- Une sonate
pour piano et violon aujourd'hui M'sieur Claude ! Ça fait un bail une chronique
dans le genre… Juste Beethoven et Lekeu en 8 ans !
- C'est vrai
Sonia, pourtant ce répertoire est riche, Brahms, Fauré, Mozart, Schumann pour
les compositeurs les plus emblématiques, et plein d'autres…
- Dites donc,
16 minutes, il s'économisait Maurice Ravel, et en plus, il aurait mis quatre
ans à écrire cette jolie partition jazzy et endiablée !
- Ravel
estimait que le piano et le violon ne se mariaient pas bien… Chacun ses idées… En
plus il aimait faire la chasse aux notes inutiles à son sens…
- Hi hi, et
cette idée serait-elle valable pour toutes les musiques M'sieur Claude ? Jazz,
classique, rock, blues, que sais-je ?
- Joker
Sonia, Joker…
Ravel aux USA en 1928 |
Maurice Ravel peaufinait
ses œuvres. On est toujours surpris par la modestie de son catalogue qui ne
comporte que 111 ouvrages officiels. À noter que le compositeur aura travaillé
sur tous les genres hormis la musique religieuse ; musique symphonique –
principalement des ballets -, de chambre, musique lyrique mais pas d'opéra au
sens strict et évidement un ensemble de pièces pour piano d'un niveau de virtuosité
et de poésie rarement égalé. Il faut rappeler que ce corpus a été limité par la
mort prématurée de Ravel à 62 ans, sachant que
comme le chantait Léo Ferré, une
tumeur du cerveau avait amoindri totalement ses capacités créatrices les cinq
dernières années de son existence.
La très originale sonate pour violon et piano a été
écrite entre 1922 et 1927, une période pendant laquelle Ravel ne compose déjà plus beaucoup. Cette
sonate
porte le n° MM 77 dans le catalogue
définitif de Marcel Marnat qui se
termine par MM 83, soit le concerto en sol
de 1929-31. De cette époque ultime se
distingue aussi le Boléro
et Le concerto
pour la main gauche comme œuvres marquantes… (Marcel Marnat a regroupé certaines
pièces pour obtenir un index cohérent parmi les 111 ouvrages référencés.)
Cinq ans pour composer une sonate dont la partition ne
comporte que 32 pages ! Oui, je confirme, c'est long pour un bon quart d'heure de
musique que Haydn aurait écrit en un ou
deux jours… Quelques explications : ce n'est pas une commande, donc pas de
délai et Ravel aurait affirmé que le
violon et le piano étaient "essentiellement incompatibles".
Réécoutons la sonate le printemps de Beethoven, la sonate de Franck ou encore la 1ère sonate de Brahms
pour se persuader du contraire. Cet a priori a-t-il posé problème à Ravel ? Possible. Par ailleurs, la chasse
aux "notes inutiles" se remarque nettement en parcourant la partition.
Peu de notes, surtout pour la partie de piano qui est l'antithèse de ce qu'auraient pu produire un Liszt ou un Rachmaninov. Quant
à ma comparaison avec Haydn,
elle tombe assez vite à plat tant l'imagination, la pureté et la difficulté
technique sont au rendez-vous !
Frank Braley et Renaud Capuçon (© François Darmigny) |
Souffrant d'une crise de rhumatisme, la dédicataire ne
pourra assurer la création de la sonate. C'est le violoniste et compositeur roumain
Georges Enesco qui s'en chargera,
accompagné au piano par Ravel
lui-même le 30 mai 1927.
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La discographie de cette sonate est pour le mois
pléthorique. Un enregistrement récent m'enchante par sa vivacité et sa clarté
qui met bien en avant la modernité de cet ouvrage tardif. Il réunit Renaud Capuçon au violon et Frank Braley au piano.
Je ne présente pas Renaud
Capuçon, sans doute le violoniste français le plus connu et apprécié pour
son charisme, son travail pour faire découvrir la musique au plus grand nombre.
On trouvera sa biographie dans l'article consacré à un concerto de Camille
Saint-Saëns (Clic).
Frank Braley s'est
joint aux deux frères Capuçon
pour réaliser cet album réunissant la production pour musique de chambre option
piano-cordes de Ravel. Né en 1968, le
pianiste hésitera entre une carrière scientifique et musicale. La seconde possibilité
gagnera et le jeune artiste entre au CNSMD de Paris en 1986. En 1991, il
remporte le concours Reine Elisabeth de Belgique. Suit un début de carrière
exceptionnel tant dans le répertoire classique que dans le jazz.
