vendredi 10 octobre 2025

NAUSICAÄ DE LA VALLÉE DU VENT de Hayao Miyazaki (1984) par Luc B.



NAUSICAÄ est le second long métrage réalisé par Hayao Miyazaki. A l’origine, ce devait être le fruit d’une collaboration avec le dessinateur américain Richard Corben, pour une adaptation de sa bédé HISTOIRE DE ROWLF, distribuée par le studio américain New World Pictures. La princesse Maryara de la bédé est rebaptisée Nausicaä par Miyazaki, qui en étoffe le rôle, et devient le personnage principal de son propre projet.

Miyazaki veut s’atteler à la réalisation, mais les producteurs, un peu frileux, préfèrent d’abord éditer l’histoire en manga, s’appuyer sur un éventuel succès de librairie pour ensuite lancer la production du film. Miyazaki s’exécute, publie deux volumes (il y en aura sept en tout, de 1982 à 1994) avec cet ajout au contrat : il pourra laisser de côté la publication du manga pour réaliser son film, dont le scénario ne sera pas une simple déclinaison de la version papier. 

Le film NAUSICAÄ sort en 1984 au Japon (gros succès) mais distribué aux Etats Unis dans une version tronquée de près de 30 minutes privilégiant la baston, c'est encore Walt Disney qui fait la loi en matière d'animés à cette époque. Miyazaki ne décolère pas. Il faudra des années pour voir la version imaginée par son auteur. C’est à la suite de cette mésaventure qu’il fonde les studios Ghibli et s’assure une indépendance totale sur son œuvre (le logo Ghibli est apparu après coup sur les bandes annonces). Le public français ne découvre le film qu’en 2006, donc bien après TOTORO, PORCO ROSSO, PRINCESSE MONONOKE ou LE VOYAGE DE CHIRIRO.

Raison pour laquelle NAUSICAÄ est moins connu, parfois moins apprécié. Parce qu'entre temps les techniques d’animations ont évolué, et parce que les thèmes qu'il aborde seront repris dans de futures réalisations. Donc y'a comme une redite. Ce n'est pas NAUSICAÄ qui ressemble à MONONOKE, chronologiquement, c'est l'inverse. Il y a aussi la frustration des spectateurs qui avaient lu le manga 10 ans plus tôt et qui ne retrouvent pas la complexité de l'intrigue, et pour cause, cinq volumes ont été dessinés après la sortie du film. 

On retrouve les deux thèmes qui traversent l’œuvre du maitre japonais : la guerre et l’écologie. Pour rappel, Miyazaki avait 4 ans au moment d’Hiroshima. Le titre exact est NAUSICAÄ DE LA VALLEE DU VENT, du nom de cette enclave bucolique proche de la mer, qui n’a pas été encore envahie par la forêt toxique. Car mille ans plus tôt une guerre avait ravagé la planète Terre, contaminant la biosphère. Le parallèle avec Hiroshima ne fait guère de doute… Cette forêt, à l’air irrespirable, polluée par des spores qui s’attaquent aux arbres, est sanctuarisée par les Omus, des coléoptères géants.

Les premières séquences nous montrent Nausicaä voltigeant sur son planeur, en parfaite harmonie avec la nature. Elle parle aux plantes, aux animaux, elle collecte des mues d’Omus, un matériau précieux. L’univers décrit est assez proche du futur AVATAR de Cameron, avec ces pollens phosphorescents. Puis Nausicaä va à la rencontre de Yupa, héros local, valeureux guerrier qui revient d’expédition avec des nouvelles inquiétantes : le peuple Tolmèques s’organise pour repartir en guerre. Lorsqu’un de leur vaisseau s’écrase dans la vallée du vent, les Tolmèques prennent les armes et envahissent le royaume pour récupérer une mystérieuse cargaison…

