L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBÉ de Howard Hawks (1938) par Luc B.
A
moins d'habiter je ne sais où, sur une planète lointaine, si lointaine que le réseau ne passerait pas, on connaît cette
image de Cary Grant trônant au sommet d’un squelette de brontosaure. Point de
départ de L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBÉ, joyau de la screwball comedy, un genre
dont nous avions cerné les contours à l’occasion de ARSENIC ET VIEILLES
DENTELLES ou NEW YORK - MIAMI (voir les liens en fin d’article).
On
doit ce film au multi-cartes Howard Hawks, à l’aise (et compétent) dans tous les genres,
peu en odeur de sainteté à Hollywood par son caractère très indépendant, dépensier. On lui retire des projets, il en refuse d’autres, bref, un chieur… Comme Cary
Grant et Katharine Hepburn venaient de triompher avec SYLVIA SCARLET de George
Cukor, le studio RKO a l’idée de réunir à nouveau le duo (tant que j'gagne, je remets une pièce), cette fois sous la direction de Hawks, qui s’empresse de
remanier le scénario, réécrit les dialogues parfois au jour le jour, et
surtout, laisse une marge d’improvisation à ses comédiens. Le genre de libertés
que les studios apprécient peu. Ça rallonge ou multiplie les prises, donc le métrage à développer, le temps de tournage, et le temps c'est de l'argent...
Cary
Grant et Howard Hawks tourneront encore souvent ensemble, dont le très drôle et survolté LA
DAME DU VENDREDI (1940) le sympathique CHÉRIE
JE M’SENS RAJEUNIR (1952, avec Marilyn Monroe), mais surtout le magnifique SEULS LES ANGES ONT DES
AILES (1939).
[ photo : Howard Hawks et ses deux acteurs => ]La
Screwball comedy se caractérise par le rythme effréné des situations et des
répliques, l’antithèse du cinéma de Blake Edwards, et par une situation de
départ qui dégénère, projetant des personnages qui n’avaient rien demandé à
personne dans une bourrasque de rebondissements. Ici, celui qui n’avait rien
demandé, c’est David Huxley, paléontologue obsédé par son travail au muséum,
Cary Grant, donc. La première séquence pose les enjeux, on apprend deux choses. Huxley va se marier le lendemain avec son assistante Alice
Swallow, plutôt glaciale, qui prévient de suite qu’il s’agit d’une « union
strictement professionnelle ». Huxley s’en étonne « pas de famille,
pas d’enfants ? ». On lit une frustration dans son regard, cette
réplique voulant sans doute contourner le code Hays de bonne conduite au
cinéma, signifiant aussi que pour la gaudriole, le futur époux repassera !
La
deuxième information concerne le généreux mécène M. Peabody, qui offrira un
million de dollars au muséum, si Huxley le rencontre demain, pour une partie de
golf. Ce qui lui fait dire : « Deux évènements heureux le même jour ! »,
sans qu’on sache du chèque ou du mariage lequel le ravit le plus.
C’est
donc le lendemain sur le parcours de golf que tout va partir en vrille. La tornade s'appelle Susan Vance, un cyclone de catégorie 5. Le talent d'Howard Hawks c'est la précision du découpage des plans. A partir d'une balle de golf perdue, il détourne son personnage de son but premier, le rendez-vous avec le mécène : « J’suis à vous tout de suite M. Peabody !
», réplique récurrente. Huxley perd le contrôle de la situation, il passe d'un parcours à un autre, se retrouve au parking, et à la fin de la séquence, accroché au marchepied de la voiture de Susan Vance, qui file à toute allure, il continuera désespérément à hurler :« J’suis à vous tout de suite M. Peabody !
».Par sa mise en scène, Howard Hawks a projeté son héros candide dans un monde dominé par la folie. Comme dans beaucoup de ses films, le personnage
féminin est le moteur de l’action. Il met Hepburn dans des situations
masculines, comme Lauren Baccall dans LE GRAND SOMMEIL, qui s'assoyait sur un coin de bureau la clope au bec, ou Angie Dickinson dans
RIO BRAVO qui était la tricheuse à la table de jeu dominée par des hommes. Ici, il filme Hepburn
buvant dans le verre d’un autre et gober des olives, à la James Cagney,et à la fin du film, elle quitte ses robes à froufrou pour porter des pantalons.
La
séquence au restaurant est prétexte à une
avalanche de gags et de vexations, inaugurée par une glissade d'Huxley sur une olive. A chaque fois que Susan tente de se faire pardonner : « what
can I do ? », il répond lassé : « Go away ! ». Elle déchire sa veste, lui sa robe de soirée. Gentleman, il lui cache le popotin avec son chapeau, elle prend ça pour une main aux cul ! Contraints de quitter la soirée collés l’un à l’autre,
ils tombent sur le mécène... « J’suis
à vous tout de suite M. Peabody ! ».
Jusqu’à
présent l’histoire se jouait à deux. En arrivant chez Susan Vance, Howard Hawks
va empiler les couches. Il y aura Elizabeth Carlton Random, la vielle tante de
Susan, le majorApplegate adepte de la chasse aux fauves, Gogarty le jardinier
alcoolo, et Bébé, celui du titre, qui est un léopard (autre réplique
récurrente : « il n’y a pas de léopard au Connecticut »). Les
scènes avec l’animal et Hepburn sont assez impressionnantes, on avait recommandé à l’actrice de s’asperger
du parfum que la panthère appréciait, pour l’attirer, et de ne pas jouer de
façon brusque en sa présence.
