VINGT DIEUX de Louise Courvoisier (2024) par Luc B.
Pour ma dernière chronique...
- Oh mon Dieu, non, non ! Aaarrrggg... Dites-moi que ce n'est pas vrai ! C’est donc pour ça
qu’il y avait des cartons plein votre bureau, vous nous quittez,
sans même dire au revoir, vous nous lâchez, vous nous abandonnez, comme des chiens ! Espèce de lâche, sale traitre, maudit salaud ! Dire que je commençais à penser que vous aviez des sentiments pour moi...
… euh, pour ma dernière chronique écrite en 2024, m’apprêtais-je à dire chère Sonia, voici un joli
premier film (et je ne pars pas, je range, je classe, j’archive et j'époussette).
On
le doit à Louise Courvoisier, qui après deux courts métrages,
revient sur la terre de son enfance, le Jura. VINGT DIEUX emprunte la veine naturaliste, filmé in situ, avec les gens du cru, des acteurs amateurs, le rôle de Totone (ou Anthony) étant tenu par un jeune
gars que la réalisatrice a trouvé à la sortie d’un lycée
agricole. Le film commence par une longue séquence nocturne de fête
de village, elle même introduite par un plan séquence où un type
porte un fût de bière à travers la foule, jusqu’à son stand. Le
ton est donné. Ca picole sec, Totone écluse les bibines, chante, se
fout à poils, acclamé.
D’entrée de jeu, une effervescence infuse
le film, qui capte des instants vrais, des regards, ceux de Totone pour
une jolie fille courtisée par un autre, déception, vengeance,
baston… Totone doit aussi gérer son père, ivre mort, qu'il installe au volant de sa voiture, rentre bien, soit
prudent, on se voit demain… Ils ne se reverront plus. Plus tard
dans la nuit, Totone et ses potes à moto retrouvent la voiture du
paternel encastrée dans un arbre. Le plan qui suit est celui d'un enterrement. Les évènements se bousculent à l'écran, pour Totone aussi, qui doit désormais veiller sur sa p'tite sœur Claire...
On pense à d’autres cinéastes en voyant VINGT DIEUX,
les frères Dardenne, et Ken Loach. Pour l’immersion et la vision
presque documentaire d’un milieu social, professionnel (ici des
éleveurs, des fromagers), une certaine rusticité, pour capter à la
volée des instants de vie, et, concernant Ken Loach surtout, pour
désamorcer le drame social pesant avec ces petits moments de joies,
de la gouaille. On a parlé ici ou là de western. Mouais. Louise
Courvoisier a effectivement choisi le format scope pour cadrer les
paysages, la comparaison s’arrête là. Faut arrêter de qualifier de western un film français dès qu'on y voit une vache !
Ce qui
intéresse la réalisatrice, c’est de filmer les gens avec lesquels
elle a grandi, sa région, son village, rendre compte via une intrigue qui en vaut une autre,
de ce que c’est que d’avoir 18 ans dans ce milieu là. Un ado qui se retrouve avec une
gamine à charge, qui doit être au boulot aux aurores, Totone étant embauché pour faire la tournée des fermes et récolter le
lait.
C’est ainsi que Totone va découvrir la
fabrication du Comté, et se mettre en tête d’en produire, pour gagner
la médaille d’or à la foire locale et empocher les 30000 euros
de prime. Il se lance dans l’affaire, avec ses potes, sa bite et son couteau. Au sens propre : puisqu’ils volent du lait
dans la ferme de Marie-Lise, que Totone séduit (et plus si affinités) pendant que ses
complices opèrent… Dans ces moments là, le film verse un peu dans
la comédie de situation, on pense à LA PART DES ANGES de Ken Loach
où des morveux piquaient du whisky en distillerie.
Il y a de très
jolis moments, entre Totone et sa petite sœur, la scène du bain,
entre lui et Marie-Lise, qui s'apprivoisent. Le film est aussi une quête initiatique, la
découverte des sentiments, du sexe, des responsabilités. C’est aussi un film d’amitié, d’entraide,
de sacrifices. Violent aussi, par le contexte social, les rancœurs, on ne cause pas, on frappe.
Louise Courvoisier soigne sa mise en scène, ses lumières, ses
cadres, elle exploite bien le format scope dans les plans d'ensemble. Très joli plan avec effet cadre dans le cadre lorsque Totone achète un tracteur, filmé depuis l’intérieur d’une grange, la
petite Claire en amorce premier plan, l’action au fond. Les
paysages sont superbes, filmés à la lumière de l’aube.
Bien sûr
que les 30000 balles et la médaille d’or ne sont qu’un prétexte, d'ailleurs Totone ne les décrochera jamais, son Comté est infecte ! Ce n’est
pas un feel-good movie, c’est moins le but à atteindre que le chemin pour y arriver qui compte, se « sortir les doigts du cul ». Un film les pieds dans la gadoue, organique, qui commence
sur une paire de fesses et se termine sur une paire de seins, le sexe, à défaut d'y être joyeux, est simple et cru. Les
acteurs ont un accent à couper au couteau, on frise le misérabilisme - on se croirait parfois revenu deux siècles en arrière, où sont les services sociaux ?! - mais sans y tomber, car l'ensemble est dégoupillé avec un
bel entrain, une soif de vivre, d’apprendre, mais avec
aussi le sentiment que ces personnages sont condamnés à rester là,
dans leur jus.
Il paraît que la misère est moins pénible au soleil.
Pour Totone, elle est moins pénible dans le Jura.
Mouais, c'est le Magimel de "La vie est un long fleuve tranquille" qui a grandi... Se « sortir les doigts du cul »... discours très en vogue à l'heure actuelle (a-t-il déjà cessé de l'être, d'ailleurs ?). Pourtant, ils y sont bien, au chaud...
Mouais, c'est le Magimel de "La vie est un long fleuve tranquille" qui a grandi... Se « sortir les doigts du cul »... discours très en vogue à l'heure actuelle (a-t-il déjà cessé de l'être, d'ailleurs ?). Pourtant, ils y sont bien, au chaud...
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