Si le départ donne dans le bucolique, la suite sera guerrière. NAUSICAÄ s’apparente clairement à de la SF, du film d’action, les massacres s’y enchainent, ce n’est pas le film de Miyazaki qui s’adresse aux plus jeunes. L’inspiration est clairement à chercher du côté de chez Moebius, Druillet (pour les engins) René Laloux, voire parfois chez STAR WARS, avec ces scènes de poursuites, d'abordages de vaisseaux, et Yupa en Obiwan. L’Etoile Noire des Tolmèques, c’est le Guerrier Géant (la cargaison à récupérer). Le suspense est habilement entretenu au sujet de cette arme de destruction massive, humanoïde proche de la putréfaction, les dernières scènes où il entre en action sont superbes et très spectaculaires.

Hayao Miyazaki nous décrit un monde gangréné par la violence, la corruption, la stupidité des puissants (le général Kurotawa). Il y a dans les tenues, les épées, des références médiévales. La Terre semble être revenue à une organisation féodale de petits seigneurs de la guerre. Il y est aussi question de résistance, de sacrifice, perte d’idéal. Nausicaä, frêle jeune fille en apparence naïve, comprend qu’il faudra faire couler le sang. 

Elle va aussi comprendre le secret de la forêt toxique, dans une séquence comme Miyazaki les affectionne. Après s’être libérée de ses geôliers (je vous passe beaucoup de rebondissements…), Nausicaä va tomber dans un monde souterrain où l’air y est pur. Le décorum me rappelle les scènes de VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE de Henri Lewin (1959), à l’esthétique presque psychédélique par ses formes et couleurs, renforcé par une musique qui valse entre envolées symphoniques (on y entend même la Sarabande de Haendel !) et boites à rythmes / synthés de new wave (du coup un peu vieillotte).

On va comprendre que la forêt devenue toxique, mortelle, par la faute des Hommes, a la capacité de se regénérer, de purifier l’air. C’est l’aspect fable écologique, toujours d’une brulante (sic) actualité. Détruire la forêt toxique par le feu (le plan des Tolmèques) serait donc contreproductif. 

La jeune et intrépide Nausicaä aura forte à faire pour libérer les siens du joug de l’envahisseur, protéger la forêt, pactiser avec les Omus. La scène où des millions de coléoptères ne décolèrent pas est aussi impressionnante, bestioles abominables et finalement presque émouvantes (le bébé Omus martyrisé comme appât) comme celle avec une scolopendre géante et peu amicale. C’est bien simple, notre jeune princesse manque de se faire bruler, empoisonner, bouffer, occire à chaque plan !

On retrouvera beaucoup de scènes aériennes dans les autres Miyazaki, contemplatives, poétiques. Le vol est évidemment synonyme de liberté, d’émancipation, Nausicaä sur son planeur prend de la hauteur sur les événements, adopte un autre point de vue. Mais ici les scènes aériennes sont surtout des scènes de combats, le danger peut surgir à tous moments, les vaisseaux sont des cercueils volants, sans cesse pris pour cible. Si la technique du calque sera améliorée, plus précise, on est déjà bluffé par la fluidité des mouvements, des angles de prises de vue.

NAUSICAÄ DE LA VALLEE DU VENT est un formidable film d’aventures, riche en réflexions et en actions - sans doute trop rempli, pas toujours explicite - d’un pessimisme noir, qui pose la première pierre (précieuse) d’une œuvre future… 


couleur – 1h57  - format 1.1 :85   

1 commentaire:

  1. Pas vu celui-ci ... mais ça évoque beaucoup Princesse Mononoke, la jeune fille qui défend la nature, la forêt empoisonnée, la quête de la toute-puissance militaire, les tenues moyenâgeuses, la violence (qui finira par disparaître de ses films suivants) ... Je comprend que Disney ait charcuté le film, on est loin des thématiques préférées du studio américain (au moins jusqu'à Wall-E, qui est d'ailleurs chez Pixar)

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