C’est
vendredi soir. Nema travaille sur le plan d’une structure béton d’un beffroi
qu’il faut reprendre et consolider pour permettre la mise en service de trois
nouvelles cloches. Sonia a envie de sortir boire un verre avec des copains :
- Tu fais
quoi ? On sort ?
- Trop
occupée.
- Encore un
vieux machin tout pourri ?
- Arrête ! Une
tour qui permet d’appeler la population ou de la prévenir en cas de
catastrophe, c’est pas un vieux machin, c’est la voix du quartier, c’est le
chant de la ville…
Ma Jian |
Ma Daode est très
investi dans le sujet du Rêve chinois, cette vision de l’avenir impulsée par Xi Jinping
qui doit permettre de doter tous les chinois d’un avenir meilleur. Un avenir
collectif et un peu standardisé certes, mais meilleur. A tel point qu’il
imagine même un Implant du Rêve chinois, qui permettrait de contrôler les
pensées et ainsi de diffuser en un clic le bonheur directement dans les
cerveaux. Ceci n’étant qu’une petite utopie au passage dans les pensées de Ma Daode.
Dès le début du roman, il se revoit en 1966, au commencement
de la révolution culturelle, quand il fallait purger la politique, la culture et
les idées des éléments bourgeois pour revenir aux fondamentaux du communisme
de Mao Zedong.
Quelle violence dans ses souvenirs ! Quelles luttes acharnées de ces jeunes
(car il était lycéen à l’époque) embrigadés soit dans l’Orient Rouge soit dans
le Million de Guerriers Courageux ! Petit à petit ces réminiscences vont lui
pourrir la vie, car enfoui au fond de lui depuis des décennies, il y a des
actes, des comportements notamment vis-à-vis de sa famille, qui sont lourds
à porter psychologiquement. Et c’est parce qu’il doit revenir et intervenir dans le
quartier de Yaobang,
quartier de son enfance, parce qu’il revoit des amis d’alors que tout refait
surface. Époque cruelle et injuste. Manipulation, arrogance et peur.
1966 (Révolution culturelle) |
Mais à quoi sert le bureau du Rêve chinois ? Vous
verrez qu’il est très utile pour organiser dans une grande concertation avec
d’autres administrations et avec les représentants du Parti, des évènements
populaires et fédérateurs, des manifestations culturelles et des messages pour
l’avenir. Quelle belle idée que celle des mariages collectifs : le Rêve des
Noces d’Or ! On réunit 100 vieux couples costumés, on fait un beau discours sur
les vieux (on n’invite que des couples à la cérémonie, pas les veufs ou les
veuves, et on leur donnera des consignes strictes et juste un peu de lait de
soja et des gâteaux pour qu’ils sourient et montrent leur joie d’être à cette
fête…). Il y a aussi le spectacle/ballet « la boutique des raviolis Qing Feng » sur une
idée inspirée d’une visite du Président Xi Jinping dans une
boutique du même nom. Accessoirement, un bel impact économique pour la renommée
et la fréquentation des franchises développées autour du nom « raviolis Qing
Feng ».
Et puis il y a le grand projet de nouveau quartier qui
doit conduire à la démolition d’un vieux quartier de Yaobang. Je me pose des
questions sur ce nom : Yaobang ? Comme Hu Yaobang ? Le secrétaire
général du Parti Communiste Chinois de 1980 à 1987, homme qui a soutenu d’une
certaine façon les mouvements étudiants et parrainé la réhabilitation des
victimes de la révolution culturelle de la fin des années 70. Il est mort un
peu avant les évènements de Tiananmen. Ma Daode est chargé de promouvoir le nouveau quartier et surtout de
parler à la population qui doit être expulsée manu militari. Dur, dur de
revenir dans ces lieux. Où est la tombe de ses parents ? Souvenirs des derniers
jours dans la maison familiale avec sa sœur, tristesse et remords… Ne voit-il
pas derrière certains visages devenus ridés d’anciens compagnons de lutte
communiste ? Et celle qui fut son premier amour, qu’est-elle vraiment devenue
?
La tour du tambour |
Rechercher tout seul dans ses souvenirs, quand on a
vécu des évènements graves et traumatisants n’est pas toujours très bon pour sa
santé mentale. Ma Daode va sombrer
dans une sorte de folie et pour s’en sortir il va rechercher l’oubli par des
filtres et des potions. Je vous préviens : beurk… En plus, pas formidable le
résultat.
Grandiose fin donc pour ce roman captivant (je ne vous
en dirai pas plus) qui nous fait voyager dans les souvenirs du héros,
rencontrer divers personnages hauts en couleur, toucher du doigt des pratiques
de la Chine d’aujourd’hui et des coutumes venues d’autrefois.
Ma Jian est un
écrivain, photographe, poète et peintre chinois né en 1953. Après avoir débuté
sa carrière comme journaliste au service de la propagande, il quitte la Chine
et s’installe en Europe. Il est aujourd’hui en exil en Grande Bretagne. Plusieurs
de ses romans sont traduits en français. Celui-ci a été traduit par Laurent Barucq.
Bonne lecture !
Flammarion
200 pages ; disponible en e-book
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