Sonia s’étonne de voir Nema assise sur le canapé, une belle théière et une tasse de thé à côté d’elle, avec un gros bouquin sur les genoux. Elle ne voit pas le titre mais s’aperçoit qu’il s’agit d’une BD en noir et blanc. Elle demande :
- Tu veux t’initier au cérémonial du thé avec un manga ?
- Non, ce n’est pas un manga. Je m’initie à comprendre la Chine d’aujourd’hui, répond Nema.
- Alors, c’est un roman contemporain en BD ? Ils vivent comment là-bas ? reprend Sonia
- Ce n’est pas un roman, bien que la vie de Xi Jinping soit aussi passionnante qu’un très bon roman…
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Xi Jinping |
Non, ce n’est pas un roman. Ce n’est pas une fiction mais le fruit d’un travail approfondi qui permet de découvrir, en dessins et avec de nombreux dialogues ou commentaires, les différentes périodes de la vie du Président Chinois avec une contextualisation qui en fait pour nous une leçon d’histoire.
Chaque chapitre a un titre. Ainsi, le 1er s’intitule « le petit prince rouge ». La famille Xi est une grande famille. En juin 1953, le ministre Xi Zhongxun est heureux d’avoir un fils : sa femme lui a donné comme prénom Jinping qui signifie « Proche de la paix ». Mais le chapitre 2 s’intitule « le temps de la disgrâce ». En effet Xi Zhongxun sera accusé de trahison et banni du Parti. La description des actions menées par la révolution initiée par le Parti Communiste dans les années 1960 est lourde de signification sur la puissance de conviction et d’entraînement qu’un pouvoir fort peut avoir sur les masses populaires (tout le monde se lance dans l’extermination des rats, des mouches, des oiseaux…). La jeunesse et l’adolescence de Jinping seront rudes du fait du bannissement de son père. Mais il s’attachera à obéir pour retrouver la place qu’il pense (ainsi que sa mère et sa famille) devoir être la sienne au sein du Parti.
On découvre combien les grandes familles sont puissantes et influentes, combien les jeux d’alliance ou de trahison sont monnaie courante. La structure pyramidale du Parti oblige à monter les échelons avec rigueur.
Xi Jinping fera ses classes sur le terrain. Et même en partant de la base comme ouvrier paysan. Cela lui donne une connaissance du vécu de ses concitoyens dans différentes régions de la Chine.
Jinping n’est pas resté à Pékin mais au contraire s’est trouvé nommé, après des années d’apprentissage, à différents postes au niveau local, puis régional. Il a l’art d’écouter et de comprendre ce vers quoi peuvent aboutir les désirs de bâtisseurs ou d’entrepreneurs chinois. Par contre la corruption qui règne à pratiquement tous les niveaux du Parti est une calamité. En 1985 le patron de Xi Jinping est écarté, la politique de libéralisation est terminée, il faut arrêter les grands chantiers. C’est ainsi que Xi perd un protecteur, mais comme il est très intelligent et d’une grande famille… il a un nouveau poste à l’autre bout de la province du Fujian, l’occasion pour lui de voir la misère, de toucher du doigt la corruption de la Chine profonde. Genre de propos qu’il aurait tenu à l’un de ses subalternes : « Qui préférez-vous emmerdez le plus : 3 000 000 de paysans qui meurent de faim ou une poignée de cadres qui ont violé la discipline du Parti ? ».
Vous découvrirez qu’il est possible d’acheter une île aux Philippines dans les années 1980. Première étape, on envoie des pêcheurs chinois dans les eaux territoriales et on commence à s’installer, deuxième étape on dit que c’est une île chinoise, troisième étape pour faire taire les autorités Philippines, un accord est passé moyennant finances (bref la Chine achète le territoire). Peu importe le droit international, il n’est évoqué que lorsqu’il peut servir.
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Pagode bouddhiste |
Xi Jinping arrive au pouvoir en 2012. Les prisons se remplissent mais l’économie est en plein essor à partir de 2015. Il s’en suit une période d’agressivité de la part des ambassadeurs de Chine dans les États occidentaux. Un ambassadeur particulièrement arrogant est d’abord nommé au Canada puis envoyé en France où il prononce des inepties comme « l’Ukraine n’est qu’une province rebelle de la Chine ». Là, Jean-Yves Le Drian demandera, face à des propos aussi hallucinants, si c’est la position officielle de Chine. Ce sera le début de la fin des « ambassadeurs loups ».
