samedi 12 mai 2018

WAGNER - Voyage sur le Rhin & Marche funèbre de Siegfried – George SZELL - par Claude Toon



- Ach Fagner Mzieur Klaude… Autre chronique complète après celle pour Tristan et Isolde ? Ah non juste des extraits symphoniques, c'est frustrant…
- Mon papier sur Tristan frôlait les 5000 mots Sonia. Pour le Crépuscule des Dieu, il faudrait compter 20 000, on verra cela une autre année…
- Mais pourquoi autant, l'argument est-il si compliqué que ça ?
- Ô oui, une tragédie à rebondissements avec de nombreux personnages. Et puis cet opéra achève le cycle du Ring ou Anneau du Nibelung, soit une saga de quatre opéras… Il faudrait mieux que je commence par l'Or du Rhin, le premier, et ainsi de suite, La Walkyrie puis Siegfried…
- Humm, je vois, les morceaux présentés semblent longs et variés, vous parlez même de poèmes symphoniques en commençant à lire ce billet. Ah, George Szell, pas Karajan ou des habitués de Bayreuth ?
- Oui les intermèdes orchestraux sont somptueusement développés pour aménager des pauses dans cet opéra fleuve. Et puis, oui, George Szell détestait jouer Wagner de manière bourrin…

Arthur Rackham : Brünnhilde  (1902)
Si vous randonnez en pleine montagne, voire en Forêt Noire, cet article est pour vous car vous voilà déjà dans l'ambiance de l'univers sauvage tendance barbaresque du Ring de Wagner et surtout du dernier des quatre opéras du cycle : Le Crépuscule des Dieux… Pour ceux qui rougissent voire rissolent sur la plage au bord de la mer, la Marche funèbre sous la baguette de maître Szell se prolonge par le sacrifice de la belle Brünnhilde  plongeant dans le bûcher expiatoire. Donc, tous les publics sont visés 😊.
Je commenterai sans doute le Ring dans les 20 ans à venir dans le blog. Pour aujourd'hui, je vous la fais courte avec deux extraits symphoniques emblématiques de cet opéra fleuve qui fleure bon l'héroic fantasy.
En 1968, date de ces captations, seuls Georg Solti et Herbert von Karajan ont entrepris de graver l'intégralité du monument de Wagner en microsillon et en studio (18 LP !). Depuis, la discographie et la DVDthèque est pléthorique avec des enregistrements et des vidéos de représentations tant au temple de Bayreuth (Böhm, Boulez) que dans divers opéras de la planète. À l'époque, les albums réunissant des pages orchestrales permettaient de se familiariser avec la musique du grand Richard. On se souvient des anthologies d'Adrian Boult, Otto Klemperer et, encore plus ancien, Hans Knappertsbusch… Dans la première moitié du XXème siècle, notamment en Allemagne avec les butors nazis, on jouait Wagner de la manière la plus bourrin possible. Et George Szell, lui, détestait la lourdeur… (Clic)
George Szell a déjà été au centre de deux articles du blog : la 4ème symphonie de Schumann et le 4ème concerto pour piano de Beethoven comme accompagnateur d'Emil Gilels à la tête de l'Orchestre de Cleveland qu'il dirigea d'une poigne de fer de 1946 à 1970, phalange illustre que l'on retrouve ici dans un programme Wagner. On a parfois reproché à ce maestro une forme de sécheresse, des interprétations désincarnées, principalement dans le répertoire romantique. Il n'en est rien, le chef apportait de la clarté, faisait circuler l'air entre tous les pupitres, en un mot restituait aux partitions toutes leurs richesses concertantes. Il a fait école et, le tonitruant Wagner passé a laissé place de nos jours à un jeu plus fluide, avec des couleurs orchestrales finement cuivrées et lyriques, ce qui n'est en aucun cas incompatible avec l'énergie épique du style du compositeur. Je pense notamment à Marek Janowsky, dont l'approche m'avait désorienté en concert (une impression de distance timide dans le final du Crépuscule des Dieux), mais, avec le temps je dois reconnaitre que la ductilité et la luminosité de la direction préservaient la magie wagnérienne. Les enregistrements de ce chef ont d'ailleurs été salués depuis par la critique…
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Jean de Reszke (Siegfried en 1896) par Nadar
Le Crépuscule des dieux qui clôt le Ring en 1876 réunit un nombre de personnages impressionnant, à la hauteur du roman feuilleton opératique qui rappelle le Seigneur des anneaux de Tolkien (inspiration similaire). D'ailleurs dans cet ultime épisode de plus de quatre heures, tout le monde court après ledit anneau forgé dans l'Or du Rhin (1er opéra en guise de prologue). Un imbroglio épique mettant en scène des dieux en perte d'influence, des nains diaboliques, des chevaliers, un heaume magique qui permet de changer de tête, un philtre d'amour, des lances, des épées… De l'amour, de la haine, des trahisons ; impossible à résumer finement et même sans intérêt majeur dans ce papier destiné surtout à écouter des extraits orchestraux. De toute façon, à la fin, tout le monde meurt et les filles du Rhin récupèrent leur anneau volé au début de l'Or du Rhin. Tout ça pour ça.
Juste un mot en guise de présentation des deux personnages principaux : Siegfried, le beau guerrier mâle, petit-fils du Big Boss des Dieux, Wotan, et époux de Brünnhilde, une walkyrie déchue de ses droits divins par son père Wotan, emprisonnée par lui dans un cercle de feu. Hé oui Rockin, Siegfried a épousé sa tante… Bref, une histoire riche en rebondissements… Heu, vous n'avez rien compris à mon condensé ? Vous vous en fichez ? 😊 Pas grave, ça ne me vexe pas, la musique se suffit à elle-même. Ce sont parmi les plus belles pages symphoniques de Wagner.
L'orchestration est démentielle ; logique pour un blockbuster lyrique… Il faudra attendre Mahler et R. Strauss pour retrouver de tels effectifs :
3 flûtes, 3 hautbois + 1 cor anglais, 3 clarinettes + 1 clarinette basse, 3 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 1 trompette basse, 3 trombones (ténor, basse, contrebasse), 1 tuba contrebasse, 4 Wagner-tuben, 2 jeux de timbales, 1 triangle, 1 paire de cymbales, 1 glockenspiel, 1 caisse claire, 6 harpes (!) les cordes (60)… Ça jette !

