mercredi 9 janvier 2019
Tony Joe WHITE (23.07.1943 - 24.10.2018) R.I.P.
On va encore faire les ronchons, mais, franchement, il y a de quoi. Enfin, Tony Joe White s'en est allé le 24 octobre 2018. Et rien. Pas une ombre d'hommage. Peau d'balle ! A l'exception d'un encart dans quelques revues. Enfin ! Tony Joe White ! Le gars qui avait popularisé ce que l'on ne tardera pas à nommer le Swamp-rock. Le gars dont on retrouve le nom dans les disques - et les succès - d'une pléthore d'artistes célèbres, d'Elvis Presley à Dusty Springfield, en passant par Ray Charles, Tina Turner, Joe Cocker et même récemment Blues Pills.
Crénom ! Le gars capable de vous faire dresser les cheveux sur la tête avec le minimum syndical - ou presque -. Juste avec sa voix et sa vieille Stratocaster élimée.
Tony Joe White est né le 23 juillet 1943 en Louisiane, dans un milieu rural, près de ces champs de coton à perte de vue, à Oak Grove, non loin du Mississippi, au sein d'une famille nombreuse de métayers. C'est le petit dernier d'une fratrie de sept enfants. Le lieu est propice pour découvrir différentes musiques liées au Sud (du Deep South). En particulier la Country et le Blues. Avec évidemment, le cajun endémique de la Louisiane, mais aussi le Gospel qu'il apprend à chanter à la maison, en famille. Outre le chant, il apprend aussi à jouer du piano et de la guitare. Ce serait surtout son frère aîné, Charles, qui lui aurait donné tous les rudiments pour interpréter le Blues après la découverte de Lightnin' Hopkins.
Après s'être fait la main au sein de diverses formations de lycée, il part seul avec sa guitare jouer des Country blues à la John Lee Hooker et Charley Patton (en incluant quelques trucs de Presley). Il finit par s'installer au Texas, à Corpus Christi.
En 1967, il passe une audition à Nashville, où il obtient son premier contrat d'enregistrement avec le label Monument. En dépit d'une qualité d'écriture irréprochable et une certaine originalité couplée à une sincérité palpable, sa carrière ne décolle pas.
Une fois n'est pas coutume, c'est la France qui tombe la première sous son charme. Un correspondant de la revue Rock & Folk fait parvenir aux locaux parisiens un 45 tours : "Soul Francisco". Le titre devient un hit radiophonique durant l'été 68. Grâce à ce succès inattendu, il entame une tournée française où il trouvera de nombreuses similitudes entre le monde rural qu'il connaît et celui de la France profonde. "C'était plein de swampy people là-bas".
Monument édite enfin un premier 33 tours, "Black And White". A vingt-cinq ans, Tony Joe White surprend non seulement par son indéniable talent de compositeur, mais aussi par son originalité. En puisant dans le Country-blues, la Country, la Soul et le Rock, il a participé à une nouvelle de forme de musique américaine : le "swamp rock". Tout comme Creedence Clearwater Revival, qui sont aussi leur premier opus la même année, mais ces derniers sont Californiens, alors que Tony Joe, lui, est un homme du coin. Ce sera le premier artiste à récolter cette étiquette. Cependant, pour lui, il ne fait que simplement jouer de la guitare, sans se soucier du reste.
L'Amérique - le Texas étant le premier état à répondre favorablement à ses échos du bayou - suit assez rapidement avec "Polk Salad Annie" qui devient un premier - et son plus grand - hit, qu'Elvis Presley ne tarde pas à intégrer à son répertoire scénique. On le retrouve sur le live "On Stage". Le comparatif entre les deux versions des deux artistes est intéressant car on remarque qu'Elvis, en dépit de sa voix, d'un orchestre copieux, de son métier, paraît n'interpréter qu'une copie édulcorée, "grand public". Et lorsqu'il essaye de grogner comme White, ce n'est qu'une pâle imitation. Difficile de se caler sur cette voix naturellement profonde et autoritaire, s'approchant d'un timide baryton n'osant pas élever le ton.
