vendredi 30 novembre 2018

St. PARADISE (1979), by Bruno


     Combien y a-t-il eu de super-groupes (du moins considéré comme tels) qui se sont formés et dont l'existence s'est limitée à la réalisation d'un unique album et d'une tournée ? Des tas !
Certains parce que le résultat était bien morne, voire insipide, en dépit d'une affiche prometteuse. Pourtant, d'autres sont parvenus à réaliser un disque ayant les atouts nécessaires pour démarrer sous les meilleurs auspices une nouvelle carrière qui aurait logiquement dû être auréolée de succès. Telle une comète, le groupe s'enflammait rapidement pour finir dans une explosion destructrice. Bien souvent par faute d'un excédent d'ego sur dimensionné au mètre carré.
Nouveau chapitre donc sur les super-groupes éphémères. Quoi que celui-ci, pour être honnête, en terme de super-groupes, ce serait plutôt un collectif de second couteaux. Certes, de luxe.

     On l'a souvent répété dans ce blog, le succès n'est hélas, pas toujours proportionnel à la qualité ou au talent. C'est triste. Même de très grands peintres en ont fait les frais.
Évidemment, il y a le facteur chance mais aussi le fait de connaître les bonnes personnes. Ou inversement.
Ainsi, il existe des formations de la catégorie généralement nommée « super-groupes », qui, contre toute attente, ne sont jamais parvenues à décoller en dépit de membres pourtant déjà auréolés d'une certaine notoriété.
En l'occurrence, St. PARADISE est carrément un cas d'école.
   

   St. Paradise est l'exemple type d'un groupe représentant la concrétisation d'espoirs de musiciens souffrant du despotisme d'un leader qui régentait le groupe auquel ils appartenaient.
Rob Grange et surtout Derek St. Holmes, après une brève période de satisfaction, se sentent brimés. Trahis même. 
Pour mémoire, Ted Nugent, poussé par le duo de terribles managers Leber & Krebs arrête les Amboys Dukes pour repartir à zéro en formant un nouveau groupe sous son propre nom. Il garde Rob Grange (bassiste) et auditionne un gars du coin qui avait déjà ouvert pour les Amboy Dukes avec son groupe Scott. En dépit du patronyme de ralliement « Ted Nugent », le deal était que ce serait un groupe à part entière. Un vrai groupe soudé, évoluant démocratiquement et sur un pied d'égalité, tant en studio que sur scène. Ce qui fut un peu respecté pendant un premier temps, puis progressivement grignoté pour ne jamais revenir en arrière.
   Si Nugent est déjà un compositeur prolixe, d'après Grange et Holmes - alors qu'ils ne sont pas crédités - des titres comme « Strangehold » et « Just What the Doctor Ordered » (une des plus belles pièces de toute la copieuse discographie de l'énergumène de Détroit) n'auraient jamais vu le jour – du moins sous cette apparence – sans leur contribution. Ensuite, sur scène, les projecteurs se focalisent sur Nugent, au détriment des acolytes qui sont parfois pratiquement dans le noir. Une incompréhension pour le public dont une majorité (au-delà des frontières du Michigan) est persuadée que Ted Nugent n'est autre que le chanteur principal ; soit, à l'époque, Derek St. Holmes. L'ego du Nuge ne cessant de prendre de l'ampleur, sur scène le son de sa Byrdland est démesuré, couvrant les guitares de St.Holmes (pour preuve il suffit d'écouter « Double Live - Gonzo »). Et, malgré l'avis contraire du management, qui lui est pourtant totalement dévoué, il souhaite prendre d'avantage part au chant. (il avait certainement  constaté que pour s'accaparer totalement le public, il fallait aussi qu'il tienne le devant de la scène au micro). Pour couronner le tout, le montant des cachets, pour St. Holmes, Grange et Cliff Davis, étaient ridicules par rapport à l'affluence dans les salles (même pour ce dernier qui était pourtant également producteur) ; la maison d'édition estimait que le contrat avait été signé et établi au seul nom de « Ted Nugent », et que donc les autres membres n'étaient que des accompagnateurs interchangeables.

     St. Holmes claque une première fois la porte, pendant l'enregistrement de « Free For All ». La production de Tom Werman lui déplaît ; il considère qu'elle dénature leur travail. Passablement excédé et déjà en conflit avec Nugent, il tire sa révérence. Une fois l'album terminé - grâce au renfort temporaire de Meat Loaf - le management (notamment David Krebs) et le label, Epic, le prient de revenir, et il finit par céder.
Par la suite, quelques concessions sont faites, cependant le Nuge prend de plus en plus de place sur scène – tant au niveau physique que sonore - ne laissant que des miettes à ses comparses dont la frustration prend de l'ampleur.
 

