-
Cocoricooooo !! Vous élevez des poules et un coq M'sieur Claude dans votre
bureau ? Je plaisante mais ce trait de trompette est pour le moins évocateur…
- Non Sonia,
sinon il faudrait aussi le tas de fumier… M'sieur Luc serait furieux hihihi hahaha hehehe. C'est l'ouverture du coq d'or de
Rimski-Korsakov, un opéra et une suite…
- C'est le
compositeur de Shéhérazade, une symphonie à programme que j'adore, Sindbad le
marin, une princesse, des aventures, une orchestration très colorée…
- Oui mon
petit, une chronique déjà ancienne sur l'œuvre la plus populaire du compositeur
russe… Nos écoutons aujourd'hui une suite tout aussi orientalisante.
- Nous avions
déjà évoqué le maestro David Zinman. Il dirigeait la symphonie
des chants plaintifs de Górecki, il avait vendu des millions d'exemplaires de ce disque bouleversant !
- Oui, un
chef américain octogénaire qui a dirigé l'orchestre de la Tonhalle de Zurich
pendant vingt ans, un ex assistant de Pierre Monteux, tout cela ne me rajeunit
pas…
Rimski-Korsakov vers 1907 |
Quatrième chronique consacrée au maître du "groupe
des cinq" compositeurs russes qui marquèrent l'histoire de la musique russe
à la fin du XIXème siècle. Je les citais également lors de l'article sur la 2ème
symphonie de Tchaïkovski il y a quelques
semaines. Oui, maître de l'orchestration en ce qui concerne Rimski-Korsakov, tout comme Berlioz en France quelques décennies
auparavant. Rimski-Korsakov enrichit
considérablement l'effectif des vents, des cuivres et des percussions de
l'orchestre romantique. Par ailleurs, sans réellement sortir du principe de la
tonalité classique, il travaille sur les timbres et les couleurs des
associations instrumentales. Ses élèves seront nombreux et bien formés. Le plaisir d'écouter
le charme enluminé des ouvrages pour petits ou grands orchestres du compositeur
italien Ottorino Respighi est dû en
grande partie à l'enseignement reçu par ce dernier en Russie. (Index)
Dans l'index, déjà trois œuvres majeures sont
présentes : la grande symphonie orientaliste Shéhérazade, une
autre symphonie à programme, Antar, et une œuvre plus courte mais
survoltée, le Capriccio
Espagnol. Deux lignes de force parcourent ces partitions : une
orchestration luxuriante (fête à Bagdad),
une caractéristique qui ne surprend pas en regard des remarques précédentes,
mais aussi un goût prononcé pour les mythes et légendes orientales et la
musique ibérique (une tendance de mode au tournant du siècle (Ravel et Debussy
en France). Les contes des mille et une nuits mettant en scène Shéhérazade la princesse conteuse ne
terminant jamais ses récits pour sauver sa tête sont universellement connus.
Antar est une épopée chevaleresque datant des temps de l'expansion de l'islam. Le coq d'or
n'est pas une symphonie mais un opéra qui conjugue conte fantastique et satire du tsarisme,
et ce ne se sera pas du goût du régime monarchique de Nicolas II déjà au bout du rouleau…
Une biographie de Rimski-Korsakov
est à lire (Ici),
on notera un point commun avec le compositeur français Albert
Roussel : tous les deux ont été des officiers de marines avant
de se tourner de manière plus ou moins autodidacte vers la composition…
Très connu pour les œuvres déjà citées, Rimski-Korsakov a également composé 14
opéras. Moins célèbres que ceux de Verdi,
Puccini ou Tchaïkovski,
mais on doit néanmoins rappeler quelques opus majeurs : La
Fiancée du tsar, Le Conte du tsar
Saltan (également décliné en suite) et le dernier composé en 1907 : Le coq d'or, ces deux
derniers ayant été inspirés d'œuvres de Pouchkine.
