lundi 11 novembre 2024

MAIGRET CHEZ LE MINISTRE de Georges Simenon (1954) - par Nema M.


Un gros soupir de Sonia qui éteint l’émission d’informations qu’elle regardait sur son ordi. Elle se tourne vers Nema et dit :

- Quelle époque ! les députés n’arrêtent pas de se chamailler ! les dossiers ont tous l’air plus pourris les uns que les autres…

- Et oui, répond Nema, le monde de la politique n’est pas composé uniquement de chevaliers blancs médiévaux….  J’ai relu le week-end dernier un vieux roman de Simenon : « Maigret chez le ministre ». Ecrit il y a 70 ans. Édifiant d’actualité.

- Maigret ? mais c’est un commissaire de police ! il y a crime ?

- Pas crime, mais quand même des morts, hélas.

Il n’y a pas crime où on l’entend habituellement dans les nombreuses enquêtes du commissaire Maigret. Mais il y a bien une enquête. 

 

 

Auguste Point, ministre des Travaux Publics, se permet de téléphoner à titre personnel le commissaire Maigret, un soir chez lui. C’est la femme de Maigret qui prend la communication, son mari n’étant pas encore rentré. Elle note le message, un peu interloquée d’avoir en ligne un ministre. Maigret n’aime pas ça, cela lui paraît bizarre d’autant qu’il ne connait pas du tout ce ministre qui ne fait pas parler de lui.  La première rencontre entre les deux hommes aura lieu dans un appartement assez modeste du boulevard Pasteur, de nuit. Deux hommes, costauds, deux hommes aux racines provinciales (Auguste Point est de la Roche sur Yon). Une sorte de désespoir habite le ministre car il se trouve face à un problème qu’il ne sait pas comment résoudre.

Le problème. Le problème c’est le rapport Calame.  Or le rapport Calame qui avait été remis au ministre, et qu’il avait emporté à l’appartement du boulevard Pasteur pour le lire tranquillement, a disparu. Pas de cambriolage de l’appartement, non, la porte d’entrée n’a pas été forcée, le dossier était dans un tiroir du bureau et il n’y est plus.

Petit retour en arrière raconté par le ministre. Il y a cinq ans, Auguste Point était député, un projet de sanatorium pour enfants déshérités était présenté à la chambre. Il ne faut pas oublier que la tuberculose fait des ravages à cette époque et un établissement de ce type au bon air de la montagne est donc jugé indispensable. Toutefois, un député (Auguste Point ne sait plus trop qui, ni de quel parti politique il était), demande quand même un rapport d’expertise technique : le projet situe l’établissement à 1400 m d’altitude, du côté de Megève, dans les Alpes. Un expert professeur à l’école des Ponts et Chaussées est désigné pour analyser le terrain et le dossier de construction des bâtiments : il s’appelle Calame. Retour au présent, Auguste Point indique « Bon ! Vous êtes au courant, bien entendu de la catastrophe de Clairfond ? ». 


École des Ponts et Chaussées
 

Le commissaire trésaille. Qui n’a pas entendu parler de ce drame survenu il y a une quinzaine de jours où 128 enfants ont péri, un glissement de terrain ayant emporté le sanatorium. Mauvaise affaire. Maigret ne comprend pas pourquoi ce rapport s’est trouvé dans cet appartement privé du ministre. Pourquoi, s’il est nécessaire effectivement de revenir sur cette expertise compte tenu du désastre, ce rapport n’est-il pas examiné au ministère des Travaux Publics pour essayer de voir s’il y a des responsables autres que les intempéries et la dangerosité malheureusement naturelle de la montage.

Le rapport Calame a été apporté en mains propres au ministre Auguste Point la veille par un certain Piquemal, surveillant à l’école des Ponts et Chaussées. Il avait été cherché en vain dans les archives du ministère depuis la survenance de l’évènement tragique. Ce rapport « disparu » et curieusement retrouvé et rapporté au ministère des Travaux Publics, c’est forcément une bombe…

Le Président du Conseil, informé par son ministre des Travaux Publics, est évidemment directement concerné et missionne des inspecteurs de la Sûreté Nationale pour y voir plus clair. Maigret de son côté ne peut rien faire et ne veut rien faire sans en informer sa hiérarchie. Très délicat. Maigret est autorisé à enquêter car il y a vol de document. En toute discrétion.

