samedi 18 mars 2017

Paul HINDEMITH – Métamorphoses Symphoniques – Eugen JOCHUM (1977) – par Claude TOON



- J'en étais sûre M'sieur Claude ! Vous nous aviez promis de présenter des nouveaux compositeurs cette année… En voici encore un : Paul Hindemith… C'est qui ?
- Eh bien Sonia, Paul Hindemith est un altiste, chef d'orchestre et compositeur allemand de la première moitié du XXème siècle…
- Hum hum, c'est plutôt sérialiste, polytonale ou au contraire postromantique ? Z'avez vu, j'commence à en connaître un rayon question vocabulaire !!!!
- Oui mon petit. En réalité ce compositeur est passé du monde postromantique à la Richard Strauss à un style parodique voire ironique moderne et pittoresque…
- Pourtant avec la peste brune, ce compositeur n'a pas dû connaître que des moments drôles et pittoresques en Allemagne pour reprendre vos mots ? Était-il juif ?
- Non, mais son épouse et son beau-père oui. Comme Bruno Walter, Otto Klemperer ou Arnold Schoenberg, il s'est réfugié aux USA, pays qui verra naître ces Métamorphoses…

Il est facile de trouver des photos de Paul Hindemith souriant, a contrario de maestros souvent grincheux : Karl Böhm, Fritz Reiner, Toscanini, etc. L'homme semble avoir été un bon vivant et, comme on l'entendra tout à l'heure, j'aurais tendance à lui prêter un épicurisme qui a rejailli dans la bonhomie de sa musique.
Né le 16 novembre 1895 à Francfort, le jeune Paul se révèle un jeune musicien brillant. Il va étudier dès l'âge de 7 ans le violon et son grand frère l'alto qui deviendra son instrument de prédilection. À quatorze ans, il part se perfectionner au conservatoire supérieur de la ville et travaille également la direction d'orchestre et la composition. Il va dès 20 ans poursuivre une carrière de soliste, de chef à l'opéra de Francfort mais aussi de pédagogue à Berlin. Il commence à composer dans tous les genres dès 1921, notamment ses réjouissantes Kammermusik ("Musique de chambre"), un hommage aux concertos grosso de l'époque baroque mais délicieusement colorés par une orchestration moderne.
Ayant épousé la fille de Ludwig Rottenberg, un chef d'orchestre juif, il va rapidement être en délicatesse avec le régime nazi, en 1933 pour être précis à la prise de pouvoir absolue par Hitler. De plus, sa musique, bien que lorgnant vers un néoclassicisme, se teinte par son écriture de techniques avant-gardistes, et se classa donc dans la catégorie "musique dégénérée" selon les critères nationaux-socialistes. En 1938, départ vers la Suisse puis, très rapidement, pour le nouveau monde. Il obtiendra la nationalité américaine en 1943.
Paul Hindemith se refusera d'appartenir à une école dogmatique et à la mode, comme la seconde école de Vienne, tout en utilisant généreusement l'atonalité dans une production abondante dans tous les genres : symphonique, opéra, musique de chambre et même musique de film…
Paul Hindemith a plus marqué l'histoire de la musique comme compositeur que comme chef d'orchestre, il faut dire que contemporain de Furtwängler, Klemperer, Walter et même Jochum à peine plus jeune, la concurrence était rude 😎. Après la Guerre, il retournera volontiers dans son pays. Il disparaîtra en 1963 à Francfort, sa ville natale. Deux œuvres sont très souvent inscrites aux programmes des concerts : Mathis le Peintre et Les Métamorphoses symphoniques.
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Au début de ma carrière de deblocnoteur, nous avions rencontré Eugen Jochum dans son interprétation historique des Carmina Burana de Carl Orff. (Clic) La présentation de ce chef était, disons… succincte…
Né en 1902, l'image classique du chef allemand est celle d'un maestro teuton typique de sa génération : droit comme un i, autocratique, en un mot : moi et personne d'autre à part Dieu. Voilà qui est pour le moins réducteur et trompeur. Certes, le chef s'est illustré magnifiquement dans des interprétations aux accents romantiques de Bach, a gravé l'une des premières intégrales incontournables des symphonies de Bruckner pour DG ; deux compositeurs à l'art plutôt sévère. (Écoutez ses Passions réalisées pour Philips dans les années 60, effectif grandiose certes, mais quelle spiritualité.)