   
Entretemps, Derek St. Holmes se demande s'il ne devrait pas tout simplement réaliser un album solo. David Krebs, conscient de son potentiel, n'y voit pas d'objection ; au contraire, conscient des tensions commençant à poindre, il estime que ce serait le meilleur moyen de désamorcer une rupture latente et inévitable. Une rupture qui pourrait perturber l'ascension de la carrière de Nugent. Cependant, ce dernier ne l'entend pas de cette oreille et s'oppose à cette velléité. Il faut le comprendre. Déjà que le public a mis du temps à admettre que « Nugent » est bien l'énergumène qui arpente de long en large la scène avec une énorme guitare, accoutré en sauvageon et arborant une incroyable crinière, et non St.Holmes, alors si en plus ce dernier réalise un album, plus ou moins dans le même style de musique, il craint qu'il ne lui fasse (trop) d'ombre. Il a galéré pendant bien des années, et maintenant qu'il goûte enfin à un succès retentissant, pas question de faire machine arrière.

     Tous font des efforts, ou du moins essayent, mais l'ego de Nugent demeure trop étouffant. 
Et donc, lassés de ne pouvoir à nouveau suffisamment s'exprimer artistiquement, Rob Grange et Derek St Holmes claquent la porte. Décision qui, sans être fatale, a une répercussion sur les prochains disques studio de Nugent qui semblent avoir perdu un peu de la magie des premiers opus. Nugent lui-même paraît devoir se caricaturer et forcer le trait pour pallier à un déficit de créativité. Il y aura quelques sursauts dont le fameux "Scream Dream" et le sauvage "Intensities In Ten Cities". 

     Lors de quelques tournées communes avec Montrose, Rob et Derek avaient appris à connaître et tisser des liens avec Denny Carmassi. Ce dernier, depuis un an avec Sammy Hagar, aspirait aussi à changer d'air. 

En toute logique, compte tenu de l'expérience et de la réputation de ces trois musiciens, ainsi que du coup de pouce de David Krebs, qui devient leur manager, le groupe est rapidement signé par une major, Warner Bros.


     Forcément, avec 50 % de son groupe, on retrouve assez souvent, deci delà, des échos renvoyant à Nugent. L'entrée en matière en est déjà un exemple assez marqué, et certainement placé en ouverture pour agripper le curieux. Plus évident encore avec l'excellent "Miami Slide", ou encore "Jesse James" qui s'apparente au meilleur du Motorcity Madman dans ce qu'il a pu faire de Heavy-rock mélodique (mais non FM). Pour 
"Jesse James", on peut aussi rajouter une facette James Gang, voire Southern-rock guindé façon 38 Special .
Et puis il y a « Live It Up », l' »unique » pièce de « Cat Scratch Fever » où St. Holmes a pu apposer sa signature. Une idée de David Krebs qui insiste lourdement pour inclure une chanson de Nugent afin que le public puisse faire le rapprochement, espérant ainsi augmenter les chances de succès ($) de l'album. Toutefois, si « Live It Up » est indéniablement une très bonne chanson, elle ne faisait pas alors partie du répertoire scénique du Nuge, et reste donc alors assez peu connue du "grand public"
   Toutefois, en terme de comparaison, il faudrait plutôt aller chercher du coté de Starz, en y ajoutant un lyrisme à la "Sammy Hagar" (époque "Musical Chairs", "Street Machine" et "Danger Zone")

Avec "Thighten The Knot", le trio se frotte même avec talent à une forme de boogie-rock à la mode sudiste - entre Hydra et Rossington Collins Band -.
Plus étonnant, la reprise de "Gamblin' Man", d'American Flyer (composé par Eric Kaz), qui n'apporte rien de plus à la version bien rock, limite Hard-blues à la Free, de Bonnie Raitt (album "Sweet Forgiveness" de 1977) dont elle est fort proche. Peut-être dans l'espoir de briguer les ondes radios. Même si Grange & St Holmes affirmaient adorer la rouquine californienne.
"Jackie" aussi, paraît rechercher les faveurs des radios avec sa facette Rock ensoleillé et optimiste, qui évoque "Cherry Baby" de Starz.

