Souvenirs ... souvent, une partie du samedi après-midi était consacrée à la visite de disquaires, pour finir généralement chez celui chez qui on pouvait tranquillement écouter, au fond de la boutique - au casque (pour ennuyer personne) - quelques disques choisis. Toutefois, sans trop s'attarder, sans pousser le bouchon trop loin, l'argent de poche étant rare et modeste (en fait, pendant longtemps, mes poches ne servaient qu'à ranger les clefs et quelques pièces de monnaie pour le bus) et donc, l'achat de "33 tours" l'était tout autant. Mais visiblement, la disquaire et employés m'avaient à la bonne, et faisaient preuve de patience 😊. Le poto avait certes plus de moyens, et était donc un client nettement plus "rentable" et régulier, mais rien d'affolant non plus. De toute façon, il fallait bien arrêter la délicieuse expérience musicale avant que les esgourdes, cramoisies par le port du casque et les watts, ne saignent 🤪.
Souvenirs... lors de ces incursions dans cette boutique, il y avait un disque qui nous intriguait. Un double-live avec une pochette en noir et blanc présentant un trio pris sur le vif ; le bassiste et le guitariste se faisant face, tandis que le batteur semblait courbé sous le poids de la musique. Une pochette austère mais qui néanmoins laissait présager une certaine puissance musicale. Et en effet, la musique était bien à l'image de la pochette : d'apparence simple mais indéniablement sauvage. La captation était quelque peu brouillonne avec notamment un chant qui saturait, un public largement repiqué dans les micros et des soli manquant parfois de justesse, avec une fuzz fébrile pouvant donner des signes de faiblesse. Visiblement, c'est du brut, sans rien de retouché, de gommé ou de rajouté. Toutefois, il y avait là une énergie incroyable, débridée, et une réelle atmosphère de concert. Les musiciens éructaient autant que le public qu'on imaginait nombreux - ça sentait le stade plein à craquer. Finalement, au bout de deux ou trois essais, j'en fis l'acquisition. Sur la pochette simplement intitulée "Live Album", se trouvait dans un coin - seule touche de couleur - un large "Grand Funk" rouge. L'écoute intégrale de ce live pouvait, entre un solo de batterie sympathique mais trop long, quelques soli à l'emporte pièce et des larsens récurrents, être une épreuve. De quoi traumatiser à vie un fan de Yes, de Steeleye Span ou de Cat Stevens. Suffisamment pour qu'il finisse par se pendre avec un élastique. Cependant, il y avait quelque chose de fascinant dans cette débauche d'énergie, et, pendant un temps, le disque revenait de temps à autre sur la platine.
Souvenirs... il fut un temps où l'on trouvait des trucs sympas dans les marchés aux puces de France et de Navarre - et pas encore de fragiles bouses à deux balles venant de l'autre côté de la planète. Suivant le lieu, on pouvait trouver absolument de tout (sauf flingues, bateaux, voitures et avions - mais mobylettes oui, ainsi que des armes ancestrales ou du début du siècle dernier). Mais mon intérêt personnel se portait généralement quasi exclusivement sur les bouquins, les BD et les disques. Ainsi, un jour je tombais sur un vieux 33 de Grand Funk Railroad à la pochette tape-à-l'œil. Une pochette singulière puisqu'on pouvait en extraire une paire de lunettes 3D prédécoupées pour scruter l'artwork... en 3D. Le disque original, d'époque. Une aubaine, car longtemps, (avant internet ?) âprement recherché par les collectionneurs. Cependant, ce qui m'a poussé à l'achat, ce n'est absolument pas la pochette mais les rares articulets - plus ou moins dénigrants - sur Grand Funk qui concédaient quasi unanimement que deux disques du groupe valaient tout de même le détour : "E Pluribus Funk" et celui-ci. Et puis, les disques de Grand Funk étant une denrée rare, ma connaissance de leur discographie des années 70 se limitait alors aux doubles-live. Il était donc temps de s'instruire en la matière. De prime abord, ce fut une surprise, presque une déception, car l'album est loin de la déflagration sonique et brouillonne du "Live Album", ou même de l'énergie solaire du "Caught in the Act". Il paraît même éloigné des canons du Hard-rock. C'était ça le groupe tant moqué avec condescendance, chantre d'un hard-rock primaire et naïf, bas-du-front ? Crénom !? Nous aurait-on menti, "à l'insu de notre plein gré" ? Plutôt que du hard-rock, a for priori "primaire", dans l'ensemble ce serait plus une forme de heavy-rhythm'n'blues cru mâtiné de soul, avec quelques fulgurances hard-rock.
Déjà, l'incorporation du vieux hit planétaire "The Loco-motion" n'est pas anodin, confirmant l'intérêt des musiciens pour le rhythm'n'blues et la soul. Une version aussi respectueuse qu'elle puisse l'être en remplaçant les cuivres originaux par une basse fuzzy, et pour la petite voix de Little Eva et les chœurs de soutien par des accents de Cro-Magnon (suivant et conformément à l'imagerie véhiculée par "Survival"). Farner en rajoute une couche en saturant sa gratte d'effets... pas du meilleur effet. Un succès pour le groupe qui le sort en single, une trahison pour une frange des fans de la première heure.
La chanson éponyme elle-même, malgré le chant furibard de Don Brewer, est une mixture en ébullition de Soul fiévreuse et de heavy-rock ingénu. Le claviériste Craig Frost, membre à part entière depuis le précédent album, "We're an American Band", se fend d'un excellent solo, simple et concis, groovy et dans le ton. Tandis que Brewer, véritable locomotive du groupe, insuffle une pulsation tellurique.
