Une musique de "genre" certes, mais avec quel brio sous la baguette de
Carlos Kleiber…
Les fêtes approchent. Oui déjà ! En attendant janvier, je vous propose de
m'accompagner dans un monde musical moins "savant" que dans la plupart des
chroniques de ces derniers mois. Première étape : à
Vienne au temps des Strauss. Et tant pis pour les esprits chagrins à
force de sérieux, les intégristes classiquophiles qui vouent aux gémonies
les valses et polkas de la famille Strauss.
Aller…… Aller…… On tournoie…… Talala Talala TamTam……… Rockin et Foxy, moins
près du corps, on n'est pas dans une guinguette…… Talalala…… Luc la main
droite en haut du dos d'Élodie, pas en bas…… TsssTsss…… Attention, on
ralentiiii…… et…… on accélère…… la prochaine fois, on loue des grandes
robes…… Philou et Wolfi, un peu plus de souplesse que diable……
Vienne, le concert du nouvel an, les valses…
Je suis persuadé que bien des lecteurs du Déblocnot se réveillent
tardivement le jour de l'an aux accents de l'incontournable
Concert du Nouvel an à Vienne,
diffusé dans le poste vers midi. Eh oui, un concert Kitchissime où
l'Autriche met les petits plats dans les grands :
La Philharmonie de Vienne (considérée comme
le meilleur orchestre symphonique de la planète), des chefs expérimentés
qui se succèdent, des fleurs partout, bref la classe, le top de la
mondanité musicale face à vos yeux mi-clos après une nuit de libations
festives. Et pour un chef d'orchestre, si grave soit-il dans des
répertoires plus métaphysiques, diriger ce concert est un honneur et un
plaisir.
De la musique au rabais ? De la variété symphonique ? Pas sûr, si on
considère que des fines baguettes comme Clemens Krauss, Lorin
Maazel, Herbert von Karajan, Claudio Abbado, Seiji
Ozawa, Carlos Kleiber, et même le très sérieux et théoricien
Nikolaus Harnoncourt se sont prêtés à l'exercice (c'est l'orchestre
qui choisit son chef). Tous ces maîtres de la direction, au-delà de leur
talent immense, ne peuvent guère être suspectés de partager une idéologie
musicale stéréotypée vu l'incroyable variété – on pourrait dire opposition
- de caractères et de tempéraments des maestros. Eh bien oui, Johann
Strauss, comme ses géniaux contemporains Wagner, Bruckner ou Brahms,
mérite que l'on s'attarde sur ces valses transcendées par des interprètes
inspirés. Mais attention, le style valse ou polka, assez codé, permet une
chute imparable dans la mièvrerie ou la vulgarité (souvent les deux). La
faute à des musiciens sans imagination qui ne savent pas cheminer dans
l'architecture vivifiante de nombre de ces pièces festives, même si
l'intérêt de l'une à l'autre n'est pas constant.
En réfléchissant en duo à la manière d'aborder cet article a priori
inattendu de ma part, Maggy, ma directrice artistique, m'a écrit
ces quelques lignes :
Avec des valses de Vienne, une délicate odeur de chocolat chaud
pourrait peut-être permettre à l'imagination de voir les épaules rondes,
blanches et délicatement parfumées des danseuses. De là, on passera
aisément au tournoiement des robes colorées, au froufrou délicat des
soieries et aux petits pas empressés des danseuses, au port majestueux
et sérieux de leurs cavaliers dont les souliers marquent la cadence...
Et les notes de musique se feront palais viennois, parquet ciré, foule
bigarrée et joyeuse, bref une ambiance toute propice à l'écriture…
Belle évocation n'est-ce pas ?
Eh bien tout cela, nous allons le retrouver dans les CD issus des
concerts donnés par Carlos Kleiber invité en 1989 et
1992. D'abord un peu d'histoire et de mise au point !
Dans la famille Strauss : Le père et les 3 fils
La valse à Vienne fut une incroyable affaire de famille. Si
Johann II (le fils, 1825-1899) reste le plus productif et
talentueux, c'est vraiment à Johann Strauss I (le père,
1804-1849) à qui l'on doit cet étonnant népotisme musical sur un
genre qu'il avait inventé.
Berlioz lui-même disait du Père de la valse viennoise que "Vienne
sans Strauss c'est comme l'Autriche sans le Danube". Il est vrai que notre
Hector national avait écrit "un bal" de la
Symphonie Fantastique sur un rythme de valse.
Johann Strauss I a 7 ans quand sa mère meurt d'une infection et 12
ans quand son père se noie dans le Danube. Ils étaient taverniers. On
destine l'enfant à la reliure mais, il apprend aussi le violon et rejoint un
petit orchestre, puis un quatuor au sein duquel il joue déjà des valses
viennoises et des danses allemandes populaires.