Vidéo 1 : Aube et voyage de Siegfried sur le Rhin : Wagner fait précéder l'acte 1 d'un prologue chanté par trois nornes (pythie dans la mythologie nordique ou encore prophétesse) qui assurent un résumé des épisodes précédents et prophétisent la tragédie qui se profile. Utile pour les mélomanes qui n'ont pas encore écouté les trois premiers opéras ou ont oublié certaines péripéties. Nous écoutons donc l'ouverture réelle du Crépuscule des dieux. Plus un petit poème symphonique qu'un intermède et utilisant plusieurs leitmotive parmi la centaine imaginée par le compositeur. Des accords graves des cuivres et une longue phrase tout aussi sombre aux cordes introduit l'aube, un soleil rouge de sang. Une aurore sur le Rhin, une lumière brumeuse, mais aussi un climat très romanesque qui ne transpire pas la noirceur et la mort à venir. Les autres instruments s'élancent un à un à partir des leitmotive du Ring, notamment celui du Thème héroïque de Siegfried ([1:44] chant de la clarinette et du basson, puis des cordes). Siegfried qui n'est plus l'adolescent incontrôlable de Siegfried. L'instrumentation est splendide, les motifs apparaissent comme des vagues colorées, un flot exalté, mais sans outrance sonore, comme si Wagner ne voulait pas encore dévoiler que la tragédie la plus absolue et terrifiante va se nouer d'acte en acte. Le voyage sur le Rhin développe une musique héroïque avec [5:55] un appel de cor qui pourrait nous renvoyer à Roland de Roncevaux, le chant du héros qui court vers son destin, rien de surprenant chez ce compositeur fasciné par les prouesses et légendes du Moyen-Âge. George Szell conçoit sa direction transparente comme le portrait d'un chevalier heureux et valeureux.

Vidéo 2 : Marche funèbre de Siegfried et scène finale : La marche funèbre jusqu'au bûcher de Siegfried tué par Hagen est très connue de par sa surexploitation dans les musiques de films (Excalibur de Boorman, notamment). Richement orchestré de sonneries de cuivres et d'interventions des percussions, cet intermède puissant et douloureux, assure la transition du drame très complexe vers la tragédie finale du Ring, au sens grec du terme : l'anéantissement. Bien que très rythmé, sa force évocatrice et incantatoire repose sur le recours à une multitude de leitmotive extraits de la totalité de l'œuvre : la Douleur et héroïsme des Wälsung (ou thème de Sieglinde), la compassion, l’amour, l’épée, Siegfried gardien de l’épée, le thème héroïque, Brünnhilde, la servitude, la malédiction, puis le thème de Gutrune, rare personnage capable d'un amour sincère dans le Ring. [8:38] George Szell enchaîne sur la conclusion symphonique dans laquelle se bousculent dans un orchestre survolté une myriade de thèmes impossibles à tous citer… La furie orchestrale se justifie, entre l'immolation volontaire de Brünnhilde après son grand air final et les flammes du bûcher qui envahissent le Walhalla  emportant les dieux à jamais, etc.  George Szell ne surcharge pas ce discours pourtant propice à tous les excès possibles, des cataclysmes sonores dénaturés et boursouflés qui séduiront tant le Führer qui n'aura rien compris "au film", car cette marche au néant préfigure la sienne…
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1 commentaire:

  1. Malgré une discothèque assez abondamment fourni pour ce qui concerne Wagner -près de 500 CD-, je n'ai quasiment aucun disque d'extraits orchestraux : le concept même de la chose me laisse plutôt dubitatif, puisqu'on s'éloigne des volontés du compositeur d'écrire une "oeuvre d'art total", où tout, de la musique au chant et à la mise en scène, est important et indissociable, et s'inscrit sur un temps long, donnée très importante chez Wagner, qui n'est pas précisément le musicien de l'immédiateté...
    Nonobstant, dans cette perspective d'extraits orchestraux, l'album de Szell fait partie des tout bons, en effet, même si on peut lui préférer ceux de Klemperer ou Karajan/EMI.
    En revanche, contrairement à ce que tu écris, les interprétations d'avant-guerre ou de guerre n'étaient pas vraiment bourrinées : on trouve un excellent "Crépuscule des Dieux" de Bayreuth 1942 -Carl Elemndorff- plutôt rapide et cursif, et de nombreuses "Walküre" du Met très rapides. La lenteur est surtout l'apanage de Knappertsbusch, après-guerre, mais aussi de Levine ou Thielemann plus récemment.

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