mercredi 24 septembre 2025

ELECTRIC SUN - Uli Jon Roth - " Earthquake " (1979), by Bruno



   Y'a des types comme ça, des originaux, qui, plutôt que se conforter dans un succès assuré, ont préféré prendre des risques en partant voler de leurs propres ailes. Evidemment, dans le lot, la majorité n'a été aveuglée par son ego, souvent persuadés que le succès du groupe où ils œuvraient était essentiellement dû à leur talent. Parfois, ce fut le cas, et souvent, ce fut la grosse désillusion. Ils sont bien nombreux, les orgueilleux qui ont dû ravaler leur étouffante fierté pour quémander leur réintégration - et le pardon de ceux qu'ils ont quelques fois pu offenser. Certains ne s'en sont jamais remis et sont rapidement tombés dans l'oubli. Il y a aussi des cas où des musiciens ont aussi pu, enfin, se libérer de leurs chaînes et laisser leur talent éclater. Ou, également, se laisser tranquillement diriger par l'industrie musicale, se contentant de n'être plus qu'une marionnette générant des flux monétaires et récoltant au passage un généreux pécule. Les exemples positifs et négatifs sont suffisamment divers et nombreux pour générer une série de huit saisons, ou plus. 

     Certains ont donc eu le courage de tourner le dos à l'assurance du succès, de la renommée, qui attire les foules et remplit les stades, pour pouvoir librement composer et interpréter la musique qui les touche. L'Allemand Ulrich Roth est de ceux là. Certes, lorsqu'il quitta Scorpions, le succès des Teutons était loin d'être aussi phénoménal que lors de la décennie suivante. Cependant, depuis son intégration en 1974, malgré quelques débuts relativement difficiles, la notoriété du quintet d'Hanovre n'a jamais cessé de croître, passant les frontières et rameutant de plus en plus de monde à leurs prestations. Suffisamment pour vivre désormais confortablement, sans se soucier des fins de mois difficiles. Dès l'album "In Trance" de 1975, le groupe peut se produire et vendre ses disques sur une grande partie de l'Europe, réussissant même à se produire en tête d'affiche dans un Royaume-Uni musicalement très protectionniste. 


   Toutefois, Roth ne fait pas mystère de ses aspirations, et dès l'année suivante, commence à rentrer (gentiment) en conflit avec le duo Schenker-Meine, de plus en plus attiré par un Hard-rock robuste et carré, tandis que lui cherchait à développer une nouvelle voie, dont la musique d'Hendrix serait une terre nourricière. Plus sa passion pour Jimi Hendrix était canalisée, restreinte pour les besoins de l'esprit de corps de Scorpions, plus elle devenait dévorante. Obsessionnelle. Finalement, Roth devait partir pour pouvoir s'exprimer totalement.

     C'était pourtant ce qui faisait le sel de cette mouture. Cette rencontre du feu et de la glace ; chacun, plutôt que d'essayer d'avoir le contrôle total sur l'autre, préférait composer, s'allier, pour gravir montagnes et précipices. Les disques de cette formation étaient alors moins monolithiques et métalliques, plus colorés et diversifiés qu'ils ne le seront les années suivantes (ce qui ne signifie nullement que la formation suivante n'a pas réalisé d'excellents disques...). Elle était comme une mixture alchimique en ébullition, explosive et instable. 

     Même si l'aura du gaucher de Seattle marque profondément sa musique, pour ne pas dire qu'elle la dirige, Ulrich Roth fait partie de ces guitaristes à avoir su digérer ce formidable patrimoine pour créer quelque chose de plus personnel. Nullement un imitateur - même si "Polar Night" a tout d'un habile hold-up -, mais plutôt un continuateur, un musicien qui a su faire fructifier, ou plutôt utiliser un "héritage", pour voyager dans de nouvelles dimensions. À ce titre, il peut être admis au club fermé où l'on retrouve Frank Marino et Robin Trower, entre autres.

