, contrastée.
2 - Le tsar Dodon en campagne : La seconde partie introduit une ambiance militaire à l'aide des bassons suivis de la clarinette basse et de hululements criards des flûtes et picolo ; une marche modérément guerrière. En écrivant la suite, les deux compères transcripteurs rappellent que la bataille n'est guère violente, que la tristesse de la mort stupide des fils ne mérite qu'un traitement musical bien sombre et bien peu héroïque…
3 - Le tsar Dodon et la danse de la  reine Tsaritsa : découpé en plusieurs parties, le troisième mouvement voit se succéder une danse lascive aux cordes, celle de la reine, puis un passage festif et à la rythmique diabolique illuminée par le son du tambourin, du célesta ou encore du triangle. On ne pourra pas éviter de penser que la richesse mélodique inouïe, rare dans un opéra postromantique, renvoie aux enchantements instrumentaux de Shéhérazade ou du Capriccio Espagnol. Les percussions comme la grosse caisse ou les cymbales seront bien sollicitées dans une coda presque improvisée.
4 - La noce, la mort pathétique du tsar Dodon tué par le Coq : Le final (appelons-le ainsi) débute fébrilement, comme annonciateur des turpitudes de Dodon. Là encore la variété des motifs, les contrastes de timbres, l'articulation impétueuse égayent cette partition qui n'est aucunement un "sous-produit" de l'opéra. Une suite symphonique à part entière avec, notons-le en passant, une partition de trompette farouchement virtuose. Les conflits et morts qui concluent le conte se traduisent par un cataclysme orchestral concertant et sauvage. La gaité finale démontre que tout cela n'était qu'une fable… Hum, à savoir !
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La relative brièveté de la suite en fait un complément de diverses compilations. Impossible de passer sous silence l'interprétation fiévreuse d'Igor Markevitch de 1959 avec l'Orchestre des concerts Lamoureux et que l'on trouve dans une anthologie de 2 CD permettant de découvrir l'univers de Rimski-Korsakov dont une Shéhérazade épique et sensuelle par Karajan, double album déjà mentionné par le passé (Clic). Sinon un album simple réédite cette gravure associée à diverses œuvres peu connues de quatre autres compositeurs russes (DG – 5/6).
Deux autres parutions plus récentes s'affranchissent des hits de Rimski-Korsakov au bénéfice d'ouvertures et de suites tirées des opéras du maître. En premier lieu un album signé Evgeny Svetlanov avec l'Orchestre symphonique d'URSS. En second lieu, Neeme Järvi et son Orchestre national d'Écosse a enregistré sur 2 CD un grand nombre de musiques toujours extraites des opéras ; original, prise de son un peu timide, mais aucune concurrence dans ce répertoire décidément très coloré (Chandos – 4/6).

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