Il y a quelques semaines, je vous parlais de Shéhérazade de Rimski-Korsakov
à la mode Fritz Reiner comme étant LE disque à emmener sur l’île déserte,
tout en laissant planer une possibilité de changement ou, disons d’ajout.
Bingo, nous y voilà déjà avec cet enregistrement d’un incontournable des
partitions "genre" musicorama rythmocolor :
les planètes de Gustav Holst, une suite symphonique cent fois
enregistrée et ici dopée par William Steinberg ! Est-ce bien la
version cent fois imitée et jamais égalée ? Avec 60 versions disponibles, il
y a forcément un palmarès ! Et s’il ne fallait parler qu’une seule fois de
la rencontre d’une œuvre et de Steinberg dans le Deblocnot, ça serait
forcément avec ce disque décoiffant !
Amateurs d’Astrologie, bienvenus chez les Dieux de la mythologie romaine.
Attachez vos ceintures, la chronique volante va décoller…
- Est-ce qu’il y a Mr Spock papa Toon ?
- Non Wolfi ! Soit gentil, va voir Sonia, je crois qu’elle cherche
de la documentation pour écrire un article sur la musique au temps des
dinosaures…..
Gustav Holst et "Les planètes"
Ce monsieur à l’allure très british de professeur de mathématiques
s’appelait Gustav Holst. Sans l’incroyable succès planétaire de la
suite symphonique "les planètes" (désolé pour ce calembour inévitable), nous n’aurions jamais parlé de
ce compositeur.
Il est né en 1874 dans une famille de musiciens d'origine
suédoise. Il apprend le piano avec Mère et l'orgue avec
Père puis se perfectionne au Royal Gollege of Music. De
santé fragile, il compose pourtant dès l'âge de douze ans. Souffrant de
tous les maux, le musicien se mariera mais adoptera une vie de solitude et
de discrétion. Par son âge et son style, Holst est un compositeur typique
de l'école anglaise avec Vaughan-Williams, Elgar et
Delius, un digne représentant du style mélodique et de
l'inspiration folklorique début de siècle. Les Planètes, tube du
XXème siècle éclipse (sans jeu de mots) le reste de ses œuvres dont des
opéras. Suite à une intervention chirurgicale, il meurt en
1934.
Holst est un original. Bien qu’austère et solitaire, composant très peu,
le bonhomme s’intéressait de près au mysticisme hindou et à la
spiritualité, passion très à la mode dans l'Angleterre victorienne. Il
traduira des textes écrits en sanscrit pour certaines de ses
compositions.
Gustav Holst composa sa suite Les Planètes de 1914 à
1916. La création par Adrian Boult, qui deviendra le
serviteur officiel de la partition, n'eut lieu que vers de la fin de la
Grande Guerre en septembre 1918. Le compositeur de santé délicate,
asthmatique et hypersensible travailla dans une pièce insonorisée où l'on
maintenait une chaleur tropicale, ambiance en contraste absolu avec le
climat maussade de la perfide Albion. Holst raffolait de l'astrologie et
dressait des horoscopes pour ses amis. L'inspiration puise également dans
la mythologie romaine où les Dieux-planètes se voient portraiturés au fil
de l'écriture (sauf Pluton qui ne sera découverte qu'en
1930 et a perdu son statut de planète en 2006, c'est fou non
?). L'orchestre est gigantesque et coloré. Il est fait appel à un chœur de
femmes pour Neptune.
William Steinberg et le Boston Symphony Orchestra
La carrière de William Steinberg aurait dû être beaucoup plus intimement
liée à la destinée de l'Orchestre symphonique de Boston. Et cela de
la même manière que le nom de la prestigieuse phalange de la côte est des
USA nous renvoie à Koussevitzky, Munch et
Ozawa (pendant 30 ans pour ce dernier). Des intérêts
particuliers (ceux de la firme discographique RCA pour ne pas la
nommer) en décideront autrement.
William Steinberg nait en 1899 à Cologne. Il poursuit ses
études auprès d'Hermann Abendroth dans cette ville et devient dès
1924 assistant d'Otto Klemperer. De confession juive, il est
viré par les nazis de son poste et part en 1936 pour la Palestine où
il dirige l'Orchestre philharmonique d'Israël jusqu'à son départ pour
les États Unis en 1938. Il va faire une brillante carrière de
1945 à 1976 à la tête des orchestres de Buffalo et de
Pittsburgh.
Son style analytique, clair, son immense culture artistique et sa fidélité
aux partitions le désigne pour succéder à Charles Munch à
Boston, orchestre avec lequel il a été apprécié en tant que chef
invité. Mais l'orchestre est à l'époque en contrat exclusif avec
RCA qui va intriguer pour la désignation
d'Erich Leinsdorf (bon chef certes, mais plutôt d'opéra). Steinberg
défait ses valises déjà prêtes et ne dirigera l'orchestre que de
1969 à 1972. Trois courtes années qui seront marquées par les
rares, mais inestimables enregistrements pour DGG présents sur cette
réédition : "Les Planètes" de Holst et
Ainsi Parla Zarathoustra de
Richard Strauss, une interprétation du poème symphonique galvanisée
en moins de 30' ! C'est un peu dommage car pour tout vous avouer, je me
demande franchement à quelle occasion je pourrais évoquer Erich Leinsdorf.
