Le 18 mai 1911 disparaissait le dernier grand compositeur et symphoniste
romantique :
Gustav Mahler (1860 – 1911).
Je ne pouvais pas en tant que mélomane inconditionnel du personnage depuis
plus de 40 ans faire l’impasse sur ce centenaire. Mais comment aborder le
sujet ? Son nom ne vous est pas forcément familier, et pourtant nous sommes
quotidiennement baignés dans sa musique à travers le cinéma, la danse, la
publicité, etc.. Par ailleurs les saisons musicales lui donnent une place
presque excessive qui finit parfois par nuire à la qualité des
interprétations. Curieuse revanche de celui que tout le monde méprisait
jusqu’à la fin des années 60 où, enfin, des intégrales de son œuvre (Bernstein, Haitink, Kubelik) ont conquis les nouvelles générations de mélomanes. Depuis, les critiques
et musicologues officiels qui traitaient ses immenses symphonies de «
boursouflures » ont retourné leurs vestes, comme d’hab’ !
Eh bien, pour aborder le sujet, je vous propose une chronique à partir d’un ballet inspiré du conte Blanche Neige et de sa musique. Mais, un peu de patience, une courte présentation s’impose.
Rapidement : Mahler naît dans
une famille juive en Bohème mais se convertira au catholicisme. Il souffrira
toujours de l’antisémitisme y compris dans sa carrière pourtant
prestigieuse. Mahler, c’est trois vies en une. Il a été un des chefs
d’orchestre les plus marquants de l’histoire, jusqu’au surmenage, à
l’épuisement, à la mort prématurée. Le Mahler compositeur travaille en été,
isolé, notamment dans une cabane immortalisée par Ken Russell dans
son film dédié à Mahler. 10 symphonies (la dernière inachevée mais
complétée par Deryck Cook), 5 cycles de lieder avec orchestre
et une cantate constituent la quasi-totalité de son œuvre. Cela
semble peu, mais la richesse, le modernisme, l’inventivité, l’engagement
total de l’âme de l’artiste font qu’il n’y a aucune faiblesse. On aime ou on
n’aime pas, point ! Enfin l’homme connaîtra une vie affective
shakespearienne. Il épouse en 1903 Alma, de 20 ans plus jeune que
lui, une personnalité étrange et tourmentée. Sa fille aînée meurt en
1907. Le couple surnage, Alma le trompe, Mahler consulte Freud pour
exorciser ses obsessions dont celle d’une mort précoce (aucun grand
compositeur n’ayant pu écrire plus de 9 symphonies*). Epuisé et cardiaque,
il effectue une ultime tournée suicidaire à New York qu’il interrompt pour
venir s’éteindre à Vienne il y a tout juste cent ans. Destin tragique, sans
doute, mais une musique envoutante où s’oppose joie infantile et angoisse
existentielle, trivialité et onirisme.
(*) Beethoven, Schubert, Bruckner dont il fut l’élève (qui a écrit en fait 11 symphonies), Dvořák.
L’influence de la musique de Mahler dans l’art en général…
Il est difficile de découvrir sa musique sans l’entendre. Mais qui n’a pas entendu l’adagietto aux cordes et harpes de sa 5ème symphonie qui baigne de nostalgie le film Mort à Venise de Visconti ? Le 25 avril dernier, Luc chroniquait un film, hélas peu connu, « Les Tueurs de la Lune de Miel » dont la musique fait appel aux symphonies 5, 6 et 9. Et puis bien sûr, Ken Russell a tourné une extravagante et caricaturale biographie de Mahler dans un film éponyme en 1974, une réussite dans le parcours chaotique de ce cinéaste. Les deux hommes étaient faits pour mettre leurs fantasmes morbides, bizarres et gothiques en commun. http://ledeblocnot.blogspot.com/2011/04/les-tueurs-de-la-lune-de-miel-1969-de.html
Bon, comment parler dans cet article d’une symphonie particulière ? La 2 (mystique), non plutôt la 7 (avant-gardiste), alors la 9 (métaphysique), les commenter toutes dans un article de 40 pages (c’est Luc qui va être content)… La solution est venue d’un ballet, une œuvre d’art totale où Mahler a une place de choix.
