EDDINGTON est un grand film sur une Amérique malade. Que
je rapprocherai de UNDER THE SILVER LAKE ou INHERENT VICE, des films qui
partent de la farce pour se muer en monstre. On pourrait citer SHORTS CUT
d’Altman, qui lui aussi mettait le doigt sur les plaies, ou même LA POURSUITE
INFERNALE d’Arthur Penn.
Eddington c’est un bled tranquille du Nouveau
Mexique. Un shérif et deux adjoints, c’est dire si les soucis de criminalité
sont mineurs. Joe Cross n’intervient réellement que pour calmer les frictions
entre habitants à propos du port du masque. Lui-même n’en porte pas. Nous
sommes en mai 2020, pandémie, Covid, confinement. Le maire Ted Garcia, FFP2 sur
le nez, fait respecter la loi, le shérif lui, s’en fout un peu, c’est des
conneries tout ça, arrêtez d’emmerder les honnêtes gens. Et pour faire chier
l’édile un peu plus, Joe Cross se présente aux élections.
C’est le contexte, sur
lequel viennent se greffer d’innombrables maux américains. Dans sa première
partie, le film brasse plein de sous histoires. La femme du shérif (Emma
Stone), zombie dépressive, victime de ces démocrates pédophiles buveurs de sang
? C’est la thèse de Vernon Jefferson Peak (Austin Butler), gourou de pacotille.
La belle-mère du shérif vaut le détour, ravagée, qui ne s’informe que sur sites
complotistes. On s’inquiéte du mouvement Black live matter qui menace de gangréner
les esprits, ça se frictionne déjà avec les suprématistes blancs. Et les
violences policières, et les histoires de filles, d’ados (dont le fils du
maire) accrocs aux réseaux sociaux qui déversent leur crasse. La première et
dernière image du film est un immense data center à la sortie de la ville. Y’a
les pour et les contre, la création d’emploi mais la destruction d’un
écosystème déjà mis à mal par le réchauffement climatique…
Eddington est une
cocotte-minute sur le feu, le réalisateur y a jeté plein d’ingrédients. Trop,
too much, selon certains. Je ne pense pas, tout se tient, et il y a une bonne
sauce pour lier tout ça : la mise en scène. Ari Aster, qui s’est fait
connaitre par des petits films d’horreur/auteur, nous avait à demi bluffés avec
BEAU IS AFRAID (2023), à demi car après une première heure hallucinante, les
deux autres nous avaient laissés perplexes… avec déjà Joachim Phoenix en roue libre. Ici, il
tient son récit, mieux construit, son rythme, il filme en plan large, il laisse
jouer ses comédiens, il orchestre et croise intrigues et personnages, on est
sans cesse surpris.
Le long plan de Joe Cross qui intervient pour calmer le sdf
qui perturbe une réunion de conseil municipal dans un bar est superbe. D’un
seul tenant, une caméra mobile capte à la fois l’intérieur du bar d’un côté et
l’extérieur rue de l’autre, on a retiré le quatrième mur. Esclandre, bagarre
minable, captée depuis la rue par un gamin (le fils de maire) sur son portable, directement mise en ligne pour dénoncer les violences policières. Entre la campagne électorale, les réunions zoom, les dénonciations puis démentis, les tueries filmées en direct, les galoches diffusées pour titiller les jalousies, les réseaux sociaux sont partout dans le film. Le vrai virus c’est celui-ci.
Il y a de magnifiques mouvements de caméra (le
coucher des époux Cross), des idées ingénieuses, Aster lie souvent intérieur et
extérieur, on pense à Otto Preminger, à Paul Thomas Anderson pour la fluidité.
La campagne électorale se muscle d’arguments nauséabonds, Trump a montré la
voie. Joe Cross n’est pas un violent (pas encore…), mais un type déboussolé, qui
pourrait sortir d’un roman de Jim Thompson (THE KILLER INSIDE ME, POTTSVILLE).
Il traine une mélancolie maladive, très belle scène du diner préparée pour sa
femme (qu’il adore), il s’endort avant qu’elle arrive - comme dans LA RUEE VERS
L’OR – avec Vernon Jefferson Peakqui a pris
l’ascendant psychologique sur elle.
Et puis le film bascule dans une autre dimension. Deux meurtres, et
d’autres suivront. La bourgade étant à la frontière de deux comtés, le shérif Joe Cross enquête du sien, un flic Navajo de l’autre. Indices compromettants,
ou fabriqués, Ari Aster ouvre les vannes, le couvercle de la cocotte explose,
la folie s’installe, une certaine confusion aussi, qui tire sur qui, pourquoi,
est-ce réel, fantasmé. Une longue séquence nocturne vire à l’horreur, Ari Aster
connait ses classiques, comme LA COLINE A DES YEUX. On pourrait juger la fin à la RAMBO grotesque, qui culmine avec ce duel dans la rue
centrale, comme dans un western. C’est la forme que le réalisateur a voulu
donner à son film, un « far West fracturé » selon ses mots.
