vendredi 31 août 2018

BLACKKKLANSMAN de Spike Lee (2018) par Luc B.


Il y a 25 ans Spike Lee tournait son premier grand film classique, MALCOM X avec Denzel Washington dont le fiston John David joue aujourd’hui ce flic noir infiltré au Ku Klux Klan. Ce flic c’est Ron Stallworth, qui avait publié son histoire (Black Klansman, 2014). Evidemment, la question qu’on se pose, c’est comment un Noir peut-il infiltrer le KKK ?!   
Après un vrai-faux montage de propagande avec un succulent Alec Baldwin haineux à souhait (qui dans un Tv-show américain est le pourfendeur n°1 de Trump), le film nous raconte l’incroyable point de départ de cette enquête. Sorti du service archives où on l’avait coltiné, Ron Stallworth, premier flic noir du commissariat de Colorado Springs, hérite d’une mission : infiltrer les Black Panthers dont le leader Stokely Carmichael arrive en ville pour tenir meeting. En parallèle il tombe sur une annonce dans le journal : l’antenne du KKK local recrute. Stallworth décroche son téléphone, décline sur un répondeur son nom - son vrai nom !! - et son numéro. On le rappelle - attention montage frauduleux de la bande annonce. Stallworth se lance dans un discours raciste surréaliste (la tête des collègues dans le bureau !) qui incite son interlocuteur à lui donner rendez-vous. Super ! Le poisson est ferré ! Mais qui va aller au rendez-vous ?...     
Ainsi, Ron Stallworth enquête-t-il chez les ultra-noirs, et les ultra-blancs ! Et c’est à l’image du film, qui bascule sans cesse d’un camp à l’autre, d'un genre à l'autre, du premier au second degré, du militantisme au divertissement. Spike Lee use de toutes les ressources du cinéma, montage parallèle, collages d’archives, extraits d'autres œuvres, actualités. Son film va plus loin que la trame policière, il retrace aussi la place des Noirs aux Etats Unis, via le cinéma notamment.
Ainsi, le plan des blessés de guerre d’AUTANT EN EMPORTE LE VENT à la gare d’Atlanta ouvre le film, et on projette à une assemblée du KKK enthousiaste le film de David Griffith NAISSANCE D’UNE NATION (1915), classique du muet, premier blockbuster de l’histoire, 3h10 de reconstitution historique, définissant la future grammaire du cinéma, mais controversé pour illustrer la naissance du KKK, et montrer des scènes de lynchages. L'épilogue (terrifiante après deux heures plus détendues) reprend les images des manifs suprématistes de Charlottesville en 2017.
Ron et Patrice
Dans une autre scène Ron Stallwotrh et Patrice Dumas (c’est une fille) des Black Panthers, discutent de leurs héros de cinoche Black Exploitation préférés ! SHAFT ou SUPERFLY ?! Et Spike Lee de garnir son écran d’affiches de film. Montage parallèle avec la cérémonie du KKK autour de David Duke (géniale scène - réelle - du polaroïd) et une réunion chez Patrice Dumas, où un vieil homme (Harry Belafonte, ardent défenseur des Droits Civiques en son temps) raconte le lynchage abominable de Jerry Washington en 1920 au Texas, image d’archives à l’appui, devant une assistance étudiante et noire, médusée.
Du cinéma éminemment politique et militant,  mais qui n’oublie pas l’enquête et le suspens. L’interrogatoire de Flip par Félix, du KKK, qui le soupçonne d’être juif, est un modèle de cinéma politique (thèse conspirationniste) de suspens, mais aussi d’humour. Car Spike Lee a choisi la farce pour parler de son sujet, voyez l'affiche qui donne le ton. De farce à caricature il n'y a qu'un pas, que Spike Lee ne franchit pas... ou presque ! L’humour et la satire nous évitent des discours pontifiants. David Duke se ridiculise tout seul suffisamment, dont l’organisation est infiltrée par un duo noir et juif !
La mise en scène alerte nous renvoie dans les années 70, avec titrage du générique, photographie du film, split-screen, fringues et coupes afro, et bien sûr Soul Music ! Quelques reprises « Say it loud », « Oh happy days », « Mary don’t you weep » (version Prince, au piano) mais surtout la BO de Terence Blanchard qui claque bien comme il faut. Il y a un vrai suspens autour de la double-couverture de Ron Stallworth, comme de celle de Flip Zimmerman. Spike Lee ne dépeint pas le KKK seulement comme un repère de Rednecks dégénérés, d’autres plus taiseux sont tout aussi dangereux, comme Walter, qui dirige la section, ou David Duke rendu pathétique de suffisance par le cinéaste.
L’action se situe à Colorado Springs, qui n’est sans doute pas la ville la plus représentative en matière de ségrégation. La section locale du KKK représente royalement 20 gus, mais on imagine l’arborescence de l’organisation, pyramidale. Il y a comme un flou sur la toute fin, un peu expédiée, on ne comprend pas trop ce qu’il advient de l’enquête et des protagonistes. Tous les acteurs sont excellents, John David Washington (aussi chanteur) et Adam Driver en tête. Le récit est rondement mené (film bavard tout de même), la mise en scène use de plein de ficelles, d’idées, on pense parfois au JACKY BROWN de Tarantino. Spike Lee a réussi un film populaire, divertissant, sur un sujet pourtant pas très léger.

