mercredi 23 mai 2012

ERIC QUINCY TATE (1970) by Bruno




     Il y a des disques dont on ne se lasse pas. Des disques que l'on chérit car il ont la capacité de mettre du baume au cœur à chaque fois. Le fait qu'ils soient peu ou prou connus apporte le sentiment d'avoir affaire à quelque chose de rare.
Eric Quincy Tate, premier du nom, fait partie du lot.
 

   Le noyau dur d'Eric Quincy Tate est composé de Donnie McCormick, batteur et chanteur, et Tommy Carlislie, guitariste. Deux potes qui avaient déjà bénéficié d'un hit en 1965, avec leur groupe « The Kings » (Donnie est né à Kingsville, dans le Texas) qui leur a ouvert des portes. De ce groupe, quatre des six membres partent pour leur service militaire dans la marine, et s'arrangent pour se retrouver ensemble sur le même navire , le porte-avions « USS Essex ». Là, Donnie, Tommy et les deux autres lascars continuent à jouer et arrivent à convaincre leur hiérarchie que la musique (et a fortiori la leur) est profitable au moral des troupes. Ils changent alors le nom du groupe, en partie pour sonner plus anglais: Eric Quincy Tate.
Eric en hommage à Eric Burdon (une autre version cite Clapton), Quincy du nom de la ville proche du port d'attache du navire (dans le Massachusetts), et Tate, le nom d'un collègue du genre dur-à-cuir. Ainsi le quatuor peut jouer pendant toute la durée de son service sur le bâtiment ; non seulement sur ce bâtiment qui possède une pièce à cet effet, mais également dans divers clubs européens de villes portuaires où ils font escale (dont certaines régulièrement). Ainsi, ils parviennent à acquérir une bonne petite réputation dans quelques lieus du vieux continent.
Après l'armée, le groupe continue sur sa lancée et tourne intensément ; il établit son fief au club « The Muddy Turtle ». Il improvise souvent sur du blues, du rythm'n'blues et du rock. Certains écriront que le Eric Quincy Tate fut le premier groupe de Southern-rock, notamment dans le style rendu célèbre par l' « Allman Brothers Band ». Chose que confirme Donnie McCormick lui-même. Au fil des concerts, ils croisent la route de Duane Allman et de Tony Joe White. Ce dernier, convaincu du potentiel du Eric Quincy Tate, utilise ses relations afin que le groupe puisse enregistrer un premier album. D'abord une démo à Macon, dans les studios de Capricorn Records (1). Puis la concrétisation avec une signature par Cotillon Records (filiale d'Atlantic). 
C'est Toni Joe White himself qui s'attèle à la production, avec l'aide de Tom Dowd (2) et de Jerry Wexler (3).

   Eric Quincy Tate, c'est une explosion de Blue-eyes Soul, de Rythm'n'Blues et de Rock qui, il est vrai, flirte avec un Southern-Rock en devenir. Notamment celui des Allman. Avec, du moins dans le cas présent, le renfort de cuivres qui évoquent bien souvent ceux d'Otis Redding.
Quant au piano , il nous ramène à Leon Russell. D'ailleurs, on pense parfois aux Mad Dog And Englishmen également (évident sur « Try a little harder »). Tout comme « Make no Differences » qui a quelques réminiscences du « Same Old Blues » de Freddie King (composé par Don Nix avec Leon Russell aux piano).
La voix éraillée de McCormick peut évoquer également le grand Joe Cocker ; relativement proche bien que plus rugueuse tout en étant un tantinet moins grave et puissante.
Mais on pense aussi au fameux « Pearl » de la grande Janis et à Delaney & Bonnie.

     Le Eric Quincy Tate produit, sur ce premier opus, une musique Soul-rock où Wilson Pickett s'entrechoque avec Creedence, et où Otis croise le fer avec les Allman.

     Bien que les membres soient encore très jeunes, les compositions affichent une telle maturité que l'on pense avoir affaire à des reprises, à des classiques imparables oubliés mais enfouis dans notre subconscient, alors qu'il n'y a que des originaux. Est-ce dû à la présence de Jerry Wexler ? A celle de Tony Joe White ? Qui joue aussi... En tout cas, ils ont une part non négligeable de responsabilité. La production est ad-hoc, tout comme la mise en place et l'équilibre entre les instruments. On frôle la perfection.
De plus, le quatuor bénéficie également d'un backing band à faire blêmir de jalousie tous les bluesmen et Soulmen de la planète. En effet, on retrouve les Memphis Horns au complet (qui sont encore à l'époque un sextet) et The Dixie Flyers. Ce dernier groupe est celui qui accompagne Kris Kristofersson. Que du beau monde, des musiciens rôdés au dur métier de la scène. Il y aurait même quelques plages jouées par Duane Allman.

     Ça swingue, pulse, transcende, sans être virulent. Plutôt laid-back, « cool-attitude ».
Immédiatement séduit, on écoute attentivement du début à la fin, hypnotisé par ce groove et cette cohésion indéfectibles. Dès les premières mesures, un rythme insidieux prend possession de notre corps (certains danseront quand d'autres feront du air-drums).


