On peut mesurer la longévité du Déblocnot au fait qu’on vous propose aujourd’hui le deuxième article consacré au « dernier film de Clint Eastwood », après AU-DELA, chroniqué en 2011 (- - - cliquez ici - - -). Il faut dire que ce jeune homme (82 ans) nous aide un peu, puisqu’il enchaine les tournages : 13 réalisations depuis 2000. Et je ne vous cacherais pas que j'aimerais encore en chroniquer une bonne poignée, je lui souhaite autant qu'à moi ! Sa dernière production retrace la vie et la carrière de John Edgar Hoover, le puissant patron du FBI de 1924 à 1972. Il y a évidemment de la part du réalisateur une part d’admiration pour Hoover, pour sa longévité, son sens de l’organisation, pour la mise en place d’un système d’investigation précurseur. Mais fort heureusement, le tableau n’est pas brossé que dans le bon sens. J Edgar Hoover était un être détestable, au fil des ans devenu totalement parano. Eastwood ne manque pas de le montrer, et il est très intéressant de voir la version « audio » du film, la voix-off, celle de Hoover qui raconte sa vie, qui dicte ses mémoires à un journaliste, et la version « vidéo » des faits, les images de Eastwood. Bien souvent, l’une contredit l’autre. Et pour cause, Hoover a une drôle de manière de nous raconter les choses. Il enjolive, il arrange a sa sauce, se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un héros. Il n’est pas Elliot Ness, qui attrape les méchants le flingue à la main. Une scène du film nous montre une arrestation, version Hoover, et plus tard dans le film, la même vue sous un autre angle. Et on pense à Clint Eastwood lui-même, qui depuis trente ans ne cesse de récrire son propre mythe, la désacralisation du héros, commencé avec IMPITOYABLE, ou encore SPACE COWBOY, CREANCES DE SANG, GRAN TORINO. Et ceci peut expliquer aussi pourquoi il a choisi de tourner cette histoire.
Une histoire assez passionnante, qu’Eastwood parvient à rendre intéressante, et ambigüe. Tout commence en 1919, où le jeune John Edgar Hoover, policier, est chargé de mener la guerre aux anarchistes, aux communistes. Il comprend très vite que pour pourchasser les criminels sur tout le territoire, il faut une police ayant mandat dans chaque État. Le ministre de la justice, dépassé par les évènements, lui donne carte blanche pour organiser son service, et Hoover, sûr de ses idées, met sur pied ce qui deviendra le FBI, dont il prendra la tête en 1924, jusqu’à sa mort en 1972. Le système était basé sur quelques points clés : des flics armés, une autorité inter-état, la mise en place de laboratoires scientifiques qui analysent les empreintes (une nouveauté à l'époque) et recensent toutes les données possibles et inimaginables. Ça, on peut dire que c’est le bon côté de choses. Mais il y a aussi le système Hoover, le fichage systématique des ennemis, comme des amis… On entend Hoover dire dans le film : « arrêter quelqu’un pour un crime commis, c’est une chose, mais arrêter quelqu’un pour ce qu’il a l’intention de commettre, c’est mieux ». Il faut donc collecter les informations, pour anticiper sur l’acte. Le système Hoover, c’est l’espionnage organisé, les écoutes clandestines, afin de récolter plus d’informations, monter des dossiers compromettants, y compris sur ses supérieurs ! Raison pour laquelle Hoover était redouté même des présidents… Une scène montre Hoover mécontent de l’élection de Roosevelt, d’un autre bord politique. Méfiance. Il met la femme de Roosevelt sur écoute, monte un dossier, découvre une liaison de la première dame avec… une autre dame. De même, lorsqu'il prévient Bobby Kennedy qu'il a eu vent de rumeurs concernant son frère John, il ne manque pas de préciser qu'il a gardé des copies... Hoover contrôlait l’information, et donc les gens. Il était craint. Personne ne trouvait grâce à ses yeux. A sa mort, Nixon n'aura de cesse de récupérer les dossiers secrets du FBI, dans lesquels il figurait en bonne place...

