vendredi 8 février 2019

BORDER d'Ali Abbasi (2019) par Luc B.


Mais c'est quoi ce truc ? Un polar, un film fantastique, un conte scandinave ? D’abord on fait la connaissance de Tina, et son faciès néandertalien. Pas commode. Tina est douanière, elle renifle les bagages suspects. Elle a du flair, un odorat tellement développé qu’elle détecte aussi la culpabilité. Au début du film, elle repère un passager qui passe à la fouille, mais le sac est clean. Rien dedans. Tina frétille des narines… « ça pue la honte et le sexe… donnez-moi votre téléphone ». Elle le renifle, en sort une carte HD. Sur cette carte, sont enregistrés des films pédopornographiques…
   
Sa hiérarchie lui propose de travailler sur cette enquête, découvrir et démanteler ce réseau pédophile, grâce à son don, celui de sentir la honte, la gène, la culpabilité, le mensonge. Voilà pour l’aspect polar, des perquisitions, des interrogatoires, la présence de Tina étant un précieux atout : « vous avez peur, vous protégez quelqu’un… son nom ? ».

Mais qui est Tina ? Quand elle ne bosse pas, elle visite son père, aime se promener dans les bois, marcher nu pieds pour sentir la terre, les feuilles, la mousse. Une sensibilité à la flore, à la faune que transmet très bien la caméra d'Ali Abbasi. Un film très minéral. Tina a une relation particulière aux animaux, elle semble communiquer avec eux (scène du renard, du cerf). Est-elle humaine mais difforme ? Malade ? Elle est bien intégrée, vit en couple, ses collègues la respectent. Les questions qu’on se pose, et que Tina se pose, trouveront une réponse grâce à un nouveau personnage : Vore. Même faciès (même don ?) il débarque à l’aéroport, passe la douane, se fait renifler… Rien de répréhensible, de suspect, si ce n’est que cet homme s’avère être de sexe féminin. Elle-même ne sait pas trop où se situer sur ce plan. Ils sont semblables, ils s’attirent mutuellement.

Ils vont s’aimer, une succession de très jolies scènes, jusqu’à un accouplement intense et bestial que n’aurait pas renié David Cronenberg, entre monstruosité et passion folle. Tina va en apprendre plus sur elle, ses origines. Elle est une Troll. Mais faut-il croire Vore sur parole ? Un peu malsain, le gars... Il est plutôt dans le camp des radicaux. Les Trolls entre eux, les humains à part. Il parait qu’il existe une communauté, plus loin, au nord. Et ce sont eux qui prennent contact, pour accueillir de nouveaux membres. Vore aimerait bien les rejoindre. Il est aussi partisan d’actions violentes envers ces humains qui les ont fait souffrir. C’est ce qu’il raconte…

Tina, elle, est bien avec les humains, elle n’a jamais eu à s’en plaindre. Et puis elle est flic, elle a la conscience du devoir, de mener son enquête, débusquer les coupables. Elle est allergique à la violence, la méchanceté, la souffrance. Vore, lui, ma foi, si les humains peuvent s’entretuer… Et si les plus pervers d’entre eux, les plus monstrueux, ont besoin d’un petit coup de pouce pour assouvir leur déviance et leur soif de brutalité, pourquoi pas, hein ?

Tina va apprendre de Vore. Elle doute. Elle va quand même demander des explications à son père. Pourquoi est-elle différente ? Et puis elle va se séparer de son petit ami. Enfin… un gars, glandeur buveur de bière avec qui elle partage sa maison, histoire d’être moins seule. Donnant donnant. Parfois il essaie de lui en mettre un p’tit coup. Chacun vit dans la connaissance des différences de l’autre. On se tolère. Le mec est plutôt attachant, pas malin, mais pas méchant. Signe aussi que Tina évolue, cette manière de faire taire les chiens de son compagnon, des rottweilers pas franchement pacifiques, dont elle va claquer la gueule histoire de montrer qui c’est le chef.
  
BORDER est à la fois un film onirique, lorsque le couple s’ébat dans la forêt, la rivière, aux frontières du fantastique, qui déborde vers l’épouvante aussi. Cette scène d’accouchement en forêt, le contenu du mystérieux carton, caché dans un frigo dont la porte a été scotchée. Tiens, ça me rappelle aussi le film L’INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES ( clic vers l'article ). Ce que ne dit pas la bande annonce, c’est que BORDER n’est pas qu’une histoire d’amour en marge des conventions, avec des bizarreries pittoresques. C’est un film dur. On y parle d’enfance maltraitée. Aucune image, pas besoin, juste quelques plans (ce lit de bébé à barreaux), quelques sons (issus d’une caméra) et des répliques glaçantes comme « moi je n’ai rien fait de mal, je ne faisais que filmer ».
   
A réserver à un public pas trop sensible (et certainement pas familial !), adepte d’étrangeté, d’originalité. Beaucoup de thèmes foisonnent, c’est un film qui remue, suscite les réactions, tant mieux.


couleurs  -  1h50  -  format scope 1:2.35 

      

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