Johann Strauss I connaît une vie familiale difficile et devient chef
d'orchestre puis compositeur de musique de danses pour "arrondir les fins de
mois". Ses voyages et ses compositions vont lancer en Europe l'engouement
pour les Valses. De ses nombreuses œuvres, c'est la
Marche de Radetzky qui demeure la page la plus célèbre et qui clôt
chaque année le Concert du Nouvel An.
Johann Strauss II, le fiston a du caractère. Son père le destine à
être employé de banque, mais le gamin compose sa première valse à
six ans ! Il suit des cours de piano et de violon en cachette
encouragé par sa mère. En 1842 il quitte le foyer pour se
perfectionne et créer un premier orchestre de 24 musiciens. Devenus rivaux,
le père et le fils se réconcilient un an avant la disparition du chef de
clan en 1849. Johann fusionne alors les deux orchestres et sillonnent
l'Europe pour jouer l'œuvre "familial", de Paris à Berlin, Londres,
Saint-Pétersbourg et aux États-Unis, partout le triomphe l'attend. Il
abandonne la baguette de chef pour la composition au bénéfice de ses cadets
Eduard (1835-1916) et Josef (1827-1870) qui composeront
également quelques pièces marquantes.
Johann Strauss témoigne du besoin de musique légère au temps de l'Empire Austro-Hongrois et de l'absolutisme de l'empereur François-Joseph. La qualité
apportée à l'orchestration, le travail sur les changements de rythme, de
couleurs, de climats pastoraux ou festifs ont passionné les compositeurs les
plus avant-gardistes comme le trio de l'école de Vienne. Alban
Berg, Arnold
Schoenberg
ou Anton Webern n'hésiteront pas à transcrire ces valses pour quatuor
à cordes. Quant à l'ombrageux et philosophe Richard Wagner, il dira
de Johann Strauss " le cerveau le plus musical qui fut jamais " ! Alors,
s'il y en a encore qui chipotent ?
Et puis à la radio, sur un disque acheté ici ou là, dans un mariage de
province ou dans les bals les plus classieux, n'entend-on pas depuis 150 ans
de virevoltants petits bijoux de drôleries et de poésies comme
Sang viennois, La Valse de l'empereur, Le Beau Danube bleu, Aimer boire
et chanter, Légendes de la forêt viennoise
?
Attention, Richard Strauss, compositeur bavarois n'a aucun
lien de parenté avec nos viennois. L'introduction de son poème symphonique
Ainsi Parla Zarathoustra sert néanmoins de générique au film
2001 Odyssée de l'espace.
Le beau Danube Bleu et Carlos Kleiber
La similitude des enfances de Carlos Kleiber et de
Johann Strauss II est surprenante. Erich Kleiber père
(immense chef d'orchestre) destinait son gamin – étiqueté "bon à rien" – à
une carrière de chimiste… Le jeune Carlos (ex Karl, la famille
avait fui le nazisme en Argentine) en décide autrement et commence sa
carrière à 22 ans à Munich. Tout cela est le début d'une longue histoire
que je vous raconterai à propos d'une certaine 5ème de
Beethoven, symphonie pour laquelle Carlos, 20 ans après son père, signera
une (la ?) version définitive au disque, déjà avec la philharmonie de
Vienne. Mais revenons aux Valses.
Carlos Kleiber dirige les 1er janvier 1989 et
1992
le concert du nouvel an. L'essentiel de ces deux moments historiques a été
compilé sur un double album. Je me suis toujours demandé comment le
perfectionniste et irascible maestro, qui dirigeait peu d'œuvre dans un
univers restreint (Beethoven, Brahms, Wagner,
Weber, Richard Strauss), et qui détestait le disque avait pu
accepter ce défi. Tant mieux, car son Strauss (Viennois) culmine
par son élégance au sommet de la discographie.
LE BEAU DANUBE BLEU
L'aube se lève sur Vienne, un cor lointain éveille une nature qui se
déploie en douceur grâce à une frisquette phrase au violon puis aux
violoncelles. Kleiber enchaîne ces premières notes avec douceur, quel
legato ! Les flûtes illuminent de quelques rayons furtifs le miroir du
Danube. L'orchestre volontairement allégé accélère pour fêter le lever
du jour. Quelques pizzicati précèdent la mélodie principale de valse.
Vienne s'anime, espiègle. Jamais le chef ne heurte les motifs entre eux.
Le beau développement aux cordes s'élève avec grâce, le fleuve coule en
ondoyant sur des trilles des bois. La reprise se fait sensuelle. Que
peut-il arrivé à cette ville prospère, centre universel de l'art
européen. À mi-parcours, Le chef conduit un orchestre plus dansant, les
kiosques de Vienne attirent des danseurs dont les têtes s'enivrent en
virevoltant avec leur belle d'un jour ou de leur vie. Les somptueuse et
chaudes sonorités de la Philharmonie de Vienne sont au rendez-vous mais
sans le pathos plus ou moins présent avec les chefs des décennies
précédentes voire suivantes. Carlos Kleiber recrée cette valse pour la
métamorphoser en un gracieux et coloré poème symphonique.
