Il est bon parfois de se replonger dans les racines du blues et de se souvenir de ses pionniers, en l'occurrence pionnières puisque les premières vedettes du blues furent pour beaucoup féminines, les fameuses "Blues singers".
Plus de 70 ans aprés sa mort, Bessie Smith demeure la référence incontournable quand on parle de chanteuses de jazz et/ou de blues; on peut même avancer qu'elle fut en ces années d'avant guerre l'équivalent féminin d'un Louis Armstrong. Toutefois, si c'est elle que l'histoire a retenue, d'autres de ses contemporaines comme Ma Rainey, Ida Cox, Victoria Spivey ou Clara Smith présentent également beaucoup de talent.( Pour ceux qui veulent en savoir plus je conseille cette compilation sur les contemporaines de Bessie: "I can't be satisfied- early american women blues" (ci contre)) . Mais divers faits ont contribué à la légende de Bessie : une vie sentimentale tumultueuse voire scandaleuse (divorces, amants, disputes conjugales violentes, bisexualité..), une mort tragique, et les hommages que lui rendirent notamment Janis Joplin, qui lui paya une pierre tombale, quelques mois avant sa propre mort, dans le petit cimetière de campagne paumé où elle reposait dans l'anonymat, oubliée de tous (ci dessous).
Cette vie "sex, drugs, alcools and rock'n'roll" avant l'heure l'inspira d'ailleurs dans beaucoup de ses textes, en effet, elle n'avait rien d'un enfant de chœurs, même si elle commença par chanter des gospels..( Young woman blues: "je suis une vraie femme et je veux avoir des tas d'hommes")
Née en 1894 à Chattanooga (Tennessee) (selon certains ouvrages en 1892, d'autres en 1898) dans une famille pauvre de 7 enfants, orpheline à 8 ans, elle baigne dès le berceau dans la musique , particulièrement le gospel (son père était prêtre baptiste). Devenue chanteuses de rues elle intègre en 1912 une troupe de spectacle itinérant, comme danseuse, car la chanteuse vedette de la troupe est l'illustre Ma Rainey, accompagnée de ses "rabbit foot minstrels" .
Celle ci va lui apprendre les ficelles du métier, notamment la présence scénique et l'élève va vite rattraper la maitresse et devenir la vedette du show . En 1923 elle connait son premier succés avec "Down hearted blues" qui se vendra à 780.000 exemplaires. De 1923 à 1933 Bessie va beaucoup enregistrer, avec les plus grands noms du jazz de l'époque, les Benny Goodman, Fletcher Henderson, Coleman Hawkins, Joe Smith, Charlie Green, Louis Armstrong, Fats Waller, Sidney Bechet pour ne citer que les plus connus. Bessie et son chant puissant et sincére , plus nuancé aussi parfois, sans les tics vocaux souvent énervants de cette époque, aura influencé des générations de chanteuses de Billie Holliday à Norah Jones en passant par Nina Simone, Big Mama Thornton, et bien sur Janis Joplin. Le groupe The Band lui consacra également une chanson sobrement intitulée "Bessie Smith" qui fit aussi pour sa redécouverte (ajoutons au sujet de ce groupe que Georges Brassens lui rendit hommage dans sa chanson Fernande ("Quand ze pense à Fernande, the Band")).
Mais la crise de 1929 affectera la production et les ventes de disques, cela ajouté à un divorce, des problèmes de drogue et d'alcool, et la désaffection du public pour le blues fera sombrer la carrière de Bessie . En 1933 John Hammond la remet en selle et l'enregistre, mais le succès n'égalera pas celui de ses débuts.
l'impératrice du blues |
Comme chez toutes les chanteuses du pré-war blues la frontiére est délicate entre jazz et blues, disons que Bessie chante le jazz avec un chant blues profond inspiré du gospel; on voit bien là comment le country blues est une source du jazz. Bessie fut en quelque sorte la transition entre les premières chanteuses "rurales" et la génération plus "sophistiquée" qui suivit ( Ella, Billie..). Sa voix puissante exprimait toutes les vicissitudes de sa vie et de celle de son peuple et pouvait transmettre une palette d’émotions, expliquant son surnom d' "impératrice du blues". Elle luttait également contre la mainmise des hommes dans le showbizz, elle avait constitué autour d'elle une communauté de femmes dans le but de s'aider et s'organiser.
Alors qu'elle allait reprendre le chemin des studios, Bessie meurt dans un accident de voiture le 26 Septembre 1937, prés de Clarksdale, la ville natale de John Lee Hooker; selon la légende non soignée à cause de sa couleur de peau, mais cette version romancée est sujette à caution, ainsi des années plus tard un journaliste passionnée de Bessie retrouva son secrétaire - et homme à tout faire et amant- Littlejohn Blackwell, frére ainé du bluesman Scrapper Blackwell, et grand oncle de la fameuse Liza Blackwell dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes, qui lui assura que Bessie avait été tuée sur le coup.( En revanche cette histoire est vraiment arrivée à JB Lenoir).
A noter que sa mort fit l'objet d'une pièce de théâtre "the death of Bessie Smith".
Tiens, puisqu'on parle de Liza Blackwell, signalons l'apparition qu'elle fit sur l'album de son frère en 1981 qui vient juste d'être réédité, un indispensable festival de guitares à se procurer d'urgence dont nous reparlerons sans doute bientôt plus en détail! (ci contre). Et puis Liza Blackwell de par sa vie quelque peu dissolue peut être considérée comme une héritière directe de Bessie Smith!
Pas toujours facile de s'y retrouver dans tous les disques de Bessie disponibles sur le marché, certains étant, époque oblige, d'une piètre qualité sonore, d'autres pêchant par la sélection des titres alors voici quelques pistes intéressantes:
-le coffret Frémeaux et associés , 36 titres essentiels dont "careless love" "back water blues" "St Louis blues" "muddy water" "yellow dog blues" "empty bed blues", livret étoffé
- chez Harmonia Mundi dans la collection "Chant du monde", 48 titres, très complet aussi
-la collection "chronological classics", tous les enregistrements de Bessie en plusieurs volumes, par périodes
On termine en musique avec 3 vidéos: d'abord "I need a little sugar in my bowl", admirez le double sens des paroles "I need a little sugar in my bowl, I need a little hot dog between my rolls"...suivi de "young's woman blues "et pour finir de la chanson du Band "Bessie Smith" reprise par Norah Jones:
Il est bien l'album du frangin Blackwell, j'avais l'occasion de l'écouter, en K7 ! J'ignorais qu'ils l'avaient ressorti...
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