jeudi 28 novembre 2024

THE CLASH : un combat rock

 


«  Etrange moment que celui où une image surgit insensiblement d’un rêve, dans la vie quotidienne, abstraction devenue réalité, poème qui prend corps, objet tiré de l’imaginaire. Si telle chose dénuée de sens, encore qu’inquiétante est de quelque façon, absorbée par le cœur, naît alors dans le cœur le vif désir de le voir prendre forme, si bien que cette chose est appelé à l’existence. » Mishima : LAnge en décomposition.

La volonté, voilà ce qui définit la valeur d’un homme et lui bâtit un grand destin. Loin de se cantonner aux procédures aliénantes des coaches de tout poil, cette énergie irrésistible n’est rien d’autre que du rêve en action. Vouloir, c’est tenter de faire correspondre le monde extérieur à son univers intérieur, c’est trouver sa mélodie pour mieux accorder son existence à ses convictions. La volonté est rare, souvent limitée, sa force n’est remarquable que chez les hommes d’exceptions. Plus que de celle du corps, elle dépend d’abord de la force de l’esprit. Il faut s’être replié en soi, avoir senti la brûlure de la solitude et la volupté d’avoir découvert une cause à laquelle vouer sa vie. Le troupeau ne vous élève pas, il vous abaisse, ses idées toutes faites et son conformisme sont le pire des anesthésiants spirituels. 

Tout homme est influencé par son époque, mais les hommes libres ne s’y laissent pas enfermer. Rares sont ceux qui soupçonnent les efforts nécessaires à la fabrication d’un esprit indépendant. Primordial à toute liberté, celui-ci se nourrit d’une discipline et d’une capacité de réflexion que l’homme moderne semble fuir. Dans le déclin du courage, Soljenitsyne lui-même parlait déjà de ce culte de la facilité et du confort matériel qui avilit l’homme occidental. Le confort, voilà donc l’ennemi mortel de la volonté, celle-ci ne déployant toutes ses forces que dans les rudes épreuves de l’adversité, de la pauvreté et de la solitude.

Le confort est depuis des années le maître de l’âme humaine, il éteint ses passions ou les rend ridicules et détruit sa morale. Des écologistes fanatiques aux hystériques LGBT, des féministes radicaux aux partisans de la décroissance, tous sont les enfants d’un monde où l’effort est devenu accessoire et la réflexion superflue. Impossible de se forger un caractère lorsque le moindre désir est à portée de clic. Le vide existentiel finit alors par engendrer la névrose, l’inactivité fait naître l’hystérie. 

La génération précédant celle de Joe Strummer eut au moins la chance de ne pas connaître le déchaînement de la bêtise efféminée des associations modernes, elle se prélassait dans l’édredon d’une abondance inédite. « Peace and love ! » cria t-elle. S’appropriant ainsi une paix qui fut d’abord le résultat des guerres passées. Son univers aurait il été aussi paisible si le petit moustachu avait accompli son projet hégémonique ? Les lecteurs de Philip K Dick et ceux qui ont un peu de culture historique connaissent bien sûr la réponse. La guerre est inévitable pour l’homme véritable, elle continuera de survenir tant qu’il aura une vision de la vie à défendre. La haine n’est donc pas mauvaise en soi, elle est l’emportement par lequel l’homme affirme l’intérêt qu’il porte à une certaine morale. On ne hait vraiment quelque chose que par amour d’une autre, l’homme emporté par une haine exagérée sera toujours plus respectable que le niais prêt à tout accepter par peur du conflit.

Durant les sixties, ce niais eut donc sa musique, pop boursoufflée portant des textes gluants de bons sentiments. Le nuage duveteux et coloré pouvait tenir dans une Angleterre florissante, mais s’évapora bien vite sous la pression de la crise économique. Si le trop plein de confort anesthésie l’homme, la dureté d’une crise économique le rapproche de ses passions tristes les plus violentes. L’urgence radicalisa les idées et embrasa les tempéraments, la jeunesse se divisa en armées luttant dans des rues ressemblant à des champs de batailles. Joe Strummer fut l’enfant de cette époque troublée, son art allait être forgé par les tourments de son temps. Pour l’heure, il en était encore à jouer un rock balourd dans les bars voulant bien accueillir les 101’ers

