- Edgar ? Un prénom bien français Claude ? Je n'en ai jamais entendu
parler, ni rien lu dans le blog ? C'est grave docteur ?
- Ô non Sonia, Varèse est un compositeur du XXème siècle (né en 1883)
très en marge de tous les autres courants musicaux de notre temps. Un
chercheur plus qu'un compositeur au sens habituel…
- Mouais… Et il a beaucoup composé ce monsieur ?
- Heu, si on considère que l'intégrale de son œuvre éditée réunit sur ce
double CD 15 œuvres souvent courtes, ça répond à ta question ?
- Bigre, il vivait de quoi ?
- Invention, professorat… Droits d'auteurs pour Amériques et, plongé
dans son univers d'expérimentation, il ne cherchait pas la
fortune…
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Varèse travail sur Désert (1954) |
Je viens de faire écouter
Amériques à Sonia et à Nema, ouvrage symphonique pour orchestre de 155 musiciens 😳.
Ah ah la tête des filles ; même Nema est sonnée, pourtant une
mélomane amateur de
Chostakovitch, donc pas uniquement de
la petite musique de nuit
😊.
- On dirait une musique récente Claude, genre Boulez, vraiment pas
une œuvre composée en 1921… Déroutante, t'en penses quoi Nema ?
- Fichtre, je n'aime pas trop, j'avoue. Et tu as raison Sonia, ça
semble complètement décousu voire agressif, donc dans l'air du temps.
Des effets sonores non mélodiques sans doute voulus ; le portrait
d'un Manhattan en pleine crise d'hystérie. Pas reposant ce truc ; ça ne
m'étonne pas que mister Toon raffole de ce barnum… Sans méchanceté
Claude
- Tu n'aimes pas Nema, et pourtant tu as tout compris en disant
"Manhattan en pleine crise d'hystérie." Mais prenons l'affaire au début
les copines… Varèse a inventé la musique contemporaine un bon
demi-siècle avant tout le monde… Pas la bonne méthode pour assoir sa
notoriété, quoique…
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Edgar Varèse en 1915 |
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La jaquette en en-tête est celle d'une intégrale ! Oui vous avez bien lu, l'intégrale de l'œuvre sonore (musicale ne serait pas vraiment l'adjectif adapté) d'Edgar Varèse, soit deux CD. Heu, non, Varèse n'est pas mort à 23 ans (ce qui expliquerait un catalogue aussi modeste) mais à 81 ans ! Né en 1883, Varèse est-il un compositeur au sens où on l'entendait pour les créateurs de son époque ? Dans une première période de sa vie, la réponse est plutôt oui comme le montre Amériques, ouvrage symphonique qui fait encore majoritairement appel à un monumental orchestre symphonique… Après 1925, Varèse s'oriente vers une carrière de chercheur : compositeur-inventeur-ingénieur du son-électronicien…
Je me permets d'établir un parallèle entre les bouleversements apportés par Varèse à la définition même de la musique et certains scientifiques comme Copernic, Newton, Planck ou encore l'excentrique Évariste Gallois, jeune mathématicien français mort stupidement en 1830, à 20 ans et en duel 😦, après avoir envoyé l'algèbre utilisé depuis les grecques au musée… (Sa théorie des groupes reste toujours ardue pour bien des étudiants de haut niveau – j'y comprends que dalle 😊).
Né en 1883, il suit un enseignement traditionnel à la Schola Cantorum et au Conservatoire de Paris. Déçu par l'approche académique des concepts musicaux encore de mise et encouragé par des personnalités novatrices comme Debussy, Varèse s'interroge sur la nature même du son en art. Pourquoi le solfège et les formes se laissent-elle enfermer dans des règles à son sens aussi étroites et même pourquoi la musique, surtout occidentale, n'utilise que des instruments de musique normalisés même si très divers ?
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Fondamentale et harmoniques
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En 1914, Varèse remet en cause sans dédain les fondamentaux de la musique et l'essence même du son : le système tempéré, le chromatisme et ses sept notes naturelles et ses douze tons de l'octave, toutes figées à des fréquences liées par des relations mathématiques.