William Steinberg est mort à New York en 1978.
Les Planètes – Steinberg (Dgg 1971)
1 – Mars : "qui apporte la guerre" : Les archets s’entrechoquent sur les cordes. Ah la belle guerre de
l’antiquité. Vous avez vu Brad Pitt dans Troie avec sa jupette et
ferraillant avec une épée en bois (bizarre cet oxymore). L’exposition c’est
un peu cela, mais en plus virile, avec des mugissements de cuivres, puis
l’explosion d’un orchestre qui n’est plus mené à la baguette, mais au sabre.
Steinberg impose un staccato d’une violence implacable. Le tempo est rapide
et pourtant aucune cacophonie n’émerge de cet orchestre gagné par la
frénésie. L’équilibre entre les pupitres impose une forme de puissance
primitive, un déchainement de couleurs, une fureur symphonique. Ce début est
traité comme un scherzo avec une partie centrale plus lente et dramatique,
un intermède où plane brièvement la mort des vaincus, juste le temps de
relancer le thème initial avec encore plus de férocité. Steinberg en 1971
avait fait sensation en imprimant cette brutale précision à son magnifique
orchestre de Boston, sauvagerie qui ne s’est jamais démodée.
La prise de son est l'une des plus analytiques et éclatantes entendue par
le Toon dans sa longue vie de mélomane. Et je me demande dans quelle mesure,
l'effet spatial n'est pas plus aéré sur les vinyles de l'époque. L'an passé,
j'ai vendu un exemplaire LP en double, une fortune pour une galette noire
réputée, bonne affaire !
Toute l'interprétation de Steinberg repose sur l'opposition entre le trait
instrumental acéré et la luxuriance sonore, aucun maniérisme. Faisant fi de
toute psychologie affectée, le maestro se veut héroïque et
divertissant.
2 – Vénus : "qui apporte la paix"
: Après le cataclysme rageur de Mars, quelques accords des cors apportent
la sensualité et la paix offertes par la déesse de l'amour. Le mouvement
adagio se développe avec volupté en déployant les magnifiques cordes de
Boston. Un délicat solo de violon alterne avec des interventions poétiques
des bois et des violoncelles. Steinberg équilibre cette élégante mélodie
sans chichis. Il introduit avec tendresse la pulsation centrale du passage
quand l'orchestre se pare des scintillements des harpes et du célesta. Un
morceau "collector" pour les fans de musique tendre et diaphane…
3 – Mercure : "le messager ailé"
: Cordes, harpes et harmonie voltigent gaiement. Mercure apporte le
courrier avec zèle. Steinberg, joueur, requiert de nouveau toujours un
tempo soutenu, évitant ainsi le mimétisme avec le pompiérisme de certaines
musiques hollywoodiennes. Avec ses 4', ce passage bondissant peut tenir
lieu d'intermède fantaisiste (un scherzo improvisé).
4 – Jupiter : "Qui apporte la joie" :
Ce passage n'est pas ma tasse de thé (anglais, œuf corse). Holst semble ne
pas avoir su éviter un certain goût fanfaronnant rencontré parfois chez
son compatriote Elgar (Pump and Circonstances), le célèbre "hymne de Jupiter" est caractéristique de l'orchestration
de l'auteur des variations
Enigma. Le style énergique de Steinberg inspire plus la rigolade que la joie
intime. La direction rigoureuse et précise maîtrise le gigantesque
orchestre dans un vent d'allégresse.
5 – Saturne : "Qui apporte la vieillesse"
: Retour à un adagio. Harpes et cordes scandent la marche du temps ("la pendule du salon qui…"). La sombre mélodie de cuivres et des cordes apporte la nostalgie. Le
legato fluide apporté par Steinberg souligne la continuité inexorable dans
la perte de la jeunesse. À l'habituelle atmosphère de panique du
développement, le chef préfère un climat dramatique, une acceptation. La
mise en relief de la riche orchestration est exemplaire. Les dernières
mesures apportent un grand moment de sérénité et un jeu de mille couleurs
entre tous les pupitres. Une orchestration de référence.
