vendredi 27 septembre 2024

L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBÉ de Howard Hawks (1938) par Luc B.

A moins d'habiter je ne sais où, sur une planète lointaine, si lointaine que le réseau ne passerait pas, on connaît cette image de Cary Grant trônant au sommet d’un squelette de brontosaure. Point de départ de L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBÉ, joyau de la screwball comedy, un genre dont nous avions cerné les contours à l’occasion de ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES ou NEW YORK - MIAMI (voir les liens en fin d’article).

On doit ce film au multi-cartes Howard Hawks, à l’aise (et compétent) dans tous les genres, peu en odeur de sainteté à Hollywood par son caractère très indépendant, dépensier. On lui retire des projets, il en refuse d’autres, bref, un chieur… Comme Cary Grant et Katharine Hepburn venaient de triompher avec SYLVIA SCARLET de George Cukor, le studio RKO a l’idée de réunir à nouveau le duo (tant que j'gagne, je remets une pièce), cette fois sous la direction de Hawks, qui s’empresse de remanier le scénario, réécrit les dialogues parfois au jour le jour, et surtout, laisse une marge d’improvisation à ses comédiens. Le genre de libertés que les studios apprécient peu. Ça rallonge ou multiplie les prises, donc le métrage à développer, le temps de tournage, et le temps c'est de l'argent... 

Cary Grant et Howard Hawks tourneront encore souvent ensemble, dont le très drôle et survolté LA DAME DU VENDREDI (1940) le sympathique CHÉRIE JE M’SENS RAJEUNIR (1952, avec Marilyn Monroe), mais surtout le magnifique SEULS LES ANGES ONT DES AILES (1939).  

[ photo : Howard Hawks et ses deux acteurs => ]  La Screwball comedy se caractérise par le rythme effréné des situations et des répliques, l’antithèse du cinéma de Blake Edwards, et par une situation de départ qui dégénère, projetant des personnages qui n’avaient rien demandé à personne dans une bourrasque de rebondissements. Ici, celui qui n’avait rien demandé, c’est David Huxley, paléontologue obsédé par son travail au muséum, Cary Grant, donc. La première séquence pose les enjeux, on apprend deux choses. Huxley va se marier le lendemain avec son assistante Alice Swallow, plutôt glaciale, qui prévient de suite qu’il s’agit d’une « union strictement professionnelle ». Huxley s’en étonne « pas de famille, pas d’enfants ? ». On lit une frustration dans son regard, cette réplique voulant sans doute contourner le code Hays de bonne conduite au cinéma, signifiant aussi que pour la gaudriole, le futur époux repassera !

La deuxième information concerne le généreux mécène M. Peabody, qui offrira un million de dollars au muséum, si Huxley le rencontre demain, pour une partie de golf. Ce qui lui fait dire : « Deux évènements heureux le même jour ! », sans qu’on sache du chèque ou du mariage lequel le ravit le plus.

C’est donc le lendemain sur le parcours de golf que tout va partir en vrille. La tornade s'appelle Susan Vance, un cyclone de catégorie 5. Le talent d'Howard Hawks c'est  la précision du découpage des plans. A partir d'une balle de golf perdue, il détourne son personnage de son but premier, le rendez-vous avec le mécène : « J’suis à vous tout de suite M. Peabody ! », réplique récurrente. Huxley perd le contrôle de la situation, il passe d'un parcours à un autre, se retrouve au parking, et à la fin de la séquence, accroché au marchepied de la voiture de Susan Vance, qui file à toute allure, il continuera désespérément à hurler : « J’suis à vous tout de suite M. Peabody ! ». Par sa mise en scène, Howard Hawks a projeté son héros candide dans un monde dominé par la folie. Comme dans beaucoup de ses films, le personnage féminin est le moteur de l’action. Il met Hepburn dans des situations masculines, comme Lauren Baccall dans LE GRAND SOMMEIL, qui s'assoyait sur un coin de bureau la clope au bec, ou Angie Dickinson dans RIO BRAVO qui était la tricheuse à la table de jeu dominée par des hommes. Ici, il filme Hepburn buvant dans le verre d’un autre et gober des olives, à la James Cagney, et à la fin du film, elle quitte ses robes à froufrou pour porter des pantalons.

La séquence au restaurant est prétexte à une avalanche de gags et de vexations, inaugurée par une glissade d'Huxley sur une olive. A chaque fois que Susan tente de se faire pardonner : « what can I do ? », il répond lassé : « Go away ! ». Elle déchire sa veste, lui sa robe de soirée. Gentleman, il lui cache le popotin avec son chapeau, elle prend ça pour une main aux cul ! Contraints de quitter la soirée collés l’un à l’autre, ils tombent sur le mécène... « J’suis à vous tout de suite M. Peabody ! ».

