- Albéric ?!?! Vous allez nous parler d'une symphonie écrite à l'époque
des mérovingiens M'sieur Claude ?
- Très spirituel Sonia ! C'est vrai que le prénom de ce compositeur
français devait déjà être un soupçon ringard vers 1900…
- Pas très connu, même pas du tout en ce qui me concerne…
- Il faut dire qu'il est mort prématurément. En 1914, les allemands qui
envahissaient l'Oise faisaient trop de bruit. Il a voulu leur tirer dessus
avec sa pétoire… Mauvaise idée !!!
- C'est courageux mais un peu naïf et la France a perdu un musicien
d'importance ?
- Oui, et surtout un de nos rares grands symphonistes comme Albert
Roussel… Nous allons voir cela dans le détail…
Désolé d'avoir commencé la biographie de ce personnage haut en couleurs par
sa fin tragique. Remontons le temps jusqu'en
1865, année de naissance du
petit
Albéric. Issu d'une famille intellectuelle et bourgeoise – son père est rédacteur
en chef du Figaro – le jeune homme étudie le droit jusqu'en
1886. Un voyage à
Bayreuth, et la découverte de
l'univers de
Wagner
à travers
Tristan et Isolde
va changer le cours du destin. Il s'inscrit au conservatoire de Paris dans
les classes de
Théodore Dubois
et
Jules
Massenet. Plus tard, il suit l'enseignement de
Vincent d'Indy. Ils resteront amis !! Oui ces points d'exclamation expriment ma surprise,
car les deux hommes ont des éthiques des plus opposées :
d'Indy
est un monarchiste antisémite tendance dure et
Magnard
un républicain dreyfusard engagé. Il écrira même, suite à l'affaire Dreyfus,
un
Hymne à la justice, une œuvre mineure certes, mais qui montre la nature des engagements
humanistes et socialistes de
Magnard. Il soutient les mouvements féministes en cette fin du XIXème
siècle… Le mystère des arcanes de l'amitié…
Il composera peu, son catalogue ne comporte que 21 ouvrages dont
4 symphonies,
3 opéras (Guercœur)
et des œuvres de musique de chambre dont un
quatuor
remarquable. Ses études tardives et son trépas précoce expliquent en partie
cette production modeste. Le perfectionnisme s'ajoute à ces deux premières
raisons.
Son cycle de symphonies est un monument exceptionnel dans le monde musical
de l'époque. La symphonie est souvent snobée par les compositeurs français
qui y voient un style propre au romantisme germanique et autrichien. Soyons
clairs, les
symphonies N° 3
et
4
sont des chefs d'œuvres et peuvent rappeler le style puissant de
celle en ré mineur
de
César Franck. Et, chose importante à mes yeux, malgré leurs richesses mélodiques et
orchestrales, leur écoute et leur mémorisation sont plutôt aisées…
Certains ont écrit que
Magnard
était le
Bruckner
français ! C'est une "ânerie étalon" pour le pavillon de Sèvres.
Bruckner
a écrit symphonies sur symphonies au contrepoint savant jusqu'à la
métaphysique et empreintes d'un mysticisme absolu. Chez
Magnard, outre la variété des genres abordés, on trouve une simplicité et une
vitalité populaire voisinant avec le dramatisme, une forme d'impressionnisme
musical. Certains musicologues devraient sortir le nez des partitions et
écouter avec le cœur.
Le chef d'orchestre et musicologue suisse
Ernest Ansermet
(1883-1969) reste une légende chez les mélomanes et les discophiles. Mathématicien,
physicien, philosophe, c'est pourtant comme créateur de l'orchestre de la Suisse Romande
en 1918 qu'il est entré dans l'histoire de la musique du XXème
siècle. Il va le diriger pendant 50 ans jusqu'au crépuscule de sa vie vers
1967. Cet orchestre se hissera
au sommet grâce au soutien d'un mécénat actif.
Homme de son temps,
Ansermet
dirigera
Debussy,
Ravel,
Stravinski,
Bartók,
de
Falla,
Honegger. Il sera le créateur du
Tricorne
de
de Falla, de
Pacific 231
d'Honneger
et de
Pulcinella
de
Stravinski. Ces compositeurs lui seront d'autant plus familiers qu'Ansermet
se voit confier par Diaghilev
la direction des
ballets russes de
1915 à
1923. Dans les années 50-60, il
va graver des trésors discographiques pour
DECCA dont les symphonies de
Magnard,
Chausson
et
Franck. Certains de ces disques ont été réédités en vinyle.