L'artiste fût inquiété lors des imbroglios qui ont suivi la chute du nazisme. Pourquoi ? Son frère était également chef d'orchestre, mais encarté au parti nazi, sans plus d'ailleurs car il ne payait pas ses cotisations, mais adhérent convaincu. Bon sang, on choisit ses amis, pas sa famille ! Eugen Jochum, catholique fervent et sincère, méprisait les soudards à croix gammées et choisit de poursuivre sa carrière à Hambourg, région plutôt épargnée politiquement par la peste brune. "C'est plus libéral" confiait le chef en aparté… Il n'a jamais pris sa carte du parti bien entendu. C'est à Hambourg qu'il se lia d'amitié avec Hindemith et continua de jouer Bartók, l'indésirable du régime, contre vent et marée.
Comme pour Hindemith, sélectionner une photo de Jochum guilleret est aisé. L'homme n'était pas dénué d'humour, loin de là. Sa gravure voluptueuse des Carmina Burina n'a pas fini de nous en persuader 50 ans plus tard. La paillardise du sujet ne l'avait pas refroidi. Même chose dans une humoristique et subtile intégrale des douze symphonies londoniennes du très farceur Haydn, cycle qu'il grava fin des années 60 avec la Philharmonie de Londres. Les deux concertos pour piano de Brahms avec Emil Gilels restent une référence tout comme un Chant de la Terre de Mahler avec le Concertgebouw d'Amsterdam.
Rien de surprenant donc de retrouver Jochum magnifiant ces pages drolatiques de Hindemith avec une énergie folle, galvanisé par le public british lors d'un concert donné à la BBC en 1977, live auquel est consacrée cette chronique. Et cette fois-ci avec le bel orchestre Symphonique de Londres.
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Carl Maria von Weber
Les Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber (ça c'est un titre à rallonge 😊) sont le résultat de moult péripéties dans le travail de compositeur de Hindemith lors de son séjour aux USA. Je vais essayer de vous la faire courte…
- Pfuuu, ça ce n'est pas gagné, hi hi !!
- Dites Sonia, un peu de respect, je fais des efforts…
En 1939, le chorégraphe russe Léonide Massine, un élève de Diaghilev le grand maître des ballets russes, avait déjà travaillé avec Hindemith sur un projet de ballet : Nobilissima Visione. Créé à Venise puis joué au Metropolitan à New-York avec succès, cette première expérience donna l'idée à Léonide Massine de poursuivre cette collaboration pour un nouveau projet. Grand amateur de Weber, le chorégraphe souhaitait une illustration musicale reposant sur une orchestration assez classique des pièces pour piano de l'auteur du Freischütz… Si Hindemith aime également Weber, une orchestration classique et banale ne l'enchante guère en tant qu'apôtre de modes d'écriture modernistes voire un peu cocasses. Les premières ébauches, ne plaisent donc pas à Léonide Massine. Les caractères bien trempés des deux hommes n'acceptent aucune concession et le projet finit par tomber à l'eau.
En 1943, Hindemith reprend sa partition qui comprend déjà deux parties sur les quatre prévues, en ajoute une troisième toujours sur un thème tiré d'une pièce de Weber et, idée de génie, introduit un quatrième mouvement reprenant le motif bien rythmé de l'ouverture de la musique de scène pour la pièce Turandot de Schiller, pas l'opéra célèbre de Puccini ! Il recourt à un orchestre d'une variété inouïe :
2 flûtes + piccolo, hautbois + cor anglais, 2 Clarinettes + clarinette basse + clarinette contrebasse, 2 bassons + contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 2 trombones et trombone basse, tuba, 4 timbales, caisse claire, grosse claire, tambourin, triangle, Glockenspiel, petites et grandes cymbales, deux gongs, tamtam, wood block, cloches tubulaires, les cordes… Je n'ai rien oublié ? Pardon ? Heu… Non Sonia, pas de harpes !
De ballet, l'ouvrage s'est "métamorphosé" en une petite symphonie pétulante qui sera créée en janvier 1944 sous la direction de Artur Rodziński directeur musical de l'Orchestre philharmonique de New York. C'est un triomphe. L'œuvre est diffusée rapidement à la radio, puis reprise généreusement aux USA et en Europe dans les années qui suivent la paix retrouvée, par des grands maestros comme Dimitri Mitropulos, George Szell et en 1947 par Wilhelm Furtwängler qui peut enfin jouer les musiques de son temps.