     En toute logique, avec ses cocos là, l'orchestration est irréprochable. C'est de la haute couture version jeans et cuir. Du Heavy-rock 100% bio qui, bien qu'assez mélodique, garde toute sa pureté en refusant d'être corrompu par toutes sortes d'arrangements extérieurs. Du 100% "fait-main".
Avec les quatre disques réalisés avec Nugent, on connaissait l'indéniable talent de chanteur de Derek, plus Soul que hurleur de Hard-rock ou shouter de Blues, mais là, on réalise qu'il est également un très bon guitariste. Certes, moins bon en solo (il y en a tout de même de très bons comme sur "Tighten the Knot") et moins nerveux que l'extraverti "Terrible Ted", mais il possède un sens de la rythmique infaillible, ciselé, efficace et brillant. A lui seul, il tisse des climats, des photographies. Sans avoir besoin de forcer le trait, ni de mimer ses pairs ou aînés (à l'exception du court break Zeppelien de "Hades" que l'on doit prendre comme un hommage appuyé), il s'inscrit naturellement dans la mouvance d'un Heavy-rock subtil.


   Toutefois, le produit final déçoit les musiciens. A leur stupéfaction, ils n'y retrouvent pas le son puissant qu'ils avaient concocté. Ils considèrent le résultat trop léger, trop "friendly radio". Sans leur demander leur avis, le producteur Mike Flicker, qui avait gagné la confiance des majors avec son travail pour Heart (1), a policé les bandes ; probablement pour rendre le groupe plus accessible commercialement. Ce qui n'était aucunement l'optique du trio. Déjà, lors des sessions, Flicker se montre inflexible et ne tient aucunement compte des revendications, encore moins des conseils, de Grange et St Holmes

Seul Carmassi est assez satisfait de la relation qu'il eut avec Flicker. Mais il est vrai qu'il semble avoir été dans les petits papiers du producteur tant sa batterie semble avoir bénéficié d'un régime de faveur par rapport à la basse de Grange écrasée par les patterns techniques de Carmassi. 
 Initialement, leur choix s'était porté sur Eddie Kramer, qui aurait été sans aucun doute préférable . Hélas, son planning était déjà complet. En second recours, Jack Douglas ou Roy Thomas Baker ou Jeff Glixman. Aucun disponible, ou ... aucun ne convenant à la "vision" de Warner Bros.
Autre déception : la pochette. 
Le trio la désapprouve, considérant que la présentation annonce bien moins un groupe de pur Rock que de disco. Hélas, ils sont mis devant le fait accompli, et n'ont d'autre choix que de se résigner. Cependant, la première épreuve de la pochette est d'un commun affligeant ; digne d'un groupe de Rock aseptisé (voir ci-dessus).

     En dépit d'une très bonne réception du public lors des concerts (même avec le challenge risqué d'ouvrir pour Van Halen) -, tant américain qu'européen, - avec le renfort de John Corey (2) embauché juste avant que l'album ne sorte -, les ventes ne sont pas assez satisfaisante pour le label.
Et puis, pas question de se produire dans la même ville que le père Ted qui, fâché par leur départ et craignant la concurrence, met son veto.
   En conséquence, le second disque ne sort pas. Enregistré sous la houlette de Jeff Glixman, les bandes dorment quelque part dans un tiroir de la Warner Bros. D'après Rob Grange, entre tout ce qu'ils avaient composé avec St Holmes, tout ce qu'ils avaient cumulé entre les journées d'attente à l'hôtel, les jams lors de soundcheck pendant les longues et interminables tournées de Nugent (parmi les plus longues de la décennie), et ce que ce dernier avait promptement refusé, il y avait de quoi remplir trois 33 tours. Il y en eut qu'un. Et quand on voit le peu de considération que ce label porte à ses archives - même pour de très grosses ventes -, on peut malheureusement considérer qu'elles sont perdues. Reste cet unique disque éponyme, sans aucune faute de goût, devenu assez rapidement un disque culte recherché.


(1) Le groupe des soeurs Wilson que rejoindra Denny Carmassi en 1983.
(2) John Corey, chanteur, guitariste, claviériste et compositeur, sera un musicien apprécié. Il rejoindra Rod Stewart, Don Henley, Eddie Money, The Eagles et The Who.
 


🌌✨
Articles liés (clic/lien) : "Ted Nugent" (1975) ; "Shut Up and Jam !" (2014) ; "Starz" (1976) ; Sammy Hagar "Live 1980" (1983)

2 commentaires:

  1. Et sais-tu mon cher Bruno que Marc Tobaly fut contacté par Krebs pour rejoindre le groupe ? Il travailla sur quelques démos avec St Holmes avant que ce dernier ne connaisse quelques soucis personnels qui ont fait capoté cette collaboration.

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    1. Ouaip ! Et c'est David Krebs qui permit à Tobaly d'être signé par Capitol pour le projet "King of Hearts".
      Ouaip, j'sais tout ça ... depuis peu ; suite à la lecture instructive de "Moroccan Roll : la fascinante histoire des Variations" (sur Camion blanc).

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