LE STYLE KLEIBER À VIENNE
Pour ces deux concerts à Vienne, le style Kleiber se nourrit de clarté,
de souplesse, d'équilibre joyeux et limpide entre tous les instruments.
On redécouvre ainsi ce génie de l'orchestration de Johann Strauss qui
séduisit l'école de Vienne, la vivacité des thèmes de cette musique de
fête. Cela ne plut pas à tout le monde, certains reprochant au chef un
manque de sensualité. Tout dépend de la charge sémantique donné à ce
mot. KLeiber réfute la sensualité à la hussarde. Il y préfère tendresse
et savoir-vivre de mise au château de Schönbrunn. Et puis le chef
dessine l'Autriche populaire et colorée. Ainsi on retrouve ce style
évocateur et ce souci de peinture musicale dans "Voix du Printemps", frais, lumineux, primesautier.
L'expressivité chez Kleiber se refuse aux effets faciles, aux tempos
endiablés, à la germanisation un peu cérébrale du discours orchestral
qu'affectionnait avec talent un Karajan. A la fin de "Sous le tonnerre et les éclairs", emportée par le tourbillon, la salle exulte. Mais comment démonter
1750 fauteuils, les pousser et improviser un bal à la puissance 10
!
Dans la "Marche de Radetzki", il est de coutume que le public tape dans les mains. Kleiber avait
menacé de quitter la salle si cela se produisait. Tu parles !
Contaminé par l'enthousiasme du public, Il continue et avec quelles
élégance et bonhomie !
Enfin, je me dois de préciser que la prise de son est superlative pour les deux CDs de l'album.
Enfin, je me dois de préciser que la prise de son est superlative pour les deux CDs de l'album.
A gauche Carlos Kleiber dans une luxuriante
interprétation.
À droite, une démonstration par
l'absurde. Non ! Johann Strauss n'a pas écrit une musique pour "les nuls". Et donc… heuuu, un exemple de ce qu’il faut fuir à toutes jambes… Le
coupable ? Un hasard bien sûr !
Mon pote
Andre Rieu
officie dans le Beau Danube Bleu avec un orchestre spongieux
C’est lourd, sans aucun mystère. Rieu assène avec une massue un accord
éléphantesque des cuivres et de la timbale en fin d’exposition (Ecoutez
donc le chant des violoncelles chez Karajan). On imagine une harmonie
municipale (cymbale, grosse caisse) un jour de fête au graillon, une
valse pour des bourrés (que les auvergnats me pardonnent ce jeu de
mots). Le beau Danube Bleu promu musique militaire caoutchouteuse. Bon
j’arrête d’éreinter et même d’écouter. Le Rieu, il réussit même à caser
des syncopes avec des ajouts de cymbales ?! Epais, hideux ! Cac…
boud… !! Quand je vous dis que c'est l'interprète qui porte la
musique.
Puis Karajan avec la Philharmonie de Berlin en 1967 (Est-ce l'enregistrement pour le film, il y a eu un mystère de
droit entre Kubrick et le rugueux maestro (le disque venait d'être publié),
mais il n'existe aucune gravure plus ancienne avec cette qualité de son et
un timing similaire à l'interprétation proposée dans la BO.F. en disque,
alors…). Abrupte, plus staccato et un peu moins fluide à "mon goût" que
Kleiber, mais quelle introduction… Un très grand cru du maestro
autrichien… imaginer la danse des astronefs dans 2001 Odyssée de l'espace…
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LA VALSE de la symphonie fantastique de Berlioz enflammée par Charles Munch et John Elliot Gardiner
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Les belles histoires de l'oncle Luc à propos de tonton Stanley... A l'origine, pour "2001" Kubrick souhaitait du Mahler. Ayant découvert la version de Karajan/Strauss, il a changé son fusil d'épaule. Option n°1 : Il venait d'acquérir une belle chaine stéréo avec la version du Beau Danube. Option n°2 : en visionnant les rushes, le projectionniste passait en même des disques, et quand les notes du Beau Danube se firent entendre, Kubrick eut l’illumination ! Sur le tournage, le disque tournait en boucle, pour que chacun (maquettistes et comédiens) puissent s'imprégner de la musique. Sauf que Karajan exigeait des droits exorbitants pour l'utilisation de sa version, ce que Kubrick refusa. Il fit semblant de travailler avec la version dirigée par Karl Bohm, le crédita au générique, mais en douce, sur la bande son, il remit la version de Karajan !
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas toute cette affaire et je croyais justement jusqu'à ces derniers temps que c'était une version de Karl Böhm qui était utilisée dans le film.
RépondreSupprimerLe Zarathoustra de Richard Strauss qui sert d'introduction et de conclusion à 2001 est bien de Karl Böhm, grand interprète de ce compositeur comme Karajan en fait.
Cette œuvre sera un jour chroniquée sans doute dans les enregistrements survoltés de Fritz Reiner et William Steinberg.