     Ce serait sa compagne, Monika Dannemann, qui aurait encouragé Roth à se lancer en solo afin de laisser libre cours à sa passion Hendrixienne. Ancienne patineuse artistique, Monika est surtout connue pour être sortie avec Hendrix, qu'elle avait rencontré en janvier 1969. Elle retrouve Jimi dans son appartement de Londres. Ils y restent quatre jours, jusqu'au décès de Jimi, après avoir pris des cachets apportés par Monika. Parce qu'elle a parfois modifié sa version de la nuit tragique, qu'elle aurait aussi tardé à appeler des secours, le doute de sa responsabilité a longtemps plané sur elle. Peintre douée, elle réalise les pochettes d'Electric Sun.

     Roth n'a aucun mal à conclure un accord avec le label allemand Brain Records, - éditeur du premier Scorpions "Lonesome Crow", et spécialisé dans le Krautrock (avec quelques incursions dans le Metal - dont le premier Accept) - qui sort ce premier essai, "Earthquake" en avril 1979.


   Contrairement à ce que pouvaient laisser croire ses précédentes compositions au sein de Scorpions, et surtout la mention au dos de la pochette ("This album is dedicated to the spirit of Jimi Hendrix"), cet album n'a pas grand chose à voir avec l'univers d'Hendrix. Enfin, du moins, il n'a rien d'un énième album de blues-rock cosmique, ressassant inlassablement les plans du génial gaucher. Effectivement, on ne peut dénier que bien des fois, son fantôme plane sur l'album, mais Roth commence à temporiser ce Blues sidéral qui le hante, pour libérer de l'espace à ses influences classiques. À ce titre, il sera considéré comme l'un des instigateurs du Metal-néo-classique. Ainsi, si Roth est profondément marqué par Hendrix, jusqu'à récupérer ses codes vestimentaires, il compte bien voler de ses propres ailes, et non sur le dos du cadavre de Jimi.

     "Earthquake" est avant tout un album de guitare(s). Des nappes de guitares électriques s'enlaçant, s'élevant vers les cieux en tourbillonnant, les colorant de couleurs de feu. Des maelstroms de Fender Stratocasters réveillant de saines divinités, endormies depuis des temps immémoriaux, les invitant à festoyer pour une ode à la vie. Les architectures sonores du Uli Jon Roth d'alors pouvaient évoquer des rencontres festives entre les Avalokiteshvara, Chang'e, Zhurong, Brahma, Shiva, et autres Ganesh. Une sphère où fleurit quelque chose de nouveau, où s'entrechoquent blues-rock psychédélique d'outre-espace, heavy-rock halluciné, néo-classique et bribes de spiritualité d'au-delà des monts et des mers. Roth y met tant de son cœur et de son âme que l'auditeur est séduit en dépit d'un chant très limité. Toutefois, c'est probablement l'album où il chante le mieux - si on fait abstraction de "Still So Many Lives Away", proche de l'ère Scorpions... où il paraît en état d'ébriété. Se rendant compte tardivement de la faiblesse de son chant, il fera plus tard appel à l'aide de chanteurs émérites.

     Sa vélocité est époustouflante, faisant preuve d'une aisance rare - tant en rythmique (une main droite particulièrement souple et une main gauche arachnide) qu'en solo -, mais jamais sur cet album, Roth ne dérape, ne s'écarte du tempo ou d'une ligne mélodique. À l'exception de l'instrumental éponyme dont le côté progressif chaotique est plutôt saoulant, pour ne pas dire indigeste avec ses longs passages où il maltraite sa Strato, poussant le mécanisme du vibrato dans ses limites - juste avant le pétage de cordes. Une Stratocaster qui ne chante plus, mais qui crie, se plaint et gémit. Dix minutes où le filiforme moustachu se laisse emporter par le souffle chaud de ses Marshall, juste pour le plaisir de la texture et de la puissance du son. Un final malheureusement un peu lourd alors que jusqu'alors, ce premier essai frôlait le sans-faute.


