lundi 13 octobre 2025

UN TESSON D’ETERNITE de Valérie Tong Cuong (2021) - par Nema M.


Sonia rentre de mauvaise humeur, marmonnant "JDM". Nema la regarde, très surprise car il était prévu que Sonia passe la journée avec une de ses meilleures copines :

- Qu’est-ce qui t’arrive ? demande Nema

- Pire qu’une porte de prison. Fermée à tout. Rigide. Maussade. Inquisitrice…

- Ta copine Flavie ??? interroge Nema,

- Non. On est tombé sur sa mère. L’horreur. Elle critique absolument tout ce que fait sa fille. Une porte de prison.

- Une prison et une mère, mais qui au contraire de celle de Flavie, fera tout pour son enfant... Cela me fait penser à un roman au titre un peu bizarre : "Un tesson d’éternité". Roman très fort.

Sonia n’écoute déjà plus, Patouillou, le chat blanc de Madame Portillon, est venu sur ses genoux la consoler.


 

Derrière une femme parfaite se dévoile une mère qui n’a peut-être pas toujours été suffisamment à l’écoute de son enfant. Une mère qui va se trouver confrontée au souvenir de sa jeunesse et à la transformation d’un enfant en homme à la suite d’un épisode de vie dramatique passant par la case prison. Voici en gros ce qui se cache derrière le titre intrigant de ce roman.

 

Anna est pharmacienne au Village. Imaginez une petite bourgade hyper-bourgeoise dans l’arrière-pays au-dessus de la Méditerranée. Hugues, son époux, est responsable culturel à la mairie. Quand ils se sont connus, il était journaliste pour la presse locale. Léo, leur fils, est en terminale. Il a dix-huit ans. Jeune, beau, sportif, ayant de bons résultats scolaires, on imagine une sorte de stéréotype parfait du lycéen tel que tout parent rêve d’en avoir.  

Ils habitent dans une somptueuse villa avec piscine que les parents de Hugues, membres de la "upper class" du midi, leur ont laissé. Hugues et Anna sont, de fait, attentifs à satisfaire les membres de cette haute société en participant notamment aux dîners du très élitiste Club de tennis (et en forçant leur fils à jouer au tennis pour côtoyer les enfants de la Haute bourgeoisie). C’est ainsi qu’ils se sont liés d’amitié avec Alix et Géraud, le patron du palace local, et que leur fils Tim est le copain de Léo. Anna roule dans un luxueux 4X4, est toujours parfaitement coiffée et maquillée. Son sourire est impeccable et son amabilité avec les clients de la pharmacie sans faille. Elle sait recevoir et être agréable dans les réunions mondaines. Le paraître est pour elle la clé de voute de sa vie. 


Une notoriété de bon aloi, sauf que...

Un grain de sable dans cette petite vie tranquille, dans ce cocon de bien-être et de douceur friquée : l’arrestation de Léo par les gendarmes un petit matin de printemps. Crac ! tout s’effondre en deux temps trois mouvements. Léo aurait agressé violemment un gendarme lors d’une manifestation ! Mais qui est donc ce Léo ? Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas pensable. Léo lui-même raconte les faits : c’est un mauvais concours de circonstances qui lui a fait croiser la route d’une manifestation, et pour défendre sa copine prise à partie, il a malheureusement utilisé son sac à dos dans lequel il y avait une chaîne d’antivol à vélo…  Bref, case prison.

Anna ne lâchera rien pour son fils, même si ce terrible évènement lui montre la fragilité de sa situation dans ce monde qui n’est pas le sien. Bien entendu, il n’y a plus d’amis dans ces cas-là. Fini les relations avec Alix. Même le mari, le père de Léo doute de son fils et pense que c’est de la faute d’Anna. Car Anna vient d’un milieu très modeste. Et on découvre petit à petit ce qu’elle a vécu dans son enfance et dans son adolescence. Humiliations, blessure profonde d’une enfant harcelée et maltraitée, peu protégée par des parents trop préoccupés à survivre avec leur petite épicerie. En effet, il y a dans l’école primaire une bande de sales mômes dirigée par le Serpent, le type même du petit meneur, grande gueule mais lâche dès qu’une plus grande gueule l’affronte. Anna est une fillette un peu gauche, un peu niaise et peureuse. Tant pis pour elle. Elle sera la victime de tous leurs caprices. Et puis au collège, ça continue et ça empire. Alors oui, la seule solution passera par le travail, l’ambition d’une jeune fille intelligente et studieuse et finalement la réussite. Une pharmacie. Une notoriété de bon aloi.   


Côté Hugues, très déstabilisé par cette rencontre avec la police et la justice, il restera quand même (après quelques hésitations) aux côtés de sa femme et de son fils. Mais de loin. Pas trop de visites à la maison d’arrêt. Léo comprend vite l’ambiance de la prison. Il se battra, se disciplinera, trouvera de quoi tenir… C’est en allant à ces visites qu’Anna reprendra contact avec le monde pauvre, le monde de la vraie vie qui ne se cantonne pas à l’univers feutré du Village. Ce monde gris et terne, à l’odeur de sueur, de violence, de drogue et de peur, qu’elle pensait avoir définitivement gommé de son esprit. Dur, très dur. Même si Léo s’en sortira convenablement.

 

Avec Valérie Tong Cuong, nous entrons petit à petit dans Anna, oui, nous quittons l’image parfaite de la très jolie femme au visage de poupée, pour retrouver une femme blessée, meurtrie, qui se rend compte de la fausseté de sa vie et de tous les silences et mensonges accumulés. Elle aura la force de tenir et d’agir pour Léo mais ensuite, quel effondrement. L’autrice a un style incisif, un sens de la description des choses simples du quotidien, ainsi que des émotions, qui nous font entrer dans le roman mieux que dans un film. Pas étonnant qu’elle ait reçu, de nombreux prix et que ses œuvres soient traduites dans 19 langues.

Bonne lecture !

270 Pages – Libra difusio 



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