la couverture de la BD de Crumb sur Patton (voir fin de chronique) |
Charley Patton , voila un nom que tout le monde (les amateurs de blues du moins..) connait, celui d'un des authentiques "pionniers" du blues", une légende même.. Mais derrière la légende se cache un homme que nous allons essayer de découvrir un peu.
Métissé indien, blanc et noir, il nait en 1891 (1887 selon d'autres sources..), dans le Mississippi bien sur, prés d'Edwards, de parents ouvriers dans une grande plantation, il partage sa vie avec 11 frères et sœurs. Peut être ce qui l'amena à voler rapidement de ses propres ailes, devenant musicien itinérant très jeune, chantant des work-songs ou ses propres compos et s'accompagnant à la guitare, au bottleneck ou jouant en "picking", donnant le rythme du pied ou frappant sur sa guitare ( il a là influencé John Lee Hooker).
la seule photo connue de Patton |
Il traverse ainsi d'autres états, rencontre des légendes comme Robert Johnson, et de bouche à oreille (pas de Facebook à cette époque!) se fait une réputation qui le conduit à être repéré par H.C. Speir, le "dénicheur" de la Paramount qui l'enregistre en 1929, cette carrière discographique ne dura pas longtemps, jusqu'à sa mort en 1934, il aura le temps de graver une soixantaine de pistes. C'est lui d'ailleurs qui présentera son ami Son House à Speir et donc lança sa carrière discographique. Sa musique est bien sur du blues rural, brut de décoffrage , comme chez Son House ou Mississsippi john Hurt, avec comme souvent chez les pionniers , des touches gospel, ragtime voire folk . Il avait la réputation d’être un showman et un "ambianceur" extraordinaire, à l'attitude "rock & roll" sur scène, jouant de la guitare dans toutes les positions, des années avant Hendrix, Berry ou T-Bone Walker, et à la voix puissante (Bubka White dira qu'on pouvait entendre sa voix non amplifiée à 500 yards!) et profonde, une voix qui fait sentir l'odeur des eaux boueuses (les muddy waters) du Mississippi . Ses textes tournaient autour de la ségrégation, des conditions de vie précaires des noirs mais aussi de sa vie tumultueuse : alcool, bagarre, prison, coureur de jupons, 8 mariages (!), une vraie rock star avant l'heure je vous dis!
"Pony blues", collector! |
Il meurt d'une crise cardiaque en 1934, à 43 ans, ce qui est respectable au vu des conditions de l'époque et surtout de son mode de vie mouvementé, (rappelons que Robert Johnson n'a tenu que 27 ans, lui..), le temps fera le reste et il demeure la légende, celle du "Father of the Delta blues"...
Quelques petites anecdotes et hommages :
-en tournée avec les Stones, Mick Jagger s'inscrivait parfois à l’hôtel sous le pseudo de..Charley Patton , écoutons Mick " les Rolling Stones ne seraient peut-être pas nés sans ce merveilleux musicien. Je me souviens de Keith Richards en train de me demander, en écoutant un disque de Patton, qui étaient le bassiste et le percussionniste qui l'accompagnaient. Nous avons alors découvert, stupéfaits, qu'il n'y avait pas d'autre musicien: Patton jouait tout à la guitare!".
-Holwing Wolf : " dés qu'il se mettait à jouer, il devenait un lion qui rugissait et on l'entendait des lieux à la ronde, il se roulait par terre, jouait de la guitare à genoux en se déplaçant sur le sol..Les disques de Patton ne donnent pas du tout l'idée de ce qu'était ses shows. Une grande partie de mon style et de mon jeu de scène viennent de lui"
de g. a d. au milieu Son House,le Wolf,Tommy Johnson,Bubka White |
-le grand dessinateur americain Robert Crumb (celui de "Fritz the cat" ou "Cheap Thrills" de Janis Joplin) lui consacra un album, Crumb : "Patton hante mon existence depuis l'adolescence: j'ai collectionné tous ses disques, j'ai frappé à toutes les portes pour connaître son histoire. Patton était à la fois un pasteur qui allait prêcher la rédemption et un bluesman à la vie dissolue qui faisait frémir les cordes de sa guitare avec des lames de couteau et des morceaux de verre. Il ne se séparait jamais de son instrument, voyageait seul, et on se demande comment il trouva le temps d'épouser huit femmes.." Crumb qui vit d'ailleurs dans le Sud de la France (aux dernières nouvelles) et joue aussi parfois de la musique avec les "primitifs du futur".
-Henri Salvador dira "j'ai toujours considéré Patton comme un musicien de jazz, il pouvait transposer les ragtimes à la Scott Joplin sur sa guitare avec une virtuosité qui tient du mystére"
-Jack White (White stripes) :" Charley Patton a été le premier chanteur engagé. Dans How Dry I Am, il montre l'hypocrisie des lois de prohibition de 1921, qui ne font qu'inciter à la vente illégale de drogues et d'alcool. Et dans Spoonful Blues il évoque sa dépendance à la drogue. Et il y a sa façon agressive de chanter, cette voix enrouée, rocailleuse et enragée. Patton a inventé la voix du rock, du punk et du blues".
-enfin Liza Blackwell révéla dans ses mémoires ("my life with the blues" éditions Smith&Carpenter, New York, 1997) que son oncle Scrapper Blackwell (pianiste chanteur qui forma un duo célèbre avec son compère Leroy Carr) et Charley Patton avaient l'habitude de faire ensemble la tournée des bars et des maisons closes de Tupelo! (John Lee Hooker évoque d'ailleurs cette époque sur son sublime blues "Tupelo" sur l'album "Chill out")
Disques conseillés:
-pour ceux de mes lecteurs qui payent l’impôt sur la fortune : le somptueux coffret 7 CD +le livre de John Fahey ,"screamin' and hollerin' the blues" :
-plus abordable le coffret "complete recordings" chez JSP, 5CD très complet aussi
- une compil 23 titres du label autrichien Wolf records "pony blues" qui reprend tous ses titres majeurs
-la BD de Crumb vendue avec 2 CD (BD jazz) , pour les planches de Crumb et avec les principaux titres
Bon, ça craque un peu parfois, mais il faut se rappeler des dates d’enregistrement et puis ça fait partie du voyage, au Mississippi et dans le temps!
à lire également sur ce blog,
-l'interview exclusive que m'accorda Robert Johnson (robert-johnson-les-100-ans-linterview)
-Bessie Smith, l'impératrice du blues (bessie-smith)
-et à écouter le disque hommage aux pionniers de Richard Koechli (howlin-with-bad-boys)
On se quitte en musique d'abord avec "Shake it and break it" (1929) sur des dessins de Crumb puis "34 blues" (1934), issu de sa dernière session:
Clairement une très grosse influence bien que Patton n'ait pas été seulement un Bluesman car il jouait bien d'autres types de musique populaire. Son influence sur tous les musiciens du Delta et par résonnance sur les grands innovateurs electrique est certaine et certains de ses morceaux sont un vrai bonheur !
RépondreSupprimerQuel dommage qu'on n'ai pas d'enregistrement live de ce sacré "performer"