Ernest Ansermet
s'appuie sur les préceptes de la phénoménologie d'Husserl pour rédiger entre
1943 et 1961 un ouvrage pointu : "Les Fondements de la musique dans la conscience humaine". Il y défend entre autres la tonalité face à l'impasse de l'atonalité
qu'il pressent, un débat qui resurgit de nos jours au grand dam des ultras
du dodécaphonisme (Clic).
- Heuuu M'sieur Claude, j'ai lu cet article mis en lien, j'avoue m'y
perdre un peu…
-
Oh moi aussi ma chère Sonia ! Il faut le lire plusieurs fois, et
surtout écouter une savoureuse conférence sur YouTube par Jérôme Ducros
qui rentre malicieusement dans le chou des compositions modernes
bruyantes et inécoutables que seuls leurs propres auteurs apprécient…
(Clic). Jérôme Ducros explique fort bien les causes du divorce entre
certaines musiques contemporaines et le public. Ansermet était un
visionnaire.
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La
3ème symphonie
fait partie des œuvres qui m'ont fait flipper dès la première écoute.
C'était en 1976 chez en copine
en allant… prendre un verre. La révélation ! "Mais c'est de qui ce truc ?",
etc.
Magnard
l'écrit en 1895-1896, c'est son
opus 11. On la surnomme "bucolique" sans doute parce que le compositeur y
travailla après un séjour en
Auvergne. Elle comporte
classiquement 4 mouvements. Elle fut créée par le compositeur en
1899 à Paris.
1 – Introduction et ouverture (modéré)
: Le choral qui introduit l'ouvrage pourrait illustrer un diaporama sur le
spectacle offert par les monts d'Auvergne vu du
Puy Marie : des terres
sauvages, une végétation rustique, le vent qui balaie les vestiges des
volcans endormis. Un choral sombre, majestueux, suivi d'une mélodie
élégiaque aux cordes.
Ernest Ansermet
fait sonner
l'Orchestre de la Suisse Romande
comme un orgue, les trémolos des violons poussent au frisson. Le
développement allègre et dansant traduit l'opposition entre le lyrisme et la
douceur qu'inspirent les paysages rudes et grandioses. La forme pourra
paraître académique, mais l'ivresse est là. La magie de la direction du
maestro suisse s'illustre par l'équilibre élégant et transparent imposé à
tous les pupitres ; une lecture champêtre et ludique, avec une pincée de
pathétisme.
2 – Danses – Très vif
: Un mouvement vif-argent construit sur des thèmes de danses populaires.
Lesquelles ? Je ne suis pas expert en bourrée auvergnate, si tant est que
cela en soit. Une musique joyeuse et de construction assez libre avec une
multitude de soli instrumentaux : violon, flûte, cors, hautbois… La
structure générale est celle d'un scherzo avec un trio plus contemplatif.
Les couleurs chamarrées des divers pupitres sont de toute beauté. On pense
au scherzo endiablé de la
symphonie écossaise de
Mendelssohn par l'esprit vivifiant qui se dégage.
3 – Pastorale (Modéré)
: Le mouvement lent donne la parole au hautbois solo et à sa tendre mélopée
accompagnée d'un violoncelle solo. On songe à l'immensité d'un ciel ourlé
par l'ombre des lourdes montagnes usées par les siècles. Le temps s'étire
jusqu'à une seconde idée plus rugueuse soulignée par les contrebasses et le
chant obsédant du hautbois. Le développement central majestueux et puissant
fait souffler un vent dramatique. La direction aérienne d'Ansermet
dénie toute emphase dans cet émouvant adagio.
4 – Final (vif)
: Le final s'articule sur un ensemble de climats déjà utilisé dans les
mouvements précédents. Un trombone solo amène une note d'austérité dans le
discours. Toujours cette inspiration nourrie par les paysages aux lumières
sauvages de l'Auvergne. Le mouvement est très riche et évolue vers une
péroraison joyeuse lors de son développement central. Un leitmotiv
sautillant peut en effet faire penser aux modes de compositions chers à
Wagner
et
Bruckner. Mais le rapprochement s'arrête là.
