vendredi 2 décembre 2011

JOE COCKER - "Mad Dogs & Englishmen" - (1970) par Luc B.



"Mesdames et messieurs, bienvenus sous le plus grand chapiteau du monde...
The Mad Dogs and the Englishmen… and… Joe Cocker !"

Joe Cocker pousse ses premiers hurlements en mai 1944. Papa et maman Cocker ont du être surpris ! Et ça a dû plaire au gamin, parce qu’il a continué à brailler longtemps, et beaucoup. Dès ses 16 ans, il monte son premier groupe, il officie à la batterie (dont il mimera les gestes ensuite, mixés à de la guitare, du piano, d'où ces gesticulations scéniques). Mais c’est en 1966, avec THE GREASE BAND, un groupe monté avec le pianiste Chris Stainton (qui a joué avec la planète entière, notamment avec Clapton), qu’il commence vraiment à percer, avec la reprise d’une chanson des Beatles « With a little help from my friend ». Les tournées anglaises sont un succès, et contractuellement, Joe Cocker doit poursuivre aux USA. Il part pour Los Angeles, et compte surtout se reposer, se tenir à l’écart d’un orchestre, lâcher prise un moment. Las ! Les producteurs lui mettent la pression, et comme Léon Russel (pianiste, guitariste et compositeur, qui a sorti un bon album avec Elton John l'année dernière) met son groupe à sa disposition, Cocker reprend le micro. Mais la troupe va s’agrandir aux grès des auditions, Chris Stainton rejoint la bande, ainsi que la section rythmique de DELANEY AND BONNIE composée de Jim Gordon et Carl Radle (qui oeuvreront aussi avec Eric Clapton dans DEREK AND THE DOMINOES), deux autres batteurs, des percussionnistes, des cuivres (Bobby Keys au sax qui joue également avec les ROLLING STONES) et pas moins d’une douzaine de choristes. Bref, un des plus fameux backing-band qui soit ! 36 personnes sur scène ! Si on compte les roadies, les ingénieurs, les petites amies et les enfants, et des opérateurs de cinéma qui filmeront la tournée, c’est un véritable Barnum qui se met en route le 19 mars 1970.

Alors, en partant de la gauche, en haut, nous reconnaissons... naaann j'déconne !

Avant cela, le groupe avait répété les morceaux en studio. Cocker et Stainton reprennent le répertoire de THE GREASE BAND, qui fait la part belle aux Beatles (qui épatés par la reprise de « Little help » avait autorisé Cocker à se servir dans leur catalogue), mais chacun arrive aussi avec de nouvelles compositions. D’autres reprises seront inclues, comme le hit des Stones « Honky Tonk Woman » qui ouvrira chaque concert.  L’armada se met donc en branle, et une semaine après, une étape est prévue au théâtre Fillmore East de New York. Son directeur légendaire, Bill Graham refuse que le show soit filmé, ne souhaitant que l’appareillage technique gènent les spectateurs. Après de longues tractations, il revient sur sa décision, et les concerts du Fillmore seront enregistrées et filmées. Le split-screen est à la mode (écran divisé) depuis Woodstock, le film sera donc tiré en scope, mais avec deux images 1:37 accolées. Fait assez rare, l’album live sera donc réalisé en début de tournée, et non en fin, comme cela se fait habituellement, afin que les rouages soient bien huilés. Et cela valait sans doute mieux. L’équipe était encore fraîche… Car ces Chiens Fous d’Anglais picolent sec, la dope se fume, se snife, se gobe par valises entières, et les égos des uns et des autres explosent aussi surement que les neurones déglingués de Joe Cocker, qui pour soigner son blues, plonge un peu plus au fond de sa bouteille. Mais le chanteur reste pro, et malgré son envie de foutre le camp, il monte chaque soir, deux fois sur scène, et assure le show (à cette époque, deux show étaient programmés par soirée). 

Le résultat est assez somptueux, à mon goût. Le son, qui bien que remasterisé sur la version DELUXE, garde cet aspect poisseux, qui colle aux dents, lourd et épais, crapoteux juste ce qu’il faut. Vintage comme on dit, non ? Les arrangements rappellent ceux d’Elvis Presley à partir de 1970, grosse section, des chœurs, de l’emphase dans les tempos lents, les ballades. Mais comme me l’a glissé à l’oreille notre docteur ès heavy-blues-rock Bruno, le plat est roboratif. Préparez l’Alka Selzer ! En clair, c’est un vrai bordel ! Monstrueux, hors norme, la plus belle troupe de chevelus drogués à l’ouest du Pecos ! Mais qu’est ce que c’est bon ! Et puis attention : le répertoire…


Une ouverture avec « Honky Tonk Woman » des Stones, sacrément bien arrangé, tempo doublé, « She came in thru the bathroom window » des Beatles, et cette chanson que j’aime plus que tout « The Weight » de The Band. Quelle entame ! On croit rêver. Après un slpendide « Bird on a wire » de Léornard Cohen, Joe Cocker s’époumone sur un de ces gros classiques « Cry me a river ». Et que dire de « Feelin’ alright » le standard de Dave Mason, dont Cocker donne la version définitive, doublement du tempo, un groove d’enfer, le chorus de piano. Joe s’écorche les cordes vocales, mais est aussi capable de douceur, de fragilité quand il entame « Something » de George Harrison, bourrée de feeling et de testostérone. Des backs de sax ténors mélancoliques, pour une immense version d’une des plus belles chansons du répertoire pop. Les Beatles sont à la fête encore avec « Let it be » chantée par Claudia Lennar (mouais, bof...), avant que le guitariste Don Preston prenne le micro pour nous donner une furieuse version du classique « Further on up the road ». N’en jetez plus ! Fin du CD 1…

