samedi 5 juillet 2014

Albéric MAGNARD : Symphonie N° 3 – Ernest ANSERMET – par Claude Toon



- Albéric ?!?! Vous allez nous parler d'une symphonie écrite à l'époque des mérovingiens M'sieur Claude ?
- Très spirituel Sonia ! C'est vrai que le prénom de ce compositeur français devait déjà être un soupçon ringard vers 1900…
- Pas très connu, même pas du tout en ce qui me concerne…
- Il faut dire qu'il est mort prématurément. En 1914, les allemands qui envahissaient l'Oise faisaient trop de bruit. Il a voulu leur tirer dessus avec sa pétoire… Mauvaise idée !!!
- C'est courageux mais un peu naïf et la France a perdu un musicien d'importance ?
- Oui, et surtout un de nos rares grands symphonistes comme Albert Roussel… Nous allons voir cela dans le détail…

Désolé d'avoir commencé la biographie de ce personnage haut en couleurs par sa fin tragique. Remontons le temps jusqu'en 1865, année de naissance du petit Albéric. Issu d'une famille intellectuelle et bourgeoise – son père est rédacteur en chef du Figaro – le jeune homme étudie le droit jusqu'en 1886. Un voyage à Bayreuth, et la découverte de l'univers de Wagner à travers Tristan et Isolde va changer le cours du destin. Il s'inscrit au conservatoire de Paris dans les classes de Théodore Dubois et Jules Massenet. Plus tard, il suit l'enseignement de Vincent d'Indy. Ils resteront amis !! Oui ces points d'exclamation expriment ma surprise, car les deux hommes ont des éthiques des plus opposées : d'Indy est un monarchiste antisémite tendance dure et Magnard un républicain dreyfusard engagé. Il écrira même, suite à l'affaire Dreyfus, un Hymne à la justice, une œuvre mineure certes, mais qui montre la nature des engagements humanistes et socialistes de Magnard. Il soutient les mouvements féministes en cette fin du XIXème siècle… Le mystère des arcanes de l'amitié…
Il composera peu, son catalogue ne comporte que 21 ouvrages dont 4 symphonies, 3 opéras (Guercœur) et des œuvres de musique de chambre dont un quatuor remarquable. Ses études tardives et son trépas précoce expliquent en partie cette production modeste. Le perfectionnisme s'ajoute à ces deux premières raisons.
Son cycle de symphonies est un monument exceptionnel dans le monde musical de l'époque. La symphonie est souvent snobée par les compositeurs français qui y voient un style propre au romantisme germanique et autrichien. Soyons clairs, les symphonies N° 3 et 4 sont des chefs d'œuvres et peuvent rappeler le style puissant de celle en ré mineur de César Franck. Et, chose importante à mes yeux, malgré leurs richesses mélodiques et orchestrales, leur écoute et leur mémorisation sont plutôt aisées…
Certains ont écrit que Magnard était le Bruckner français ! C'est une "ânerie étalon" pour le pavillon de Sèvres. Bruckner a écrit symphonies sur symphonies au contrepoint savant jusqu'à la métaphysique et empreintes d'un mysticisme absolu. Chez Magnard, outre la variété des genres abordés, on trouve une simplicité et une vitalité populaire voisinant avec le dramatisme, une forme d'impressionnisme musical. Certains musicologues devraient sortir le nez des partitions et écouter avec le cœur.
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Le chef d'orchestre et musicologue suisse Ernest Ansermet (1883-1969) reste une légende chez les mélomanes et les discophiles. Mathématicien, physicien, philosophe, c'est pourtant comme créateur de l'orchestre de la Suisse Romande en 1918 qu'il est entré dans l'histoire de la musique du XXème siècle. Il va le diriger pendant 50 ans jusqu'au crépuscule de sa vie vers 1967. Cet orchestre se hissera au sommet grâce au soutien d'un mécénat actif.
Homme de son temps, Ansermet dirigera Debussy, Ravel, Stravinski, Bartók, de Falla, Honegger. Il sera le créateur du Tricorne de de Falla, de Pacific 231 d'Honneger et de Pulcinella de Stravinski. Ces compositeurs lui seront d'autant plus familiers qu'Ansermet se voit confier par Diaghilev la direction des ballets russes de 1915 à 1923. Dans les années 50-60, il va graver des trésors discographiques pour DECCA dont les symphonies de Magnard, Chausson et Franck. Certains de ces disques ont été réédités en vinyle.
Ernest Ansermet s'appuie sur les préceptes de la phénoménologie d'Husserl pour rédiger entre 1943 et 1961 un ouvrage pointu : "Les Fondements de la musique dans la conscience humaine". Il y défend entre autres la tonalité face à l'impasse de l'atonalité qu'il pressent, un débat qui resurgit de nos jours au grand dam des ultras du dodécaphonisme (Clic).
- Heuuu M'sieur Claude, j'ai lu cet article mis en lien, j'avoue m'y perdre un peu…
- Oh moi aussi ma chère Sonia ! Il faut le lire plusieurs fois, et surtout écouter une savoureuse conférence sur YouTube par Jérôme Ducros qui rentre malicieusement dans le chou des compositions modernes bruyantes et inécoutables que seuls leurs propres auteurs apprécient… (Clic). Jérôme Ducros explique fort bien les causes du divorce entre certaines musiques contemporaines et le public. Ansermet était un visionnaire.
