- Ach Fagner Mzieur Klaude…
Autre chronique complète après celle pour Tristan et Isolde ? Ah non juste des
extraits symphoniques, c'est frustrant…
- Mon papier sur Tristan
frôlait les 5000 mots Sonia. Pour le Crépuscule des Dieu, il faudrait compter
20 000, on verra cela une autre année…
- Mais pourquoi autant,
l'argument est-il si compliqué que ça ?
- Ô oui, une tragédie à rebondissements
avec de nombreux personnages. Et puis cet opéra achève le cycle du Ring ou Anneau du Nibelung, soit une saga de quatre opéras… Il faudrait mieux que je
commence par l'Or du Rhin, le premier, et ainsi de suite, La Walkyrie puis
Siegfried…
- Humm, je vois, les
morceaux présentés semblent longs et variés, vous parlez même de poèmes
symphoniques en commençant à lire ce billet. Ah, George Szell, pas Karajan ou
des habitués de Bayreuth ?
- Oui les intermèdes
orchestraux sont somptueusement développés pour aménager des pauses dans cet
opéra fleuve. Et puis, oui, George Szell détestait jouer Wagner de manière
bourrin…
Arthur Rackham : Brünnhilde (1902) |
Je
commenterai sans doute le Ring
dans les 20 ans à venir dans le blog. Pour aujourd'hui, je vous la fais courte
avec deux extraits symphoniques emblématiques de cet opéra fleuve qui fleure
bon l'héroic fantasy.
En
1968, date de ces captations, seuls Georg Solti et Herbert
von Karajan ont entrepris de graver l'intégralité du monument de
Wagner en microsillon et en studio (18 LP !). Depuis,
la discographie et la DVDthèque est pléthorique avec des enregistrements et des
vidéos de représentations tant au temple de Bayreuth (Böhm,
Boulez) que dans divers opéras de la
planète. À l'époque, les albums réunissant des pages orchestrales permettaient
de se familiariser avec la musique du grand Richard. On se souvient des
anthologies d'Adrian Boult, Otto Klemperer et, encore plus ancien, Hans Knappertsbusch… Dans la première
moitié du XXème siècle, notamment en Allemagne avec les butors nazis,
on jouait Wagner de la manière la plus
bourrin possible. Et George Szell, lui, détestait la lourdeur… (Clic)
George Szell a déjà été au centre de deux articles
du blog : la 4ème
symphonie de Schumann et
le 4ème
concerto pour piano de Beethoven
comme accompagnateur d'Emil Gilels à
la tête de l'Orchestre de Cleveland qu'il
dirigea d'une poigne de fer de 1946 à 1970, phalange illustre que l'on retrouve
ici dans un programme Wagner.
On a parfois reproché à ce maestro une forme de sécheresse, des interprétations
désincarnées, principalement dans le répertoire romantique. Il n'en est rien,
le chef apportait de la clarté, faisait circuler l'air entre tous les pupitres,
en un mot restituait aux partitions toutes leurs richesses concertantes. Il a
fait école et, le tonitruant Wagner
passé a laissé place de nos jours à un jeu plus fluide, avec des couleurs
orchestrales finement cuivrées et lyriques, ce qui n'est en aucun cas
incompatible avec l'énergie épique du style du compositeur. Je pense notamment
à Marek Janowsky, dont l'approche m'avait
désorienté en concert (une impression de distance timide dans le final du
Crépuscule des Dieux), mais, avec le temps je dois reconnaitre que la ductilité
et la luminosité de la direction préservaient la magie wagnérienne. Les
enregistrements de ce chef ont d'ailleurs été salués depuis par la critique…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Jean de Reszke (Siegfried en 1896) par Nadar |
Le Crépuscule des dieux qui clôt le Ring
en 1876 réunit un nombre de personnages impressionnant, à la hauteur du roman
feuilleton opératique qui rappelle le Seigneur des anneaux de Tolkien
(inspiration similaire). D'ailleurs dans cet ultime épisode de plus de quatre
heures, tout le monde court après ledit anneau forgé dans l'Or du Rhin
(1er opéra en guise de prologue). Un imbroglio épique mettant en
scène des dieux en perte d'influence, des nains diaboliques, des chevaliers, un
heaume magique qui permet de changer de tête, un philtre d'amour, des lances,
des épées… De l'amour, de la haine, des trahisons ; impossible à résumer finement
et même sans intérêt majeur dans ce papier destiné surtout à écouter des
extraits orchestraux. De toute façon, à la fin, tout le monde meurt et les filles du Rhin récupèrent leur anneau
volé au début de l'Or du Rhin. Tout ça pour ça.
Juste
un mot en guise de présentation des deux personnages principaux : Siegfried, le beau guerrier mâle, petit-fils
du Big Boss des Dieux, Wotan, et
époux de Brünnhilde, une walkyrie
déchue de ses droits divins par son père Wotan,
emprisonnée par lui dans un cercle de feu. Hé oui Rockin, Siegfried a épousé sa tante… Bref, une histoire riche en rebondissements…
Heu, vous n'avez rien compris à mon condensé ? Vous vous en fichez ? 😊 Pas grave, ça
ne me vexe pas, la musique se suffit à elle-même. Ce sont parmi les plus belles
pages symphoniques de Wagner.