     La réédition CD comporte sept bonus. Trois correspondent aux démos, ou plutôt aux premiers enregistrements, dont deux sans instruments à vent, un orgue genre Hammond les remplaçant. C'est Duane Allman qui joue la slide sur « Comin' Down ». Finalement, plus « roots », plus près de l'os, elles ne sont pas loin d'être aussi bonnes que les versions enrichies. Du coup, la filiation avec le Blues y est plus évidente, et la guitare, qui s'effaçait devant les cuivres, se montre moins timide.
Une unique reprise, le classique « Gimme Some Lovin' » du Spencer Davis Group, bien remuant, avec une batterie à la Keith Moon. Et enfin trois inédits. Seul le dernier, un blues assez poussif, aurait pu (dû) être laissé dans l'oubli.

Pour résumer, en citant Protat : « Ce groupe est magnifique, plongé dans une sorte de Heavy-Soul-Rock gorgé de feeling ».

     A savoir que certains fans du groupe réfutent ce premier album, arguant qu'il ne s'agit ici nullement du véritable Eric Quincy Tate. Notamment à cause de l'adjonction des cuivres. Il est vrai que le quatuor n'en comporte pas, et d'ailleurs ils n’apparaîtront plus sur les disques suivants. Toutefois, à mon sens, ce premier opus fait montre d'une qualité intrinsèque à tous les niveaux.

D'après Tony Joe White, le Eric Quincy Tate était le premier groupe de Rock Sudiste avant même que cette appellation n'existe.

     Une question demeure: comment avec un premier disque de ce niveau, EQT a-t-il pu rester dans l'ombre toutes ces années ? Au contraire d'un Anvil qui, grâce principalement au film documentaire de Sacha Gervasi mais aussi à leur indéfectible ténacité, EQT ne put renouer avec un certain succès, galérant jusqu'à ce que la maladie de McCormick l'empêche de monter sur les planches et marque la fin du combo.
Donnie, déjà malade depuis quelques temps (pas assez de couverture sociale pour se soigner convenablement), ne put assister au concert organisé en son honneur à Atlanta, pour ses 64 ans, autour d'une douzaine de groupes de Blues et de Rock.
Il décède le 11 janvier 2009.

     Sean Costello a repris « Have You No Shame » sur son dernier disque (« We Can't Get Together » en 2008). Sean jammait de temps à autre avec EQT à Atlanta.

(1) Capricorn Records devint rapidement un label spécialisé dans la signature et la promotion de groupes dits Sudistes. En l'occurrence, Allman Brothers Band, Marshall Tucker Band, Hydra, Wet Willie, Grinderswitch, Stillwater (rien à voir avec le film de Cameron), Elvin Bishop, mais aussi Captain Beyond.

(2) Tom Dowd (20/10/25 – 27/10/02) est le fils d'une chanteuse d'opéra et d'un premier violoniste ; pendant ses études en physique nucléaire (il participa au tristement célèbre Projet Manhattan), il devient chef d'orchestre de son université. Il incorpore un studio d'enregistrement de musique classique, puis intègre Atlantic Record qu'il ne quittera plus. C'est un pionnier dans l'utilisation de l'enregistrement multi-pistes. En tant qu'ingénieur du son ou producteur, il travailla pour une multitude d'artistes, dont Ray Charles, John Coltrane, Thelonious Monk, Lynyrd Skynyrd, Charlie Parker, Allman Brothers Band, Wishbone Ash, Rod Stewart, Popa Chubby, James Gang, Dusty Springfield, Aretha Franklin, Cream, Diana Ross, Clapton, Ruth Brown, etc...

(3) Gerald « Jerry » Wexler (10/01/17 – 15/08/08) commença sa carrière en tant que journaliste musical. Passionné de Jazz, il est relégué à la rubrique « Race », pour « musique raciale », où l'on retrouve évidemment le Blues. Le terme « Race » ne lui plaisant guère, il le rebaptisa en Rythm'n'Blues. Il rentre chez Atlantic Records en 1953 à la demande d'Ahmet Ertegün. Il recruta le duo de compositeur Leiber & Stoller, Phil Spector, Duane Allman en tant que musicien de studio.

PS : La cabane de la photo de l'album serait celle de Tony Joe White.






2 commentaires:

  1. Je connais point ce groupe, il parait qu'il y a une reformation dans les années 2000 sous l'aspect d'un live ? Le groove est présent ce qui me gêne a little bit c'est l'aspect cuivre qui dénature les compositions qui sont de bons crus à priori.

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  2. Voilà, tu exprimes exactement ce que certains aficionados reproche à ce premier jet : les cuivres.
    Les suivants en sont totalement dépourvus, mais, à mon sens, me paraissent moins bons.Cela swingue moins et le côté soul est moins présent (certainement dû, ou renforcé par l'absence des cuivres).
    Ils mérites néanmoins une écoute (voire plus si affinités).
    Il y a bien un live de 2006 (pour leur 37ème anniversaire) mais pas une reformation. Par contre, je crois qu'il marque le retour du guitariste d'origine.
    Les disques suivants sont très durs à dénicher. En principe, des rééditions devaient suivre celle du 1er opus.

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