Léon Russel, 
amiral en chef de l'Armada
Reprise des hostilités avec « Let’s go get stoned » (tout un programme…) qui ouvre le CD2, avec un Bobby Keys inspiré au sax, puis « Space Captain » une tuerie soul de plus, avec les  OUUUHHH et les AAAAHHHH des choristes. J’adore ! (Le titre sortira en 45 tours, car Cocker en profite pour enregistrer du matériel pour un album studio). C’est Léon Russel qui chante les deux chansons suivantes, des compositions à lui. Il a des airs de Dr John le Léon, physiquement et vocalement, ce n’est pas pour me déplaire, en plus avec un « Dixie Lullaby » très New Orléans. Autre gros classique à venir, grosse claque, « The letter ». A l’origine une chanson du groupe The Box Tops, hit planétaire de 1967, dont le chanteur Alex Chilton est mort l’année dernière. Joe Cocker en donne évidement une version survoltée gorgée de soul, avec un chorus de trompette de Jim Price. Autre morceau de bravoure avec « Delta Lady » une composition de Léon Russel. 7’00 de swing, de ruptures, de déchirements menés par la basse de Carl Radle. Epique ! Le morceau s’arrête au milieu, on entend un Joe Cocker, hébété, répété « rock’n’roll » au micro, avant que la déferlante ne reprenne, une nouvelle fois interrompue avant l’assaut final ! Tu disais quoi Bruno ? C’est du lourd ? Du pachydermique, oui ! Un peu de douceur et de légèreté avec un « Give peace a chance » très gospel de Russel, avant un meddley de 12 minutes composé de trois titres soul, admirables, du Isaac Hayes, du Otis Redding. Et puis, bien sûr, nous y voilà, la grande cavalcade « With a little help from my friend » avec laquelle Joe Cocker avait cartonné à Woodstock. On l’a connait par chœur, mais tout de même, quelle orgie ! Quand on compare avec l’originale, sage et appliquée (cf Sergent Pepper’s), ce n’est plus une reprise, c’est une relecture complète de la chanson, à la limite une création. D’ailleurs, je trouve que les reprises de Joe Cocker sont bien souvent égales aux versions d’origine, il en fait de nouvelles chansons. Aaah cette intro à l’orgue, la batterie qui rentre, ce riff de l’orchestre, le calme avant la tempête, questions réponses Cocker/choristes, et les hurlements de bête à l’agonie… Le concert se clôt sur une belle chanson de Bob Dylan, « Girl from the north country » duo voix piano, très sobre.

Cette version DELUXE est à ma connaissance la plus complète, puisque les bandes enregistrées avaient été bidouillées et dispatchées sur quantité d'éditions. Elle propose en bonus une jam de studio, dont une reprise de « Under my thumb » des Stones, et le 45 tours « The letter/Space captain ».

Cette tournée, et ce disque restent le sommet et la fin de Joe Cocker. L’ex plombier de Sheffield y brule ses dernières forces, il n’a plus de volonté, n’a plus l’esprit à mener une carrière. Lâché par Chris Stainton, embastillé pour de sombres histoires, il devient une curiosité, un animal de cirque, dont les gesticulations (son air-guitare !) amusent, et le font passer pour un demeuré. Il ne tient qu’avec la dope, et sombrera dans l’héroïne. Récupéré dans les années 80, il reviendra avec un rock FM vaguement soul,  le prix à payer pour pouvoir encore enregistrer, quelques  tubes comme le « Up where you belong » ou « You can leave your hat on » (écrit par Randy Newman), on aura même droit à un duo avec Catherine Deneuve (pas déshonorant du tout). Mais on est très loin de l’exubérance des 70’s. Joe Cocker (le p'tit neveu blanc de Ray Charles) reste, avec Rod Stewart, une des plus belles voix blanche et écorchée de la soul, une voix passée au papier de verre gros calibre, et ce double album en est un magnifique témoignage.

MAD DOGS & ENGLISHMEN édition Deluxe






Premier extrait, le classique "The Letter". J'adore le flegme de Léon Russel (au piano) totalement surjoué, à moins que la came fût excellente ! Ce soir là, c'est Bobby Keys (et non Jim Price) qui se colle au chorus.

Joe Cocker & Leon Russell - The Letter par bebepanda





Autre extrait, en split screen : "Space Captain"

4 commentaires:

  1. Une tournée total déglinguo ... c'est pour ça qu'ils étaient aussi nombreux, y'avait de temps en temps des "absences" ...

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  2. Leon a l'air de complètement planer.
    Au niveau de la seconde carrière de Cocker, "Night Calls" et "One Night of Sin" sont deux bons crus qui mériteraient bien une place particulière, non ?

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  3. L'album Sheffield Steel, teinté reggae, est excellent !!!

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  4. C'est vrai... J'ai sans doute été un peu dur dans ma conclusion, la carrière de Joe Cocker ne s'est pas finie en 1970 ! Mais vous voyez ce que je voulais dire... à partir des 80's, ce n'était plus la même chose...

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