Pour rappel, une note est une onde sonore de fréquence fixe et déterminée, le "la" du diapason vibre à 440 Hz (hormis pour l'époque baroque). Les variations de couleur des instruments à hauteur de note égale proviennent des timbres, soit des harmoniques (la fréquence de base multipliée par un coefficient exprimé en nombre entier). Ces harmoniques ont des puissances très diverses, ce qui explique une telle différence de perception entre le "la" étalon d'un hautbois, d'une trompette ou d'un violon… Ceci est valable pour toutes les notes de la gamme. Inversement, un bruit n'a pas de fréquence de base précise, nous entendons un fouillis indéterminé d'harmoniques, exemple : une grosse caisse, les machines à vent chères à Richard Strauss ou les voitures sur le périphérique vers 18h. Ne vous marrez pas, nous allons en reparler dans Amériques…
Nota : les gammes pentatoniques en usage en Orient obéissent à des règles similaires même si le recourt au "tempérament" varie d'une pays à un autre...
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Triode de Lee de Forest (1906) |
En 1915, après une tournée en Europe, la fréquentation de novateurs comme Debussy, Roussel, ou encore Richard Strauss qui réinvente l'opéra, Varèse reste insatisfait de ce qui lui paraît comme une continuité juste améliorée des ressources du matériel musical. Les sonorités de l'orchestre, de tous les instruments traditionnels, ne le rebutent pas du tout, mais Varèse, plusieurs décennies après l'invention du phonographe simplement mécanique, désire ardemment ajouter à l'arsenal des instruments manuels historiques d'autres utilisant l'électronique.
En 1906, l'ingénieur yankee Lee de Forest a inventé la triode, un tube électronique qui permet de moduler et d'amplifier un courant électrique sinusoïdal à partir d'un signal reçu d'un microphone par exemple. Je vous évite de retourner en mes vertes années, en 1969-70, pour vous importuner avec un cour d'électro. Invention primordiale, la triode, toujours en usage, donnera naissance en 1947 par transfert de son concept aux transistors. Merci aux américains John Bardeen, William Shockley et Walter Brattain. Ce sont des composants à semi-conducteurs, moins fragiles, plus petits… J'enfonce sans doute des portes ouvertes mes amis lecteurs 😊. Les potes rockeurs savent que sans ces découvertes, le Rock et la pop n'auraient jamais vu le jour !
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Lev Theremin et son theremine |
Les premiers instruments électroniques sont pittoresques et d'improbables bricolages qui fascinent sans doute le jeune Varèse qui y voit là une extension innovante de l'instrumentation. Citons quelques-unes de ces inventions sans lendemain, mais précurseuses des orgues Hammond, des ondes Martenot et, bien entendu, des amplis Marshall au service des guitares électriques Fender, Gibson, etc., les joujoux favoris de Bruno… Pour s'amuser, on trouve :
l'electromusical piano et la harpe électrique d’Elisha Gray et Alexander Graham Bell (1876), le singing arc de William Duddell (1899), le telharmonium (ou dynamophone) de Thaddeus Cahill (1900), le thérémine de Lev Theremin (1920) et l’électrophon ou sphärophon de Jörg Mager (1921). Ces instruments utilisent tous des tubes électroniques primitifs (diodes). Fort encombrants, leurs tubes "claquant" fréquemment, ils n'auront aucun avenir. Chercher sur le web 😊…
Parmi tous ces bidules, le thérémine est sans doute le plus connu, du moins sa sonorité. Voici une photo de son inventeur montrant le principe. Des flux d'ondes émis par deux antennes sont manipulés avec les mains à la manière des cordes d'une harpe. Les fans de S.F. des années 50 ont tous entendu le son flippant obtenu : Wouiiiii 🛸Wouaaaa 🛸 les soucoupes volantes attaquent 👽👽. (Démonstration) Je me demande combien de temps Carolina a bossé pour maîtriser la chose venue d'un autre monde…
Mais Varèse n'utilisera que très peu ces inventions. Pour lui les bruits doivent s'ajouter à l'essence du son au même titre que le ton des instruments.
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New-York vers 1920 |
Les premières années à New-York, Varèse travaille comme maestro. Il dirige notamment le requiem de Berlioz. Il crée l'éphémère New Symphony Orchestra. Tout cela n'a qu'un but alimentaire. Il rencontre nombre de personnalités qui, comme lui, cherchent à promouvoir la musique électronique, entre autres (Lev) Leon Theremin.