Les premiers disques de Dr Feelgood sortirent quelques jours plus tôt, déclenchant ainsi une fièvre blues rock dans les bars de la vieille Angleterre. Mais Joe Strummer n’eut ni la virtuosité ni le feeling indispensable au bluesman, il se contentait de gratter ses six cordes avec une énergie rageuse. La volonté naissant souvent des limites des hommes, toute une scène abandonna progressivement la nonchalance du blues pour retrouver la fougue primaire du rock’n’roll. Cette scène, Strummer la découvrit lors du premier concert des Sex Pistols auquel il assista. Le groupe de Sid Vicious fut l’acide qui dévora rapidement la douceur et l’utopie de la pop anglaise. Grâce à eux, le rock redevint la musique du peuple, le témoin tonitruant de sa colère et de sa douleur.

Il ne sut pourtant comment perpétuer pareille révolution, jusqu’au jour où deux hommes l’approchèrent après un concert des 101’ers. Fardés de tenues de cuir débrayés, Mick Jones et Paul Simonon commencèrent par rire d’un groupe que Joe Strummer ne voulait même plus défendre. Ils firent en revanche l’éloge du chant du guitariste, dans lequel ils entendirent la voix de la révolte en marche. Ainsi naquit la première monture du The Clash, qui profita de la vague punk pour signer rapidement un contrat avec CBS. 

Recruté après de rapides auditions, le batteur Terry Chimes fit toutefois preuve d’une simplicité parfaite pour le The Clash de cette première période. Après avoir proclamé « plus d’Elvis, de Beatles, ni de Rolling stones ! » The Clash produisirent la preuve de leur obsolescence en seulement trois semaines. Nourri par l’urgence du punk tout en dépassant ses limites culturelles, « The Clash » est sans doute l’album le plus important du groupe. Pas encore doté de la virtuosité rythmique de Topper Headon, le groupe y développe une fougue juvénile digne des Ramones

Les anglais ayant toujours été partisans de l’excentricité créative, le gang de Joe Strummer fit du reggae le blues du punk anglais. L’énergie primaire du Clash donna du nerf à cette musique d’acéphales fumeurs de joints, inventant ainsi une nouvelle forme d’amateurisme raffinée. Le premier album se vendit très bien, faisant de The Clash les sauveur d’un monde en ruine. Les Beatles n’étaient plus, les Stones commençaient déjà à s’autocélébrer, le heavy blues ronronnait comme un moteur puissant mais encrassé. La bande de Joe Strummer se vit de plus en plus comme le dernier espoir d’un rock en perte de vitesse, sa dernière force capable de conquérir le monde. A l’heure où un nihilisme absurde enfonçait dans les têtes punks la haine de la gloire et du succès, The Clash ne cachait pas ses rêves de grandeur. Seuls des êtres insignifiants peuvent se passer de compromis, celui qui ne peut rien obtenir ne perd rien en suivant strictement les dictas de sa morale.

The Clash se laissèrent donc quelque peu porter par le vent du succès, qui leur permit d’enregistrer leur second album sous la houlette du producteur du Blue Oyster Cult. Sa production trop lisse émoussa quelque peu le tranchant de ce punk rock, mais là n’était pas la principale question. Produit pour le marché américain, « Give ‘em enough rope » vit ses tubes s’ajouter à ceux que le public avait déjà sanctifiés. « Tommy gun », « White riot », « Gargeland », tous ces titres furent les hymnes révolutionnaires d’une époque de haine et de violence. Johnny Rotten faillit se faire assassiner par des royalistes, la police faisait face à des émeutes d’une rare violence, les Clash mirent des notes sur ces cris et sur ces coups. Certains sentirent pourtant que The Clash n’avait pas réussi son plus gros coup, que cette fulgurante ascension s’apprêtait à atteindre son point culminant. Une des plus brillantes décennies du rock s’éteignait alors, seuls The Clash semblant apte à faire le lien entre ce qui fut et ce qui sera. 

Retranché dans son studio en compagnie du producteur Guy Stevens, le groupe fit l’inventaire de ses influences multiples. Lui vinrent bien sûr en tête des mélodies reggae et l’imparable fougue ramonesque, mais également des touches de jazz, de pop et de rock’n’roll des premières heures. Le groupe s’en donna alors à cœur joie, au point de comprendre qu’un disque ne suffira pas. C’est ainsi que Guy Stevens ordonna les merveilles hétéroclites de ses poulains, pour produire un double album tenant autant du témoignage que du modernisme le plus excitant.

