- Mais
M'sieur Claude, cette jaquette correspond à une vielle édition de ce disque ?! Il
n'existe pas en CD ?
- Si bien sûr
Sonia… D'ailleurs il s'agit de la pochette du vinyle original bien plus sympa
que celles insipides des multiples rééditions en CD de ce disque excellent…
- Taras
Bulba, un guerrier, une légende de Nicolas Gogol, vous avez vu, j'ai des
lettres… hihi…
- Très bien
mon petit, un roman tragique adapté au cinéma pas moins de quatre fois. Janáček
a imaginé cette grandiose suite symphonique à des fins patriotiques, mais pas que…
- Ah Bon ?!
Vous aviez déjà consacré un papier à la sinfonietta et ses douze trompettes,
encore une œuvre symphonique puissante vu le sujet je suppose ?
- Certes
Sonia, mais comme toutes les tragédies épiques, le compositeur alterne violence
et méditation. Et le chef Kubelik est au mieux de sa forme…
Yul Brynner dans Taras Boulba de J. Lee Thomson (1961) |
Leoš Janáček reste un
compositeur encore mal connu de notre temps. J'avais présenté le compositeur tchèque
de la génération suivante de celle de Dvorak dans un premier article consacré à
sa flamboyante sinfonietta pour
grand orchestre en 2017. (Clic)
Pour reprendre les grandes lignes de sa biographie, rappelons que le
musicien est né en 1854 et en toute logique aurait pu s'inscrire dans le
courant postromantique comme Mahler et Richard Strauss. Il n'en
sera rien. J'ai jusqu'à présent peu parlé de ce compositeur original car son
parcours se distingue surtout par l'écriture d'opéras d'envergure, genre que,
vous le savez, je connais moins bien que la musique symphonique ou celle de
chambre… Janáček
se passionne plus tardivement au début du XXème siècle pour la
musique symphonique. Quant à son style de composition, il tournera le dos
radicalement à celui de son ami Dvořák. Nous écoutons un style plus abrupt,
aux tonalités et aux rythmiques modernes, plus proche de ceux Stravinsky
et de Bartók.
Même de nos jours, les mélodies fracassantes, l'orchestration rutilante de
percussions et l'abandon total des formes classiques déroutent un public
amateur de mélodies plus directement accessibles.
Les arguments des opéras de Janáček présentent une grande
originalité. Soit comme auteur, soit comme adaptateur, l'homme délaisse les
mélodrames langoureux qui trop souvent firent les riches heures des scènes
lyriques du XIXème siècle, toutes proportions gardées. Ainsi son ultime
chef d'œuvre titré "De la maison des morts" est une traduction en tchèque
de la quintessence d'un ouvrage en russe de Dostoïevski qui évoquait son expérience
douloureuse dans un bagne…
Leoš Janáček (1854-1928) |
Dans cette esprit de lutte, la nouvelle Taras Boulba de l'écrivain ukrainien Nicolas
Gogol* (étendue par la suite en roman) ne pouvait que
séduire Janáček. Résumons
le drame. Taras Boulba est un farouche guerrier cosaque ukrainien qui
décide d'entrer en guerre contre la Pologne catholique au nom de la vraie foi
orthodoxe. Nicolas Gogol était
un mystique presque maladif et, on le constate encore de nos jours, l'Ukraine a
toujours été un pays disputé par les puissances environnantes. Taras a
deux fils Andréi et Ostap. Andréi pour le cœur d'une
beauté passe sans aucun esprit de trahison à l'ennemi polonais ! Humilié, Taras
tuera d'une balle en plein cœur son propre enfant ! Puis Ostap sera
capturé et condamné à mort. Destin tout aussi terrible pour Taras Boulba,
fait prisonnier, brûlé vif et mourant en martyre au nom de la foi orthodoxe !
Elle n'est pas rigolote cette histoire ? Non ? Tragique, en effet ! J'adore Yul Brynner en cosaque 😄.
* Nota personnel
: Je déteste l'utilisation de ce mot comme quolibet à l'encontre des gens un
peu simples….
De ce drame barbare à rebondissement, Janáček a composé une suite en
forme de rhapsodie ne conservant que trois idées essentielles illustrées dans
trois parties :
- La mort d'Andrei,
- La mort d'Ostap,
- La prophétie et la mort de Taras Boulba
La composition s'est étendue de 1915 à 1918. La
création aura lieu à Brno en octobre 1921.
Prague devra attendre 1926 pour la
découvrir sous la direction de Václav Talich.
Comme expliqué avant, l'orchestration est riche et
moderniste : 2 flûtes + piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes, 2
bassons + contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones + tuba, cloches, tambour, triangle,
timbales, cymbales, harpe, cordes et grand orgue.
