« Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du
groupe social où tout les relie, pour les placer hors de
leurs préjugés dans la raison abstraite, comment cela le
gênerait-il, lui qui n’a pas de sol, ni de société, ni,
pense-t-il, de préjugés »
Maurice Barrés : Les Déracinés.
Voilà des années que l’homme rêve d’une terre sans patrie, d’une
humanité soulagée de ses cultures et du poids moral imposé par ses
ancêtres. Il chercha longtemps que mettre à la place, tant il est vrai
que des années d’histoire, de culture et de tradition ne se balaie pas
d’un revers de main. Puis vint le libertarisme économique, véritable
nouvelle religion d’une société sacralisant le caprice individuel. On
loua la mort des vieilles mœurs, qui furent présentées comme des
barrières infâmes empêchant l’homme de s’épanouir.
<= Brit Tuner, décédé en mars 2024.
Ainsi ressortit-on le fantôme fébrile d’un catholicisme agonisant,
dans le but de réduire l’occident au souvenir douloureux d’une
"violence patriarcale". L’homme occidental grandit dans la certitude
que ses mœurs, sa morale et ses arts sont supérieurs à ceux de ses
ancêtres. Qu’importe les vieillards abandonnés dans des mouroirs,
qu’importe la littérature de caniveau, les émissions racoleuses, les
addictions banalisées et les familles éparpillées, cette croyance
religieuse résiste à tous les assauts du réel.
Pire que cela, il faut désormais
haïr ce passé, que l’on ne cite plus que pour chercher dans ses
bas-fonds des raisons de le mépriser. Et voilà donc que, pour des faits qu’ils n’ont jamais connus,
les descendants des troupes coloniales, sudistes et autres
représentants des "heures sombres de l’histoire" se trouvent
sommés de montrer leur repentance.
L’occident a désormais comme seul soucis sa vertu, qu’elle entretient
au prix des pires avilissements. Sade lui-même n’aurait pu imaginer
une époque aussi
sadienne, l’occidental a pris le rôle de sa Justine que les
minorités capricieuses persécutent gaiement. « Le devoir du fort est de profiter du faible »
disaient les curés vicieux du divin marquis, les opprimés
auto-proclamés écrasèrent donc le peuple majoritaire sous le poids
de leur fausse morale. Il fallait désormais cajoler l’étranger au
détriment de l’autochtone, le pervers au détriment du vertueux, le
parasite au détriment du travailleur. L’origine de cette inversion
des normes s’explique en prolongeant la citation ouvrant cette
chronique.
Avant que l’homme ne s’aliène, il fallut qu’il se perde, la
technologie ayant joué un grand rôle dans cette perdition
progressive. La terre et les morts, voilà ce qui définit une
culture, l’accélération des moyens de transport tendant à rendre
la définition de ces éléments de plus en plus vague. L’homme
moderne, en plus d’être déculturé physiquement par des vols low
cost l’incitant à ne voir son pays que comme un hôtel, l’est
intellectuellement par les images et sons creux de ses
plateformes de streaming.
C’est ainsi un paradoxe de constater que, alors qu’ils s’offrent
l’opportunité de découvrir des parties du monde qui lui sont
étrangères, le touriste moderne se contente souvent de promener
ses aliénations aux quatre coins du globe. Aussi incapable
d’apprécier la beauté de leur pays que celle des pays étrangers,
les voyageurs contemporains sont des individus livrés aux flots
impétueux de leurs caprices éphémères, qui se traduiront sous la
forme d’achats compulsifs divers et variés. A coup d’algorithmes,
la technologie ajoute l’aveuglement intellectuel à l’aveuglement
visuel. Sans même parler de qualité musicale objective, le top des
différentes plateformes de streaming se compose surtout de
mélodies synthétiques servant des paroles absconses.
La tradition y a disparu, noyé dans les gargouillements
abrutissants des machines. Plus qu’un dogme austère, la
tradition est surtout la base permettant la communion des
vivants et des morts issus d’une même culture. C’est cette
force qui, malgré les coups d’un milieu culturel
culpabilisateur, peut redonner sa fierté aux grands peuples.
Ainsi, si cette force eut été suffisamment défendue, la
première question qu’un journaliste posa à Blackberry Smoke n’aurait sans doute pas porté sur son héritage sudiste.