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La 3ème symphonie fait partie des œuvres qui m'ont fait flipper dès la première écoute. C'était en 1976 chez en copine en allant… prendre un verre. La révélation ! "Mais c'est de qui ce truc ?", etc.
Magnard l'écrit en 1895-1896, c'est son opus 11. On la surnomme "bucolique" sans doute parce que le compositeur y travailla après un séjour en Auvergne. Elle comporte classiquement 4 mouvements. Elle fut créée par le compositeur en 1899 à Paris.
1 – Introduction et ouverture (modéré) : Le choral qui introduit l'ouvrage pourrait illustrer un diaporama sur le spectacle offert par les monts d'Auvergne vu du Puy Marie : des terres sauvages, une végétation rustique, le vent qui balaie les vestiges des volcans endormis. Un choral sombre, majestueux, suivi d'une mélodie élégiaque aux cordes. Ernest Ansermet fait sonner l'Orchestre de la Suisse Romande comme un orgue, les trémolos des violons poussent au frisson. Le développement allègre et dansant traduit l'opposition entre le lyrisme et la douceur qu'inspirent les paysages rudes et grandioses. La forme pourra paraître académique, mais l'ivresse est là. La magie de la direction du maestro suisse s'illustre par l'équilibre élégant et transparent imposé à tous les pupitres ; une lecture champêtre et ludique, avec une pincée de pathétisme.
2 – Danses – Très vif : Un mouvement vif-argent construit sur des thèmes de danses populaires. Lesquelles ? Je ne suis pas expert en bourrée auvergnate, si tant est que cela en soit. Une musique joyeuse et de construction assez libre avec une multitude de soli instrumentaux : violon, flûte, cors, hautbois… La structure générale est celle d'un scherzo avec un trio plus contemplatif. Les couleurs chamarrées des divers pupitres sont de toute beauté. On pense au scherzo endiablé de la symphonie écossaise de Mendelssohn par l'esprit vivifiant qui se dégage.
3 – Pastorale (Modéré) : Le mouvement lent donne la parole au hautbois solo et à sa tendre mélopée accompagnée d'un violoncelle solo. On songe à l'immensité d'un ciel ourlé par l'ombre des lourdes montagnes usées par les siècles. Le temps s'étire jusqu'à une seconde idée plus rugueuse soulignée par les contrebasses et le chant obsédant du hautbois. Le développement central majestueux et puissant fait souffler un vent dramatique. La direction aérienne d'Ansermet dénie toute emphase dans cet émouvant adagio.  
4 – Final (vif) : Le final s'articule sur un ensemble de climats déjà utilisé dans les mouvements précédents. Un trombone solo amène une note d'austérité dans le discours. Toujours cette inspiration nourrie par les paysages aux lumières sauvages de l'Auvergne. Le mouvement est très riche et évolue vers une péroraison joyeuse lors de son développement central. Un leitmotiv sautillant peut en effet faire penser aux modes de compositions chers à Wagner et Bruckner. Mais le rapprochement s'arrête là. Magnard dessine un portrait pastoral de la terre qu'il a vue et foulée. La coda conclut en apothéose la partition, mais Ansermet retient ses troupes pour distiller toutes les émotions lovées dans chaque mesure.
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L'enregistrement d'Ernest Ansermet de cette 3ème symphonie de Magnard est à mon sens une référence difficilement égalée à ce jour pour le souffle épique qui balaye cette fresque pastorale. Cette réédition d'un disque d'origine DECCA est donc bien essentielle. Par ailleurs le couplage avec la symphonie Cévenole de d'Indy est un choix judicieux, surtout avec Robert Casadesus au clavier.
DECCA propose de son coté un double album comportant aussi la Faust-symphonie de Liszt. Couplage farfelu mais qui me permet de proposer l'écoute en continu sur le site Deezer à partir de la plage 7.
Plus intéressant mais rare : un album comportant cet enregistrement plus les symphonies de Franck et Chausson par Ansermet et la symphonie de Dukas par Walter Weller. J'avais déjà évoqué ce disque incontournable pour les amateurs de musique française dans la chronique consacrée à Chausson (Clic).
Étant opposé à tout intégrisme discographique qui pourrait transparaitre dans ces lignes (je n'aime guère instituer subjectivement des "références"), on s'intéressera aux enregistrements de Jean-Yves Ossonce signataire d'une belle intégrale Magnard avec l'orchestre de la BBC d'Écosse (Hyperion - 4/6).
Il est regrettable que les ingénieurs du son aient trahi Michel Plasson à Toulouse pour son intégrale Magnard inégalée (EMI - 5/6). Une chaîne audiophile rectifie le tir, mais bon...
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La symphonie dans son intégralité par Ernest Anserment puis par l'orchestre national du Capitole de Toulouse dirigé par Michel Plasson :