Source : (Partition)
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Rafael Kubelik (1914-1996) anime une Masterclass |
Rafael Kubelik est l'un
des chefs tchèques légendaires comme Václav Talich,
Karel Ančerl ou Václav
Neumann. Certes, opposé aux régimes infâmes, nazi puis stalinien,
que subira son pays jusqu'à la chute du rideau de fer, sa carrière s'est
longtemps déroulée en occident. Rendez-vous à sa biographie dans l'article
consacrée à la Moldau de Smetana. Smetana, son compatriote tout comme
Dvořák dont nous
avons écouté les enregistrements superlatifs par Kubelik du Stabat Mater et de la 7ème symphonie. (Index)
Bien entendu, Kubelik a été un
serviteur assidu des compositeurs plus modernes comme Janáček et Martinu. Souvent
des gravures de référence notamment pour la Messe
glagolitique que nous écouterons dans l'année.
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1 - La Mort d'Andrei
: Un thrène des cordes dresse un décor tragique. Le cor
anglais entonne une mélodie mêlant élan sensuel et souffrance d'Andrei amoureux mais d'Andrei condamné. On pensera aux derniers
soupirs d'un Siegfried ou d'un Tristan aux portes de la mort. [0:32] Le
thème est repris au hautbois puis [0:50] décliné au violon au sein d'un
orchestre qui s'anime progressivement [1:04]. Le titre n'évoque que l'épicentre
dramatique du sujet. Le récit épique est traité en suivant la forme d'un poème
symphonique qui fait penser au style de Richard
Strauss dans Don Juan ou Till Eulenspiegel, mais en
plus coloré, moins wagnérien. Cette première partie ne se limite pas à un chant
funèbre. Janáček conte les
péripéties qui nous ont menés au drame. Le crescendo introductif voit
intervenir cloches et percussions, les instruments du fracas et de la discorde.
[1:12] Le solo de l'orgue témoigne de la dimension religieuse
du drame écrit par Gogol. Quelques notes du basson puis de la clarinette ponctuent
ce mystique intermède. Il montre par ailleurs le souci d'inventivité de Janáček tant dans le développement
des symboles de l'intrigue que de la variété de l'orchestration. [2:19]
Un léger roulement de caisse claire accompagne un dialogue farouche entre les
divers pupitres : les lointains échos de la bataille que livre Taras Boulba. [3:08] Une mélodie chanté
par le hautbois rappelle les émois amoureux du jeune fils. [4:07] Des sévères coups
de cymbales frappées nous replongent dans la bataille. On l'aura compris sans
que je détaille plus, Janáček fait
preuve d'une imagination débordante, d'un lyrisme affirmé dans sa composition.
Le flot orchestral est rude et pourra rappeler les audaces de Stravinsky, notamment
lors de l'évocation de la bataille [5:56] avec ses
rugissements du tuba et des trombones, furie martelée par le tambour… Passage
guerrier pendant lequel Andrei perdra la vie de la main de son père. [7:42]
Une coda véhémente accompagne la mort du jeune homme.
Tony Curtis est Andrei (pas très cosaque avec son brushing) et Yul Brynner |
3 - La prophétie et la mort de Taras Boulba : [13:26]
Le dernier mouvement plus romanesque se
révèle le plus fantasque dans l'écriture de Janáček. Les
premiers motifs joués avec passion par les bois exaltés symbolisent un Taras Boulba fou de rage après la mort de ses deux fils et qui guerroie sans relâche.
[15:15] L’expression du chagrin. [15:39] Une marche ironique et
cynique parodie la démence qui gagne le héros. On pense aux sarcasmes d'un Chostakovitch
à venir. [17:10] Un sombre apaisement
accompagne la prophétie proférée par Taras Boulba qui prédit la victoire de
la vraie foi. [18:12] Retour du grand orgue. La musique se fait
moins scandée, plus glorieuse, et un peu lourde – soyons réaliste. Le final
prend des allures de musique de Péplum avec ses fanfares de cuivres. Il faut
bien cela pour accompagner Taras Boulba sur le bûcher. Celui des vanités
? Possible ! La mort de deux fils pour une hypothétique victoire tardive… lourd
tribut ! Partition en 3 livrets : (1) (2) (3)
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Moins enregistré que la Sinfonietta dont
l'écriture présente de nombreuses similitudes par sa hardiesse volcanique avec
cette rapsodie, la discographie est tout de même assez riche et de qualité. En
deux mots, on trouve de bonnes versions dans la sélection alternative de
l'article consacré à ladite Sinfonietta (Clic).
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L'interprétation de Rafael
Kubelik, articulée et contrastée présente d'immenses qualités. On
pourra regretter un manque de virilité en rapport avec la nature des
personnages portés sur le combat. La prise de son accuse légèrement son âge par
rapport à l'enregistrement plus bouillonnant de Charles
Mackerras pour DECCA.
La vidéo Youtube accentue cette impression de dureté du son. Préférer l'écoute
sur Deezer pour ceux qui ont accès… On doit beaucoup à Charles
Mackerras pour la reconnaissance de Janáček en dehors de son patrie.
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