- J'en étais sûre M'sieur
Claude ! Vous nous aviez promis de présenter des nouveaux compositeurs cette
année… En voici encore un : Paul Hindemith… C'est qui ?
- Eh bien Sonia, Paul Hindemith
est un altiste, chef d'orchestre et compositeur allemand de la première moitié
du XXème siècle…
- Hum hum, c'est plutôt
sérialiste, polytonale ou au contraire postromantique ? Z'avez vu, j'commence à
en connaître un rayon question vocabulaire !!!!
- Oui mon petit. En
réalité ce compositeur est passé du monde postromantique à la Richard Strauss à
un style parodique voire ironique moderne et pittoresque…
- Pourtant avec la peste
brune, ce compositeur n'a pas dû connaître que des moments drôles et
pittoresques en Allemagne pour reprendre vos mots ? Était-il juif ?
- Non, mais son épouse et son beau-père oui. Comme Bruno Walter, Otto Klemperer ou Arnold Schoenberg, il s'est
réfugié aux USA, pays qui verra naître ces Métamorphoses…
Il est facile de trouver des photos de Paul Hindemith souriant,
a contrario de maestros souvent grincheux : Karl Böhm,
Fritz Reiner, Toscanini,
etc. L'homme semble avoir été un bon vivant et, comme on l'entendra tout à
l'heure, j'aurais tendance à lui prêter un épicurisme qui a rejailli dans la
bonhomie de sa musique.
Né
le 16 novembre 1895 à Francfort, le jeune Paul
se révèle un jeune musicien brillant. Il va étudier dès l'âge de 7 ans le
violon et son grand frère l'alto qui deviendra son instrument de prédilection.
À quatorze ans, il part se perfectionner au conservatoire supérieur de la ville
et travaille également la direction d'orchestre et la composition. Il va dès 20
ans poursuivre une carrière de soliste, de chef à l'opéra de Francfort mais
aussi de pédagogue à Berlin. Il commence à composer dans tous les genres dès
1921, notamment ses réjouissantes Kammermusik ("Musique de chambre"),
un hommage aux concertos grosso de l'époque baroque mais délicieusement colorés
par une orchestration moderne.
Ayant
épousé la fille de Ludwig Rottenberg, un chef
d'orchestre juif, il va rapidement être en délicatesse avec le régime nazi, en 1933 pour être précis à la prise de
pouvoir absolue par Hitler. De plus,
sa musique, bien que lorgnant vers un néoclassicisme, se teinte par son
écriture de techniques avant-gardistes, et se classa donc dans la catégorie
"musique dégénérée" selon les critères nationaux-socialistes. En 1938, départ vers la Suisse puis, très
rapidement, pour le nouveau monde. Il obtiendra la nationalité américaine en 1943.
Paul Hindemith se refusera d'appartenir à une école dogmatique
et à la mode, comme la seconde école de Vienne, tout en utilisant généreusement
l'atonalité dans une production abondante dans tous les genres : symphonique, opéra,
musique de chambre et même musique de film…
Paul Hindemith a plus marqué l'histoire de la musique
comme compositeur que comme chef d'orchestre, il faut dire que contemporain de Furtwängler, Klemperer,
Walter et même Jochum
à peine plus jeune, la concurrence était rude 😎. Après la
Guerre, il retournera volontiers dans son pays. Il disparaîtra en 1963 à Francfort, sa ville natale. Deux
œuvres sont très souvent inscrites aux programmes des concerts : Mathis le
Peintre et Les Métamorphoses symphoniques.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Au
début de ma carrière de deblocnoteur, nous avions rencontré Eugen Jochum dans son interprétation
historique des Carmina
Burana de Carl Orff.
(Clic)
La présentation de ce chef était, disons… succincte…
Né
en 1902, l'image classique du chef allemand
est celle d'un maestro teuton typique de sa génération : droit comme un i,
autocratique, en un mot : moi et personne d'autre à part Dieu. Voilà qui est
pour le moins réducteur et trompeur. Certes, le chef s'est illustré
magnifiquement dans des interprétations aux accents romantiques de Bach, a gravé l'une des premières intégrales
incontournables des symphonies
de Bruckner pour DG ; deux compositeurs à
l'art plutôt sévère. (Écoutez ses Passions réalisées pour Philips dans
les années 60, effectif grandiose certes, mais quelle spiritualité.)
L'artiste fût inquiété lors des imbroglios qui ont suivi la chute du nazisme.
