Symphonies 2, 4, 7, 9 et le "Chant de la Terre" : un coffret pour mon île
déserte…
Ce coffret à prix économique, paru en octobre, réunit les enregistrements
Mahlériens d'Otto Klemperer gravés en studio avec le
New Philharmonia dans les années 1960-70. C'est inespéré car
à ce jour, seules les symphonies 2 et 9 et le
Chant de la Terre avaient bénéficié d'une réédition dans la
collection "Great recording of the century" d'EMI. La 4ème pouvait se trouver dans une collection anthologique de
1999 consacrée au chef légendaire au gré du marché international.
Trouver la 7ème tenait de la recherche du Graal. Beaucoup
de mélomanes qui ne connaissaient pas cet enregistrement, devaient être
surpris par les prix pour le moins élevés (100-600€) des exemplaires
d'occasion. Pourquoi un tel tarif pour ce double album qui n'avait
jamais été réédité depuis 1992?
J'avais trouvé les CDs en 2009 à un prix décent après avoir déniché les
vinyles en 2008 (à Leipzig). En fait, je cherchais depuis 1970, année où
j'avais entendu, subjugué, le premier mouvement à la "radiophonie". Passion,
quand tu nous tiens! Depuis 40 ans aucune interprétation ne me permettait de
revivre une émotion comparable. A priori je n'étais pas le seul…
OTTO KLEMPERER (1885-1973) ne jouait jamais les symphonies qu'il "ne sentait pas" : 1, 3, 5, 6. Peu de chefs sont aussi scrupuleux et préférent tenter
l'éternelle carte de "l'intégrale" qui présente inévitablement des points
faibles. Ici nous touchons l'osmose absolue entre une œuvre et un
musicien, le testament d'une vie au service d'un compositeur qui fut aussi
son professeur.
GUSTAV MAHLER : Lire sa
biographie dans la chronique
Gustav Mahler et Blanche Neige.
Gustav Klimt dont un tableau illustre chaque chapitre était un ami de
Mahler et partageait les mêmes préoccupations philosophiques et
artistiques.
Klemperer qui a connu Mahler et Bruno Walter (autre
élève et maestro qui avait créé le Chant de la Terre) a déjà enregistré la
symphonie N°4 l'année précédente. Comme directeur officiel du
Philharmonia, il forge depuis des années cet orchestre, créé et dédié
aux enregistrements de studio, depuis l'avènement du microsillon puis
de la stéréophonie, à un style clair, incisif, à un équilibre
perfectionniste.
Dans l'immense architecture de cet oratorio-symphonie composée entre
1888-1894, Mahler établit une symbiose entre le souvenir des joies et
peines terrestres, du plaisir de vivre, des bruits de la nature et de
l'angoisse existentielle. Il confronte ainsi la nostalgie d'un monde appelé
à disparaitre, à l'espoir d'une résurrection. Le vieux maître interprète en
majesté au sens chrétien du terme. Klemperer souligne dès
l'allegro maestoso toutes les articulations inquiètes et martiales de
la partition. Les tempos sont d'une régularité et d'une pertinence totales,
plus retenus que dans son interprétation (mono) avec le
Concertgbouw d'Amsterdam et Katleen Ferrier.
L'andante plutôt dansant se veut nostalgique mais gracieux. Klemperer
apporte une tendresse qui sera peu égalée ultérieurement, démentant par
là-même sa réputation de chef marmoréen et minéral. Dans le scherzo,
le phrasé se fait, certes sarcastique, mais le dialogue des bois adoucit
cette impression de grotesque par leurs timbres enchanteurs. La prise de
son, analytique, répond aux exigences de précision du maestro qui conçoit ce
passage comme un concerto pour orchestre en miniature. L'ensemble reste
puissant et rythmé. La contralto Hilde Rössl-Majdan (1921-2010),
chante avec une tessiture de mezzo flirtant avec le contralto.
Sa voix baigne dans une sublime nuée de cordes et de cuivres assourdis (vidéo 2). La cohérence et le torrent limpide et violent, dans les premières
mesures du long final avec Chœur, annoncent un de ses moments magiques de la
musique enregistrée. La voix lumineuse
d'Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006) "se libère" avec aisance au sein
de l'énergie orchestrale déployée, un flot musical puissant mais qui
s'écoule avec évidence.
4ème symphonie (1962)
L'œuvre composée en 1899 étonne par sa fraîcheur juvénile. Le
tintement des clochettes dans l'introduction évoque un traîneau de conte
pour enfant et, dans le second mouvement, l'usage d'un violon désaccordé
ramène à la rusticité d'une danse villageoise.
Attendait-on le chef grave et sévère dans cette symphonie à l'orchestration
allégée et s'inspirant largement de l'univers enfantin du
Knaben Wunderhorn (le corps merveilleux de l'enfant) ? Eh bien,
Klemperer signe une version merveilleuse, même si nombre d'enregistrements
ultérieurs ont su apporter d'autres visions tout aussi intimes. La finesse
du jeu collectif du Philharmonia est au sommet de sa plasticité. Tout
est élégance, un phrasé à la fois nocturne et chaleureux dans l'œuvre la
plus sereine du maître viennois. Elisabeth Schwarzkopf use d'une voix
angélique pour décrire ce paradis enfantin du lieder final. C'est un peu
lyrique, mais tellement irréprochable. Une interprétation qui ne prend
aucune ride.