En résumant dix années de folie créative, The Clash donnait l’espoir que celle-ci se perpétue durant la décennie suivante. L’espoir fut malheureusement de courte durée, The Clash, ivre de gloire, s’enfermant dans son monumental égo. Ayant déjà diminué ses royalties pour sortir « London Calling » The Clash s'étant mis en tête de sortir un double album vendu au prix d’un simple. Ce sacrifice n’eut pas été si dramatique si « Sandinista » n’avait été aussi médiocre. Porté par des tubes aussi inoubliables que « Police on my back », « Magnificient seven » ou « Police and thieves », l’album n’en demeure pas moins un effrayant foutoir inécoutable d’une traite. 

Déjà devenu une caricature de lui-même, The Clash renfloua ses caisses grâce au succès du très lisse « Combat rock ». Dans un dernier acte de bravoure, le gang ridiculisa The Who lors d’une historique première partie au Shea stadium. Du succès, Mick Jones en voulut toujours plus, ses caprices de diva accentuant encore les tensions d’un groupe au bord de l’implosion. Le guitariste, dévoré par la cupidité et le narcissisme, voulut poursuivre dans cette voie commerciale qui lui remplissait les poches. Le social traître fut donc viré pour « non-respect de l’esprit original du groupe ». Le succès avait détruit l’esprit de Mick Jones en même temps qu’il détruisait le corps de Topper Headon. Epuisé, celui-ci quitta à son tour The Clash en 1984. 

Une formation qui n’avait plus de clash que le nom, sortit ensuite l’ignoble « Cut the crap », avant d’officialiser sa séparation en 1985. Né d’une génération de groupes voulant disparaître vite pour ne pas être récupérés par le show business, l’aventure dThe Clash dura finalement aussi longtemps que celle des Beatles. Et elle ne fut pas moins glorieuse.     

6 commentaires:

  1. Je m'insurge ! Dans votre (habituelle) diatribe contre la "modernité" (elle commence quand ?), vous avez oublié les... "islamo-gauchistes" (sic)...

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  2. "Ecologistes fanatiques" n'a aucun sens, ce serait comme dire "pacifistes fanatiques" ou "affectueux fanatiques"... A moins de considérer l'écologie comme néfaste par nature, ce qui est un choix, après tout... Fustiger à la fois la décroissance (inévitable) et le "confort consumériste" est incohérent. Mais le plus gros hic est que la plupart des groupes ou artistes commentés (en particulier celui-ci, de purs "gauchistes") ne souscriraient pas à ces pompeuses et ineptes digressions virilo-réactionnaires.
    Enfin, pour (re)venir à ce groupe, je me suis toujours demandé ce qu'on lui trouvait... Ils font le même boucan que les autres.

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    1. Shuffle Master.30/11/24 14:03

      En beaucoup moins bien quand même.

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    2. Je vous vois écrire sous les articles de cet homme depuis quelques semaines chère "anonyme" et je ne peux m'empêcher de penser que votre comportement dessert votre cause. Votre texte emplie de certitudes illustre parfaitement le propos sur les "fanatiques écologiques". Vous semblez vous considérer dans le camps du bien et de la vérité révélée mais la décroissance n'est inévitable et visiblement souhaitable que pour vous.
      Si je me laissais aller j'affirmerai d'ailleurs qu'une telle vision relève d'une dérive sectaire , que vous vous donnez l'allure d'un témoins de Jéhova de la religion du climat. Je passe sur le coté viriliste car je ne vois pas où vous le trouvez ici ... Quant au qualificatif réactionnaire , il n'a rien de négatif en soit . On peut très bien regretter certaines grande choses du passé , ce n'est pas un crime.

      Pour revenir à la musique , le clash , de part ses influences multiples et sa longévité , me semble être un des groupes les plus intéressant du mouvement punk.

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    3. L'auteur semble regretter les guerres mais en ce moment, il doit être servi...
      Pour le côté "viriliste" : "bêtise efféminée", "féministes radicaux"...

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  3. Pourrait-on numéroter les "anonyme", ou les désanonymiser, car on s'y perd un peu, qui répond à qui, y en a-t-il plusieurs, ou est-ce le même, schizophrénique, qui fait la conversation ?! En tous cas, quelques que soit la teneur de vos commentaires, merci à tous de vos contributions à ce blog.

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