Il débute la composition d'Amériques en 1918 pour achever l'édition originale en 1921 (œuvre possiblement esquissée vers 1915). Trois ans pour 25 minutes de musique ! Allez voir la partition, vous serez moins interloqués 😊. Varèse déclara "Avec Amériques, j'ai commencé à écrire ma propre musique". Remarque tristement réaliste puisque les quinze partitions antérieures, dont la plupart pour orchestre, étaient parties en fumée lors d'un incendie à Berlin ! Une douzaine d'autres, des ouvrages ultérieurs, restera inachevée ou non publiée car détruit. Varèse nous lègue l'image d'un chercheur passionné et d'un compositeur si exigeant et fidèle à ses conceptions à contre-courant, ce qui explique la minceur de son catalogue édité et régulièrement joué.
Comme pour valider mes propos sur la dualité bruit-son, Varèse imaginera l'expression "son organisé" pour définir ses objectifs esthétiques qui mettent l'accent sur les timbres (harmoniques organisées ou anarchiques) et le rythme. Autres citations : il parle de "son comme matière vivante ", ou "pour des oreilles obstinément conditionnées*, tout ce qui est nouveau dans la musique a toujours été appelé bruit", concluant ses interrogations par "qu'est-ce que la musique sinon des bruits organisés ?".
(*) Pense-t-il à Stravinsky son ami et modèle dont le sensuel, barbare, déchaîné et polyrythmique Sacre du Printemps provoqua une émeute lors de sa création au TCE en 1912 ? Varèse vivra le même scandale en 1954, toujours au TCE, lors de la première de Déserts…, l'une des premières œuvres mêlant pleinement des instruments classiques et des effets électroacoustiques. Pierre Henry était son complice…
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Leopold Stokovski en 1926 |
Revenons à Amériques qui sera créé en 1926 par Leopold Stokowski et l'orchestre de Philadelphie. Le maestro d'origine british n'avait peur de rien et avait créé la symphonie des "mille" de Mahler en 1916. Le chef ne craignait aucun défi si on examine l'instrumentation. Voici celle, allégée 😊 de 1929 établie par Chou Wen-Chung et dirigée par Riccardo Chailly. Retenez votre souffle…
2 piccolos (+ 1), 2 flûtes (+ 1), flûte alto, 3 hautbois, cor anglais, heckelphone (hautbois grave de 1907), 1 petite clarinette, 3 clarinettes, clarinette basse, 3 bassons + 1 contrebasson.
8 cors, 6 trompettes 3 trombones ténor, 1 trombone basse et 1 contrebasse, 1 tuba + 1 tuba basse, 2 harpes, deux jeux de timbales.
Les Percussions exigent la participation de neuf exécutants (13 dans la version originale) :
1. xylophone, cloches tubulaires, triangle, grelots, crécelle grave,
2. glockenspiel, tambour à corde, crécelle, fouet,
3. tambour de basque, fouet, tam-tam,
4. célesta, grosse caisse (membrane extrêmement tendue), triangle, tam-tam,
5. 1 grosse caisse, + 1 grosse caisse avec balais métalliques, cymbale chinoise fixée sur la 1ère grosse caisse, triangle,
6. castagnettes, grelots, Tam-tam,
7. 2 sirènes (avec interrupteurs) solidement fixées, grelots,
8. cymbales, suspendues et à deux,
9. tambour militaire.
Premiers et seconds violons, violoncelles, contrebasses…
Pour la petite histoire, la première gravure - un sacré challenge pour les ingénieurs du son - sera captée en 1960 par… Maurice Abravanel rencontré il y a peu dans un billet Tchaïkovski. Il dirige l'Orchestre symphonique de l'Utah. Quand je soulignais à quel niveau cet artiste avait hissé cet orchestre créé modestement en 1949 avec 42 musiciens !
A la demande de Leopold Stokowski, Varèse diminuera l'effectif orchestral de 155 musiciens, une version intermédiaire incluant des Ondes Martenot est publiée en 1927 avant le retour du compositeur en France l'année suivante.