Après 2017 et un développement à l’international avec de très grands projets dans des « pays hôtes » à coup de milliards que ces pays n’arrivent pas à rembourser (ports, routes, usines…), s’ouvre une période de projets plus modestes mais nombreux (pour les Nouvelles Routes de la Soie). Tandis qu’en interne, une grande campagne contre la corruption et la pauvreté est menée qui permet à plus de 128 000 villages d’être raccordés à l’eau courante et d’avoir Internet. Il y a en permanence des adaptations très pragmatiques de la ligne directrice qui sert de guide, à savoir le « Rêve de Chine », une Chine plus riche, mieux équipée, avec plus de bonheur pour le peuple et retrouvant une forme de grandeur et de splendeur comme à son époque impériale, tout en la propulsant au rang de 1ère puissance mondiale.
En termes d’innovation, que ce soit en informatique et en matière d’IA ou dans toutes les énergies renouvelables, que ce soit en matière de conquête spatiale… la Chine avance à pas de géant. Attention, elle saute les étapes qui ont fait la modernisation de l’Occident et l’avantage des USA au XXème siècle, pour passer directement à des technologies plus innovantes dont le déploiement démarre quasiment instantanément. Et si cela n’est pas satisfaisant, on passe à autre chose.
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Robot Zhurong sur Mars |
Xi Jinping consulte les oracles auprès d’un ami moine Bouddhiste. Chercher à savoir qui va le trahir, dans quelle voie orienter cet immense pays, n’est-ce pas juste humain (surtout quand on est responsable de plus d’un milliard d’âmes) ? Dans ce parcours décrivant plusieurs dizaines d’années, vous découvrirez également quelques éléments sur la vie personnelle et familiale de cet homme que l’on considère comme « silencieux » : deux mariages et une fille.
Ce livre BD est impressionnant car il nous éclaire sur toute une vie (vie de chef d’État qui ne semble pas finie, loin de là), sur la vie de l’un des hommes les puissants du monde, dans cette immense Chine que nous connaissons si mal. L’accent est bien entendu mis sur la politique et le fonctionnement du Parti Communiste de cet « Empire ». Pour compléter et redescendre au niveau des habitants, vous pouvez lire (ou relire) dans ce Blogue, la chronique sur « China Dream » de Ma Jian et celle sur « Funérailles molles » de Fang Fang.
Éric Meyer, le scénariste, est un journaliste qui a vécu à Pékin durant 32 ans. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la Chine. C’est bien en connaissance de cause et avec une documentation fournie qu’il nous propose cette vie de Xi Jinping, racontée le plus objectivement possible. Gianluca Costantini est un dessinateur activiste italien. Il participe à divers journaux et contribue à des organisations internationales notamment pour la défense des droits de l’homme. Dessin noir et blanc, sec mais fouillé.
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Auteurs : Gianluca Costantini et Eric Meyer |
224 Pages
Éditions Delcourt/Encrages
Bonne lecture !

On leur a quand même bien facilité les choses, et ce, des deux côtés de l'échiquier politique, comme on dit (l'expression n'est pas si mauvaise, puisqu'on y trouve des fous, des cavaliers aux déplacements compliqués et surtout des pions - dans les deux sens du terme). D'abord avec les crétins "maoïstes" des années 60, qui auraient dû aller se terrer quelque part après s'être si lourdement fourvoyés, puis avec les gaullo-pompidoliens qui ont commencé avec enthousiasme le travail de sabordage pour les sordides intérêts financiers de leurs copains. Hors sujet: j'espère voir un jour la mise sous bracelet électronique pour haute trahison de Raffarin, président du groupe d'amitié parlementaire France-Chine. À part ça, Xi Jinping est bien sûr un salopard de haut vol. Il finira comme les autres ("accident", oubli, auto-critique, bannissement). Jusqu'au suivant.
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire! Les hommes politiques "forts" (comme les femmes politiques "fortes") finissent pas disparaître... mais d'autres suivront....
SupprimerNema 😊
Raffarin... le grand philosophe tendance Confucius qui disait : "La route est droite mais la pente est raide" ? (j'avais à l'époque vainement cherché une contrepèterie, mais non, il était sérieux)
SupprimerEt la "positive attitude" et "the yes need the no to win against the no"... :-)
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