Pourquoi ? Son frère était également chef d'orchestre, mais encarté au parti nazi, sans
plus d'ailleurs car il ne payait pas ses cotisations, mais adhérent convaincu. Bon
sang, on choisit ses amis, pas sa famille ! Eugen
Jochum, catholique fervent et sincère, méprisait les soudards à
croix gammées et choisit de poursuivre sa carrière à Hambourg, région plutôt épargnée
politiquement par la peste brune. "C'est plus
libéral" confiait le chef en aparté… Il n'a jamais pris sa
carte du parti bien entendu. C'est à Hambourg qu'il se lia d'amitié avec Hindemith et continua de jouer Bartók, l'indésirable du régime, contre vent et marée.
Comme
pour Hindemith, sélectionner une photo de Jochum guilleret est aisé. L'homme
n'était pas dénué d'humour, loin de là. Sa gravure voluptueuse des Carmina Burina
n'a pas fini de nous en persuader 50 ans plus tard. La paillardise du sujet
ne l'avait pas refroidi. Même chose dans une humoristique et subtile intégrale des
douze symphonies londoniennes du
très farceur Haydn, cycle qu'il grava fin des
années 60 avec la Philharmonie de Londres. Les
deux concertos pour piano de Brahms avec Emil
Gilels restent une référence tout comme un Chant
de la Terre de Mahler avec le Concertgebouw d'Amsterdam.
Rien
de surprenant donc de retrouver Jochum
magnifiant ces pages drolatiques de Hindemith
avec une énergie folle, galvanisé par le public british lors d'un concert donné à la BBC en 1977, live auquel est consacrée cette
chronique. Et cette fois-ci avec le bel orchestre Symphonique de Londres.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Carl Maria von Weber |
- Pfuuu, ça ce n'est pas
gagné, hi hi !!
- Dites Sonia, un peu de respect, je fais des efforts…
En
1939, le chorégraphe russe Léonide Massine, un élève de Diaghilev le grand maître des ballets russes, avait déjà travaillé
avec Hindemith sur un projet de ballet : Nobilissima
Visione. Créé à Venise puis joué au Metropolitan à New-York avec
succès, cette première expérience donna l'idée à Léonide Massine de poursuivre cette collaboration pour un nouveau
projet. Grand amateur de Weber,
le chorégraphe souhaitait une illustration musicale reposant sur une
orchestration assez classique des pièces pour piano de l'auteur du Freischütz…
Si Hindemith aime également Weber, une
orchestration classique et banale ne l'enchante guère en tant qu'apôtre de modes
d'écriture modernistes voire un peu cocasses. Les premières ébauches, ne
plaisent donc pas à Léonide Massine.
Les caractères bien trempés des deux hommes n'acceptent aucune concession
et le projet finit par tomber à l'eau.
En
1943, Hindemith reprend sa
partition qui comprend déjà deux parties sur les quatre prévues, en ajoute une
troisième toujours sur un thème tiré d'une pièce de Weber et, idée de génie,
introduit un quatrième mouvement reprenant le motif bien rythmé de l'ouverture
de la musique de scène pour la pièce Turandot de Schiller, pas l'opéra célèbre de Puccini ! Il recourt à un orchestre d'une variété inouïe
:
2
flûtes + piccolo, hautbois + cor anglais, 2 Clarinettes + clarinette basse +
clarinette contrebasse, 2 bassons + contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 2
trombones et trombone basse, tuba, 4 timbales, caisse claire, grosse claire,
tambourin, triangle, Glockenspiel, petites et grandes cymbales, deux gongs,
tamtam, wood block, cloches tubulaires, les cordes… Je n'ai rien oublié ?
Pardon ? Heu… Non Sonia, pas de harpes !
De
ballet, l'ouvrage s'est "métamorphosé" en une petite symphonie pétulante
qui sera créée en janvier 1944 sous
la direction de Artur Rodziński directeur
musical de l'Orchestre philharmonique de New York.
C'est un triomphe. L'œuvre est diffusée rapidement à la radio, puis reprise
généreusement aux USA et en Europe dans les années qui suivent la paix
retrouvée, par des grands maestros comme Dimitri
Mitropulos, George Szell
et en 1947 par Wilhelm
Furtwängler qui peut enfin jouer les musiques de son temps.
De l'énigmatique princesse Turandot (1937) à la survoltée guerrière Michelle Yeoh |
1 - Allegro d'après les
huit pièces opus 60
: Marche guerrière ? Pas de l'oie ? Hindemith
démarre avec tambour et trompette au sens propre, avec un dialogue diabolique
des cordes et des bois en prime. La musique pour piano de Weber
naturellement guillerette se mue carrément en une furie sarcastique et
débridée. Eugen Jochum, sémillant septuagénaire,
obtient l'incandescence de ses troupes. D'un motif que l'on pourrait qualifier
de simpliste, le compositeur a élaboré un sabbat d'instruments délirant. Le
discours de cet orchestre richement coloré se révèle frénétiquement concertant.