6 – Uranus : "Le magicien" :
Holst pousse avec humour la vigueur de son orchestration jusqu'à l'extrême
et y ajoute un grand orgue, un vrai. Dans cette marche à la fois
facétieuse et inquiétante, la direction percutante de Steinberg fait
merveille. Un tel déferlement joyeux, ironique et cocasse ne pouvait se
réaliser avec la bouffonnerie souhaitée qu'à travers la transparence du
trait et la battue incisive de l'artiste. Nous entendons un trépidant et
martial concerto pour orchestre de quelques minutes. Le crescendo final
est appuyé par un phénoménal accord de l'orgue. Il y a un petit côté "Apprenti Sorcier" de Paul Dukas dans ce grain de folie…
7 – Neptune : "Le mystique"
:
Holst commence l'œuvre dans la colère et la termine dans la méditation
spirituelle. Le compositeur abandonne toute tentative descriptive. Le
symbolisme des passages précédents fait place à l'impressionnisme. La
mélodie se déploie dans une atmosphère extatique ponctuée de notes
cristallines des harpes et du célesta. On se prend à songer à une musique
destinée à un documentaire sur le cosmos ou un planétarium. Il y a une
certaine modernité dans ce passage où aucun thème bien défini ne se
distingue d'une mélopée quasi religieuse. Dans le lointain, un chœur
féminin intervient dans les mesures ultimes pour accentuer le climat New
Âge de cette pièce. Steinberg sublime de manière aérienne son
interprétation en refusant tout épanchement sulpicien (le tempo est noté
Andante-Allegretto). Je vous le dis depuis de début :
pas une ride !
Discographie alternative
Il existe un nombre incalculable d'enregistrements des "Planètes", et
j'ai désormais pour habitude de proposer une discographie alternative
suggérant d'autres disques ayant une approche stylistique différente mais
intéressante. Là j'ai bien du mal. Oh c'est sûr, Steinberg ne fait pas
preuve d'un excès de sentimentalité, mais cela convient bien à l'œuvre.
Charles Dutoit avait bien réussi sa mission avec
l'orchestre de Montréal, mais le CD est épuisé (disponible en
occasion, Decca – 4/6). Seiji Ozawa, dix ans après Steinberg, lui
aussi avec "son" orchestre de Boston nous a offert une
interprétation subtile et raffinée mais un peu sage pour moi, une bonne
alternative à Steinberg (Newton, réédition Philips - 4/6).
Le disque de Colin Matthews dirigeant le
Royal Philharmonic Orchestra a été apprécié par la presse
spécialisée. Bof ! Le Dieu Mars ne fait pas la guerre, plutôt la retraite
de Russie (Warner Classic – 3/6). John-Eliot Gardiner avec le
Philharmonia Orchestra est une bonne surprise dans cet univers aux
antipodes du baroque, une prise de son titanesque qui surclasse celle de
Boston (Dgg – 6/6). Enfin le chef anglais Adrian Boult avait fait sienne cette
partition et l'a enregistrée 5 fois dont la dernière à 89 ans ! Une
réussite (EMI - 5/6).
Et puis n'ayons pas peur de dire que les thèmes épiques de
Jupiter et Mars ont influencé des générations de
compositeurs de musique de film comme John Williams dans "Star Wars" et encore plus Hans Zimmer dans "Gladiator" (excellente B.O.F. s'il en est…).
Vidéos
"Les planètes par l’orchestre symphonique de Boston dirigé par William Steinberg. Utilisez un casque ou mettez la cristallerie à l’abri.
Puis une belle interprétation plus sage par
Eugène Ormandy dirigeant l’Orchestre de Philadelphie en
1975 (le DVD est disponible). Ormandy était un chef de
génie, compatriote de Fritz Reiner. "Mars" est très rythmé, mais y a-t-il la fureur sanguinaire de
Steinberg dans le mêm Mars ? Je vous laisse en juger. Neptune est
vraiment "cosmique"...
Rien a dire !!!Tu as encore tapé au coeur de la cible avec la version de Eugène Ormandy.En 1975 ,il avait 76 ans et il nous sert une version de "Vénus" tu dis "cosmique" ?je rajoute "magique"!
RépondreSupprimerJ'ai écouté John Eliot Gardiner et j'ai été soufflé !Pour un chef qui ne faisait que du baroque !Bien qu'il a fait une version de "Harold en Italie" de Berlioz qui ne vaut pas celle de Colin Davis en 1969 mais qui vaut son pesant de cacahouète !
j'aime bien la version de Boult,mais tu as raison en disant que l'enregistrement de Osawa ( pourtant mon préféré ! )que je me suis gardé en dernier est plus nuancé !Ce qui n'est pourtant pas dans le style du chef Japonais !
Merci Pat. J'avais écouté des extraits de la version Gardiner et du coup acheté le disque en cours de rédaction. D'où la note réévaluée d'un point à 6/6. Des guerres antiques, Gardiner nous envoie dans les brumes d’Austerlitz, un petit matin glacial suivi de la fureur... Et quelle prise de son waouuuu !
RépondreSupprimerOrmandy affiche un tel plaisir, un tel sourire à nous faire partager son voyage planétaire, que je ne pouvais pas manquer d'intégrer cette vidéo....
King Crimson a repris ou s'est inspiré du thème de Mars dans The Devil Triangle sur son deuxième album In The Wake Of Poseidon.
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