7ème symphonie (1969)
Dans l'histoire du disque, on trouve des interprétations hors norme qui
posent question. L'étrangeté de l'interprétation d'Otto klemperer qui
s'étend sur 2 Cds explique-t-elle tout ? Lorsque le commandeur octogénaire
enregistre en fin de vie cette œuvre, il surprend avec des tempos
incroyablement étirés puisque la durée de la symphonie atteint 100 minutes
là où les chefs l'exécutent en général en 75 minutes !? On peut donc
s'attendre à une conception cyclopéenne, lourde et ennuyeuse. Curieusement
il n'en est rien, la lenteur devient ballade nocturne. De fait, la
complexité inouïe du discours musical se clarifie, s'aère, trouve sa
logique. Souvent on reproche à cet opus une tendance à la cacophonie, un
manque de cohésion, et c'est là que la magie Klemperer opère.
Dès le premier mouvement, chaque évènement sonore de cette fresque nocturne
et onirique reprend sa place, les subtilités de l'orchestration sont souvent
escamotées au disque, y compris par les phalanges les plus habiles guidées
par les meilleurs chefs.
Dans les deux Nachtmusik, les instruments deviennent concertants, la
musique rêve de pupitre en pupitre. Mahler dans "ce chant de la nuit"
souhaitait-il nous donner ce sentiment de confrontation entre des images
disparates propres à l'onirisme? Guitare et mandoline caracolent doucement
mais avec précision dans la seconde Nachtmusik. On ne les entend que
rarement habituellement. La musique s'élève en volutes. Les mouvements
extrêmes et le scherzo médian (vidéo 1) ne revêtent aucune brutalité.
Le dernier mouvement, très rebutant quand précipité, devient fête
villageoise, une idée ou une variation en entrainant une autre dans une
danse où chaque enchainement subtilement abordé rend, par là même, cette
fantaisie cohérente et jubilatoire.
9ème symphonie (1967)
Composée en 1909-1910, l'ultime symphonie achevée résume tout le
génie et l'inspiration de plus en plus pathétique de Mahler. Deux immenses
adagios encadrent deux mouvements rapides dont l'ambiance sarcastique a fait
songer à une danse macabre, un défi ironique face à notre mortelle
destinée.
Les sombres pensées qui hantent Mahler en cette année 1909 se dégagent dès
les premières mesures où chaque motif élémentaire s'extrait en s'étirant du
silence donc du néant. Le ton est donné pour la vision que le chef aura de
l'univers grinçant et morbide de l'immense symphonie. Les tempos sont un peu
retenus surtout dans les deux mouvements centraux sans nuire à leur style
ironique et cocasse.
Comme toujours avec Klemperer, tous les détails de l'orchestration sont mis
en avant. L'équilibre entre les pupitres reste souverain. A l'instar de sa
conception idiomatique de la septième, l'esprit s'égare entre les souvenirs
terrestres et l'interrogation anxieuse sur l'écoulement inexorable de la
vie. Klemperer transcende les notes virtuoses pour atteindre la pensée
angoissée et emplie d'antagonismes de Mahler. Les danses centrales sont
macabres mais énergiques. Tout est grandeur mais sans grandiloquence.
Le Chant de la Terre (1967)
Cette symphonie composée de 6 lieder pour Ténor et Alto (ou baryton) se
verra analysée en son temps. Les textes s'inspirent de poèmes de
Li Bai, Meng Haoran et Wang Wei, poètes chinois
illustres du IXème siècle. La musique utilise le mode pentatonique
oriental.
Encore un enregistrement légendaire, concurrent direct de celui de
Bruno Walter à Vienne avec Katleen FerrierJulius et
Patzak. Plus qu'à une opposition conceptuelle, nous sommes face à
une complémentarité essentielle de l'histoire du disque. La plus-value
sonore est sans appel pour cette gravure. Christa Ludwig (née en
1928) distille une émotion sans artifice.
Fritz Wunderlich (1930-1966) ne serait-il pas le ténor le plus
vaillant et sans vulgarité (premier lied) de ce monument ? Quant au
Philharmonia, que répètera-t-on qui n'est déjà été écrit par moi ou par
d'autres. L'orchestre sonne dru mais avec une humanité qui transcende la
complexité mais subtile orchestration. Aucun pathos, les voix
s'élèvent dans un espace sonore d'une transparence riche et secrète.
Magnifique. Mahler utilise à la fois la tonalité occidentale et le mode
pentatonique oriental. L'orchestre n'est que dentelle de bois, de
percussions cristallines, des "sonorités-émotions" qui vont droit au cœur.
Commentaire volontairement bref, les
vidéos 3 et 4 vont parleront
bien plus...
Une réédition plus que justifiée (3 € le CD) pour ce parcours sans faute,
tant pour compléter une discographie, que découvrir un monde enchanteur et
métaphysique. Indispensable.
Impossible de ne pas finir en musique. Par bonheur, de nombreux extraits de
ces enregistrements sont disponibles sur le Web, et plutôt bien reportés
(les prises de son du Philharmonia des années 60-70 sont des références
techniques). Cela dit, comme je dis toujours, seuls les CDs peuvent
totalement transcrire la magie de ces joyaux.
Vidéos
1 - Le féérique scherzo de la symphonie N°
7
2 - 2ème symphonie (mouvement N° 3
"Urlicht") avec Hilde Rössl-Majdan.
XXX
3 - L'adagio conclusif de la 9ème symphonie, et 4 - à droite, Le 6ème
Lied "L'adieu", un des enregistrements "classique" les plus
essentiels de l'histoire du disque. Les tonalités occidentales et orientales
se rencontrent… le mot "bewig" (éternellement) est répété 5 fois à la fin,
cela s'applique à ces disques
+
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