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David Zinman |
Synopsis de Le coq d'or :
Le livret est décliné d'un poème de Pouchkine
de 1834 qui brocardait le tsar Nicolas 1er, personnage
réactionnaire et dictatorial pendant le règne duquel la Russie ne connut que
stagnation économique et autocratisme. C'est un conte fantasmagorique qui met
en scène un tsar lâche, libidineux et menteur. De là à penser que Rimski-Korsakov dresse une caricature du
système quasi féodale russe et du tsar Nicolas
II, il n'y a qu'un pas. En Russie, bien avant la révolution d'octobre, la
révolte gronde, notamment depuis le massacre des manifestants grévistes pacifiques
au Palais d'hiver de Saint-Pétersbourg en 1905
qui fit des centaines de morts et de blessés, peut-être plus. Les intellectuels
ont été choqués par cette brutalité. Pour plus de détail, voire l'article
dédié à la symphonie N°11 "1905"
de Chostakovitch (Clic).
L'opéra comporte une ouverture, un prologue et trois
actes. L'ouverture reprise dans la suite est suivie d'une annonce par
l'astrologue de la cour expliquant qu'il s'agit d'une fable qui aura donc une morale…
Le tsar Dodon
flippe de peur que sa rivale, la belle reine Tsaritsa du pays de Shemakha voisin,
n'attaque son empire. Son astrologue lui offre un coq d'or magique qui doit chanter quand
le pays est en danger. Dodon
devra le rétribuer quelque soit le prix. Par précaution, Dodon
envoie guerroyer ses deux fils Gvidon
et Avron ; deux crétins qui arrivent à
s'entretuer pendant la bataille… Passons sur moult détails… Le coq va rendre fou amoureux Dodon de Tsaritsa
pour éviter des pertes humaines inutiles et injustes en imposant la paix. On envisage un mariage ! Mais
l'astrologue réclame son dû, en l'occurrence
Tsaritsa (elle doit-être très séduisante 😋).
Rompant son serment, Dodon
tue l'astrologue, mais le coq
tue Dodon…
Tout cela n'était que mirage. Seuls l'astrologue et Tsaritsa
sont réels. Une fable sur la bêtise d'un tsar, de ses fils et sur la trahison de Dodon. L'opéra composé en 1907 ne sera joué qu’après la mort de Rimski-Korsakov en 1909 du fait de la censure.
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David Zinman voit le
jour à New-York en 1936. Il révèle
un don précoce comme violoniste au conservatoire d'Oberlin dans l'Ohio. Puis il
complète ses études de composition à l'université du Minnesota jusqu'en 1963. Précédemment, il travaille avec Pierre Monteux entre 1958 et 1962, Monteux le créateur du Sacre du printemps est
alors directeur de l'Orchestre
symphonique de Boston. David Zinman l'assiste jusqu'en 1964. Il choisit ainsi la carrière de Maestro
et va occuper ses postes souvent pendant de longues durées : l'Orchestre philharmonique de Rochester de
1974 à 1985, l'Orchestre symphonique de Baltimore de
1985 à 1998. (Il nous fait redécouvrir les symphonies de Beethoven
en suivant les partitions de la nouvelle édition critique Bärenreiter portant sur la nature des tempos et des effectifs de
cordes, la révélation d'un Beethoven
plus allègre.)
Il conduira également l'Orchestre
philharmonique de Rotterdam de 1979 à 1982. Un ensemble
excellent que nous écoutons aujourd'hui. Enfin, consécration, il devient le
chef de l'orchestre de la Tonhalle de Zürich en
1995. Il occupera ce poste près de
20 ans, avant de confier la baguette à Lionel Bringuier
en 2014.
Sa discographie est abondante. Notons une intégrale Beethoven pleine d'allant, reflet de ses
travaux musicologiques sur ce sujet et une intégrale des symphonies de Mahler là encore aux options originales
qui divisent, mais la musique du compositeur autrichien permet de si nombreuses
lectures… Et bien entendu la poignante symphonie N°3 de Górecki qui, à la grande surprise des producteurs,
fit un tabac bien au-delà de la sphère des mélomanes "classiques",
musique de douleur et de méditation commentée dans ce blog. (Clic)
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Décor de l'acte 2 en 1909 |
1 piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2
clarinettes et clarinette basse, 2 bassons et contrebasson, 4 cors, 2
trompettes, 1 trompette contralto, 3 trombones et 1 tuba, timbales, triangle,
caisse claire, grosse caisse, tambourin, glockenspiel, cymbales, xylophone,
tam-tam, célesta, 2 harpes et les cordes.