La
bourgade d’Eddington est un microcosme scruté à loupe grossissante, chacun sa
paroisse, son camp, on se toise plus qu’on argumente. Superbe scène où le
shérif interrompt la musique d’une réunion du maire, pas un mot, des regards
puis une gifle qui claque comme une insulte. Joe Cross, qu’on a vu plutôt
gentil, con-con mais étrangement tolérant envers les petites incivilités, pathétique aussi, verse
dans le fascisme, par facilité, populisme, par vengeance d’un affront mal
digéré, ou parce qu’il croit vraiment que son Amérique adorée est en
proie à un progressisme destructeur.
La farce n'est pas si caricaturale. Les frères Coen, auxquels on pense parfois (comme au THREE BILLBOARDS de Martin Mc Donagh), auraient poussé plus haut le
curseur de la satire. Ari Aster ne fait pas de ses personnages des bouffons, son approche est distanciée, une observation kubrickienne, comment l’émotion
usurpe la raison et amène au chaos.
On pourrait lui objecter une différence de
traitement entre les personnages. Emma Stone n’est pas la mieux servie en
termes de partition, assez secondaire, de même on aurait aimé garder Pedro Pascal
(le maire) plus longtemps… Le film repose sur Joachim Phoenix, superbe, sans
cabotinage, un type fracassé sous son uniforme, qui parviendrait presque à nous
émouvoir.
Ah oui, celui-là, je l'avais noté à sa sortie. Ça a l'air réjouissant. Hors sujet: je suis en train de lire la biographie de Peckinpah, Le Rebelle mélancolique (Gérard Camy, Actes Sud): extraordinaire.
J'ai un bouquin de François Causse "Sam Peckinpah, la Violence du crépuscule", qui est davantage une analyse de ses films, chronologique, avec photos. Je vais me renseigner sur le tien, merci du tuyau !
Eddington fait à peu près l'unanimité de la critique (même le Canard Enchaîné l'a mis en film de la semaine, alors que d'habitude c'est des films d'auteurs péruviens ou des documentaires jordaniens). Bon, je suis a priori preneur, surtout s'il y a Emma Stone et Joaquim Phoenix (peut-être le plus doué de sa génération, malgré quelques sorties de route spectaculaires, voir plus bas). Après avoir vérifié sur wikimachin, j'ai vu tous les précédents d'Aster, pas très dur, celui-ci n'est que son quatrième. Hérédité est réussi, tous les codes des films d'horreur, en évitant les grosses ficelles du genre (les jumpscares, les giclées d'hémoglobine, ...). Midsommar, encore plus encensé, bof ..., c'est un mix pas toujours réussi entre angoisse et grand-guignol. Beau is afraid, c'est une purge totale, un scénario calamiteux et un Phoenix plus que problématique ...
J'ai bien aimé le début de "Beau is afraid", la grande aventure pour traverser de la rue. De belles choses à la caméra, un côté Terry Gilliam. Le problème est que ça dure trois heures, il aurait dû faire un moyen métrage.
Ah oui, celui-là, je l'avais noté à sa sortie. Ça a l'air réjouissant. Hors sujet: je suis en train de lire la biographie de Peckinpah, Le Rebelle mélancolique (Gérard Camy, Actes Sud): extraordinaire.
RépondreSupprimerJ'ai un bouquin de François Causse "Sam Peckinpah, la Violence du crépuscule", qui est davantage une analyse de ses films, chronologique, avec photos. Je vais me renseigner sur le tien, merci du tuyau !
RépondreSupprimerEddington fait à peu près l'unanimité de la critique (même le Canard Enchaîné l'a mis en film de la semaine, alors que d'habitude c'est des films d'auteurs péruviens ou des documentaires jordaniens). Bon, je suis a priori preneur, surtout s'il y a Emma Stone et Joaquim Phoenix (peut-être le plus doué de sa génération, malgré quelques sorties de route spectaculaires, voir plus bas).
RépondreSupprimerAprès avoir vérifié sur wikimachin, j'ai vu tous les précédents d'Aster, pas très dur, celui-ci n'est que son quatrième. Hérédité est réussi, tous les codes des films d'horreur, en évitant les grosses ficelles du genre (les jumpscares, les giclées d'hémoglobine, ...). Midsommar, encore plus encensé, bof ..., c'est un mix pas toujours réussi entre angoisse et grand-guignol. Beau is afraid, c'est une purge totale, un scénario calamiteux et un Phoenix plus que problématique ...
J'ai bien aimé le début de "Beau is afraid", la grande aventure pour traverser de la rue. De belles choses à la caméra, un côté Terry Gilliam. Le problème est que ça dure trois heures, il aurait dû faire un moyen métrage.
Supprimer