mercredi 9 octobre 2024

ROSE TATTOO " Scarred For Life " (1982), by Bruno



     A l'aube des années 80, pour nous autres, pauvres petits Européens avides de rock-fort et de guitares brûlantes, l'Australie c'est avant tout AC/DC, suivi désormais de près par les olibrius atypiques d'Angel City (ouais, Angel City, parce qu'à cette époque, c'était bien sous cette appellation que le quintet d'Adelaide était exporté et pas une autre), et puis... Rose Tattoo. Formation de freaks à la mine aussi sympathique que patibulaire (ouais, aux antipodes aussi, les paradoxes existent). Evidemment, on ne peut occulter The Saints, Radio Birdman, Cold Chisel, mais au début de la décennie aux pays des fromages-qui-puent, c'est bien ce triptyque qui représente la force de frappe scénique Aussie.

     Rose Tattoo qui, avec leur album éponyme (parfois aussi nommé "Rock'n'Roll Outlaw", notamment si on tient compte de la première édition australienne), nous avait donné une claque monumentale. Les esgourdes qui ont eu l'audace de prêter le flanc - le pavillon - à cette pure décharge de rock'n'roll bluesy et sauvage, furent marquées à vie. Et en gardent les stigmates comme la cicatrice boursouflée d'une brûlure au fer rouge. 

      Comme toujours pour ces pauvres Australiens, il y a toujours un décalage entre leurs réels et souvent difficiles débuts, et lorsqu'ils foulent pour la première fois le territoire européen ou américain. Ainsi, pour ces missionnaires habités d'une foi inébranlable, qui ont dédié leur vie (leur âme ? 😱) aux dieux du Rock, il leur faut attendre deux années avant qu'on leur octroie la permission de s'exporter. "Rose Tattoo", l'album, n'a droit à une exposition à l'international qu'en 1980. Deux ans après la sortie australienne. Et en 1981, pour la France… Sortie bien tardive, mais qui suit la première incursion de ces forçats, dont un extrait est diffusé un peu plus tard sur Antenne 2, via l'émission d'Antoine De Caunes : Chorus. Si la musique est enivrante, observer le lutin-boule-de-nerf lâchant prise, se laissant totalement absorber par le rock'n'roll furieux de ses camarades, se fracasser la tête contre les amplis, s'étrangler avec le fil de son micro, embrasser - ou plus si affinité - les retours, est aussi une expérience en soi.


   Décidément, les chanteurs - hurleurs - débarquant des antipodes semblaient tous animés d'une formidable énergie. Trop forte pour qu'elle soit maîtrisée, jugulée, elle semblait prendre possession de leur hôte. Dave Tice, Rob Younger, Bon Scott (et son modèle, Stevie Wright, avant qu'il ne soit profondément tombé dans la dope), Doc Neesson, Peter Garrett, Billy Thorpe, et donc le phénomène Angry Anderson

     Rose Tattoo a fait plier l'Europe sous sa musique sans concessions. Malgré sa température élevée, la musique de Rose Tattoo pouvait avoir alors quelque chose de rafraîchissant, en renouant avec l'essence rock'n'roll et blues. Essence généralement reniée par les hordes de jeunes chevelus redoublant d'efforts pour s'accaparer le flambeau d'un heavy-rock plus métal que jamais. 

     A peine de retour au pays, ils sont envoyés en studio pour une nouvelle galette. En dépit d'indéniables qualités, "Assault & Battery" ne suit pas la comparaison avec le précédent. La production, légèrement anémiée et acide, semble en être la cause première. Mais qu'importe. Entre une presse plutôt bien lunée à leur égard et une réputation scénique sans failles, ce second lp est bien accueilli et transforme l'essai. L'année suivante, après le départ de Mick Cocks (qui reviendra des années plus tard au bercail) et son remplacement par Robin Riley, un autre lascar, ancien bassiste au sein du Kevin Borich Express, pratiquement tout autant tatoué que ses nouveaux camarades, le quintet revient ruer dans les brancards avec un superbe album de heavy-boogie-blues-rock suintant la sueur et la bière (dont les loustics sont particulièrement friands). Un peu plus frais que son prédécesseur, notamment grâce à des compositions plus abouties, nanti d'une production mieux définie et un peu plus consistante. Une petite différence un peu étonnante dans la production, sachant que depuis le premier opus, c'est toujours le même tandem derrière la console : les fameux ex-Easybeats, Harry Vanda & George Young.