   Avec d'incandescentes pièces de heavy-rock astral, colorées de blues mystique et épicées de touches oniriques néo-classiques, telles que "Electric Sun", "Sundown", "Still So Many Lives Away", Roth assure une certaine continuité avec ce qu'il avait déjà présenté avec Scorpions. Avec ces morceaux, même en l'absence du contrepoint de l'infrangible Gibson Flying V de Rudolf Schenker et des chœurs souverains de Klaus Maine, il conforte et garde sous son emprise ceux qui avaient été appâtés par son travail sur les excellents "In Trance", "Virgin Killer" et "Taken by Force". Pour soutenir ce nouveau mage de la Strato dans ses élans pyrotechniques, une infaillible section rythmique à la fois des plus solides et et des plus souples, avec le batteur Clive Edwards (Wild Horses, UFO, Lionheart) et l'énergique bassiste Ule Ritgen. Ce dernier est un fidèle de la famille Roth puisqu'il joue non seulement sur tous les albums de Zeno (le petit frangin d'Ulrich) mais aussi sur une large majorité de ceux d'Ulrich. Parallèlement, il sera le bassiste de Fair Warning, groupe allemand de hard-rock qu'il fonde en 1991 avec le chanteur Tommy Heart.

     Libéré des contraintes de la démocratie de groupe, U.J. Roth développe une nature plus "éthérée", plus onirique qu'auparavant. Particulièrement avec le beau "Japanese Dream", où il se livre seul, susurrant un poème sur des volutes d'effets de violoning et de grattes richement habillées d'échos et de réverbération. Dans la même lignée, le (trop) court instrumental "Winterdays", évoque également recueillement et méditation. Tandis que "Lilac" a autant des allures de voyage sur un tapis volant que d'une expédition dans un vimana en des lieux chatoyants et paisibles. Bizarrement, ce morceau est abruptement fermé par un rapide fade-out, comme si le trio s'étant brusquement lassé, voulait déjà passer à autre chose. En l'occurrence à un "Burning Wheels Turning" lyrique et optimiste - morceau inspiré d'un poème tiré de la Kabbale. 

     La remasterisation de SPV-Steamhammer offre en bonus une belle surprise. Une suite, "Aquila Suite", présentée en trois parties, où Roth joue seul au piano, sans aucun autre accompagnement. Une œuvre inspirée par les œuvres de Franz Liszt et de Rachmaninov. Une pièce étonnante et non moins rafraichissante, découvrant un talent qu'il n'exploita pas. Jusqu'en 1991, où il réalise un album totalement passé inaperçu, portant uniquement sur des pièces au piano. Un désintérêt blessant. Probablement parce qu'il n'intéressait aucunement la presse "spécialisée"... Du moins, de "masse" car les revues dédiées à la musique du Rock lourd et consort, étaient systématiquement à l'affût. Et puis, un album d'un guitar-hero, précurseur de metal-néo-classique et, dans une certaine mesure, des shredders, qui se frotte au piano en solitaire... c'est franchement anti-commercial. Tout le monde s'en contre-fiche, ou sinon pense que chacun doit rester à sa place. De toute façon, à l'exception des revues dédiées à la six-cordes, les médias ne se sont jamais souciés de la carrière d'Uli Jon Roth. Pas d'esclandre, de mondanités, pas de tournée avec des "stars" de la pop, pour éveiller la curiosité des médias... Qu'importe, jusqu'à aujourd'hui, Uli Jon Roth reste fidèle à lui-même, à ses convictions, à sa musique. Seules concessions, les récentes tournées prétexte à rejouer les chansons qu'il avait composées - ou co-écrites - à l'époque de Scorpions. Un moyen de remplir à nouveau des salles, de retrouver un public qui commençait à être clairsemé ? Ou simplement juste un besoin impérieux de rejouer sur scène ses vieux morceaux ? 







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💢 Scorpions  👉  " In Trance " (1975) 👉 " Virgin Killer " (1976)
💢 et le petit frangin, Zeno Roth 👉 Zeno [ First - same ] (1986)

2 commentaires:

  1. Album absolument superbe. Question bête : c'est lui qui chante ?

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  2. Shuffle Master.26/9/25 21:54

    Ach! Fou appeulé za de la musik?

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