De l'énigmatique princesse Turandot (1937) à la survoltée guerrière Michelle Yeoh
Soyons clair, ces Métamorphoses symphoniques ne se prêtent pas à une analyse psychologique détaillée comme un quatuor de Schubert la semaine passée ou une symphonie métaphysique de Bruckner dernière manière. Il s'agit d'un pur divertissement musical, voire une fantaisie complétement "barrée" dans la transformation iconoclaste de l'ouverture de Turandot. On s'amuse mais on ne philosophe pas…

1 - Allegro d'après les huit pièces opus 60 : Marche guerrière ? Pas de l'oie ? Hindemith démarre avec tambour et trompette au sens propre, avec un dialogue diabolique des cordes et des bois en prime. La musique pour piano de Weber naturellement guillerette se mue carrément en une furie sarcastique et débridée. Eugen Jochum, sémillant septuagénaire, obtient l'incandescence de ses troupes. D'un motif que l'on pourrait qualifier de simpliste, le compositeur a élaboré un sabbat d'instruments délirant. Le discours de cet orchestre richement coloré se révèle frénétiquement concertant. Léger ? Pas vraiment. Extravagant ? Complètement ! [2:04] Petite reprise facétieuse à l'ironie mordante martelée au Glockenspiel. Reprise encore du thème principal avec un air sérieux auquel personne ne croit. Quelques robustes coups de cymbales pour parachever ce joyeux délire…


Schiller, auteur de Turandot
adapté aussi par Busoni et Puccini
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2 - Scherzo d'après l'ouverture chinoise : [3:44] Petit coup de cloche pour énoncer à la flûte le thème de Turandot aux accents de cité interdit. Sauf que Hindemith ne s'interdit rien. Il va reprendre successivement à chaque coup de cloche ce thème très simple en le confiant à divers pupitres, en accélérant de manière surréaliste et diablement ironique la mélodie : clarinette, flûte, clarinette basse… [4:32] Un étrange intermède aux percussions marque ce nouvel élan donné au mouvement. Variations sans retour en arrière possible et obsessionnelles sur le motif de Weber. Les instruments sollicités suivent une progression ascendante par leur puissance : trompettes, grosse caisse, tuba. [7:41] Un trio ? Oui et un passage assagi avec une kyrielle de solos de cuivres : trombones et tuba et trompettes. Comme j'ai voulu l'illustrer, nous avons quitté l'intimité de la princesse Turandot pour un film de Kung Fu symphonique. Les batailles de percussions aussi exaltées ne s'entendent guère que chez Chostakovitch, et encore avec moins de fantasmagorie. Ce scherzo (oui c'en est un) est le plus hilarant que je connaisse surtout dirigé avec une telle détermination. Jochum était un chef adepte des tempos vigoureux, même dans Bruckner. Hindemith aurait écrit plus tard qu'il voyait dans ce scherzo dévastateur l'arrivée des sélénites (habitants de la Lune) sur la terre ! Au point où l'on en est dans l'excentricité, pourquoi pas ?