     Plus canalisé et moins brut que le premier, il pourrait représenter en comparaison un tournant plus commercial ? Avec même quelques refrains que les plus réfractaires pourraient dédaigneusement considérer comme "pop". Pourtant, le groupe ne change pas d'un iota son credo d'un rock dur et sans fioritures. Un album à ne pas laisser près de matières inflammables, l'été près d'herbes sèches, au risque de créer un incendie. Mais attention, rien de surchargé ou de forcé ici ; et probablement rien de calculé. Juste des gars qui font leur truc. Point. Ces gars là sont marqués à vie (scarred for life), certains que par leur naissance, ils seront à jamais cantonnés au monde ouvrier, se méfiant des institutions, et trouvant dans le rock'n'roll un échappatoire salutaire. La chanson éponyme n'évoque rien d'autre. C'est une profession de foi, une clarification sur ce qu'ils sont. "J'ai vite grandi dans les rues de la classe ouvrière. La première chose que j'ai apprise, c'est que la vie n'est pas bon marché. L'école technique n'était qu'une perte de temps pour finir par fabriquer des robots dans une chaîne de production. J'ai fait mon premier tatouage à seize ans… J'avais pris position pour la vie d'un hors-la-loi. Les mots de ma mère n'arrêtaient pas de résonner : Tu es marqué à vie !! … Je me suis frayé un chemin à travers les ennuis et les conflits… J'ai passé du temps en tant qu'invité de l'Etat. Je suis sorti prêt à devenir honnête. Les gens ne pardonnent pas, la "force" n'oublie pas. J'ai été emprisonné pour des crimes que je n'ai pas commis. J'étais marqué !". 


   "Branded" parle aussi de "marquage", de fatalité imposée par une "caste" dont il est difficile de sortir. "Branded" pourrait autant signifier "stigmatisé" que "marqué", voire "étiqueté". Une chanson à l'orchestration sombre et entêtante, dont les paroles auraient autant pu être davantage tirées d'un antique Blues au sujet de l'injustice dont ont longtemps souffert les Afro-américains, que, plus largement, de la complainte d'un prolétariat qui ne voit pas d'issue à sa condition. "Je porte la marque de l'esclave sur ma tête… Je connais la sensation du joug sur mon cou… je porte les cicatrices du fouet sur mon dos. … Ils m'ont battu. Ils ont pris ma liberté, Ils m'ont pris ma dignité. Ils ont essayé de détruire mon âme en brisant mon cœur… J'ai été jeté en prison pour des choses que j'ai dites… Je dois te parler des mensonges.". Anderson la chante comme s'il extirpait une longue lame fichée dans son corps. Profonde blessure qu'on finit par fièrement exhiber. Au (long et étiré) final, sur une batterie tribale, les guitares se font plus mélodiques que jamais. Du moins, autant que possible chez ces flibustiers-là. Quoique, en ce sens, 
"It's Gonna Work Itself Out" va plus loin en offrant une facette quasi réjouissante et "guillerette" des cocos. Pourtant, Anderson n'a toujours pas la tête dans les papillons et le nez dans les fleurs. "le monde semble rempli de problèmes, il y a tellement de chagrin et de douleur, qu'il y a des moments où cela semble si futile de vouloir réessayer… si triste de penser que des hommes désespérés doivent se frayer un chemin avec une arme. Qu'ils pulvérisent l'air d'insecticide, pliant l'esprit, le corps et l'esprit.. Mais même si c'est cruel, nous serions tous des idiots si nous pensions devoir céder… pleurer sur ce qui a été fait… avec un peu de travail acharné et de détermination tu sais que tu va t'en sortir. Alors ne demande rien, ne te tourne vers personne. L'avenir ne dépend que de toi." Cette orientation opportune, bien relativement "pop", est le fait du petit nouveau : Robin Riley

     Cependant, musicalement, c'est Pete Wells qui garde la main. Ainsi, "Juice On the Loose", baignant dans le stupre, retrouve les joies simples d'un boogie fiévreux nimbé d'accents de Chicago-blues et texans, pavé de slide rouillée, de riffs abrasifs et de chants rugueux. Tout comme le bien nommé "Texas". Ou encore l'hypnotique et chaloupé "Who's Got the Cash", où Riley lâche quelques furieux soli de wah-wah incandescente. Plus surprenant, avec "Sydney Girls", le combo s'essaye au reggae. Léger et honnête, le groupe s'en sort plutôt bien, malgré quelques passages un peu raides, où Angry menace de trébucher. C'est l'unique morceau détendu, et c'est peut-être la raison pour laquelle ce gang de Sydney enchaîne avec le furieux "Dead Set". Comme si, après avoir fait tant d'efforts pour se contenir, il fallait impérativement relâcher la pression. Et envoyer la sauce !


