jeudi 26 décembre 2024

BLACKBERRY SMOKE : La terre et les morts. par Benjamin


« Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du groupe social où tout les relie, pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite, comment cela le gênerait-il, lui qui n’a pas de sol, ni de société, ni, pense-t-il, de préjugés » Maurice Barrés : Les Déracinés.

Voilà des années que l’homme rêve d’une terre sans patrie, d’une humanité soulagée de ses cultures et du poids moral imposé par ses ancêtres. Il chercha longtemps que mettre à la place, tant il est vrai que des années d’histoire, de culture et de tradition ne se balaie pas d’un revers de main. Puis vint le libertarisme économique, véritable nouvelle religion d’une société sacralisant le caprice individuel. On loua la mort des vieilles mœurs, qui furent présentées comme des barrières infâmes empêchant l’homme de s’épanouir. 

<= Brit Tuner, décédé en mars 2024.
Ainsi ressortit-on le fantôme fébrile d’un catholicisme agonisant, dans le but de réduire l’occident au souvenir douloureux d’une "violence patriarcale". L’homme occidental grandit dans la certitude que ses mœurs, sa morale et ses arts sont supérieurs à ceux de ses ancêtres. Qu’importe les vieillards abandonnés dans des mouroirs, qu’importe la littérature de caniveau, les émissions racoleuses, les addictions banalisées et les familles éparpillées, cette croyance religieuse résiste à tous les assauts du réel. 
Pire que cela, il faut désormais haïr ce passé, que l’on ne cite plus que pour chercher dans ses bas-fonds des raisons de le mépriser. Et voilà donc que, pour des faits qu’ils n’ont jamais connus, les descendants des troupes coloniales, sudistes et autres représentants des "heures sombres de l’histoire" se trouvent sommés de montrer leur repentance. 

L’occident a désormais comme seul soucis sa vertu, qu’elle entretient au prix des pires avilissements. Sade lui-même n’aurait pu imaginer une époque aussi sadienne, l’occidental a pris le rôle de sa Justine que les minorités capricieuses persécutent gaiement. « Le devoir du fort est de profiter du faible » disaient les curés vicieux du divin marquis, les opprimés auto-proclamés écrasèrent donc le peuple majoritaire sous le poids de leur fausse morale. Il fallait désormais cajoler l’étranger au détriment de l’autochtone, le pervers au détriment du vertueux, le parasite au détriment du travailleur. L’origine de cette inversion des normes s’explique en prolongeant la citation ouvrant cette chronique.

Avant que l’homme ne s’aliène, il fallut qu’il se perde, la technologie ayant joué un grand rôle dans cette perdition progressive. La terre et les morts, voilà ce qui définit une culture, l’accélération des moyens de transport tendant à rendre la définition de ces éléments de plus en plus vague. L’homme moderne, en plus d’être déculturé physiquement par des vols low cost l’incitant à ne voir son pays que comme un hôtel, l’est intellectuellement par les images et sons creux de ses plateformes de streaming. 

C’est ainsi un paradoxe de constater que, alors qu’ils s’offrent l’opportunité de découvrir des parties du monde qui lui sont étrangères, le touriste moderne se contente souvent de promener ses aliénations aux quatre coins du globe. Aussi incapable d’apprécier la beauté de leur pays que celle des pays étrangers, les voyageurs contemporains sont des individus livrés aux flots impétueux de leurs caprices éphémères, qui se traduiront sous la forme d’achats compulsifs divers et variés. A coup d’algorithmes, la technologie ajoute l’aveuglement intellectuel à l’aveuglement visuel. Sans même parler de qualité musicale objective, le top des différentes plateformes de streaming se compose surtout de mélodies synthétiques servant des paroles absconses.