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Varèse et Villa-Lobos |
Avant son retour pour Paris en 1928, Varèse compose cinq de ses œuvres essentielles :
Offrandes (1921), pour soprano et orchestre de chambre ;
Hyperprism (1922-23), pour percussions et vents ;
Octandre (1923), pour huit instruments solistes ;
Intégrales (1924-25), pour petit orchestre et percussions ;
Arcana (1926-27), pour grand orchestre symphonique ;
Les premières exécutions des deux derniers ouvrages listés auront lieu sous la direction de Leopold Stokowski amateur de nouveautés, même si également interprète légendaire du grand répertoire.
Après l'effervescence de la vie New-yorkaise, Varèse essayera de poursuivre ses recherches en France. Il rencontre des écrivains et poètes visionnaires comme Antonin Artaud ou Malraux. Ce dernier souhaite voir ses textes mis en musique par Varèse sous forme d'une symphonie chorale intitulée Espace. Un projet inabouti dans un pays peu enclin à de telles audaces musicales. Il ne sera pas le seul projet abandonné…
Deux œuvres officielles datent de cette époque. Ionisation, pour 37 instruments à percussion et 13 exécutants (1929-1931), sera créé aux États-Unis en 1933. Le morceau ne dure que six minutes et sera la première œuvre occidentale n'utilisant que des percussions. Ecuatorial, pour chœur, trompettes, trombones, piano, orgue, 2 ondes Martenot et percussion (1934). Il s'agit d'une cantate de onze minutes également créée à New-York avec un accueil plutôt positif. À l'époque Varèse prévoyait deux thérémines dans son orchestration. La disparition progressive de cet appareil comme instrument courant a conduit à les substituer par des ondes Martenot, instrument fétiche de Messiaen.
Varèse séjournera cinq ans à Paris. Il se lie d'amitié avec le brésilien Villa-Lobos et, en 1930, acceptera comme élève André Jolivet, que lui avait conseillé Paul Le Flem.
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Chou Wen-chung (1923-2019) : LE disciple
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De retour au USA en 1933, la carrière de Varèse semble se ralentir. Cernons la réalité. Il a une formation classique de compositeur mais a également suivi celle d'ingénieur électroacousticien. Certes, Les œuvres qu'il a produites s'appuient sur des ensembles orchestraux classiques plus le thérémine et des objets insolites comme des sirènes ou quelques instruments populaires, castagnettes et crécelles… Varèse poursuit son idée d'étendre la création musicale non pas en alignant même avec talent des notes et une thématique identifiable, encore moins en se référant aux formes académiques (sonate, contrepoint). Varèse forge son univers musical par une succession de sons voire de bruits. Le "son organisé", désolé de me répéter.
Hélas cet élan se heurtera à la tradition et au goût d'un public ouvert jusqu'à certaines limites… Ionisation, oui, ça change, c'est court, ça déroute un peu, mais en écoutant un concerto de Mozart, suivi d'une symphonie de Beethoven on reste en terrain connu…
Pendant deux ans, Varèse s'investit dans les nouvelles technologies du son en compagnie du physicien et électronicien Léon Thérémine.
De 1935 à 1938 Varèse bourlingue entre Santa Fe, San Francisco et Los Angeles pour tenter de promouvoir ses techniques et le Thérémine, sans grand succès. Cette épopée suit l'échec à obtenir un financement pour la création d'un laboratoire d'électroacoustique moderne. Varèse plonge dans une période dépressive et même suicidaire. Par ailleurs, le monde s'embrase dans une guerre mondiale pour des années et l'idée d'investir à des fins artistiques dans des appareils encore rares et couteux ne fera pas le poids contre les budgets militaires tels celui du projet Manhattan (un simple exemple, une allégorie un peu triste sur la nature humaine)…
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Magnétophone Ampex 1947 |
De plus, Lev Thérémine est reparti vers sa Russie natale. Varèse se sentira bien seul alors qu'il souhaite améliorer l'instrument de son complice. Hollywood n'est pas intéressé par ses services et, en 1941, Varèse retourne vivoter à New-York. Il fonde un groupe choral, le New Chorus qui deviendra The Greater New York Chorus, ensemble avec lequel il explore la musique ancienne y compris celle antérieure à l'époque baroque, la musique médiévale !