Le vent en poupe, Tony Joe enregistre un nouvel opus, sobrement intitulé "... Continued" (ressorti sous le titre "Roosevelt And Ira Lee" (1), du nom de l'unique single hit de l'album - étonnant alors que la galette en avait bien suffisamment pour en sortir une demi-douzaine -) et dans la continuité du précédent, si ce n'est qu'il est plus abouti. Tous les titres sont assez forts pour donner à cette galette l'apparence d'un Best of. On y retrouve un magnifique joyau, un incommensurable trésor : "Rainy Night in Georgia". Cette magnifique chanson sera reprise par de nombreux artistes, et non des moindres : Otis Rush, Lou Rawls, Brooke Benton, Ray Charles, Little Milton, Aaron Neville, Boz Scaggs, Johnny Rivers, Rod Stewart, Randy Crawford, Shelby Lynne, Hank Williams Jr., Sam Moore, et bien d'autres.
En 1970, il clôture sa trilogie Monument records avec "Tony Joe" qui fait encore preuve d'excellence. Toujours ce goût terreux où se mêle, solitude, les bayous, d'alligators gentlemen amateurs de Southern Comfort et de de Jack Daniel n° 7, la chaleur moite de l'été, et la sueur du labeur du prolétaire.
Toujours cette Stratocaster claquante, pure, organique, se parant à l'occasion d'une wah-wah funky, vive et diabolique, jouée à l'instinct. Et là, encore, il n'y a aucun faux pas, aucun coup de mou. Et si certains morceaux ressortent un peu plus que d'autres, c'est simplement parce que ceux-là touchent du doigt la perfection. Au point où se serait une hérésie d'en changer une seule note. Simplement parce que sa musique est une émanation de l'Âme. "What Does It Take (To Win Your Love for Me)", "My Friend", "High Sheriff of Calhoun Parrish", "Conjure Woman", "Stockholm Blues", "Groupy Girl" (hit en Grande-Bretagne).
A la même époque, il s'entiche d'un groupe obscur, aujourd'hui considéré comme le premier de Southern-rock, le Eric Quincy Tate (lien). Convaincu de leur talent, il bouge ciel et terre pour les faire enregistrer. Il contribue à la production de leur premier disque, et se prête au jeu de sessionman.
La période Monument est peut-être ce qu'il a fait de mieux. Elle semble la plus riche, foisonnante d'idées, d'inspiration, d'authenticité et de fraîcheur.
Lorsqu'il est repris l'année suivante par le géant Warner, il semble perdre en consistance et en ardeur. La facette âpre et farouche qu'il pouvait déployer sur ses morceaux les plus enlevés, les plus rock ou boogie, est désormais réprimée. La faute surtout à une production un peu sèche et relativement plate. Néanmoins, le talent de Tony Joe étant ce qu'il est, les albums sont encore de fort belles réussites. L'éponyme "Tony Joe White", "The Train I'm On" (enregistré au fameux Muscle Shoals, avec Tom Dowd à la production. On y retrouve les chansons "As Crow Flies" bien connu des amateurs de Rory Gallagher, et "I've Got a Thing About You, Baby" repris par Presley) et "Homemade Ice Cream" (avec la chanson écologiste, le beau et prenant "Ol' Mother Earth") forment une nouvelle trilogie d'envergure. Des incontournables de la musique Rock, Swamp, Blue-eyed Soul, Country-pop-blues. De l'Americana ?
En 1974, il passe par la case cinéma en jouant dans "Catch My Soul". Une comédie musicale inspirée d'Othello où il côtoie Patrick McGoohan, Susan Tyrell, Richie Havens, et Delaney & Bonnie Bramlett. Le film est un bide, descendu par des critiques qui conseillent néanmoins de préserver la bande originale. En particulier les chansons composées et interprétées par Richie Havens et Tony Joe White.
Par la suite, sans réelle raison, les choses se gâtent. Son dernier disque, alors qu'aujourd'hui il fait partie de ses albums les plus appréciés - certains le considérant même comme un chef-d'oeuvre - ne récolte aucun succès. Peut-être trop intimiste. Warner le lâche, publiant un dernier disque en 75 qui n'est qu'une compilation.
En 1976, il se ramasse en réalisant un indigeste "Eyes", qui n'a plus rien à voir avec le renard des bayous. Il joue au vieux crooner sur des orchestrations vérolées de soft-pop et de disco.
