Celui-ci est pris dans un chaos dont l’intensité croit jusqu’au bord de la cacophonie. Peter Hammill gémit, crie et hurle ses souffrances morales, symbole d’une génération voyant ses illusions disparaitre. Version musicale des « Chants de Maldoror » de Lautréamont, la musique de « Pawn hearts » est un poison addictif, sa noirceur fascina le dépressif Kurt Cobain et inspira les mélodies les plus sombres de Porcupine Tree. Cri venu des limbes, mouroir jazzy nettoyant le rock progressif de sa niaiserie rêveuse, « Pawn hearts » fait partie de ces cauchemars fascinant qu’il faut avoir subi une fois dans sa vie.
Sorti l’année où le mouvement des Ramones et des Sex Pistols triomphait, un disque tel que « Still life » fit pourtant plus de mal au rêve progressif que n’importe quel pavé punk. A une époque où le mouvement de King Crimson commençait à se standardiser, la musique de Van der Graaf lui permit de rester un univers infini en permanente réinvention. Mais revenons un instant au début de notre histoire, à l’époque où le premier chef d’œuvre crimsonien donna naissance à trois grands fils spirituels. Nous nous sommes déjà attardés sur Genesis et Yes, il est temps d’évoquer Emerson Lake et Palmer. Pour comprendre la grandeur de ce groupe, il faut revenir quelques années en arrière, dans cette salle de Londres où Clapton fut effrayé par le talent d’un nouveau guitariste américain.
La foule se tut dès les premières détonations électriques du Jimi Hendrix Experience, puissante rampe de lancement pour les chorus atomiques de l’ange voodoo. Se secouant dans une veste à franges bleues tel un feu follet, le musicien possédé par son inspiration jouait comme si l’instrument était une partie de son corps. La portant derrière la tête, faisant peser sur ses cordes toute la force de son corps agenouillé, la secouant avec la vigueur d’un amant passionné, Hendrix invisibilisa totalement un groupe lui servant essentiellement de faire valoir. La guitare devint alors le cœur du groupe, ses solos sa raison d’être, l’individualisme moderne trouvant ainsi son incarnation musicale. Hendrix incita ses semblables à ne plus se contenter de servir l’orchestre, il fit ainsi pour la guitare rock la révolution accomplie par Louis Armstrong pour la trompette jazz.
Au moment de l’enregistrement, Docteur Keith redevenait monsieur Emerson, la bête de scène se fit chef d’orchestre. Ainsi naquit « Five bridges », long concerto électrique s’inscrivant dans la grande ascension du rock symphonique. Creusant le sillage d’un King Crimson, Keith Emerson récupéra son bassiste et chanteur Greg Lake, avant que le batteur prodige Carl Palmer ne vienne compléter le virtuose trio. Se présentant comme un groupe de maîtres de leurs instruments respectifs, Emerson Lake and Palmer s’attira les foudres d’une critique peu friande de ce genre de professionnalisme. Tels les dignitaires du régime tyrannique décrit dans le roman « La grève », celle-ci vit cette grandeur musicale comme une menace pour la médiocrité célébrée. Pousser vers la simplicité et le divertissement, tel est le credo culturel menant aujourd’hui au triomphe de l’hébétude rap.
Les coups qu’il reçut de la part de certains critiques influencèrent sans doute la froideur sombre de « Brain salad surgery ». La voix de « Karn evil 9 » semble d’ailleurs pointer du doigt les partisans de l’abêtissement pop lorsqu’elle déclame « welcome my friend to the show that never end ». Le spectacle qui ne s’arrête jamais, ainsi est défini ce business de la paresse intellectuelle et des vices de l’âme humaine qu’est l’industrie du divertissement. Celui qui vise le succès le plus large est condamné à la vulgarité et au simplisme, tant il est vrai qu’on n’attire pas les bousiers avec du caviar. « Brain salad surgery » est un album éternellement futuriste, aucune époque ne pouvant normaliser la froideur virtuose de Keith Emerson. Il se dégage de ces symphonies une irrésistible gaieté ironique, comme si le groupe savait qu’il menait une bataille perdue d’avance. Alors le trio fit de « Brain salad surgery » son grand final pyrotechnique, qui culmine sur une adaptation futuriste d’un morceau de Bach.
Puis vint 1977, année marquant le début de la grande régression rock. Celui-ci devint l’affaire d’amateurs agités jouant dans des bars miteux et des clubs crasseux, tout en se contentant de 3 accords mitraillés durant 3 à 5 minutes. Trop contente de déboulonner les vieilles idoles, la critique encensa ce nihilisme, qu’elle présenta comme le sommet de la modernité musicale. Le punk ne fut pourtant, en majeure partie, qu’un retour à la sauvagerie du rock originel. Si ce retour aux sources put donner un coup de jeune à un rock de plus en plus pompeux, il réduisit considérablement le spectre musical du rock, ouvrant ainsi la voie à la standardisation de la musique.
Dans ce contexte, ELP ne put que disparaitre, ce qu’il fit après la sortie du lamentable « Love beach ». Il fut pourtant un temps où le progressisme atteignit le sommet des charts, une époque bénie où le grand public avait encore envie de se perdre dans des univers inconnus…
A suivre...
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