Cette période est marquée par une très faible production, deux ouvrages : Densité 21,5, pour flûte seule (1936), et Étude pour "Espace" (1947), pour chœur mixte, 2 pianos et percussions, demeuré inédite jusqu'à la reconstitution d'une douzaine de minutes en 2009 par Chou Wen-Chung (ne figure donc pas dans le coffret). Il existe une gravure de 1947 et une vidéo filmée par la BBC lors d'un concert de 2017 dédié à Varèse et dirigé par Sakari Oramo.
Il commence à expérimenter l'usage des bandes magnétiques, les magnétophones étant enfin performants grâce aux ingénieurs américains qui maitrisent la fabrication de bandes à oxyde ferrique depuis 1939 et 1941.
1948 : L'université de Columbia le charge de donner des cours de composition et un cycle de colloques sur la musique du XXème siècle. Il sort du quasi anonymat voire oubli dont il souffre depuis dix ans. De nouveaux projets peuvent enfin voir le jour. Il a 63 ans et va commencer à travailler sur la fusion entre la musique instrumentale et les sonorités "élaborées" sur bandes magnétiques. Un mécène lui offre un magnétophone Ampex tandis qu'il travaille sur la partie orchestrale.
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Riccardo Chailly (1998) |
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Varèse fidèle à ses concepts sur les timbres, élabore une orchestration très riche composée de bois, de cuivres, d'une flopée de percussions et une bande magnétique sur laquelle sont enregistrées des bruits captés dans des usines… Je parlerai dans un futur article et dans de bonnes conditions audiophiles de cette pièce jouée ce 2 décembre 1954 pour la première fois, insérée entre des œuvres de Mozart et de Tchaïkovski, donc devant un public plutôt traditionaliste 😊. Le maestro aurait préféré des compositeurs modernistes comme Webern quitte à diriger devant un public plus confidentiel mais ouvert à la nouveauté.
Herrmann Scherchen (Clic) a accepté de diriger Déserts, la bande magnétique à été préparée par Pierre Henry… Une soirée un peu folle qui rappelle le tumulte de la création du Sacre du printemps. Le public vocifère tout autant que les critiques flingueront à tout va. Stravinski, présent, crie au génie 😊. Le concert étant radiodiffusé, on dispose toujours de la captation pittoresque… Joué à Stockholm dans les jours suivants, Déserts rencontre un franc-succès. Varèse lors d'une interview télévisée, un peu amère, dira une "vérité vraie" à mon sens "On peut dire que, jusqu'à nos jours, la France a eu de grands musiciens. Mais elle n'a jamais eu de public musical…".
Le monde musical vit pendant 25 minutes une révolution musicale et culturelle. Vingt ans plus tard, Pierre Boulez pourra inaugurer l'IRCAM à l'initiative du président Pompidou. (Institut de recherche et coordination acoustique/musique). Avec déserts, Varèse atteint la radicalité extrême de sa démarche.
Il reste dix ans de vie à Varèse. Il nous quittera en 1965. Il ne composera plus pour le public mais devient une référence de courage et d'inventivité pour une multitude de jeunes compositeurs et pas des moindres : principalement Chou Wen-chung (1923-2019) qui l'accompagne dès 1949 et consacrera une grande partie de sa carrière à éditer et à corriger en bien le catalogue de Varèse. Il a été le conseiller de Riccardo Chailly pour la publication de ce double album. Citons d'autres disciples : Pierre Boulez, John Cage, Morton Feldman, Roberto Gerhard, André Jolivet, Olivier Messiaen, Krzysztof Penderecki, Alfred Schnittke, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, Frank Zappa, etc. Zappa dont le destin de compositeur trouvera son origine dans l'écoute de Ionisation le jour de ses seize ans…
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New-York 1925
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Amériques
Grand ouvrage à l'orchestration rutilante de type postromantique (style Mahler, R. Strauss), Amériques ne justifie pas la rédaction d'un petit guide analytique détaillé à l'image de ceux des chroniques "classique" habituelles. On l'écoute, on s'en amuse ou on flippe un chouias face à ce déferlement apocalyptique… Au choix. Et si ça vous ennuie ou torture les tympans, lâchez l'affaire 😊.
Je ne reviens ni sur l'orchestration ni sur les circonstances de sa création à Philadelphie déjà développées avant. Bon, quelques impressions personnelles néanmoins.