Une œuvre d’art totale : le Ballet « Blanche Neige » d’Angelin Preljocaj d’après le conte des frères Grimm
Œuvre d’art totale : expression
pompeuse qui renvoie aux folies imaginées par le compositeur russe
Scriabine qui rêvait d’un spectacle où se côtoieraient un film type
Géode, de la musique démente et des diffuseurs de parfums pour solliciter
tous les sens.
Angelin Preljocaj, dans son ballet approche cet idéal esthétique : une chorégraphie associée
à l’acrobatie, des décors enchanteurs de
T. Leprous, des costumes de J.P. Gaultier (qui avait déjà
montré son talent dans le 5ème élément de Besson) et une bonne vingtaine
d’extraits des symphonies de Mahler comme musique.
Danseurs :
Nagisa Shirai : Blanche Neige
(sculpturale et déjà vue dans l’article sur le sacre du printemps, sacrifiée
dans une danse de mort)
Sergio Diaz : Le Prince, les
filles vont craquer.
Céline Galli : La Méchante Reine
en costume tendance SM.
Ce ballet a été filmé et édité en DVD par MK2 et diffusé sur Arte. Tous
ceux à qui j’ai fait partager ce spectacle, sont restés scotchés, hypnotisés
!!!
Regardons tout de suite une vidéo d’extraits pour se mettre dans l’ambiance
à l’aide de quelques passages marquants et surtout,
écoutez bien la musique… « Parce qu’elle le vaut bien ».
Blanche Neige par Angelin Preljocaj : drame psychanalytique, teinté d’érotisme (B. Bettelheim aurait-il aimé ? La Psychanalyse des contes de fées)
Merci à MK2 d’avoir édité ce spectacle. Mais Carton jaune pour la présentation. Une simple chemise cartonnée qui ne contient que le DVD avec une jolie photo de Nagisa Shirai dans les pommes. Pas de chapitrage et, surtout, pas de références entre scènes et passages musicaux. Donc macache bono pour prolonger le plaisir par l’écoute d’un ou plusieurs extraits achetés en MP3 pour se faire une BO Mahler perso, ou même pour l’achat d’un ou plusieurs CD, le générique en fin de CD mentionne de belles interprétations ! Ok, pardonné, petite diffusion, tenir le prix, ce n’est pas un blockbuster, mais quand même, il aurait été judicieux de rendre à Mahler ce que nous lui devons.
Bref ! Le petit Claude, il a pris un bloc note, un crayon, et voici le travail. Un repère entre parenthèses précède quelques mots résumant chaque scène. En bas, un tableau de correspondance dans l’œuvre de Mahler. Ça va ? C’est simple. ?
- Hein quoi ? Ok Luc, promis, je vais faire le plus court possible, mais si MK2 pensait à l'initiation de nos chers lecteurs.
- Hein ? Quoi Luc ? Oui, j’connais les 10 symphonies par cœur.
- Bah Heuuu… 18 heures les 10, à la louche. C’est grave ? Ah noooon ! Pas encore Sainte-Anne!!!
L’histoire vous est sans doute connue par le dessin animé de Disney.
Pour Angelin Preljocaj, Il était une fois…
(A) Une nuit brumeuse. Une
jeune reine accouche seule de Blanche Neige et meurt.
(1) Un appel lointain de cors,
le roi approche et emporte l’enfant, procession sereine rythmée par les bois
et les cuivres : requiem et espérance mêlés. Les années passent, la fillette
de 8 ans danse avec son père et disparait derrière une colonne, et
devient... une jeune fille qui poursuit la ronde paternelle. Blanche Neige
est devenue une femme prête à mordre dans la vie, à aimer.
(2) Un bal au palais, Blanche
Neige, sur un trône, près du roi, écoute la mélodie élégante et pastorale
sur laquelle filles et garçons dansent et se courtisent.