   L'album se referme sur "Revenge", un slow-blues bitumeux, entrecoupé de cinglants mouvements de félins en chasse. Comme un final répondant aux précédents "Scarred for Life", "Branded" et 
"It's Gonna Work Itself Out". Anderson espère qu'un jour, il aura sa vengeance : "Ma ville est pleine de gens que je ne comprends pas. Ils n'ont aucun amour pour la vie. Dans ma patrie, ils pratiquent d'étranges religions dont les racines sont enfouies à l'est. Ils ne donnent rien de leur âme pendant qu'ils se régalent de notre graisse. Les parasites ! Ils ne peuvent pas se cacher ! J'aurai ma vengeance ! Rapide, mortelle, impitoyable, implacable ! Ma ville est déchirée par des grèves syndicales. Ils font partie d'un plan diabolique. Leurs dirigeants ont une vie facile. Il n'y a aucun amour pour l'ouvrier. Ils lui ont pris son droit donné de travailler, de construire une maison. Ces criminels du gouvernement prétendant au trône, ils ne peuvent se cacher... je les pendrai sans être jugé, leur sang coulera dans les rues !"... 

     Malheureusement, en dépit d'une longue tournée américaine, ouvrant pour ZZ-Top et Aerosmith, le groupe ne parvient pas à s'y implanter. Ils n'ont pas le look, encore moins le faciès, qui convient au cahier des charges de MTV - la toute fraîche chaîne musicale. Ce qui n'empêchera pourtant pas le groupe d'avoir une influence prépondérante sur bon nombre de jeunes groupes, à commencer par les Guns'n'Roses. Fatigués, harassés par les tournées européennes et américaines - et aussi à force d'écluser sévère -, le groupe se délite en 1983. Dommage, car "Scarred for Life" est l'album qui s'est le mieux vendu... en Australie. Était-ce suffisant pour équilibrer avec les dépenses engagées pour les tournées extra-Australie ? Probablement pas. Il y a des anecdotes de musiciens Européens, parlant de leur gentillesse, de leur simplicité, de leur humilité, de leur générosité, mais de poches de jeans élimés peu garnies... 

     Angry Anderson y croit encore, mais sans Cocks ou Riley, et surtout sans le pilier Pete Wells, Rose Tattoo n'est plus que l'ombre de lui-même. Ce qu'atteste le quatrième album, "Southern Stars". Toutefois, en 1989, lors de l'enregistrement de son album, "Blood from Stone", et de la tournée qui a suivi, Angry Anderson constate que Rose Tattoo détient une certaine popularité. De même qu'aux USA où certains groupes (Californiens ? Du Sunset Strip ? de Sleaze ? Guns'n'Roses ?) vouent quasiment une vénérations aux trois premiers opus. Il y a encore de l'espoir. Il décide en conséquence de remonter le groupe. Hélas, en contactant ses vieux camarades, il apprend que Dallas Leslie "Digger" Royall est au plus mal. En quelques mois seulement, après avoir vaincu ses addictions, il succombe à un cancer fulgurant. Les anciens acteurs n'ont alors plus le cœur pour relancer la machine, si ce n'est pour quelques concerts commémoratifs. 

     Alors qu'on ne l'espérait plus, - Angry lui-même, s'est fait une raison et bosse dans une entreprise de nettoyage de maison pour subvenir aux besoins essentiels de sa famille -, le quintet se reforme au début du siècle. En fait, il ressuscite pour une tournée en 1998, mais le groupe est encore fragile et doute de lui-même - en dépit d'un certain soutien à la maison. Jusqu'à ce que le festival de Wacken d'août 2000, fasse des pieds et des mains pour avoir Rose Tattoo à l'affiche. L'accueil du public est des plus enthousiastes et le groupe ne déçoit pas avec un répertoire énergique limité aux trois premiers albums. La prestation est enregistrée et le label allemand SPV GmbH (Steamhammer) profite de l'occasion pour sortir le premier live (un double) officiel du groupe : "25 for Life". Les ventes sont suffisamment encourageantes pour inciter les Australiens à relancer sérieusement la machine. Ainsi, quarante après "Scarred for Life", Rose Tattoo réalise enfin un album digne de sa réputation. En dépit de l'âge des belligérants, "Pain" en 2002, puis "Blood Brothers" en 2007, sont de dignes successeurs. Malgré une faucheuse active, suivant de près les membres du groupe (💀), Rose Tattoo n'a depuis plus quitté la route. Cependant, le poids de l'âge se fait désormais sentir sur les musiciens, c'est pourquoi cette année, il a officiellement annoncé arrêter en 2026.