2 commentaires:

  1. Ce qui est frappant chez Magnard, c'est sa puissance rythmique. On le voit dans la 3ème (Danses), mais encore plus dans la 4ème symphonie. En cela, il annonce Roussel.
    Michel Plasson avait réalisé une belle intégrale des symphonies.
    Effectivement, rien à voir avec Bruckner.

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  2. Effectivement, ce qui a pu inciter certains auditeurs à rapprocher certains passages de ses symphonies avec celles de Brucker c'est notamment la fin "étonnante" du 1er mouvement de la 1ere symphonie (de Magnard).
    Il y a en effet après un fortissimo qui marque une apogée orchestrale une rupture dynamique constituée par une reprise pianissimo du thème soutenue par des trémolos de cordes "à la manière souvent utilisée par Brucker".

    En dehors de ce passage et de quelques autres éphémères par-ci par-là, le reste des compositions de Magnard n'a rien à voir avec celles de Bruckner, ni même avec celles d'un Wagner ou d'un C. Franck avec lequel il avait pourtant des affinités, ne serait-ce que par la Schola Cantorum et son maitre et professeur franckiste Vincent d'Indy.

    Là encore, on peut noter chez Magnard un esprit original, qui même s'il reconnait qu'il ne soit pas un grand novateur en musique, même s'il reste un "tonal" très contrapuntiste, à une approche particulière, exploratrice, et moderne pour son époque. Il n'y a qu'à écouter son génial quatuor par exemple, et son second mouvement qui pourrait être rapproché, ne serait-ce pour les comparer en parallèle avec celui de Ravel, qui est presque son exact contemporain.
    Un second mouvement qui est presque aussi impressionniste que son alter ego.
    https://www.youtube.com/watch?v=JIltgFNZ0gU

    Pour revenir à la 3me symphonie, le second mouvement "Danses" est un mouvement direct et évident, un "instant-classic" comme on dirait pour un film. On pourrait le rapprocher, même si tout rapprochement est subjectif et hasardeux, à certains passage des suites de l'Arlésienne de Bizet, et même dans la version Ossonce/BBC Scottish Orchestra à certains passages de la Suite Saint Paul de Holst (1913).

    Pour ma part, et même si je rend hommage à Ernest Ansermet, je préfère la version Ossonce qui est la version (parmi les 4 : Plasson, Ansermet, Sanderling, Ossonce) la plus dynamique et moderne à mon goût.
    Son final de cuivres sonnants, sans retenue, est le plus royal qui soit à l'heure actuelle.
    Merci pour l'article.

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