L'orchestration
est démentielle ; logique pour un blockbuster lyrique… Il faudra attendre Mahler et R. Strauss
pour retrouver de tels effectifs :
3
flûtes, 3 hautbois + 1 cor anglais, 3 clarinettes + 1 clarinette basse, 3
bassons, 4 cors, 3 trompettes, 1 trompette basse, 3 trombones (ténor, basse,
contrebasse), 1 tuba contrebasse, 4 Wagner-tuben, 2 jeux de timbales, 1
triangle, 1 paire de cymbales, 1 glockenspiel, 1 caisse claire, 6 harpes (!)
les cordes (60)… Ça jette !
Vidéo 1 : Aube et voyage de Siegfried sur le Rhin : Wagner fait précéder l'acte 1 d'un
prologue chanté par trois nornes (pythie
dans la mythologie nordique ou encore prophétesse) qui assurent un résumé des
épisodes précédents et prophétisent la tragédie qui se profile. Utile pour les
mélomanes qui n'ont pas encore écouté les trois premiers opéras ou ont oublié
certaines péripéties. Nous écoutons donc l'ouverture réelle du Crépuscule des dieux. Plus un petit poème
symphonique qu'un intermède et utilisant plusieurs leitmotive parmi la centaine
imaginée par le compositeur. Des accords graves des cuivres et une longue
phrase tout aussi sombre aux cordes introduit l'aube, un soleil rouge de sang.
Une aurore sur le Rhin, une lumière brumeuse, mais aussi un climat très romanesque
qui ne transpire pas la noirceur et la mort à venir. Les autres instruments
s'élancent un à un à partir des leitmotive du Ring,
notamment celui du Thème héroïque de Siegfried ([1:44] chant de la clarinette et du basson, puis des
cordes). Siegfried qui n'est plus
l'adolescent incontrôlable de Siegfried.
L'instrumentation est splendide, les motifs apparaissent comme des vagues colorées,
un flot exalté, mais sans outrance sonore, comme si Wagner
ne voulait pas encore dévoiler que la tragédie la plus absolue et terrifiante
va se nouer d'acte en acte. Le voyage sur le Rhin développe une musique
héroïque avec [5:55] un appel de cor qui pourrait nous renvoyer à Roland de Roncevaux, le chant du héros
qui court vers son destin, rien de surprenant chez ce compositeur fasciné par les
prouesses et légendes du Moyen-Âge. George Szell
conçoit sa direction transparente comme le portrait d'un chevalier heureux et
valeureux.
Vidéo 2 : Marche funèbre
de Siegfried et scène finale : La marche funèbre jusqu'au bûcher de Siegfried tué
par Hagen est très connue de par sa surexploitation dans les
musiques de films (Excalibur de Boorman, notamment). Richement orchestré de sonneries de cuivres et
d'interventions des percussions, cet intermède puissant et douloureux, assure la
transition du drame très complexe vers la tragédie finale du Ring, au sens grec
du terme : l'anéantissement. Bien que très rythmé, sa force évocatrice et
incantatoire repose sur le recours à une multitude de leitmotive extraits de la
totalité de l'œuvre : la Douleur et héroïsme des Wälsung (ou thème de Sieglinde),
la compassion,
l’amour,
l’épée,
Siegfried
gardien de
l’épée, le thème héroïque, Brünnhilde, la servitude,
la malédiction,
puis le thème de Gutrune,
rare personnage capable d'un amour sincère dans le Ring.
[8:38] George Szell enchaîne sur la
conclusion symphonique dans laquelle se bousculent dans un orchestre survolté
une myriade de thèmes impossibles à tous citer… La furie orchestrale se
justifie, entre l'immolation volontaire de Brünnhilde
après son grand air final et les flammes du bûcher qui envahissent le Walhalla emportant les dieux à jamais,
etc. George
Szell ne surcharge pas ce discours pourtant propice à tous les
excès possibles, des cataclysmes sonores dénaturés et boursouflés qui séduiront
tant le Führer qui n'aura rien compris "au film", car cette marche au
néant préfigure la sienne…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Malgré une discothèque assez abondamment fourni pour ce qui concerne Wagner -près de 500 CD-, je n'ai quasiment aucun disque d'extraits orchestraux : le concept même de la chose me laisse plutôt dubitatif, puisqu'on s'éloigne des volontés du compositeur d'écrire une "oeuvre d'art total", où tout, de la musique au chant et à la mise en scène, est important et indissociable, et s'inscrit sur un temps long, donnée très importante chez Wagner, qui n'est pas précisément le musicien de l'immédiateté...
RépondreSupprimerNonobstant, dans cette perspective d'extraits orchestraux, l'album de Szell fait partie des tout bons, en effet, même si on peut lui préférer ceux de Klemperer ou Karajan/EMI.
En revanche, contrairement à ce que tu écris, les interprétations d'avant-guerre ou de guerre n'étaient pas vraiment bourrinées : on trouve un excellent "Crépuscule des Dieux" de Bayreuth 1942 -Carl Elemndorff- plutôt rapide et cursif, et de nombreuses "Walküre" du Met très rapides. La lenteur est surtout l'apanage de Knappertsbusch, après-guerre, mais aussi de Levine ou Thielemann plus récemment.