mercredi 4 décembre 2024

Rob TOGNONI " Rebel " (2024), by Bruno

 


     Mais à quoi carbure donc Robert ?? 64 ans au compteur (depuis le 30 octobre dernier) et toujours fringant comme un jeune rocker. Et surtout, toujours cette envie inébranlable de faire rugir sa guitare aux quatre coins du monde. Enfin, là où on veut bien l'accueillir. Car en dépit d'une discographie de plus de vingt-cinq galettes (enregistrements en public compris), il reste assez peu connu des amateurs. Quant au "grand public", il n'en a rien à carrer de ce zouave des antipodes. 

     Il est vrai que depuis ses débuts, Rob s'est toujours contenté de jouer sa musique sans artifices. Sans effets pyrotechniques, sans baudruches, danseuses, maquillage, accoutrements ou décors carnavalesques - en fait, simplement sans aucun décor. Une hérésie dans le monde du spectacle. En comparaison, Bonamassa c'est carrément "Broadway". Pensez donc, avec Rob, la scène est réduite à son strict minimum. Juste du matos - sans jamais rien d'ostentatoire du genre murs d'amplis ou même arsenal d'effets infernaux -, le groupe réduit systématiquement à un simple trio - plutôt power -, et roule ma poule. Même le light-show est minimaliste ; juste ce qu'il faut pour que les gars ne soient pas plongés dans le noir. Rob, c'est un peu le Rory Gallagher du XXI ème siècle. Soit un gars simple et abordable, bien plus soucieux de sa musique que de son apparence. Et tout comme Rory, il essaye de donner le meilleur de lui-même sur scène. Et à ce titre, les versions live peuvent parfois se révéler meilleures qu'en studio. A noter qu'aux antipodes, si ce n'est pas une règle, l'absence de décorum et l'investissement sur scène semblent faire partie du commun des groupes de rock.  


   Un manque de notoriété qui s'explique en partie par un sérieux manque de promotion. Mais en restant sur de petits labels, il ne peut prétendre qu'à une modeste publicité, quand il y en a. C'est aussi le prix à payer pour garder sa liberté. Toutefois, Rob a aussi réalisé des disques inégaux, dont certains pourraient échauder le néophyte. Car dans sa quête de liberté, Rob a fait le choix de se produire lui-même, au risque de ne pas prendre suffisamment de recul, de faire de mauvais choix. Un risque accru par sa volonté pour garder une certaine spontanéité. Mais, il est comme ça, entier. Et si son labeur ne plait pas, qu'importe, il s'en retourne le proposer ailleurs. Ainsi, en 2016, il sort l'un de ses meilleurs disques, "Brave", sans label. Evidemment, dans ces conditions, l'album est rapidement indisponible (ce sont carrément des copies qui sont désormais proposées sur le net). Du gâchis. Si Rob a d'indéniables talents de compositeur et d'interprète, et même de producteur, visiblement, il en est tout autre pour tout ce qui touche au marketing et aux affaires. 

     Autre obstacle au succès : aucun soutien de la presse. Généralement, les paroisses vouées aux "quatre mesures" le jugent franchement trop dur et sous l'emprise de démons issus du hard-rock, pour être pris au sérieux. Quant à celles consacrées aux tenants et officiants de brutales vibrations, ce serait simplement trop bluesy pour l'inclure à leur revue. Pourtant, il suffirait simplement à Rob de rajouter une disto de la mort-qui-tue, voire une méga fuzz, pour écraser (ridiculiser ?) bon nombre de soi-disant barbares de la guitare. 

     Le défaut d'image, de look, est aussi une entrave supplémentaire. Une carence dans un monde où l'apparence peut aisément supplanter la musique. De plus, n'ayant rien d'un Adonis, il n'a guère eu la possibilité d'intégrer un groupe de poseurs, encore moins un "boys band". Mais ce n'est pas le genre du monsieur, loin de là. Et puis... conformément à l'adage propagé par une bande de hors-la-loi tatoués : "nice boys don't play Rock'n'roll". De toutes façons, les richesses potentielles semblent pas émouvoir plus que ças ce fils d'émigré italien. 

     C'est que la vie n'a pas toujours été facile pour Robert John, et ce depuis qu'un accident routier lui enleva son père. Un traumatisme dont il parvint à se soustraire en s'immergeant dans la musique. A seize ans, il abandonne l'école, vivotant à travers divers petits boulots, et à dix-sept monte un premier groupe (The Skidrow Boys). La route est longue, difficile, semée d'embûches. Il doit évidemment quitter sa Tasmanie natale et s'établir sur le continent pour écumer les clubs. But, "it's a long way to the top". Après avoir dû intégrer un groupe de reprises, faute de mieux, il fonde un nouveau groupe dans la seconde moitié des années 80, The Outlaws, avec lequel il commence à se créer une réputation nationale et où son style est quasiment affirmé. Hélas, le management relève de l'amateurisme et le trio, exsangue, sans le sou, finit par se dissoudre. Rob retourne alors à la case départ en devant à nouveau se contenter de petits boulots, de jouer le soir dans des bars pour subvenir à ses besoins. Seulement, marié et père de famille depuis quelques années, il n'est plus seul et les fins de mois sont d'autant plus difficiles. 