Léger ? Pas vraiment. Extravagant ? Complètement ! [2:04] Petite reprise
facétieuse à l'ironie mordante martelée au Glockenspiel. Reprise encore du
thème principal avec un air sérieux auquel personne ne croit. Quelques robustes
coups de cymbales pour parachever ce joyeux délire…
Schiller, auteur de Turandot adapté aussi par Busoni et Puccini xxxxx |
3 - Andantino d'après les
six pièces opus 10
: [11:43] Un peu de calme après cette tempête orchestrale pour le moins
généreuse. Hindemith propose un
intermède poétique, de nouveau très concertant et aéré. Mais qui a dit que ce
compositeur semblait parfois coucher sur sa partition une musique un peu rude ?
Dans le développement, l'agreste solo de flûte accompagné par divers cuivres intervenant
un à un témoigne du contraire…
4 - Finale - Marche
d'après les huit pièces opus 60 : [15:33] Retour à la jovialité : appels
de cuivres auxquels répond le tamtam. On retrouve le style martial de
l'introduction, de nouveau ce climat intensément concertant de bataille entre
tous les pupitres jusqu'à des coups de cymbales conclusifs (très difficile à
jouer par la répétition forcenée exigée, bien au-delà de la limite possible
avec cet instrument).
La
vidéo n'est hélas par d'une grande qualité sonore, mais l'interprétation se
révèle un must énergisant assez inégalé pour cette œuvre, l'harmonie est très présente, une règle essentielle dans cet ouvrage !
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
On trouve des enregistrements de grande qualité des Métamorphoses
symphoniques dans
la discographie. La plupart du temps, comme dans le concert Jochum, les compléments sont des œuvres d'autres
compositeurs contemporains ou pas de Hindemith, deux symphonies de Haydn pour ce CD.
Je vais donc proposer deux références centrées sur la musique du compositeur.
Herbert Blombstedt a enregistré entre 1988 et 2000 une quasi
intégrale de l'œuvre symphonique répartie sur trois CD pour le prix d'un. Deux orchestres
de très haut niveau : celui de San Francisco
(notamment pour les Métamorphoses)
et celui du Gewandhaus de Leipzig pour
deux symphonies moins connues mais d'un intérêt certain. Le chef souvent
mentionné dans le blog propose une lecture précise et dynamique sans lésiner
sur l'humour sous-jacent. Prise de son superlative, incontournable (DECCA –
Trio -5/6). EMI a réuni dans un double album une sélection des œuvres majeurs.
À la baguette : Karajan, Sawalisch, Ormandy
et Hindemith himself. Pour ceux qui douterait
que le compositeur natif de Francfort n'intéresse que les petits labels
indépendants et les chefs en recherche d'innovations, la messe est dite ! (EMI – 5/6). Après publication, un lecteur m'a rappelé que l'ensemble des œuvres dirigées par le compositeur avec la Philharmonie de Berlin dans les années 50 est toujours disponible au catalogue. Il n'est pas si fréquent que les compositeurs soient de bons serviteurs de leur musique. Ici c'est le cas, avec une direction d'une clarté et d'une vivacité idéales. Le son monophonique est excellent (DG - 5/6) (Deezer)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les métamorphoses par Eugen Jochum, puis l'ouverture de Turandot de Weber interprétée par le chef polonais Antoni Wit :
J'aime beaucoup Hindemith -j'ai donc lu cette note avec beaucoup de plaisir-, et ma discothèque est assez abondamment fournie en la matière, eu égard à sa notoriété assez faible en France -une cinquantaine de CD-. Dans cette oeuvre orchestrale qui fait partie des plus connue -mais ce n'est pas ma préférée-, je recommanderai volontiers la version enregistrée par le compositeur himself chez Deutsche Grammophon, malgré une prise de son un peu ancienne, ou encore celle, plus méconnue, d'Omar Suitner avec la Staatskapelle de Dresde.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ses suggestions...
RépondreSupprimerPour chaque article, je dois trouver la vidéo correspondant à un CD disponible de préférence, au moins d'occasion. Ce n'est pas pour doper les ventes, mais ça procède d'une certaine logique.
C'est vrai que les gravures d'Hindemith à Berlin sont toujours disponibles avec une remastérisation de bon aloi. Petit prix en plus. Je vais l'ajouter à la sélection en fin de papier.
Pour le disque de Suitner, que je ne connais pas, les métamorphosen pour 23 cordes de Strauss est un choix guidé par la syntaxe, mais plutôt insolite sur le fond. L'opposition totale entre la fantaisie et la gravité...