La tradition y a disparu, noyé dans les gargouillements abrutissants des machines. Plus qu’un dogme austère, la tradition est surtout la base permettant la communion des vivants et des morts issus d’une même culture. C’est cette force qui, malgré les coups d’un milieu culturel culpabilisateur, peut redonner sa fierté aux grands peuples. Ainsi, si cette force eut été suffisamment défendue, la première question qu’un journaliste posa à Blackberry Smoke n’aurait sans doute pas porté sur son héritage sudiste. Essentialiser les occidentaux en citant un passé qu’ils ne connurent pas, voilà le procédé par lequel ces moralistes espèrent faire porter aux blancs le fardeau de la persécution raciste. Sans doute oublient-ils, afin de faire croire que le blanc fut le seul partisan de la bêtise raciste, les persécutions des musiciens noirs refusant de servir la doctrine du black panther party. Miles Davis paya d’ailleurs cette négligence en essuyant une rafale de tirs à l’aube des seventies, ceux qui tenaient la gâchette avaient alors la même couleur de peau que lui.

Si le touriste moderne combine souvent des œillères visuelles et intellectuelles, le journaliste musical est généralement affligé d’une cécité auditive et psychologique. Symbiose du blues, de la country et de la folk, la musique d’un groupe tel que Blackberry Smoke réunit les mémoires autour du socle doré du génie national. La spiritualité du gospel s’unit à la poésie de mélodies folk, la puissance électrique du rock’n’roll étreint de nouveau son père blues. Il y a d’abord ce swing, métronomique comme un classique des Stones, balancement rythmique aussi séduisant que la marche d’une grande dame. 

Comme leurs inspirateurs de Lynyrd Skynyrd, les américains de Blackberry Smoke sont également de grands anglophiles, le heavy blues britannique donnant une nouvelle force à leur musique héritée des pionniers. C’est ainsi que, après avoir voyagé sur les terres de Lewis Caroll, le blues revint au pays rajeuni et doté de nouvelles couleurs. Le psychédélisme l’incita à rallonger son mojo dans de grandes improvisations, le heavy rock lui prêta une puissance de feu Zeppelinienne. 

Ainsi naquirent les plus beaux moments du « Live Leave a scar », où Blackberry Smoke entrecoupa plusieurs titres d’improvisations ébouriffantes et de reprises jouées avec ferveur. Comme pour renouer ensuite avec ses précieuses racines, le groupe profita de l’enregistrement de l’EP « Southern grown session » pour immortaliser une superbe version bluegrass du « You got lucky » de Tom Petty. En se mêlant ainsi, les influences et les mélodies ne s’effaçaient pas mais se renforçaient, tel l’homme mûrissant sans perdre de vue sa nature profonde. A l’heure où cette nature profonde de la culture occidentale, dont le rock fait partie, est assaillie par les hordes aliénées de l’international wokiste, la musique de Blackberry Smoke sonne comme un acte de résistance contre ce nouvel obscurantisme. Si l’on juge de la grandeur d’un arbre par la profondeur de ses racines, alors les mélodies champêtres de Blackberry Smoke ont la beauté imposante de chênes centenaires.   

   

5 commentaires:

  1. Effectivement belle version de " You got lucky" , ceci dit il n'y a pas plus de bluegrass dans l'interprétation de BBS que de heavy metal dans le répertoire de Joan Baez! C'est pas parcequ'il y a un violon et une mandoline que c'est du bluegrass!

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  2. Les arpeges introductifs me font egalement penser au son d'un banjo. Si tu preferes, on peut aussi comparer ce titre aux ballades d'harvest de Neil Young.

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  3. Des Hommes, des "Vrais", costauds et velus. A part celui du milieu...

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  4. La corrida, la peine de mort, l'excision, etc... aussi, ce sont des "traditions"... Refaire à l'identique, cent fois sur le métier remettre l'ouvrage... Antinomique avec l'art, qui réclame remise en question, invention, créativité.
    Quant au fait que le marché se satisfasse du libéralisme culturel, oui, puisqu'il récupère tout à son avantage... Mais il ne m'a pas sauté aux yeux que vous étiez anti-marché (donc communiste ou même socialiste). Et ce n'est pas une raison pour revenir à l'âge de pierre...

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  5. La tradition n'empeche ni la creativite ni le progres, elle lui donne simplement un sens.

    Ensuite on peut tres bien etre critique sur le marche sans tout rejeter.

    Quant aux exemples que vous citez, ils me semblent volontairement extremes.

    D autant qu'il etait surtout question, bie sure, de tradition artistique.

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