vendredi 1 février 2019

PATTI SMITH "Dévotion" (2017) par Luc B.



Patti Smith est une sacrée bonne femme ! 72 ans aux miches (zut, ça n’se dit pas !) la crinière grisonnante, rides profondes comme le Grand Canyon, mais toujours vaillante et productive. Chanteuse, photographe, femme de lettres. Elle a écrit quasiment plus de bouquins qu’elle a enregistré des disques, recueils de poèmes, récits, romans… Nous avions déjà évoqué dans ces colonnes JUST KIDS - Just kids - récit autobiographique de ses jeunes années et sa relation avec le photographe Robert Mapplethorpe (2010) que je ne saurais trop vous recommander. Cette femme sait écrire, aucun doute là-dessus. Quel style !
DEVOTION est un tout petit livre. Petit par son format, et le nombre de pages, à peine 150, et c’est deux livres en un. Ca commence à New York, dans un café où elle s’installe pour lire « Accident nocturne » de Patrick Modiano (vous connaissez beaucoup de punk-rocker qui citent Modiano ?). Dehors, travaux, marteaux piqueurs. Elle remballe son ouvrage, puis reçoit un message de son éditeur français pour une tournée promo au pays des fromages qui sentent bons. Elle y était venue en 1969 avec sa sœur, sur les traces d’Arthur Rimbaud. Dans cette première partie, Patti Smith raconte son voyage, sa chambre d’hôtel à St Germain des Près, ses pérégrinations et y joint quelques photos prises ci et là, l’église de St Germain, le jardin des éditions Gallimard, son assiette au Café de Flores, une statue de Voltaire… Très cliché parisiens, non ? C’est une américaine…
Un détour par Sète, puis un coup d’Euro Star jusqu’à Londres, et Ashford, pour y dénicher la tombe de la philosophe Simone Weil (pas Veil…). Patti Smith raconte ce qu’elle observe, ce qu’elle lit, ce qu’elle regarde à la télé (elle s’endort sur une compétition de patinage artistique), ce qu’elle ressent. Elle emmagasine images et impressions. 

On s’en fout me direz-vous ? 

Et bien, non, là est justement tout le propos du livre. Car la seconde partie est une fiction, un récit situé en Estonie. Une gamine, Eugénia, qui patine sur un lac gelé, sous les yeux, lui semble-t-elle, d’un observateur anonyme. Qui lui laissera un manteau plus chaud que sa guenille.
Cette fiction se nourrit, donc, de tout ce que l’auteur avait observé dans son périple français. Ca s’appelle l’inspiration. C’est le thème de ce livre, comment vient l’inspiration, les idées, la création, comment les éléments d’une vie, ou de simples objets, décors, se retrouvent dans un livre, malaxés, recrachés, digérés. C’est passionnant et ça se lit d'une traite.
Eugénia vit avec ses parents et sa jeune tante, Irina, très belle, qui partira vivre avec Martin, un riche prétendant. Accompagnée d’Eugénia que ses parents souhaitent soustraire à la pauvreté. Martin meurt, Irina disparait de la circulation, et Eugénia revient vivre dans la bicoque de ses parents, seule, reprend le patinage. Elle est douée, très douée. Son admirateur secret, Alexander, réapparait et la prend sous son aile, avant de la prendre, plus tard, dans son lit. Ils gagnent Vienne en Autriche où Alexander souhaite la présenter à Maria, entraineur de patinage artistique.
Arrêtons là le résumé. Il va se passer plein de choses, une intrigue riche, à l'épilogue tragique et surprenant, narrée à l’économie, en quelques phrases savamment construites, rédigées. Big up pour le traducteur !  Je peste souvent contre la lourdeur et la longueur des romans, ici c’est tout l’inverse. Art de l’ellipse, concision, un style magnifique, sensible, poétique notamment dans ce qui touche à l’intime. Trois mots pour décrire un paysage, et hop, on le voit, on le ressent. Il y a le récit d’Eugénia, mais aussi retranscrites les lettres qu’elle retrouve de sa tante, et dans une troisième partie, les réflexions de Patti Smith qui s’interroge : pourquoi est-on poussé à écrire ? (elle nous dit s’astreindre à écrire tous les jours). L’auteur reproduit aussi le fac-similé de son manuscrit, écrit dans le train.
Elle convoque Marcel Proust, Virginia Wolf, Marguerite Duras, Dylan Thomas, Camus (dont la fille Catherine lui soumet le manuscrit du « Premier homme » qu'elle feuillette amoureusement) ou Nabokov. C’est à Sète, en cherchant la tombe de Paul Valéry, que Patti Smith découvre une sépulture, y est gravé dans la pierre le mot « dévouement ». Qu’on lui traduit par « dévotion ». Le titre de son livre, donc. Un livre formidable, une prose merveilleusement ciselée. Un petit bijou d'intelligence et d'écriture !


DEVOTION, Gallimard, 153 pages


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