lundi 7 octobre 2019

CHINA DREAM de Ma Jian (2019) - par Nema M.




C’est vendredi soir. Nema travaille sur le plan d’une structure béton d’un beffroi qu’il faut reprendre et consolider pour permettre la mise en service de trois nouvelles cloches. Sonia a envie de sortir boire un verre avec des copains :
- Tu fais quoi ? On sort ?
- Trop occupée.
- Encore un vieux machin tout pourri ?
- Arrête ! Une tour qui permet d’appeler la population ou de la prévenir en cas de catastrophe, c’est pas un vieux machin, c’est la voix du quartier, c’est le chant de la ville…

Ma Jian

Ma Doade, directeur du bureau du Rêve Chinois est proche de la retraite. Mais il s’accroche à son emploi de fonctionnaire, à ce poste qui lui permet d’avoir un chauffeur, un secrétaire, une vie somme toute confortable. Soudain, un gros problème se pose à lui : pourquoi tout à coup des souvenirs de sa jeunesse refont surface ? Comment concilier ce présent qui lui paraît finalement artificiel avec un passé rude mais engagé dans une croyance forte pour un monde plus juste, une histoire passée que la Chine efface largement aujourd’hui. Voici l’argument de ce roman à la fois burlesque, instructif et teinté de colère et de peine.

Ma Daode est très investi dans le sujet du Rêve chinois, cette vision de l’avenir impulsée par Xi Jinping qui doit permettre de doter tous les chinois d’un avenir meilleur. Un avenir collectif et un peu standardisé certes, mais meilleur. A tel point qu’il imagine même un Implant du Rêve chinois, qui permettrait de contrôler les pensées et ainsi de diffuser en un clic le bonheur directement dans les cerveaux. Ceci n’étant qu’une petite utopie au passage dans les pensées de Ma Daode.
Dès le début du roman, il se revoit en 1966, au commencement de la révolution culturelle, quand il fallait purger la politique, la culture et les idées des éléments bourgeois pour revenir aux fondamentaux du communisme de Mao Zedong. Quelle violence dans ses souvenirs ! Quelles luttes acharnées de ces jeunes (car il était lycéen à l’époque) embrigadés soit dans l’Orient Rouge soit dans le Million de Guerriers Courageux ! Petit à petit ces réminiscences vont lui pourrir la vie, car enfoui au fond de lui depuis des décennies, il y a des actes, des comportements notamment vis-à-vis de sa famille, qui sont lourds à porter psychologiquement. Et c’est parce qu’il doit revenir et intervenir dans le quartier de Yaobang, quartier de son enfance, parce qu’il revoit des amis d’alors que tout refait surface. Époque cruelle et injuste. Manipulation, arrogance et peur.

1966 (Révolution culturelle)
Je vous rassure, tout n’est cependant pas sombre dans ce récit. Ma Daode va se prendre du bon temps avec les femmes : avec Yuyu sa jeune maîtresse (une parmi un bon nombre) qui lui envoie des messages cochons, avec des professionnelles du sexe qui sont numérotées (Ah… Numéro 8…).  Proche de la retraite et plus rebondi du bedon et des fesses que dans sa jeunesse, certes, mais encore très viril, le bougre.
Mais à quoi sert le bureau du Rêve chinois ? Vous verrez qu’il est très utile pour organiser dans une grande concertation avec d’autres administrations et avec les représentants du Parti, des évènements populaires et fédérateurs, des manifestations culturelles et des messages pour l’avenir. Quelle belle idée que celle des mariages collectifs : le Rêve des Noces d’Or ! On réunit 100 vieux couples costumés, on fait un beau discours sur les vieux (on n’invite que des couples à la cérémonie, pas les veufs ou les veuves, et on leur donnera des consignes strictes et juste un peu de lait de soja et des gâteaux pour qu’ils sourient et montrent leur joie d’être à cette fête…). Il y a aussi le spectacle/ballet « la boutique des raviolis Qing Feng » sur une idée inspirée d’une visite du Président Xi Jinping dans une boutique du même nom. Accessoirement, un bel impact économique pour la renommée et la fréquentation des franchises développées autour du nom « raviolis Qing Feng ».

Et puis il y a le grand projet de nouveau quartier qui doit conduire à la démolition d’un vieux quartier de Yaobang. Je me pose des questions sur ce nom : Yaobang ? Comme Hu Yaobang ? Le secrétaire général du Parti Communiste Chinois de 1980 à 1987, homme qui a soutenu d’une certaine façon les mouvements étudiants et parrainé la réhabilitation des victimes de la révolution culturelle de la fin des années 70. Il est mort un peu avant les évènements de Tiananmen. Ma Daode est chargé de promouvoir le nouveau quartier et surtout de parler à la population qui doit être expulsée manu militari. Dur, dur de revenir dans ces lieux. Où est la tombe de ses parents ? Souvenirs des derniers jours dans la maison familiale avec sa sœur, tristesse et remords… Ne voit-il pas derrière certains visages devenus ridés d’anciens compagnons de lutte communiste ? Et celle qui fut son premier amour, qu’est-elle vraiment devenue ? 

La tour du tambour
La Tour du Tambour. Comme un  phare dans ce roman, elle est là dans le quartier Yaobang. Datée de l’époque de la dynastie Yuan, on l’imagine en briques, rouge, avec à son sommet l’ombre des tambours d’autrefois qui servaient à indiquer le début et la fin de la journée. Bruits du passé, appel à se fédérer, à se retrouver ensemble ou à rentrer chez soi. Vie en commun. La vieille maîtresse de Ma Daode y tient un café. Cette tour joue un rôle important dans cette l’histoire car elle établit un lien entre les évènements des années 60-70 et la tragi-comédie de la fin, digne d’un film d’épouvante.
Rechercher tout seul dans ses souvenirs, quand on a vécu des évènements graves et traumatisants n’est pas toujours très bon pour sa santé mentale. Ma Daode va sombrer dans une sorte de folie et pour s’en sortir il va rechercher l’oubli par des filtres et des potions. Je vous préviens : beurk… En plus, pas formidable le résultat.

Grandiose fin donc pour ce roman captivant (je ne vous en dirai pas plus) qui nous fait voyager dans les souvenirs du héros, rencontrer divers personnages hauts en couleur, toucher du doigt des pratiques de la Chine d’aujourd’hui et des coutumes venues d’autrefois.

Ma Jian est un écrivain, photographe, poète et peintre chinois né en 1953. Après avoir débuté sa carrière comme journaliste au service de la propagande, il quitte la Chine et s’installe en Europe. Il est aujourd’hui en exil en Grande Bretagne. Plusieurs de ses romans sont traduits en français. Celui-ci a été traduit par Laurent Barucq.

Bonne lecture !

Flammarion
200 pages ; disponible en e-book


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