Peut-être conscient de son erreur, ou peut-être par besoin de s'assainir après avoir succombé à des pressions (le sirupeux "Eyes"), ou par simple besoin de s'éloigner d'un music-business anthropophage, il reprend doucement sa liberté, n'enregistrant que quand le besoin s'en fait sentir.
En 1979, Joe Dassin qui souhaite renouer avec la musique de son pays natal, fait appel à lui pour son treizième et dernier album, "Blue Country". Dassin y reprend sept de ses chansons, dont cinq réarrangées en français, et White l'accompagne à la guitare et à l'harmonica. Malgré tous ses efforts, la vedette Joe Dassin est bien loin d'égaler Tony Joe White. Ça a parfois un léger goût de parodie. La meilleure pièce est probablement "Le Marché aux Puces", la seule chanson de l'album dont il a écrit la musique. Cette chanson fait à son tour l'objet d'une adaptation par ... Tony Joe White, qui la transforme en "The Guitar Don't Lie". Reprise plus tard par Johnny Halliday, elle devient "La Guitare Fait Mal".
Les disques suivants confirment la plongée dans une mélasse où il est désormais bien difficile de reconnaître l'auteur de "The Migrant", "Even Trolls Love Rock'n'Roll", "Elements And Things", "The Gospel Singer", etc. Sur-produits et pollués par de lourds arrangements typés "FM", ils ternissent son image et sa réputation. Au point où il est heureux qu'il arrête d'enregistrer pour quelques années.
Il se recentre sur l'écriture et compose pour Tina Turner (qui était persuadée que Tony était noir jusqu'à ce qu'elle le voit ... en 1989) trois chansons qui vont devenir des hits. "Undercover Agent for the Blues" (repris par John Mayall en 1993), "Foreign Affair" et "Steamy Windows". Il lui conacrera une chanson, entre blue-eyed soul et "How Deep is Your Love" (Bee Gees), "Tina", en 1993 (sur "The Path Of a Descent Groove").
Il compose aussi "Une journée" pour Johnny Halliday, alors que sa fille, Michelle, vie une aventure éphémère avec le Tropézien d'adoption.
En 1991, il retrouve les studios et est à nouveau sous le feu des projecteurs avec "Closer to the Truth". Disque encourageant même s'il porte encore quelques séquelles de la décennie précédente.
Désormais, son épouse Leann lui apporte parfois son aide. Il revient progressivement à une musique plus crue, plus Rock et plus Blues. En dépit de choix hasardeux en matière de nouvelles sonorités, notamment lorsqu'il place entre sa vielle Stratocaster de 65, ou celle de 73, et son antique ampli Fender Harvard (de 51) une disto au son de vieille canalisation (du style d'une disto 80's un peu cheap couplée à une wah-wah bloquée en position intermédiaire), le renard des bayous reprend du poil de la bête.
Il sort des albums à l'envie. On le dit paresseux, mais lui ne cherche pas à forcer l'inspiration. Il aime prendre son temps. Sa méthode : partir se promener le long de la rivière, éventuellement pratiquer la pêche qu'il adore, après avoir trouvé un bon plan de guitare.
Avec l'âge, ses compositions gagnent en rugosité, les implantant plus profondément dans un contexte "Swamp" (Blues ou Rock), ou Blues crépusculaire. Développant une facette plus sombre, renforçant son image de vieux loup solitaire. Finies les ballades transcendantes et intemporelles. Place au Blues laid back, moite et poisseux.
A partir de "The Path Of a Descent Groove", bien qu'inégaux, tous ses albums valent le détour. En particulier "Rain Crow" (2016).
Tony Joe White s'en est allé le mercredi 24 octobre 2018, à 75 ans, d'une crise cardiaque - sans signe avant-coureur -, chez lui, dans sa maison de Leiper's Fork, dans le Tennessee. Il laisse un vaste et riche patrimoine. Après son long silence des années 80, il aura joué jusqu'à la fin de sa vie - son dernier disque, "Bad Mouthin'", est sorti en septembre 2018 -. Certes, en s'autorisant plus de loisirs dans son ranch au Tennessee que de longues périodes sur la route, mais la qualité a toujours primé sur la quantité. Il sera resté un musicien et un chanteur, un authentique troubadour des bayous, fidèle à lui-même (en oubliant les égarements de 1976 à 1983), jusqu'à son dernier souffle.