1 - Le tsar
Dodon dans son palais (Ouverture, apparition
de l'astrologue, sommeil de Dodon) : Un motif simulant le chant du
coq jaillit à la trompette ff ! Un coq
vaillant, fier, monté sur ses ergots pour rappeler qu'il sera le maître du jeu
tragique… Un allegro de cinq notes en do majeur. [V1-0:14] Mi bémol majeur dès
la mesure cinq pour évoquer l'apparente quiétude du Palais de Dodon. Les cordes
s'imposent, mais les bois vont intervenir rapidement en complicité avec les
harpes pour tisser un climat de nuit orientale, torride, songeuse voire lascive
[V1-0:58]. (On pensera que les tsars ont déménagé en orient, bizarre, mais
c'est la mode.) Tout le mouvement voit défiler des citations de l'opéra. La
variété de la thématique invite à la féérie. Les passages sont courts et les changements
de tonalités incessants. Il n'y a pas de programme très précis. On se laisse porter
par l'essence charmeuse et la beauté des mélodies et surtout par la féérie de
l'orchestration.
Projet de costume pour le coq |
2 - Le tsar
Dodon en campagne : La seconde partie introduit une ambiance militaire à l'aide des bassons
suivis de la clarinette basse et de hululements criards des flûtes et picolo ; une
marche modérément guerrière. En écrivant la suite, les deux compères transcripteurs
rappellent que la bataille n'est guère violente, que la tristesse de la mort
stupide des fils ne mérite qu'un traitement musical bien sombre et bien peu héroïque…
3 - Le tsar
Dodon et la danse de la reine Tsaritsa :
découpé en plusieurs parties, le troisième mouvement voit se succéder une danse
lascive aux cordes, celle de la reine, puis un passage festif et à la rythmique
diabolique illuminée par le son du tambourin, du célesta ou encore du triangle.
On ne pourra pas éviter de penser que la richesse mélodique inouïe, rare dans
un opéra postromantique, renvoie aux enchantements instrumentaux de Shéhérazade ou du Capriccio
Espagnol. Les percussions comme la grosse caisse ou les cymbales
seront bien sollicitées dans une coda presque improvisée.
4 - La noce,
la mort pathétique du tsar Dodon tué par le Coq : Le
final (appelons-le ainsi) débute fébrilement, comme annonciateur des turpitudes
de Dodon. Là encore la variété des motifs, les contrastes de timbres,
l'articulation impétueuse égayent cette partition qui n'est
aucunement un "sous-produit" de l'opéra. Une suite symphonique à part
entière avec, notons-le en passant, une partition de trompette farouchement
virtuose. Les conflits et morts qui concluent le conte se traduisent par un
cataclysme orchestral concertant et sauvage. La gaité finale démontre que tout cela
n'était qu'une fable… Hum, à savoir !
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La relative brièveté de la suite en fait un complément
de diverses compilations. Impossible de passer sous silence l'interprétation
fiévreuse d'Igor Markevitch de 1959 avec
l'Orchestre des concerts Lamoureux et que
l'on trouve dans une anthologie de 2 CD permettant de découvrir l'univers de Rimski-Korsakov dont une Shéhérazade épique
et sensuelle par Karajan, double album déjà
mentionné par le passé (Clic). Sinon un album simple réédite cette
gravure associée à diverses œuvres peu connues de quatre autres compositeurs
russes (DG – 5/6).
Deux autres parutions plus récentes s'affranchissent
des hits de Rimski-Korsakov au bénéfice
d'ouvertures et de suites tirées des opéras du maître. En premier lieu un album
signé Evgeny Svetlanov avec l'Orchestre symphonique d'URSS. En second
lieu, Neeme Järvi et son Orchestre national d'Écosse a enregistré
sur 2 CD un grand nombre de musiques toujours extraites des opéras ; original,
prise de son un peu timide, mais aucune concurrence dans ce répertoire décidément
très coloré (Chandos – 4/6).
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