3 - Andantino d'après les six pièces opus 10 : [11:43] Un peu de calme après cette tempête orchestrale pour le moins généreuse. Hindemith propose un intermède poétique, de nouveau très concertant et aéré. Mais qui a dit que ce compositeur semblait parfois coucher sur sa partition une musique un peu rude ? Dans le développement, l'agreste solo de flûte accompagné par divers cuivres intervenant un à un témoigne du contraire…

4 - Finale - Marche d'après les huit pièces opus 60 : [15:33] Retour à la jovialité : appels de cuivres auxquels répond le tamtam. On retrouve le style martial de l'introduction, de nouveau ce climat intensément concertant de bataille entre tous les pupitres jusqu'à des coups de cymbales conclusifs (très difficile à jouer par la répétition forcenée exigée, bien au-delà de la limite possible avec cet instrument).
La vidéo n'est hélas par d'une grande qualité sonore, mais l'interprétation se révèle un must énergisant assez inégalé pour cette œuvre, l'harmonie est très présente, une règle essentielle dans cet ouvrage !
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On trouve des enregistrements de grande qualité des Métamorphoses symphoniques dans la discographie. La plupart du temps, comme dans le concert Jochum, les compléments sont des œuvres d'autres compositeurs contemporains ou pas de Hindemith, deux symphonies de Haydn pour ce CD. Je vais donc proposer deux références centrées sur la musique du compositeur.
Herbert Blombstedt a enregistré entre 1988 et 2000 une quasi intégrale de l'œuvre symphonique répartie sur trois CD pour le prix d'un. Deux orchestres de très haut niveau : celui de San Francisco (notamment pour les  Métamorphoses) et celui du Gewandhaus de Leipzig pour deux symphonies moins connues mais d'un intérêt certain. Le chef souvent mentionné dans le blog propose une lecture précise et dynamique sans lésiner sur l'humour sous-jacent. Prise de son superlative, incontournable (DECCA Trio -5/6). EMI a réuni dans un double album une sélection des œuvres majeurs. À la baguette : Karajan, Sawalisch, Ormandy et Hindemith himself. Pour ceux qui douterait que le compositeur natif de Francfort n'intéresse que les petits labels indépendants et les chefs en recherche d'innovations, la messe est dite ! (EMI – 5/6). Après publication, un lecteur m'a rappelé que l'ensemble des œuvres dirigées par le compositeur avec la Philharmonie de Berlin dans les années 50 est toujours disponible au catalogue. Il n'est pas si fréquent que les compositeurs soient de bons serviteurs de leur musique. Ici c'est le cas, avec une direction d'une clarté et d'une vivacité idéales. Le son monophonique est excellent (DG - 5/6) (Deezer)

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Les métamorphoses par Eugen Jochum, puis l'ouverture de Turandot de Weber interprétée par le chef polonais Antoni Wit :



2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup Hindemith -j'ai donc lu cette note avec beaucoup de plaisir-, et ma discothèque est assez abondamment fournie en la matière, eu égard à sa notoriété assez faible en France -une cinquantaine de CD-. Dans cette oeuvre orchestrale qui fait partie des plus connue -mais ce n'est pas ma préférée-, je recommanderai volontiers la version enregistrée par le compositeur himself chez Deutsche Grammophon, malgré une prise de son un peu ancienne, ou encore celle, plus méconnue, d'Omar Suitner avec la Staatskapelle de Dresde.

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  2. Merci beaucoup pour ses suggestions...
    Pour chaque article, je dois trouver la vidéo correspondant à un CD disponible de préférence, au moins d'occasion. Ce n'est pas pour doper les ventes, mais ça procède d'une certaine logique.
    C'est vrai que les gravures d'Hindemith à Berlin sont toujours disponibles avec une remastérisation de bon aloi. Petit prix en plus. Je vais l'ajouter à la sélection en fin de papier.
    Pour le disque de Suitner, que je ne connais pas, les métamorphosen pour 23 cordes de Strauss est un choix guidé par la syntaxe, mais plutôt insolite sur le fond. L'opposition totale entre la fantaisie et la gravité...

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