  1. "Scarred for Life" (Anderson, Riley, Royall)        –  3:50
  2. "We Can't Be Beaten" (Anderson, Riley)            –  3:05
  3. "Juice on the Loose" (Anderson, Wells)             –  3:57
  4. "Who's Got the Cash" (Anderson, Wells)           –  3:57
  5. "Branded" (Anderson, Riley)                                  –  6:44
  6. "Texas" (Anderson, Wells)                                –  3:09
  7. "It's Gonna Work Itself Out" (Anderson, Riley) –  3:58
  8. "Sydney Girls" (Anderson, Wells)                     –  3:31
  9. "Dead Set" (Anderson, Leach)                              –  3:15
  10. "Revenge" (Anderson, Wells)                           –  3:36


(💀) Peter William Wells, né à Brisbane le 31 décembre 1946, succombe à un cancer le 27 mars 2006.

(💀) Michael Thomas Cocks, né le 11 janvier 1955 à Alphington (banlieue de Melbourne), succombe à un cancer du foie le 22 décembre 2009

(💀) Ian William Rilen (ex-Band of Light), né le 12 août 1947 à Melbourne, bassiste de la première heure (à la place de Pete Wells qui se consacre alors à la slide), présent sur trois morceaux du premier opus, et de retour en 1998 pour une la tournée de la reformation, décède le 30 octobre 2006 d'un cancer. (Quelques mois plus tôt, il était sorti de l'hôpital pour assister à l'intronisation de Rose Tattoo)

(💀) John Baslington Lyde, plus connu sous le patronyme de Lobby Loyde, véritable vétéran de la scène australienne, né le 18 mai 1941 à Longreach (Queensland), rejoint un temps Rose Tattoo pour les dépanner à la basse (à l'origine, il est guitariste). Fumeur invétéré, il succombe à un cancer des poumons le 21 avril 2007.

(💀) Dallas Leslie "Digger" Royall, né en juillet 1949 à Melbourne, il décède avant ses 42 ans, en 1991. Il était tombé dans l'héroïne parce qu'elle calmait les douleurs et le traitement d'un premier cancer. Une fois remis, il entame une cure de désintoxication; Mais alors qu'il est prêt à lâcher la méthadone, un nouveau cancer se déclare. En quelques mois, il passe à trépas.  


🎶🌹
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💢 Buster Brown (avec Angry Anderson, Gordon Leech + Phil Rudd et Mark Evans) : 👉 " Something to Say " (1974)
💢 Buffalo (avec Pete Wells)  :  👉 " Volcanic Rock " (1973)

4 commentaires:

  1. Shuffle Master11/10/24 11:53

    Ah bon, tu les trouves sympathiques, toi? Dans un genre dont les représentants ne brillent habituellement pas par leur maîtrise de la dialectique, ils font quand même assez fort. Et puis les tatouages...bon, je ne développe pas. Je ne supporte déjà pas AC/DC, alors Rose Tattoo....

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    1. La plupart d'entre eux - voire tous - avaient eu une scolarité écourtée...
      Un regret tardif d'Anderson qui, au moment de l'arrêt (temporaire) de Rose Tattoo, n'eut pas d'autre choix que d'accepter des travaux de "basse besogne".
      Ce qu'il prenait avec une certaine philosophie et humilité. Déjà heureux d'avoir connu une certaine gloire, et de pouvoir encore ramener à la maison de quoi nourrir la famille (quitte à devoir récurer les chiottes).

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  2. La vraie question est : étaient ils tatoués avant de s'appeler Rose Tattoo, ou l'inverse ?

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    1. Avant.
      Déjà, on peut lire dans la bafouille que mister Anderson a fait son 1er tatouage à 16 ans (peu commun à l'époque - même là-bas).
      Ensuite, Peter Wells l'était déjà au sein de Buffalo (bras gauche). Il était d'ailleurs lui-même tatoueur. (je ne sais pas à partir de quand)
      De mémoire, tous les membres l'étaient sans distinction. Au moins pendant les huit premières années du groupe.
      Seul Mick Cocks, présent sur les deux premiers et "Blood Brothers", faisait l'exception avec à ses débuts, un (ou deux ?) modeste tatouage.
      C'était d'ailleurs le plus jeune de la formation.

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