Le journaliste Tabard écrit dans Rumeurs (rien que le nom et on voit le genre de revue dont il peut s’agir…) : « Ce n’est pas à cause d’une question de politique extérieur que le gouvernement tombera mais à cause du rapport Calame ».  Le patron de l’entreprise de construction Nicoud et Sauvegrain (entreprise qui a obtenu le marché public pour Clairfond) se trouve dans ses terres de Sologne quand les journalistes veulent l’interviewer. Pour lui, RAS (rien à signaler). S’il y a des questions à la Chambre il y répondra.


photostate, l'ancêtre de votre photocopieur...

 
 

Maigret embarque, un peu contre leur gré, ses fidèles collaborateurs : Janvier, Lucas et le jeune Lapointe. Des missions discrètes de filature de la secrétaire du ministre et de son chef de cabinet, de ce Piquemal dénicheur providentiel du rapport perdu…  Maigret fait parfois le point avec son équipe. Décontracté, assis sur le coin de l’un des bureaux de la salle des inspecteurs, il tapote sa pipe contre son talon pour en faire tomber la cendre par terre. Tout le monde fume plus ou moins dans les bureaux comme dans les restaurants à l’époque (d’ailleurs c’est à cause d’un cigare que le voleur de rapport se fera identifier, mais je n’en dirais pas plus…). 

Maigret n’est pas à l’aise dans ce milieu politique, ce n’est pas son monde. Il fera l’effort de rencontrer le député Mascoulin au restaurant le Filet de Sole (rien à voir avec la Brasserie Dauphine QG des hommes de la PJ). Mascoulin, un briscard de la politique qui sait tout sur tous et n’hésite pas à utiliser la presse à ses propres fins.

Bon. Il ne faut pas « spoiler » comme on dit aujourd’hui.  Juste une dernière information. Savez-vous ce qu’est une machine à photostater ? En gros, il s’agit de l’ancêtre de la photocopieuse. Le procédé de Photostater a été inventé aux USA à Rochester au début du XXème siècle. Il est utilisé en France dans les années 1950. Il a ensuite été remplacé par l’invention d’un procédé électrophotographique toujours à Rochester (la ville de Kodak…) et nommé Xérographie (écriture sèche en grec) car le procédé est plus rapide et ne passe pas par un bain comme le Photostater. Et la société Xerox est née 😊.

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La tragédie du Roc des Fiz
au Plateau d’Assy en 1970

Dans la vraie vie, en 1970, une terrible catastrophe naturelle a détruit une partie du sanatorium du Roc des Fiz au Plateau d’Assy en Haute-Savoie. Ce printemps-là était très pluvieux et faisait suite à un hiver où la neige était tombée en abondance. Toute cette eau a déstabilisé le sol et un immense glissement de terrain s’est produit de nuit emportant une partie des bâtiments du sanatorium. Bilan glaçant d’horreur : 71 morts dont 56 enfants.

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Comme dans tous ses romans, Georges Simenon nous dépeint avec finesse et sensibilité des « personnages humains », humains avec leurs forces, leurs doutes, leurs ambitions, leurs manies. Des regards, des poignées de main, l’intonation de la voix, tout est matière à rendre vivant chacun et chacune. Et, côté décor, on baigne complètement dans l’atmosphère du Paris des années 50, brume matinale ou éclairage des réverbères de nuit Boulevard Pasteur, odeur de bistrot où on boit une bière au comptoir en mangeant un sandwich au pâté. Né en Belgique en 1903 et mort en 1989, Simenon était sans nul doute un grand romancier.

 

Presses de la Cité (réédition le Livre de Poche)
190 pages

Autre billet consacré à Simenon par Luc : Le monde de Simenon (2013)


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