(3) Un prince remarque La
belle qui ne reste pas indifférente. Il l’éblouit en dansant avec deux amis,
un bal richement orchestré, viril, burlesque et trépidant.
(4) Complainte à la fois
inquiète et éthérée, émotion, le roi aide sa fille à choisir un cavalier.
Blanche Neige choisit le prince et commence un pas de 2 voluptueux,
accompagné par les cors et les cordes, une rencontre chaste d’adolescents.
(5) Soudain, colère des cuivres,
percussions et cordes, la reine surgit, danse démoniaque, haineuse,
elle jette des sorts aux plus jeunes, aux plus beaux, attirant et rejetant
le roi puis le prince qui fuit en protégeant Blanche Neige, une fête
gâchée..
(A) La reine narcissique
se mire dans son miroir. Mais ouiii, t’es la plus belle !
(6) A travers le miroir apparaît
un jardin où garçons et filles se livrent à des jeux amoureux, heureux et
ludiques, un orchestre lascif, des bois agrestes les enveloppent.
(7) Blanche Neige les rejoint,
accueillie par une mélodie tendre, bucolique et concertante ; jeu du
foulard, bonheur. (8) Le
prince arrive, pas de deux dans le silence ! Première caresse, premier
baiser, un adagio d’une infinie tendresse les enlace.
(9) La reine se pâme devant son
miroir avec ses deux chats noirs, une musique sombre, frémissements des
cordes, gémissements des cuivres. Brusquement l’image de Blanche Neige
remplace la sienne. La haine ! Elle coache 3 GI en treillis ; mission :
égarer et tuer la princesse.
(10)
Les mercenaires s’enfoncent dans les bois, sonorité martiale de
soudards, fracassante, torturée, scandée au xylophone.
(11) Apeurée, Blanche Neige se
débat. (A2) Ils l’égorgent ? Non, geste impossible ! Une biche-danseuse
surgit, craintive, aux aguets. Les hommes la sacrifient. Son cœur est
arraché. Blanche Neige s’endort dans le silence.
(12)
Sept nains surgissent de la falaise. Ils montent, descendent, se
balancent comme des cloches sur la marche « Frères Jacques » transcrite par
Mahler (Quelle prouesse des danseurs acrobates !). Ils découvrent la belle
endormie. (13) Dans son maudit
miroir, la reine a tout vu de la trahison. Les contrebasses, puis les
cuivres et la cymbale accompagnent sa transformation en veille sorcière et la préparation
de la pomme mortelle.
(14) Les
animaux de la forêt
s’emparent de l’orchestre, bois et cordes en pizzicati, pour soutenir une
ronde guillerette entre les nains et la princesse, un court répit.
(15). Orchestre plaintif,
extatique, Blanche Neige secourt la vielle femme voutée. Prudente, elle
décline la pomme offerte en remerciement. La reine lui enfonce de force dans
la bouche, clameur des cuivres, convulsion, la malheureuse s’effondre.
(16) Phrases immenses aux
cordes seules, quiétude paradisiaque dans un orchestre devenu quasi
désert, la mère défunte descend du ciel et emporte sa fille, puis la repose,
une seconde chance ?
(A3) Atterrés, les nains
l’allongent sur son lit de verre.
(17) (vidéo à la fin)
Mélodie de l’infini, enlacement des cordes et de la harpe, Le prince,
ravagé par le chagrin, tente de ranimer Blanche Neige qui refuse de revivre.
Le corps inerte virevolte, en vain, désespoir, abandon. Enfin un
frémissement, un éveil chancelant, un baiser, la vie.
(18) Grande salle du palais, un
cor de postillon chante dans une nuée des cordes la paix retrouvée. Le roi
marie sa fille au prince, une valse anime les courtisans
(19). La musique s’accélère,
s’affole, on traîne la Reine Diabolique dépouillée de ses atours face à la
cour. Les cors crient vengeance, les harpes ricanent. Des serviteurs
apportent des sabots de fer rougis à la flamme et chaussent la sorcière.