Et qu'est-ce que "To Get Back In", sinon de la Soul enrobée d'une mince couche de Rock ? Todd Rundgren, dont c'est ici la deuxième contribution en qualité de producteur, fait appel à une section de cuivres qui assied le groupe dans le genre. Un genre longtemps dénié au groupe alors qu'on en retrouve des marques évidentes dès le premier album. Même "Gettin' Over You", en dépit de son rythme soutenu, n'est rien d'autre qu'un mariage entre un heavy-rock made in Detroit et une Soul virulente. Là, par contre, Frost, avec son solo bidouillé aux potentiomètres, d'inspiration rock-progressif mariné au chichon, est à côté de la plaque.
Alors que "Pretty Boy" s'engouffre dans un slow-blues, somme tout assez classique - à l'exception des chœurs -, mais néanmoins efficace. Un morceau sec, près de l'os, dépourvu de percussions, où Farner impose une sombre atmosphère reptilienne. Rundgren temporise le propos en y ajoutant un fin voile de cordes, suffisamment en arrière-plan pour ne pas casser l'atmosphère atrabilaire. Excellent 👍 Au contraire de "Carry Me Through" qui, avec ses oripeaux psychédéliques, son tempo traînant et l'emploi de divers effets de studio - pour les voix, pour une surcharge d'ambiance et pour le solo de Farner -, tranche sans s'imposer. Le traitement de la voix et du solo de guitare sont assez lourds à digérer.
Le morceau franchement hard-rock, ce serait "Please Me". Bien dans l'esprit du Grand Funk Railroad des débuts, sans pour autant qu'on y retrouve ce côté primaire tant dénoncé et dénigré.
Souvent omis des rares papiers sur Grand Funk, "Little Johnny Hooker" est une pièce de choix. Une des meilleures de l'album, en dépit d'un final chargé, écrasé par l'irruption d'une chorale gospel foutraque. Il y a quelque chose de foncièrement Floydien, de "Blues Floydien" sur cette pièce, où Farner se fend d'ailleurs de licks à l'essence gilmourienne. Affiliation d'autant plus marquée que ces licks sont habillés d'un phaser déchiré par une fuzz crachotante.
Souvenirs... Finalement, la surprise passée et digérée, et après l'avoir délaissée un moment, la galette reste pendant des semaines à proximité de la platine, prête à délivrer, non pas un hard-rock binaire mais une mixture de heavy-rhythm'n'blues cru mâtiné de soul, et ponctué de fulgurances hard-rock. Etonnamment, ce que la réédition de 2002 semble avoir gagné en détails, elle l'a perdu en matière de grain chaud et velouté. Toutefois, cette réédition CD a l'avantage non négligeable de sortir de l'oubli "Destitute and Losin'". Sorti avant l'album, en seconde face du 45 tours (single) de "The Loco-Motion", ce bon hard-blues de sept minutes - où Farner se laisse emporter par ses sentiments d'injustice, d'incompréhension et de profonde déception (générés par les procès en-cours contre l'ancien manager Terry Knight, et les coups bas de ce dernier) - n'a pas été retenu pour l'album. Pourtant, il aurait largement mieux convenu que la mélasse de "Carry Me Through".
Encore une fois, c'est un franc succès. Une habitude pour Grand Funk Railroad depuis 1970 et l'album "Closer To Home". Cependant, alors que la presse a déjà commencé à réviser son jugement, du moins en partie (poussée par l'énorme succès de l'album et de la chanson "We're An American Band"), une autre partie, celle du public reproche à la formation son évolution, marquée par l'arrivée des claviers. Finalement, paradoxalement, plus GFR était accepté par la presse, plus son succès populaire diminuait - avec une répercussion sur les ventes. Pourtant, le groupe le plus populaire de Flint n'a jamais cessé d'évoluer, d'essayer de se diversifier sans se compromettre - du moins à ses yeux. Ainsi, il n'y a pas de changement radical, juste un processus constant et linéaire. On lui a reproché son côté bestial, primaire et bravache des débuts, puis on lui a reproché son penchant pour la mélodie, et pour les ingrédients funk, rhythm'n'blues et soul. Considéré comme le chantre d'un hard-rock brutal, dépourvu de tout raffinement, à ses débuts, puis, avec ses derniers albums, comme l'un des précurseurs du Rock FM. Ce qui fut, pour cette dernière affiliation, autant un nouveau reproche pour les uns qu'une éloge pour les autres.
No. | Titre | Auteur-compositeur | |
---|---|---|---|
1. | "Shinin' On" | D. Brewer, M. Farner | 5:59 |
2. | "To Get Back In" | Mark Farner | 3:56 |
3. | "The Loco-motion" | Goffin, Carole King | 2:46 |
4. | "Carry Me Through" | Brewer, Frost | 5:34 |
No. | Titre | ||
---|---|---|---|
5. | "Please Me" | Brewer, Farner | 3:37 |
6. | "Mr. Pretty Boy" | Brewer, Farner, Frost | 3:08 |
7. | "Gettin' Over You" | Brewer, Frost | 3:59 |
8. | "Little Johnny Hooker" | Mark Farner | 4:59 |
🎼🎶🚃
Autres articles / Grand Funk Railroad (lien) : 👉 "Closer to Home" (1970) 👉 "Phoenix" (1972)
Cette description des samedis après-midi (et d'autres après-midi dans mon cas, la fac me laissant beaucoup de temps libre, partagé entre disquaires et billard - français le billard, attention) me rappelle fortement quelque chose. Quant aux critiques, ils étaient largement plus que moins dénigrants. J'en avais réécouté quelques-uns lors des rééditions avec bonus d'il y a au moins 15 ou 20 ans, mais je n'avais pas plus accroché qu'à l'époque.
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