La musique singulière de Tony Joe White a ouvert la voie à des artistes tels que Chris Rea, Calvin Russell, Snowy White, Willy DeVille, Dire Straits, J.J. Cale.
(1) Aucun rapport avec le disque du même nom sorti en 1984 sur label Suisse Artan, qui est un petit live de spet chansons
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Bel hommage merci! Mais franchement son dernier disque......j'ai dû l'écouter trois fois et là il est rangé au bout des autres Tony Joe White et je pense pas qu'il ressortira de si tôt , les autres si certainement. Il n'y a strictement rien dans ce disque ! Quel intérêt à rabâcher encore une fois des versions de "Heartbreak Hôtel" et de "Boom Boom" et le reste.... Grosse grosse déception!
RépondreSupprimerD'autant plus qu'il avait déjà repris "Boom Boom" (sur l'album "Tony Joe").
Supprimer"Bad Mouthin' ", l'album de trop ? C'est vrai qu'au niveau du chant, on le sent un peu fatigué. Contrairement au précédent "Rain Crow".
c'est par ton article que j'apprends sa mort, et en l'apprenant j'ai eu la même réflexion que toi quant au travail des médias, je ne demande pas une spéciale sur TF1 -quoique- mais au moins quelques articles et hommages mais que dalle ou presque ; on vit vraiment dans une drôle d’époque de nivellement culturel par le (trés) bas...
RépondreSupprimer"Nivellement pas le bas", c'est exact, et même pire. Aujourd'hui, la culture devrait se limiter à la "télé réalité", la "starisation" individuelle via les réseaux sociaux et les nouvelles "people".
SupprimerLes années 80 ? L'antiquité. Au-delà ? La préhistoire !
"Oh, my god ! Mais comment pouvait-on vivre sans portable ?? C'est grave flippant !"
Hé Rockin sur quelle planète tu vis camarade! Parce que quand même , si ma mémoire est bonne les médias (enfin certains ) ont fait état de sa disparition (France Inter entre autre) Je pense même que Ouest-France voire Le Télégramme en on parlé !
RépondreSupprimerOuais, même R&F, le magasine "à ranger à côté de Gala et autre torchon", en a fait 3 pages dans son numéro de Décembre...
SupprimerOh là ! je vois que mes remarques acerbes sur Rock et Folk sont mal passées auprès de certains.....Ah oui sur le même numéro y'avait aussi un long article sur Bobbie Gentry l'auteur d'une des plus belles ballades de l'américana "Ode to Billy Joe" et en couverture un vieux groupe du siècle dernier.....Je cultive avec un soin particulier une indécrottable mauvaise foi.......
RépondreSupprimerAu sujet de Rock & Folk, c'est le minimum qu'une revue musicale se doit de faire (j'irai en acheter un - "Xroads ! Au s'cours ! Reviens !").
RépondreSupprimerPersonnellement, tout comme Rockin', je n'avais rien vu passer. Sinon, il y a bien eu effectivement quelques lignes à droite et à gauche, mais rien à la mesure de cet artiste. Et ne parlons même pas de la télévision ... (qui bat d'ailleurs actuellement des records d'insipidité et de "vide sidéral").
Une émision d'au moins une heure aurait été amplement justifiée. Même tard le soir. D'autant plus que Tony Joe avait eu son premier succès en France (une fois n'est pas coutume), que c'était un pays qu'il avait longtemps visité régulièrement, et qu'il avait travaillé pour des interprètes français à succès (Halliday et Dassin).
De mémoire, lors d'une des escapades de Jean-Philippe aux Etats -Unis, outre Carl Perkins, il avait bien chanté avec Tony Joe, non ?
j'avais découvert à l'époque " homemade ice cream" ... quelle claque! il n'a jamais fait mieux depuis.Après comme JJ Cale il n'a jamais cherché la gloire ...donc il est parti comme il le voulait. Oublié de la grande majorité et dans nos coeurs et nos oreilles pour toujours.
RépondreSupprimerj'avais découvert à l'époque " homemade ice cream" ... quelle claque! il n'a jamais fait mieux depuis.Après comme JJ Cale il n'a jamais cherché la gloire ...donc il est parti comme il le voulait. Oublié de la grande majorité et dans nos coeurs et nos oreilles pour toujours.
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