     Jusqu'au jour où la providence finit par enfin taper à sa porte. Grâce à un vieux pote de Melbourne (son premier port d'attache australien après son départ de Tasmanie) qui l'invite à venir enregistrer quelques morceaux dans son studio d'enregistrement. Les bandes arrivent aux oreilles de Dave Hole - une figure emblématique du Blues Australien dont la carrière déborde désormais hors des frontières aussies (Hole sera même signé par Alligator Records) -, qui, intéressé, les présente au label Mascott - Provogue. Enfin, à trente-cinq ans, grâce à ces trois acteurs (son pote de Melbourne, Dave Hole et le label Hollandais), il entame une carrière internationale, dont l'essor, bien qu'assez modeste, va l'inciter à s'installer en Europe. 


   En 2024,
Robert John Tognoni n'a pas changé d'un iota son power blues-rock, -  comme il aime à définir sa musique -. Un Blues puissant et décoiffant qui, au contraire de son géniteur, n'a pas pris une ride. Toujours ce son puissant de gratte fusionnant Stratocaster boostée, Telecaster hargneuse et SG tranchante. Le Diable de Tasmanie est "still alive and well". Et même si cette dernière bombe volcanique peut pécher par un excès de générosité avec dix-sept morceaux (!!) à la clef, on ne peut résister au plaisir d'exciter nos esgourdes sybarites. Ouais, 17 titres. Il est comme ça le Tognoni. Il branche sa guitare, envoie la purée et enregistre le tout. Souvent d'une seule traite. Ce qui peut paraître étonnant tant ses fumants blues-rock semblent au cordeau. Evidemment, il gagnerait à filtrer un peu sa production pour un riche et redoutable condensé. D'autant que bien généralement, à chaque fois, il n'y aurait que deux ou trois pièces à remiser. Mais il est comme ça le Tognoni, et on ne va pas bouder pour autant ce revitalisant "Rebel" (1).

     Dans ce copieux panier, Rob se fait plaisir en reprenant de belle manière "Whiskey in the Jar" - version Thin Lizzy, of course -, où la rugosité et le ton du chant évoque alors ceux d'un autre irlandais, Ricky Warwick. Une belle surprise aussi avec le "Victim of Circumstance" d'Alvin Lee - pour la reformation éphémère de Ten Years After de 1988-89 (album "About Time") - où les scories d'un ZZ-Top ère "Eliminator-Afterburner" ont été gommées pour laisser jaillir un jet corrosif de dirty heavy-rock. Plus étonnant, le fameux "Rebel, Rebel" de Bowie, pour version à la fois respectueuse, pleine de sel, et franchement rock - rauque. Rob a aussi "Asshole And Opinion", une chanson aux capiteux parfums Mellecampiens, issue de l'album du groupe suédois Spearfish, "The Jon English Project". Le guitariste, Johannes Lindström, avait invité l'Australien à venir enregistrer un disque avec une pléiade d'invités (2). Malheureusement, suite à d'inattendus problèmes de santé, Jon English doit rapidement écourter les séances d'enregistrement, avant de décéder quelques jours plus tard.

     Ce "Rebel", comme la plupart des albums de Tognoni, devrait ravir les amateurs de Rory Gallagher (probablement plus particulièrement ceux qui savourent sans a priori les "Photo Finish", "Top Priority" et "Stagestruck"), de Popa Chubby, des années glorieuses (Bullseye Blues Records) du regretté duo Smokin' Joe Kubek & Bnois King, et même des premiers AC/DC (ce fut pour lui une révélation dès lors qu'il les a vu sur scène en 1974 ; depuis, il est resté un grand fan du groupe). Des Blues-rock qui fouettent le cuir et cinglent les croupes, des boogies pyromanes et mordants, des power-blues électrisants et addictifs, du stéroïde auditif garanti sans effets secondaires autres que celui de donner la banane. En parlant de "boogies pyromanes", le rideau se lève sur un de ceux qui auraient pu être inclus sur les fameux "Hello !" et "Quo", suivi par un plus basique, couvert de la dense poussière des premiers ZZ-Top. Tandis que la troisième salve pourrait être une version punkoïde alcoolisée de "Immigrant Song". Avec le lavique "Lands of Circus" (en live), il met sur le tapis son aisance à se faufiler dans un Blues funky - qui doit tout de même beaucoup à Buddy Miles (70's)

Tandis que dans un élan romantique et nostalgique, avec "Little Things", Rob s'aventure aussi sur un terrain plus mélodique, avec des guitares presque cristallines et une wah-wah chantante. "... Le bruit de la pluie sur notre fenêtre et le vent qui chante, je pense à ces souvenirs et à toutes les petites choses. Les petites choses. Il y a toujours une montagne à gravir, et il y a toujours la pluie. Si je tombe de ma montagne, tu soulage ma chute... J'ai chanté pour les gens. quelque chose que je ne regrette pas. Le plus important pour moi, reste le jour où nous nous sommes rencontrés ". Et avec l'épurée "Orion", à travers une guitare acoustique, il dévoile aussi une belle et émouvante sensibilité. 