David
Huxley s’éloigne à chaque scène un peu plus de ses deux objectifs, son mariage et
son musée, comme pris dans une spirale aspirante. Le réalisateur prend un malin
plaisir à le mettre dans des situations embarrassantes. Voir Cary Grant en
nuisette à plumes (trop courte) est un grand moment, comme lorsqu’il revêt un
costume de chasse à courre, avec des tongues ! Il est le seul personnage à
peu près normal, tous les autres ont un grain, de la tante au major, du shérif au
médecin, tous semblent évoluer dans leur propre monde, indifférents au bien-vivre
en commun (ce qui reflète un peu la personnalité de Hawks à Hollywood)
Mise
à part la séquence dans le parc, de nuit, à la recherche d’un os de
brontosaure que l’odieux chien de la tante se plaît à enterrer partout (on pense à Milou et son tibia de dinosaure dans Le Sceptre d'Ottokar)
qui aurait pu être abrégée, non seulement le rythme ne faiblit pas, mais s’accélère.
Katharine Hepburn fait ses entrées en courant, débite ses répliques à
la mitraillette. Howard Hawks n’est pas un adepte des mouvements de caméra, il
cadre large, moyen, gros, c’est tout, basique, toujours dans l’axe, avec quelques
panoramiques pour accompagner les déplacements. Le cadre est fixe, mais à l'intérieur du cadre, c'est le chaos. Et ce qui compte, c’est le tempo,
la manière d’agencer les plans, pour que chaque situation soit lisible,
notamment les actions / réactions.
A la
manière d’un vaudeville, tous les personnages se retrouvent pour une dernière
séquence, en prison, qui vire au grand n’importe quoi.
Katherine
Hepburn règne sur cette comédie survoltée, joue sur tous les registres, machiavélique
ou adorable idiote (son rire chevrotant), bourgeoise capricieuse,
égoïste puissance mille, se foutant royalement de l’avis et de la vie (sic) de David,
qu’elle semble à la fois vouloir séduire ou castrer à chaque rencontre. Susan
cherche-t-elle à s'accaparer David, le pensant amoureux d’elle, et briser sa
future union avec Alice Swallow ? L’actrice forme à l’écran un couple
fusionnel avec Cary Grant, virtuose de la comédie, dont on surprend parfois un
sourire vite effacé devant une réaction improvisée de sa partenaire.
L’IMPOSSIBLE
MONSIEUR BÉBÉ trône au panthéon des comédies américaines, comme 2 ans plus tard INDISCRÉTIONS de George Cukor, qui réunissait à nouveau le duo d’acteur, avec en
prime James Stewart.
Pas vu depuis longtemps, je "vois" bien certaines scènes, mais j'ai du mal à reconstruire le film dans ma tête ... excellent souvenir (en pointillés) en tout cas ...
De toutes façons, une comédie avec Cary Grant faut être preneur d'office. Ce type est peut-être le plus grand acteur comique ever, un sens inné de la posture drôle, et un visage d'un élasticité fabuleuse, il est capable de déclencher le rire en bougeant un sourcil d'un millimètre... je lui connais qu'un foirage parmi ses "classiques", tu lui fais allusion, c'est Chérie je me sens rajeunir, où il ressemble à un mauvais Jerry Lewis. Film même pas sauvé par Monroe, qui a son nom écrit en gros sur l'affiche mais n'a qu'un second rôle ...
Tout ça pour dire qui si la Hepburn était moins éclate-braguettes que la pin up blonde, elle était aussi une bien meilleure actrice ...
Pas revu depuis un moment moi non plus. Idem pour l'expression "éclate-braguette" qui confirme le génie de la langue française. À propos de Bacall, Le Grand Sommeil passait la semaine dernière sur Arte. Ça a très très mal vieilli, certaines scènes pâtissent de dialogues grotesques. La scène dont tu parles, en revanche, est bien vue: Bacall joue les affranchies en se posant sur un coin de bureau, attitude contredite par l'irrépressible envie qu'elle a de se gratter le genou.
Pas vu depuis longtemps, je "vois" bien certaines scènes, mais j'ai du mal à reconstruire le film dans ma tête ... excellent souvenir (en pointillés) en tout cas ...
RépondreSupprimerDe toutes façons, une comédie avec Cary Grant faut être preneur d'office. Ce type est peut-être le plus grand acteur comique ever, un sens inné de la posture drôle, et un visage d'un élasticité fabuleuse, il est capable de déclencher le rire en bougeant un sourcil d'un millimètre... je lui connais qu'un foirage parmi ses "classiques", tu lui fais allusion, c'est Chérie je me sens rajeunir, où il ressemble à un mauvais Jerry Lewis. Film même pas sauvé par Monroe, qui a son nom écrit en gros sur l'affiche mais n'a qu'un second rôle ...
Tout ça pour dire qui si la Hepburn était moins éclate-braguettes que la pin up blonde, elle était aussi une bien meilleure actrice ...
Je ne connaissais l'expression "éclate-braguettes" mais je vois très bien le sens...
RépondreSupprimerPas revu depuis un moment moi non plus. Idem pour l'expression "éclate-braguette" qui confirme le génie de la langue française. À propos de Bacall, Le Grand Sommeil passait la semaine dernière sur Arte. Ça a très très mal vieilli, certaines scènes pâtissent de dialogues grotesques. La scène dont tu parles, en revanche, est bien vue: Bacall joue les affranchies en se posant sur un coin de bureau, attitude contredite par l'irrépressible envie qu'elle a de se gratter le genou.
RépondreSupprimerLes copies en ventes (chez Montparnasse et Warner) sont toutes moches en tout cas.
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