Magnard
dessine un portrait pastoral de la terre qu'il a vue et foulée. La coda
conclut en apothéose la partition, mais
Ansermet
retient ses troupes pour distiller toutes les émotions lovées dans chaque
mesure.
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L'enregistrement
d'Ernest Ansermet
de cette
3ème symphonie
de
Magnard
est à mon sens une référence difficilement égalée à ce jour pour le souffle
épique qui balaye cette fresque pastorale. Cette réédition d'un disque
d'origine DECCA est donc bien
essentielle. Par ailleurs le couplage avec la
symphonie Cévenole de
d'Indy
est un choix judicieux, surtout avec
Robert Casadesus au clavier.
DECCA propose de son coté un double album comportant aussi la
Faust-symphonie
de
Liszt. Couplage farfelu mais qui me permet de proposer l'écoute en continu sur
le site Deezer à partir de la plage 7.
Plus intéressant mais rare : un album comportant cet enregistrement plus
les symphonies de
Franck
et
Chausson
par
Ansermet et la symphonie de
Dukas
par
Walter Weller. J'avais déjà évoqué ce disque incontournable pour les amateurs de musique
française dans la chronique consacrée à
Chausson (Clic).
Étant opposé à tout intégrisme discographique qui pourrait transparaitre
dans ces lignes (je n'aime guère instituer subjectivement des "références"),
on s'intéressera aux enregistrements de
Jean-Yves Ossonce
signataire d'une belle intégrale
Magnard
avec l'orchestre de la
BBC d'Écosse
(Hyperion - 4/6).
Il est regrettable que les ingénieurs du son aient trahi
Michel Plasson
à Toulouse pour son intégrale
Magnard inégalée (EMI - 5/6). Une chaîne
audiophile rectifie le tir, mais bon...
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La symphonie dans son intégralité par Ernest Anserment puis par l'orchestre national du Capitole de Toulouse dirigé par Michel Plasson :
Ce qui est frappant chez Magnard, c'est sa puissance rythmique. On le voit dans la 3ème (Danses), mais encore plus dans la 4ème symphonie. En cela, il annonce Roussel.
RépondreSupprimerMichel Plasson avait réalisé une belle intégrale des symphonies.
Effectivement, rien à voir avec Bruckner.
Effectivement, ce qui a pu inciter certains auditeurs à rapprocher certains passages de ses symphonies avec celles de Brucker c'est notamment la fin "étonnante" du 1er mouvement de la 1ere symphonie (de Magnard).
RépondreSupprimerIl y a en effet après un fortissimo qui marque une apogée orchestrale une rupture dynamique constituée par une reprise pianissimo du thème soutenue par des trémolos de cordes "à la manière souvent utilisée par Brucker".
En dehors de ce passage et de quelques autres éphémères par-ci par-là, le reste des compositions de Magnard n'a rien à voir avec celles de Bruckner, ni même avec celles d'un Wagner ou d'un C. Franck avec lequel il avait pourtant des affinités, ne serait-ce que par la Schola Cantorum et son maitre et professeur franckiste Vincent d'Indy.
Là encore, on peut noter chez Magnard un esprit original, qui même s'il reconnait qu'il ne soit pas un grand novateur en musique, même s'il reste un "tonal" très contrapuntiste, à une approche particulière, exploratrice, et moderne pour son époque. Il n'y a qu'à écouter son génial quatuor par exemple, et son second mouvement qui pourrait être rapproché, ne serait-ce pour les comparer en parallèle avec celui de Ravel, qui est presque son exact contemporain.
Un second mouvement qui est presque aussi impressionniste que son alter ego.
https://www.youtube.com/watch?v=JIltgFNZ0gU
Pour revenir à la 3me symphonie, le second mouvement "Danses" est un mouvement direct et évident, un "instant-classic" comme on dirait pour un film. On pourrait le rapprocher, même si tout rapprochement est subjectif et hasardeux, à certains passage des suites de l'Arlésienne de Bizet, et même dans la version Ossonce/BBC Scottish Orchestra à certains passages de la Suite Saint Paul de Holst (1913).
Pour ma part, et même si je rend hommage à Ernest Ansermet, je préfère la version Ossonce qui est la version (parmi les 4 : Plasson, Ansermet, Sanderling, Ossonce) la plus dynamique et moderne à mon goût.
Son final de cuivres sonnants, sans retenue, est le plus royal qui soit à l'heure actuelle.
Merci pour l'article.