Pour ses gravures de musique de chambre, une solide
complicité s'est établie avec Renaud et Gauthier Capuçon.
À noter une intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven avec Renaud.
Ils ont également enregistré la truite de Schubert avec la participation de Gérard Caussé à l'alto et d'Aloïs Posch à la contrebasse.
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1 - Allegretto : Si plus tard Ravel
composera un concerto pour la main Gauche, la sonate débute par un long thème
de six mesures joué à la seule main droite avec une économie de notes qui correspond
bien à son désir de chasser les notes inutiles… Un thème ? Non, d'autres sous
thèmes émergent à l'aide d'un jeu polyrythmique hérité de Stravinski (6/8, 9/8,…).
Une mélodie guillerette, cristalline et dansante, presque vaporeuse de par
l'absence d'accord. Techniquement, on constate une simplicité quasi scolaire.
Le violon répond en répétant deux fois le premier motif à la quinte supérieure.
Le ton est donné dans ce premier mouvement qui, malgré son solfège insolite,
regarde vers la pureté de l'âge classique. Toute comparaison avec le
classicisme et le romantisme s'arrête là.
Ravel métamorphose le mouvement par une variation en
continue à partir de ces motifs initiaux. Les climats sont d'une variété assez inouïe.
L'introduction se construit sur une dissociation des lignes mélodiques entre le
piano et le violon. Intentionnellement, Ravel
suggère un marivaudage empreint de sensualité un peu coquine. [1:05] Illuminé
par un motif facétieux, un second passage plus nostalgique nous invite à
contempler une lumière crépusculaire. Des compositeurs de son époque, Ravel me semble le plus imprégné d'impressionnisme.
[3:00] le motif initial ressurgit pour annoncer un développement aux accents
mystérieux. Un crescendo conduit à un nouvel épisode tout aussi étrange [4:30].
Ludique mais diabolique pour le violoniste, cet épisode est épicé par des
trilles frénétiques [4:40], un sabbat satanique d'une difficulté technique
ahurissante. Tout le mouvement va se poursuivre et se conclure dans cet esprit fantasque.
Bravo aux deux artistes qui joutent avec grâce, limpidité et… humour, et bravo aux
ingénieurs du son.
Hélène Jourdan-Morhange (1ère à gauche), Ravel (dernier à droite) |
Le violon fait cavalier seul en enchainant des accords
de trois notes en pizzicati. Tout amateur de Blues historique aura reconnu l'identification
du violon à un banjo… Ravel
se moque complètement de l'aspect "classique" de sa musique, il
s'amuse, il invente un langage nouveau qui n'est pas sans rappeler les
recherches ethno-musicales de son ami Bela Bartók.
La rythmique percussive de cette introduction est bien proche de celle si chère
au compositeur hongrois. Le piano fait une entrée tardive et adopte lui aussi
un style rythmique comparable à une batterie. Le violon entonne une mélodie
sensuelle évoquant la voix d'une chanteuse du Mississipi. Ravel
osait intégrer des éléments de musique "nègre" comme on disait encore
à l'époque dans une sonate. Les deux artistes fracassent la ligne mélodique.
Contrairement à certaines sonates (beaucoup) où le piano peut se limiter au
rôle d'accompagnateur, celle-ci donne la parole aux deux instruments à travers
une danse un peu folle qui ouvre les portes de la musique contemporaine. Darius Milhaud
en faisait autant avec ses ballets la création du Monde ou Le bœuf sur le
toit (Clic).
3 - Perpetuum
mobile (Allegro) : [12:55] La folie totale atteint le final.
Le piano hésite, le violon lui répond, interrogatif lui aussi. Puis branlebas
de combat. Perpetuum mobile confirmé avec une suite frénétique de doubles
croches au violon : arpèges, trémolos, accords brisés, la totale. Trois minutes
d'un délire plus que joyeux et un soupçon déjanté. Pas vraiment une œuvre pour
débutant ou pour violoniste qui joue un peu faux et de fait se rattrape à coup
de vibrato ! Renaud Capuçon est l'archet de la situation : un jeu d'une grande impulsivité (finement "sec" en terme de traits), malicieux et facétieux…
Une interprétation idéale de ce petit bijou. (Partition)
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