Jusqu’à présent l’histoire se jouait à deux. En arrivant chez Susan Vance, Howard Hawks va empiler les couches. Il y aura Elizabeth Carlton Random, la vielle tante de Susan, le major Applegate adepte de la chasse aux fauves, Gogarty le jardinier alcoolo, et Bébé, celui du titre, qui est un léopard (autre réplique récurrente : « il n’y a pas de léopard au Connecticut »). Les scènes avec l’animal et Hepburn sont assez impressionnantes, on avait recommandé à l’actrice de s’asperger du parfum que la panthère appréciait, pour l’attirer, et de ne pas jouer de façon brusque en sa présence.

David Huxley s’éloigne à chaque scène un peu plus de ses deux objectifs, son mariage et son musée, comme pris dans une spirale aspirante. Le réalisateur prend un malin plaisir à le mettre dans des situations embarrassantes. Voir Cary Grant en nuisette à plumes (trop courte) est un grand moment, comme lorsqu’il revêt un costume de chasse à courre, avec des tongues ! Il est le seul personnage à peu près normal, tous les autres ont un grain, de la tante au major, du shérif au médecin, tous semblent évoluer dans leur propre monde, indifférents au bien-vivre en commun (ce qui reflète un peu la personnalité de Hawks à Hollywood) 

Mise à part la séquence dans le parc, de nuit, à la recherche d’un os de brontosaure que l’odieux chien de la tante se plaît à enterrer partout (on pense à Milou et son tibia de dinosaure dans Le Sceptre d'Ottokar) qui aurait pu être abrégée, non seulement le rythme ne faiblit pas, mais s’accélère. Katharine Hepburn fait ses entrées en courant, débite ses répliques à la mitraillette. Howard Hawks n’est pas un adepte des mouvements de caméra, il cadre large, moyen, gros, c’est tout, basique, toujours dans l’axe, avec quelques panoramiques pour accompagner les déplacements. Le cadre est fixe, mais à l'intérieur du cadre, c'est le chaos. Et ce qui compte, c’est le tempo, la manière d’agencer les plans, pour que chaque situation soit lisible, notamment les actions / réactions.   

A la manière d’un vaudeville, tous les personnages se retrouvent pour une dernière séquence, en prison, qui vire au grand n’importe quoi.

Katherine Hepburn règne sur cette comédie survoltée, joue sur tous les registres, machiavélique ou adorable idiote (son rire chevrotant), bourgeoise capricieuse, égoïste puissance mille, se foutant royalement de l’avis et de la vie (sic) de David, qu’elle semble à la fois vouloir séduire ou castrer à chaque rencontre. Susan cherche-t-elle à s'accaparer David, le pensant amoureux d’elle, et briser sa future union avec Alice Swallow ? L’actrice forme à l’écran un couple fusionnel avec Cary Grant, virtuose de la comédie, dont on surprend parfois un sourire vite effacé devant une réaction improvisée de sa partenaire.

L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBÉ trône au panthéon des comédies américaines, comme 2 ans plus tard INDISCRÉTIONS de George Cukor, qui réunissait à nouveau le duo d’acteur, avec en prime James Stewart.

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Dans le même genre survolté et drôlissime : Arsenic et vieilles dentelles New York-Miami

 


noir et blanc  -  1h40  -  format 1:1.37. 

4 commentaires:

  1. Pas vu depuis longtemps, je "vois" bien certaines scènes, mais j'ai du mal à reconstruire le film dans ma tête ... excellent souvenir (en pointillés) en tout cas ...

    De toutes façons, une comédie avec Cary Grant faut être preneur d'office. Ce type est peut-être le plus grand acteur comique ever, un sens inné de la posture drôle, et un visage d'un élasticité fabuleuse, il est capable de déclencher le rire en bougeant un sourcil d'un millimètre... je lui connais qu'un foirage parmi ses "classiques", tu lui fais allusion, c'est Chérie je me sens rajeunir, où il ressemble à un mauvais Jerry Lewis. Film même pas sauvé par Monroe, qui a son nom écrit en gros sur l'affiche mais n'a qu'un second rôle ...

    Tout ça pour dire qui si la Hepburn était moins éclate-braguettes que la pin up blonde, elle était aussi une bien meilleure actrice ...

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  2. Je ne connaissais l'expression "éclate-braguettes" mais je vois très bien le sens...

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  3. Shuffle Master.1/10/24 08:54

    Pas revu depuis un moment moi non plus. Idem pour l'expression "éclate-braguette" qui confirme le génie de la langue française. À propos de Bacall, Le Grand Sommeil passait la semaine dernière sur Arte. Ça a très très mal vieilli, certaines scènes pâtissent de dialogues grotesques. La scène dont tu parles, en revanche, est bien vue: Bacall joue les affranchies en se posant sur un coin de bureau, attitude contredite par l'irrépressible envie qu'elle a de se gratter le genou.

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  4. freddiefreejazz6/10/24 15:37

    Les copies en ventes (chez Montparnasse et Warner) sont toutes moches en tout cas.

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