L'autre jour, j'ai regardé le film Sans un bruit : Jour 1, préquel de deux autres films de S.F. antérieurs dans lesquels des Aliens ont envahi notre belle planète pour dévorer de la chaire des humains en les repérant grâce à leur ouïe ultra performante. Raconté comme cela, l'histoire parait débile, ben pas tant que ça… Bref pas de critique ciné ; mais un sous-titre en générique rappelle que le niveau de bruit moyen à Manhattan est de 90 dB. Nema qui a séjourné dans la grande pomme confirme, on frôle l'insupportable ! Et j'ai tout lieu de penser que dans les années 20, le début des embouteillages, le raffut des chantiers des buildings, les sirènes des voitures des flics coursant le gangster, et autres nuisances ont dû inspirer à Varèse cette œuvre, somme toute de forme encore classique par rapport à Déserts. Je songe à la définir comme un phénoménal "poème symphonique" sans support littéraire, un cartoon musical féérique et orgiaque.
Les premières mesures feront penser à l'onirisme d'un Debussy, la fanfare de cuivre suivante à Stravinsky. Je m'imagine ensuite déambulant musicalement parlant dans cette mégalopole à l'ambiance sonore hystérique. Debussy s'éloigne de plus en plus vers une orgie sonore avec quelques pauses. La composition mêle farouchement des courts motifs pseudo thématiques, des passages plus calmes dans Central Park (idée perso), ou encore… ce que votre imagination percevra…
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Joaquín Torres García (1926) |
Oh, je n'ai pas présenté Riccardo Chailly… Déjà souvent sollicité dans le blog, une biographie succincte est à lire dans un billet Mendelssohn de 2014 (Clic). Premier chef non néerlandais à diriger le Concertgebouw d'Amsterdam de 1988 à 2004, Chailly entreprend de se distinguer du répertoire classique par la réalisation de cette intégrale des œuvres de Varèse. En succédant au géant Bernard Haitink, il aura à cœur de perpétuer une tradition de l'orchestre : enregistrer les intégrales des symphonies de Bruckner et de Mahler.
Extrait d'une interview pour Libération de 1998 de Riccardo Chailly… à propos de son projet Varèse.
"Varèse, c'est aussi le pont jeté entre les postromantiques et l'avant-garde contemporaine de Stockhausen, Nono, Maderna, ou Berio. La première fois que j'ai dirigé une de ses œuvres, ce fut Arcana, pièce inspirée par l'idée de l'étoile la plus lointaine de la terre, avec l'orchestre de la Radio de Berlin. Dès les premières mesures, les timpani et cordes graves joués à l'unisson produisent le sentiment d'être projeté dans l'infini de l'univers. Il m'a semblé évident que Varèse, qui a souffert comme Artaud de l'incompréhension de ses contemporains, avait en fait cinquante ans d'avance sur son époque. Varèse est ignoré par les grandes formations symphoniques. Pour moi, c'est le compositeur du prochain millénaire, dans dix ans on le jouera autant que Brahms."
DISCOGRAPHIE
Moins ésotérique que les œuvres suivantes, Amériques est souvent joué en concert et les disques disponibles sont nombreux dans des anthologies. La qualité de l'orchestre et la compétence de chefs passionnés de la musique de leur temps est un atout. On appréciera la subtilité de la direction de Riccardo Chailly, mais d'autres interprétations plus ou moins musclées :
Le label Praga a eu la bonne idée de rééditer la version du précurseur Maurice Abravanel associée à d'autres gravures cultes. La puissance, les nuances, la précision sans faille dans cette orchestration cyclopéenne n'a pas pris une ride. Une référence (Praga -1961)
Autre anthologie de grande qualité celle de Kent Nagano avec l'orchestre National de France (Erato – 1993).
Pierre Boulez a gravé deux fois l'ouvrage, ça ne surprendra personne, à New-York dès 1972 puis à Chicago. Un disque recommandable par sa la qualité de la prise de son (DG -2001)
On pourra chercher en fonction du complément souhaité : Christoph von Dohnányi avec son orchestre de Cleveland (+ Symphonie N°4 de Charles Ives – Decca - 1994).
Autre programme : Amériques plus Un américain à Paris de Gershwin (pourquoi pas) et la Symphonie en ut de Stravinsky. Un petit concert avec le splendide orchestre de Cincinnati dirigé avec humour par le français Louis Langrée (CSO – 2019)
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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