Elle meurt, folle de douleur, une danse de dislocation, monstrueuse,
défigurée à jamais par la souffrance…
[h,mm,ss] Temps écoulé sur le DVD ; (+mm,ss) : temps approximatif depuis le début du morceau sur un CD. En Bleu : extraits de la première vidéo.
Difficile de trouver ce DVD dans le commerce. Il suffit de le commander directement au lieu de résidence de la compagnie Angelin Preljocaj – Pavillon Noir à Aix.
lien: preljocaj.org/prestashop
On peut également téléphoner. J’ai été très bien accueilli et ai testé pour un cadeau. Livraison du DVD et d’un beau livre sur le ballet, les répétitions, les essayages des costumes, etc…en 24 H !!
Ma correspondante a confirmé la disponibilité en stock et un nouvel approvisionnement. Je recommande vivement… Heuu, je crois que ça se sent dans l’article ?
Et maintenant pour finir en beauté, une vidéo qui ne peut qu’émouvoir (visible en HD 720px ou 1080px). Ce pas de deux (17 – le réveil de Blanche Neige) s’étend sur la dizaine de minutes que dure l’adagietto de la 5ème symphonie. La danseuse Nagisa Shirai réalise la prouesse technique de rester subjectivement endormie et sans force, ballotée par le prince (Sergio Diaz), gagné par la violence du désespoir. Tous ses mouvements et efforts sont d’une telle grâce et d’une telle souplesse, qu’elle tournoie dans les airs comme si elle se débattait, inconsciente, au gré d’un torrent d’eau invisible car infiniment limpide. A noter que dans son travail, Angelin Preljocaj donne une grande importance au langage du visage parfois délaissé en danse classique. La reine, notamment, interprétée par Céline Galli, nous offre un répertoire d’expressions haineuses, dédaigneuses et altières qui enrichit son rôle parfaitement dansé par ailleurs. Une fois de plus, un grand bravo à cette compagnie.
(Orchestre du Concergbouw d’Amsterdam, direction Riccardo Chailly)
Tout simplement magnifique !
RépondreSupprimerMahler est aussi à l'honneur sur Arte, ce soir !! Si après ça...
RépondreSupprimerOui, quand même. Concert à Berlin : "le chant de la terre" (j'en ai 13 versions...) et adagio de la 10ème (première danse de Blanche Neige avec le prince).
RépondreSupprimerIl aura fallu 100 ans pour une telle soirée...
Curieusement, il y a 35 ans, on voyait les vidéos de Bernstein dans Mahler sur la "2" (ce sont de nos jours des DVD ). Ahh l'audimat !
Les articles de Mr Toon sont des bouffées d'air pur d'érudition dans ce blog vicié par du CO2 expurgé par des motos mal réglées; ce site animé par des harceleurs de tout poil (surtout à poils durs); ces pages virtuelles de cénobites iconoclastes même pas tranquilles que la présence de douces représentantes du beau sexe, au lieu d'élever le niveau au dessus du caniveau des chroniques de musiques électriques, ne fait qu'allumer une lueur malsaine et lubrique dans leurs yeux noyés de mauvais alcool !
RépondreSupprimerJoie, bonheur et volupté, amen !
(Et musicamicalement à tout le monde, à tous mes amis, je vous aime, mais je ne vais pas partir, je reviens dans 5 mn, hop !)
Heuu, c'est gentil pour moi, mais tu vas me mettre à dos la noble confrérie Deblocnot' !
RépondreSupprimerTu éreintes le courageux et disert Luc alors que j'ai commandé l'album "Alchemy" dans la foulée...
Ceci dit mon cher et effervescent BBP, quelle plume, quel envol, quel... drôle d'oiseau :o)
Commentaire à prendre au 15ème degré (au moins) et je prépare un article d'une perfection ridicule qui sonnera le glas d'une terrible vengeance !!! ... For whom the bell tolls... ;o)
RépondreSupprimerFan et ami virtuel je suis, et je reste. Hop !
Avez vous vu le magnifique documentaire de H L de la Grange sur Arte le meme soir que le concert berlinois : beaucoup de clefs pour mieux pénétrer l'univers merveilleux de Mahler
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