Là on entre dans la sphère privée du personnage, tout autant grotesque et odieux. Hoover fait la fierté de sa mère, une femme autoritaire et exigeante. Toute l’ambigüité du personnage est très intelligemment montrée. C’est la rencontre de Hoover avec un agent, son futur bras droit, Clyde Tolson. Entre les deux hommes, du respect, puis de l’amitié, puis de l’amour, puisque (c’est la thèse du film) les deux hommes auraient été amants pendant 40 ans, alors que Hoover à passer son temps à pourchasser, et dénoncer l’homosexualité. Eastwood amène très bien ce versant de l’histoire, avec de courts plans, des mains qui se frôlent, des diners de plus en plus fréquents, jusqu’à ce col de veston qu’on remet en place, chez l’autre, un geste d'un naturel évident sur l'instant, et pourtant, totalement incongru dans le contexte. Cela nous rappelle une même scène dans SUR LA ROUTE DE MADISON, quand Meryl Streep remet le col de chemise d’Eastwood alors qu’elle parle en même temps à son mari au téléphone, dans la cuisine. Tiens d’ailleurs il y a un autre clin d’œil, puisque lors d’une scène dans un club de jazz, le contrebassiste sur scène, entrevu 2 secondes, est Kyle Eastwood… La scène du diner dans un club avec l'actrice Ginger Rodgers est assez évocatrice de sa relation aux femmes. La seule qu’il ait demandée en mariage, et qui a refusé, est devenue sa secrétaire et sa confidente pendant 50 ans. D'ailleurs, au chapitre des critiques, j'aurais souhaitais avoir le point de vue de Helen Gandy sur Hoover, le personnage de Naomie Watts reste je trouve trop en retrait. Hoover se voit donc épouser Ginger Rodgers ! Clyde Tolson ne l’entend pas ainsi, et s’en suit une des scènes les plus fortes du film, la dispute entre Hoover et Tolson, où ce dernier pique une crise de jalousie violente. Autre moment intense, lorsque Hoover enfile la robe de sa mère, décédée, montrant à quel point il s’identifier à son modèle. A la fin du film, Clyde Tolson, qui a eu en main le manuscrit de Hoover, lui dit son écœurement face à tous ses mensonges, qu'il énumère. Nous ne sommes pas dans un simple biopic, mais dans une réflexion sur ce qui relève du mythe, de la vérité, de l'information, du mensonge.
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Ce film n’est pas à la gloire de Hoover, et si on veut avoir l’histoire vue par le trou de serrure d’une porte de chiotte, il faut se reporter sur les bouquins de James Ellroy. Eastwood est un homme digne, qui n’a pas besoin de montrer le côté répugnant du personnage. Les allusions suffisent, même si on aurait aimé retrouver à l’écran la haine de Hoover pour les homosexuels, des juifs, les noirs… Bien que sa haine, son dégoût et sa peur de Martin Luther King soit illustrée, montrant Hoover se délecter des écoutes faites pendant que le leader des Droits civiques sautait sa maîtresse... De même, Hoover n'aurait pas mené une guerre très enthousiaste contre la Mafia, car celle-ci possédait aussi des dossiers, sur Hoover et ses moeurs douteuses... Un aspect historiquement difficilement vérifiable, et passé sous silence dans le film, comme ses liens avec le Ku Klux Klan. Non pas qu'Eastwood ait jeté un voile pudique sur ces aspects, mais il semble bien que l'angle du film soit la vie privée de Hoover, sa relation aux femmes, aux hommes, et comment il s'est forgé une image médiatique, très différente de la réalité. De ce point de vue, le film est une totale réussite.
J. EDGAR (2012)
Production, musique et réalisation : Clint Eastwood
Scénario : Dustin Lance Black
Photo : Tom Stern
Montage : Joel Cox
Couleur - 2h15 - format scope 2:35
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