Essentialiser les occidentaux en citant un passé qu’ils ne
connurent pas, voilà le procédé par lequel ces moralistes
espèrent faire porter aux blancs le fardeau de la
persécution raciste. Sans doute oublient-ils, afin de faire
croire que le blanc fut le seul partisan de la bêtise
raciste, les persécutions des musiciens noirs refusant de
servir la doctrine du black panther party.
Miles Davis paya d’ailleurs cette négligence en
essuyant une rafale de tirs à l’aube des seventies, ceux qui
tenaient la gâchette avaient alors la même couleur de peau
que lui.
Si le touriste moderne combine souvent des œillères visuelles et
intellectuelles, le journaliste musical est généralement affligé
d’une cécité auditive et psychologique. Symbiose du blues, de la
country et de la folk, la musique d’un groupe tel que Blackberry Smoke
réunit les mémoires autour du socle doré du génie national. La
spiritualité du gospel s’unit à la poésie de mélodies folk, la
puissance électrique du rock’n’roll étreint de nouveau son père
blues. Il y a d’abord ce swing, métronomique comme un classique
des Stones, balancement rythmique aussi séduisant que la
marche d’une grande dame.
Comme leurs inspirateurs de Lynyrd Skynyrd, les américains de Blackberry Smoke sont également de grands
anglophiles, le heavy blues britannique donnant une nouvelle force
à leur musique héritée des pionniers. C’est ainsi que, après avoir
voyagé sur les terres de Lewis Caroll, le blues revint au
pays rajeuni et doté de nouvelles couleurs. Le psychédélisme
l’incita à rallonger son mojo dans de grandes improvisations, le
heavy rock lui prêta une puissance de feu
Zeppelinienne.
Ainsi naquirent les plus beaux moments du « Live Leave a scar », où Blackberry Smoke
entrecoupa plusieurs titres d’improvisations ébouriffantes
et de reprises jouées avec ferveur. Comme pour renouer
ensuite avec ses précieuses racines, le groupe profita de
l’enregistrement de l’EP « Southern grown session »
pour immortaliser une superbe version bluegrass du « You got lucky »
de Tom Petty. En se mêlant ainsi, les influences et les mélodies ne
s’effaçaient pas mais se renforçaient, tel l’homme mûrissant
sans perdre de vue sa nature profonde. A l’heure où cette
nature profonde de la culture occidentale, dont le rock fait
partie, est assaillie par les hordes aliénées de
l’international wokiste, la musique de Blackberry Smoke
sonne comme un acte de résistance contre ce nouvel
obscurantisme. Si l’on juge de la grandeur d’un arbre par la
profondeur de ses racines, alors les mélodies champêtres de Blackberry Smoke
ont la beauté imposante de chênes centenaires.
Effectivement belle version de " You got lucky" , ceci dit il n'y a pas plus de bluegrass dans l'interprétation de BBS que de heavy metal dans le répertoire de Joan Baez! C'est pas parcequ'il y a un violon et une mandoline que c'est du bluegrass!
RépondreSupprimerLes arpeges introductifs me font egalement penser au son d'un banjo. Si tu preferes, on peut aussi comparer ce titre aux ballades d'harvest de Neil Young.
RépondreSupprimerDes Hommes, des "Vrais", costauds et velus. A part celui du milieu...
RépondreSupprimerLa corrida, la peine de mort, l'excision, etc... aussi, ce sont des "traditions"... Refaire à l'identique, cent fois sur le métier remettre l'ouvrage... Antinomique avec l'art, qui réclame remise en question, invention, créativité.
RépondreSupprimerQuant au fait que le marché se satisfasse du libéralisme culturel, oui, puisqu'il récupère tout à son avantage... Mais il ne m'a pas sauté aux yeux que vous étiez anti-marché (donc communiste ou même socialiste). Et ce n'est pas une raison pour revenir à l'âge de pierre...
La tradition n'empeche ni la creativite ni le progres, elle lui donne simplement un sens.
RépondreSupprimerEnsuite on peut tres bien etre critique sur le marche sans tout rejeter.
Quant aux exemples que vous citez, ils me semblent volontairement extremes.
D autant qu'il etait surtout question, bie sure, de tradition artistique.