     Seuls bémols, et du gros, avec "Here to Stay", mi-hard mi-rap à la Beastie Boy, sans intérêt, le rigide et froid instrumental, "Weed" et l'insipide slow-blues "Lil' Melody". Bien surprenant que Rob se plante avec ces trois morceaux, alors qu'il démontre avec le second instrumental, "2050", que même avec un minimum de notes et une certaine sobriété, il peut mettre le feu. Quoi qu'il en soit, cette cuvée 2024 de mister Robert John Tognoni est un bon cru.



(1) Qui m'a permis de bouger des bibliothèques maousses et d'user mon fidèle maillet (Baby-Mjöllnir) pour défoncer parpaings et ciment sec. Du pur dopage acoustique 😁

(2) On y retrouve même Bernie Tormé, Tony Carey, Dan McCafferty, Nicky Moore, Darren Wharton, Rick Brewter, Mark Stanway, John Lawton, David Lowy, Laurence Archer. Les Suédois du groupe Spearfish avaient tissé des liens d'amitié avec English depuis qu'ils l'avaient accompagné en 2013, à l'occasion du Swenden Rock Festival. Ce très bon album est finalisé sans English, avec l'aide d'autres chanteurs. Dont Rob Tognoni (qui n'y joue pas de guitare), sur cette chanson co-écrite par English et Lindström.

zou 

🎶
Autre article / Rob Tognoni : 👉  " Casino Placebo " (2013)

11 commentaires:

  1. Tiens je l'avais oublié celui là ! J'ai un Tognoni dans ma cdthèque "Energy Red" de 2012 . Comme ca doit faire dis ans que le l'ai pas sorti , ton comm. va me permettre de le dépoussiérer!

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  2. Shuffle Master.4/12/24 14:03

    Manque de promotion, peut-être, mais avec un patronyme pareil qui sent son mafioso d'entrée de gamme, c'était difficile. Sans parler des inévitables associations/inversions Tognoni /Rognoni. Enfin, son surnom de diable de Tasmanie laisse penser qu'il aurait pu (avec autant de succès) briller dans la manutention.

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    1. Ho ! Ho ! Ho ! 😄 Mais attention... Rognoni est un patronyme assez courant 😄

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  3. Y'a de bonnes choses, plutôt dans les deux derniers tiers, mais je trouve peu de cohérence au disque, comme s'il avait compilé plusieurs sessions d'enregistrements sur une seule galette (plus deux en live ???). Comme tu le dis, 17 titres c'est beaucoup, ça sent un peu le remplissage parfois. Plutôt que de graver de instrumentaux seuls, pourquoi ne pas les avoir inclus (en plus courts) dans un morceau ? La reprise de Bowie est effectivement pas mal.

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    1. Effectivement, Luc, c'est hélas un menu problème récurent chez Tognoni. Je pense que dans un élan de générosité, il peut surcharger un peu ses disques, avec notamment parfois des morceaux qui diffèrent totalement du lot. Ce qui, à mon sens, n'est pas une bonne chose. Et à ce titre, il m'est arrivé de laisser de côté certains de ses disques.

      Sinon, généralement, les reprises de mister Tognoni sont de qualité

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  4. "Le rock est une maison dans laquelle on change les meubles de place mais ça reste la même maison." (P. Vuillemin, R&F, décembre 2024)

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    1. Vuillemin, le dessinateur ? C'est bien dit mais un poil provocant - inutilement provocant 😁 - ce serait bien dans son style 🥴
      Ou simplement bêtement réducteur ; ou peut-être la preuve d'une personne dont la "culture" (ou la connaissance) musicale serait relativement réduite. Voire succincte. Toutefois, il faut bien reconnaître que dans bien des cas, c'est totalement ça 😊

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    2. Ca reste la même maison, parce qu'elle est confortable, saine et habitable ! Après, que le canapé soit à gauche ou à droite du guéridon...

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  5. Du coup, ne connaissant pas ce monsieur, je suis allé écouter "Brave" qui effectivement contient de très bonnes choses, et quelques allusions à ZZ Top. Tout comme "Catfish cake" qui est très bien (qui bénéficie il me semble d'une meilleure production).

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    1. Sauf erreur, c'est pourtant toujours Rob qui est derrière la console. Certainement, le matos propre au studio.

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