Ma fille, ado, a vu le film, et m'a dit : à la sortie, j'avais assez honte d'être une babtou (=une blanche).
Tout est dit. 
 couleur et noir et blanc  -  2h15  -  scope
+++

8 commentaires:

  1. Ah Spike Lee, le seul ( avec moi) à avoir descendu Tarantino pour son Django Unchained de merde, avec Jamie Foxx qui enfonce le clou avec son "il est un peu en bout de course" (Spike Lee)...Ben t'as qu'à voir comment il est en bout de course le Spike Lee!

    RépondreSupprimer
  2. Que Spike Lee n'ait pas aimé Django, je peux le comprendre ! Mais Spike Lee aime-t-il d'autres cinéastes que lui même ?!! Il était très contrarié de ne pas avoir reçu la palme d'or à Cannes, et s'est barré des festivités en faisant la gueule. Moi j'ai aimé Django, même si ce n'est pas son meilleur film, sans entrer dans les débats raciaux, dont à mon sens Tarantino se fout royalement. On lui a fait le même procès pour sa relecture de l'Histoire dans Inglorious, comme on lui en fera un pour le prochain, sur la Manson Family...

    Avant celui-ci, le Spike Lee que j'ai bien aimé, c'était Inside Man. Un très bon travail de professionnel.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je veux bien le croire que Tarantino se fout des débats raciaux, mais avoue quand même que son Django se focalise dessus en appuyant assez lourdement (la scène du crane avec Di Caprio). J'ai beau vénérer Quentin, ça ne m’empêche pas d’abhorrer ce film pour ses caricatures que je trouvent foirées (ça t'as fait marrer la scène où ils n'ont pas les yeux en face des trous avec les cagoules?...).
      Moi mon préféré c'est Summer Of Sam avec Adrien Brody, mais j'ai aussi beaucoup aimé Inside Man.
      Bonne rentrée Lucio!

      Supprimer
    2. Comme je suis têtu je cherche à comprendre pourquoi je n'aime pas Django et l'un des arguments viendrait peut être du fait que la présence de Christoph Waltz n'y soit pas étrangère. La réussite d'Inglorius tient beaucoup à sa prestation, on le découvre, sa sophistication nous envoûte. Son jeu est identique dans Django, le problème c'est qu'on le connait maintenant, et 2 film d'affilé avec lui et ben ça le fait pas. Ça participe au fait que j'ai trouvé Django balourd. Bon, j'ai fini ma psy, je vais reprendre du café...

      Supprimer
  3. Tu as raison pour Christoph Waltz, qui se répète dans Django. Oui, les cagoules ça m'a fait marrer ! Comme les Coen se foutaient du KKK dans "O Brothers" ! Django se focalise sur la ségrégation des états du sud, Tarantino n'élude pas le sujet. Mais c'est le choix d'un acteur noir qui a déclenché le procès. C'était comme du révisionnisme... un noir, armé, éduqué, à l'époque ça n'existait pas, disent les détracteurs, donc Tarantino n'avait pas le droit de le montrer. Les noirs étaient les victimes, il les a montrés en héros. Voilà ce qu'on lui reproche. C'est là où je pense que Tarantino se fout de cet aspect, comme on sait qu'Hitler n'est pas mort à Paris dans une salle de cinéma ! C'est la fiction, et Tarantino ce qu'il aime avant tout, c'est raconter des histoires, et jouer avec les histoires, et embarquer le spectateur où il veut.

    Summer Of Sam, très bien aussi !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Yes bon ok...Mais hormis Spike Lee, je ne me souviens pas des détracteurs dont tu parles.
      Pour mon cas, ce n'est pas sur le fond que j'ai des griefs, tu me connais, je me suis suffisamment fritté avec certains prosélytes quant aux religions aux intégristes ou au révisionnistes. Le cinoche c'est du cinoche et un créateur artistique peut (doit?) tordre le cou à la réalité.
      Django c'est pas mon kiff, j'sais pas, le rythme peut être... Toi t'es Deep Purple, moi Led Zep. Vive les différences, c'est comme ça qu'on avance parce que quand on en discute, on réfléchit...
      Au plaisir Lucio

      Supprimer
  4. Ouh là, comme tu y vas !!! Deep Purple, of course, c'est presque sentimental, comme la première petite copine, mon premier groupe de rock à moi tour seul (rapport aux grands frères) et qui m'a conduit vers la musique, l'écouter et la jouer. Donc une grande place dans ma vie. Mais Led Zep... C'est juste le top, le truc improbable qui ne se renouvellera pas dans les siècles à venir !! Tiens, je matais encore hier une vidéo YT sur Bonham et Page. Ces mecs étaient les Mozart du rock !

    Tu as aimé les "8 Salopards" ? Ca c'était encore plus fort, sur l'écriture, la mise en scène, l'audace même du projet (huis-clos, 3h20, la neige, format image super 70...) là on se rend compte combien Tarantino est devenu un auteur - au sein des studios - qui peut tout faire... et le réussir !!!

    RépondreSupprimer
  5. Ce site est magnifique et des films peuvent être regardés gratuitement à travers celui-ci https://skstream.tube/ Je l'ai aimé et vous pourriez bien être utile

    RépondreSupprimer